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Comment la défaite de l’Allemagne par les Soviétiques a empêché un projet Manhattan nazi
02 Sep 2021 DENNIS RICHES
Les commémorations des attaques contre Hiroshima et Nagasaki sont souvent l’occasion de rappeler que l’usage des bombes nucléaires n’était pas nécessaire aux États-Unis pour mettre fin à la guerre. Dans cet article, Dennis Riches explore une autre facette de ce tragique événement. Se basant sur le travail des historiens Jacques Pauwels et Christopher Simpson, il imagine comment l’Allemagne d’Hitler aurait pu développer son propre arsenal nucléaire si elle n’avait pas été stoppée par l’Armée rouge. Il est ainsi utile de rappeler le rôle de l’Union soviétique durant la Deuxième Guerre mondiale à l’heure où la propagande occidentale tend à l’effacer des manuels… (IGA)
« Notre histoire est imprévisible ». Adage russe
Les journées chaudes, étouffantes, du début du mois d’août nous atteignent au Japon et, les pensées de tous ceux qui se soucient de l’histoire se tournent vers la commémoration annuelle des attaques des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki des 6 et 9 août 1945. La chaleur d’août au Japon me fait toujours penser à la chaleur inimaginable qu’ont dû subir les victimes de ces deux jours tristement célèbres.
A ce moment de l’année, il est aisé de trouver parmi les excellents articles qui abondent, un bon nombre qui expliquent pourquoi les bombes atomiques n’étaient pas nécessaires et n’ont pas « mis fin à la guerre » comme tant d’experts Etats-Uniens aiment à le formuler. L’ouvrage de Gar Alperovitz est peut-être le meilleur sur ce sujet [1]. Plutôt que de reparcourir ce terrain familier, je vais dans cet essai me lancer dans un exercice suggérant comment les armes nucléaires auraient pu être utilisées si la Deuxième Guerre mondiale s’était déroulée un peu différemment. Pour ce faire, je me référerai d’abord aux ouvrages de deux historiens, Les mythes de l’histoire moderne de Jacques Pauwels [2] et The Splendid Blond Beast: Money, Law and Genocide in the Twentieth Century de Christopher Simpson [3]. Le premier livre n’est pas disponible en traduction anglaise mais l’auteur a abordé les même thèmes en anglais dans Big Business and Hitler[4] ainsi que dans ses articles dans The Greanville Post et ailleurs [5].
Les deux écrivains renversent l’historiographie conventionnelle de la « guerre de Trente ans » du XXe siècle (1914-1945, en fait 31 ans) en mettant l’accent
sur ce que le comédien George Carlin a exprimé si succinctement en disant « L’Allemagne a perdu la deuxième guerre mondiale ; le fascisme l’a gagnée ». Pauwels illustre ceci en parcourant les mythes largement admis pendant les 240 dernières années de l’Histoire.
Il débute avec les mythes de la Révolution française, puis poursuit à travers d’autres mythes jusqu’à la période actuelle : l’ascension de Napoléon, la restauration de la monarchie française, la menace posée par le marxisme en 1848 (publication du Manifeste du parti communiste), la deuxième révolution française de 1848, suivie par le second empire napoléonien (1851-1870), la Commune de Paris en 1870, l’ascension de la démocratie bourgeoise nationaliste et des empires rivaux, culminant dans la Grande Guerre de 1914-1918, la révolution bolchevique de 1917, le nouvel ordre mondial instauré par le Traité de Versailles, la République de Weimar, la Deuxième guerre mondiale et, finalement, la Guerre froide.
Tout au long de ce long arc de l’histoire, il y eut un thème commun. A chaque fois que le capitalisme était en crise et que la classe bourgeoise était menacée par l’essor de la solidarité prolétaire internationale, la guerre fut toujours le premier choix. Il était fait avec beaucoup de réticences et une consternation solennelle concernant les sacrifices qui seraient demandés aux citoyens mais il l’emportait toujours sur la perspective d’une révolution socialiste. Pauwels résume ainsi dans son avant-dernier chapitre :
La Guerre froide est née dans l’enfer d’Hiroshima et de Nagasaki. Pour l’impérialisme états-unien, la Deuxième Guerre mondiale était officiellement une guerre contre l’Allemagne nazie et le fascisme en général et, en réalité, une guerre contre un rival impérialiste dont l’anti-soviétisme était cependant partagé ; et c’était une guerre aux côtés de l’Union soviétique, une nation officiellement alliée aux impérialistes mais anti-impérialiste. La Guerre froide a révélé ce qu’il en était, en ce sens que l’adversaire réel de l’impérialisme états-unien et de l’impérialisme en général s’est manifesté : l’Union soviétique anti-fasciste, anti-capitaliste et anti-impérialiste. Dans ce conflit, les Etats-Unis se sont assurés qu’ils avaient à leurs côtés le « juste allié », un Etat allemand « depuis peu démocratique », mis en évidence dans les territoires germaniques occidentaux et gouvernés par une équipe de personnalités profondément conservatrices, y compris de nombreux anciens nazis dont les leaders américains partageaient la même idéologie pro-capitaliste et anti-soviétique.[6]
Christopher Simpson traite à peu près des mêmes questions mais détaille comment la bureaucratie du Département d’Etat américain, agissant toujours en faveur des intérêts des banques et des compagnies américaines, a résisté à l’arrêt de la coopération économique avec l’Allemagne nazie dans les années 1930, même longtemps après que ses atrocités furent devenues apparentes. Malgré la présence dans la Maison Blanche du progressiste social Roosevelt, les hauts dirigeants du Département d’Etat ont fait en sorte que le pétrole Etats-unien continue à couler en Allemagne et que les firmes américaines (Texaco, IBM, Ford et GM et les autres) continuent à tirer profit de la construction de la machine de guerre allemande. L’Allemagne n’aurait pas pu gagner la guerre si de telles compagnies avaient été obligées de mettre fin à leurs affaires avec l’Allemagne.
On n’aurait pu rien faire concernant les crimes atroces de l’Allemagne contre l’humanité, prétendirent ces bureaucrates, parce que ces crimes n’étaient pas du ressort des lois de guerre et étaient « légaux » simplement parce que légalisés par le régime nazi. Les usines américaines en Allemagne échappèrent aux raids aériens pendant la guerre et, alors que la fin de la guerre s’approchait, le Département d’Etat cherchaient des façons de réhabiliter les individus et les entreprises qui avaient financé l’ascension d’Hitler et collaboré aux atrocités nazies. Très peu d’entre eux furent mis en accusation dans les procès de Nuremberg. Comme le dit Simpson :
Le Département d’Etat américain et ses alliés orchestrèrent un effort pour protéger et reconstruire l’économie allemande aussi vite que possible en tant que rempart économique, politique et, éventuellement militaire, contre de nouvelles révolutions en Europe, même si bon nombre de chefs d’entreprises et de dirigeants administratifs de la finance et de l’industrie allemandes qu’ils protégeaient avaient contribué aux crimes d’Hitler. De nombreux critiques, dont le Secrétaire américain au Trésor ne fut pas le moindre, accusèrent cette faction du Département d’Etat d’anti-sémitisme, bloquant le sauvetage des réfugiés juifs, cherchant à se concilier Hitler, protégeant des criminels nazis à l’issue de la guerre… Cette stratégie vis-à-vis de l’Allemagne entraîna de substantiels coûts économiques pour les Etats-Unis, sans compter le coût humain de l’Holocauste.
Un de ces coûts fut la rapide escalade d’une compétition militaire excessivement coûteuse et dangereuse avec l’URSS qui, pendant presque un demi-siècle, menaça à plusieurs reprises de mener à une guerre nucléaire. Les similarités entre le génocide arménien et l’Holocauste suggèrent que le « problème nazi » dans l’Allemagne d’après-guerre n’est que partiellement imputable aux pressions de la guerre froide. Tout au long du vingtième siècle, indépendamment de l’atmosphère prévalant dans les relations Est-Ouest, les Etats les plus puissants ne se sont souciés du génocide que dans la mesure où il a affecté leur propre stabilité et leurs intérêts à court terme. Presque sans exception, ils ont traité les conséquences du génocide en premier lieu comme un moyen d’accroître leur pouvoir et de préserver leur licence d’imposer leur version de l’ordre, sans tenir compte du prix à payer en termes de justice élémentaire. [7]
Les chapitres de Pauwels relatifs à la Deuxième Guerre mondiale démontrent à quel point l’historiographie occidentale a minimisé le rôle décisif de l’Union soviétique dans la défaite de l’Allemagne. Les personnes ayant grandi à l’Ouest, soumises au régime régulier des films de guerre hollywoodiens, croient que c’est le débarquement en Normandie, survenu tardivement dans la guerre, qui a causé la défaite de l’Allemagne. Pauwels affirme que le commencement de la fin décisif pour l’Allemagne a eu lieu dès décembre 1941, quand l’armée allemande a été stoppée aux portes de Moscou. L’Allemagne dépendait d’une attaque éclair (blitzkrieg) comme en Europe de l’Ouest. Elle devait vaincre rapidement parce qu’elle ne disposait pas d’assez de carburant et d’autres ressources pour tenir le coup lors d’une guerre prolongée.
Staline le savait et eut recours à une stratégie de défense en profondeur qui attira les forces allemandes plus avant en territoire ennemi. Ce qui paraissait aux yeux des Allemands une victoire facile pendant l’été 1941 – alors qu’ils avançaient rapidement dans un territoire mal défendu – tourna au désastre lorsqu’ils rencontrèrent des défenses plus fortes plus avant au coeur de l’Union soviétique. Les Soviétiques, bien sûr, payèrent le prix fort leur victoire à Stalingrad en février 1943, après quoi ils commencèrent à avancer vers Berlin. Dans The Untold History of the United States, Peter Kuznick et Oliver Stone notent :
Jusqu’au débarquement en Normandie en 1944, les forces soviétiques se heurtaient régulièrement à plus de deux cents divisions ennemies tandis que les Américains et les Britanniques ensemble étaient rarement confrontés à plus de dix. Churchill reconnaissait que c’était « l’armée russe qui arrachait les tripes de la machine militaire allemande ». L’Allemagne perdit plus de six millions d’hommes sur le front de l’Est et approximativement un million sur de front de l’Ouest et en Méditerranée.[8]
Pauwels écrit que si l’armée allemande l’avait emporté en Russie, elle serait devenue une puissance hégémonique invincible, s’étendant d’Amsterdam à Vladivostok. D’un côté, c’est peut-être une idée fantaisiste que d’évoquer cette conquête allemande de l’Eurasie, car il n’est pas réaliste de penser que l’Allemagne aurait pu dominer la population russe à long terme. L’Allemagne a échoué parce qu’elle devait échouer. Au mieux, elle aurait réussi en Russie de la même manière que les Américains ont réussi en Afghanistan entre 2001 et 2021.
L’Allemagne aurait dû faire face à une insurrection prolongée et coûteuse. La Russie ne pouvait pas être comparée à l’Ouest américain de 1870. Ce n’était pas un territoire qui pouvait être facilement occupé et colonisé. Elle n’était pas habitée par une population diversifiée de seulement quelques millions de personnes répartie en plusieurs nations indigènes. C’était une nation de presque 200 millions de citoyens (trois fois la population allemande de l’époque), dont la plupart s’étaient formé une identité en tant que citoyens de l’Empire russe, puis de l’Union soviétique. C’était une folie de penser qu’elle pourrait être aisément nettoyée pour fournir un « espace de vie » à la race germanique. D’autre part, si quelqu’un d’autre que Staline avait été au pouvoir, si l’Union soviétique avait été affaiblie de l’intérieur par ceux qui voulaient demander la paix et ouvrir le pays à l’exploitation capitaliste, les républiques soviétiques auraient pu devenir toutes vassales ou Etats clients sous contrôle allemand, comme la Corée du Sud et le Japon actuellement, vivant avec des bases militaires Etats-Uniennes sur leur sol et à l’intérieur de l’ »ordre international basé sur des règles » des Etats-Unis.
Si l’armée allemande n’avait pas été déroutée de Moscou en décembre 1941 (au moment de l’attaque de Pearl Harbor quand les Etats-Unis venaient de déclarer la guerre au Japon[9]), la blitzkrieg allemande aurait pu avoir un bon ancrage en Russie, de la même manière qu’en France et dans d’autres pays en Europe, et elle aurait donc eu accès au pétrole, à la nourriture et aux autres ressources dans lesquelles puiser et il serait devenu impossible aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne de la vaincre.
Comment la défaite de l’Allemagne par les Soviétiques a empêché un projet Manhattan nazi
02 Sep 2021 DENNIS RICHES
Les commémorations des attaques contre Hiroshima et Nagasaki sont souvent l’occasion de rappeler que l’usage des bombes nucléaires n’était pas nécessaire aux États-Unis pour mettre fin à la guerre. Dans cet article, Dennis Riches explore une autre facette de ce tragique événement. Se basant sur le travail des historiens Jacques Pauwels et Christopher Simpson, il imagine comment l’Allemagne d’Hitler aurait pu développer son propre arsenal nucléaire si elle n’avait pas été stoppée par l’Armée rouge. Il est ainsi utile de rappeler le rôle de l’Union soviétique durant la Deuxième Guerre mondiale à l’heure où la propagande occidentale tend à l’effacer des manuels… (IGA)
« Notre histoire est imprévisible ». Adage russe
Les journées chaudes, étouffantes, du début du mois d’août nous atteignent au Japon et, les pensées de tous ceux qui se soucient de l’histoire se tournent vers la commémoration annuelle des attaques des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki des 6 et 9 août 1945. La chaleur d’août au Japon me fait toujours penser à la chaleur inimaginable qu’ont dû subir les victimes de ces deux jours tristement célèbres.
A ce moment de l’année, il est aisé de trouver parmi les excellents articles qui abondent, un bon nombre qui expliquent pourquoi les bombes atomiques n’étaient pas nécessaires et n’ont pas « mis fin à la guerre » comme tant d’experts Etats-Uniens aiment à le formuler. L’ouvrage de Gar Alperovitz est peut-être le meilleur sur ce sujet [1]. Plutôt que de reparcourir ce terrain familier, je vais dans cet essai me lancer dans un exercice suggérant comment les armes nucléaires auraient pu être utilisées si la Deuxième Guerre mondiale s’était déroulée un peu différemment. Pour ce faire, je me référerai d’abord aux ouvrages de deux historiens, Les mythes de l’histoire moderne de Jacques Pauwels [2] et The Splendid Blond Beast: Money, Law and Genocide in the Twentieth Century de Christopher Simpson [3]. Le premier livre n’est pas disponible en traduction anglaise mais l’auteur a abordé les même thèmes en anglais dans Big Business and Hitler[4] ainsi que dans ses articles dans The Greanville Post et ailleurs [5].
Les deux écrivains renversent l’historiographie conventionnelle de la « guerre de Trente ans » du XXe siècle (1914-1945, en fait 31 ans) en mettant l’accent
sur ce que le comédien George Carlin a exprimé si succinctement en disant « L’Allemagne a perdu la deuxième guerre mondiale ; le fascisme l’a gagnée ». Pauwels illustre ceci en parcourant les mythes largement admis pendant les 240 dernières années de l’Histoire.
Il débute avec les mythes de la Révolution française, puis poursuit à travers d’autres mythes jusqu’à la période actuelle : l’ascension de Napoléon, la restauration de la monarchie française, la menace posée par le marxisme en 1848 (publication du Manifeste du parti communiste), la deuxième révolution française de 1848, suivie par le second empire napoléonien (1851-1870), la Commune de Paris en 1870, l’ascension de la démocratie bourgeoise nationaliste et des empires rivaux, culminant dans la Grande Guerre de 1914-1918, la révolution bolchevique de 1917, le nouvel ordre mondial instauré par le Traité de Versailles, la République de Weimar, la Deuxième guerre mondiale et, finalement, la Guerre froide.
Tout au long de ce long arc de l’histoire, il y eut un thème commun. A chaque fois que le capitalisme était en crise et que la classe bourgeoise était menacée par l’essor de la solidarité prolétaire internationale, la guerre fut toujours le premier choix. Il était fait avec beaucoup de réticences et une consternation solennelle concernant les sacrifices qui seraient demandés aux citoyens mais il l’emportait toujours sur la perspective d’une révolution socialiste. Pauwels résume ainsi dans son avant-dernier chapitre :
La Guerre froide est née dans l’enfer d’Hiroshima et de Nagasaki. Pour l’impérialisme états-unien, la Deuxième Guerre mondiale était officiellement une guerre contre l’Allemagne nazie et le fascisme en général et, en réalité, une guerre contre un rival impérialiste dont l’anti-soviétisme était cependant partagé ; et c’était une guerre aux côtés de l’Union soviétique, une nation officiellement alliée aux impérialistes mais anti-impérialiste. La Guerre froide a révélé ce qu’il en était, en ce sens que l’adversaire réel de l’impérialisme états-unien et de l’impérialisme en général s’est manifesté : l’Union soviétique anti-fasciste, anti-capitaliste et anti-impérialiste. Dans ce conflit, les Etats-Unis se sont assurés qu’ils avaient à leurs côtés le « juste allié », un Etat allemand « depuis peu démocratique », mis en évidence dans les territoires germaniques occidentaux et gouvernés par une équipe de personnalités profondément conservatrices, y compris de nombreux anciens nazis dont les leaders américains partageaient la même idéologie pro-capitaliste et anti-soviétique.[6]
Christopher Simpson traite à peu près des mêmes questions mais détaille comment la bureaucratie du Département d’Etat américain, agissant toujours en faveur des intérêts des banques et des compagnies américaines, a résisté à l’arrêt de la coopération économique avec l’Allemagne nazie dans les années 1930, même longtemps après que ses atrocités furent devenues apparentes. Malgré la présence dans la Maison Blanche du progressiste social Roosevelt, les hauts dirigeants du Département d’Etat ont fait en sorte que le pétrole Etats-unien continue à couler en Allemagne et que les firmes américaines (Texaco, IBM, Ford et GM et les autres) continuent à tirer profit de la construction de la machine de guerre allemande. L’Allemagne n’aurait pas pu gagner la guerre si de telles compagnies avaient été obligées de mettre fin à leurs affaires avec l’Allemagne.
On n’aurait pu rien faire concernant les crimes atroces de l’Allemagne contre l’humanité, prétendirent ces bureaucrates, parce que ces crimes n’étaient pas du ressort des lois de guerre et étaient « légaux » simplement parce que légalisés par le régime nazi. Les usines américaines en Allemagne échappèrent aux raids aériens pendant la guerre et, alors que la fin de la guerre s’approchait, le Département d’Etat cherchaient des façons de réhabiliter les individus et les entreprises qui avaient financé l’ascension d’Hitler et collaboré aux atrocités nazies. Très peu d’entre eux furent mis en accusation dans les procès de Nuremberg. Comme le dit Simpson :
Le Département d’Etat américain et ses alliés orchestrèrent un effort pour protéger et reconstruire l’économie allemande aussi vite que possible en tant que rempart économique, politique et, éventuellement militaire, contre de nouvelles révolutions en Europe, même si bon nombre de chefs d’entreprises et de dirigeants administratifs de la finance et de l’industrie allemandes qu’ils protégeaient avaient contribué aux crimes d’Hitler. De nombreux critiques, dont le Secrétaire américain au Trésor ne fut pas le moindre, accusèrent cette faction du Département d’Etat d’anti-sémitisme, bloquant le sauvetage des réfugiés juifs, cherchant à se concilier Hitler, protégeant des criminels nazis à l’issue de la guerre… Cette stratégie vis-à-vis de l’Allemagne entraîna de substantiels coûts économiques pour les Etats-Unis, sans compter le coût humain de l’Holocauste.
Un de ces coûts fut la rapide escalade d’une compétition militaire excessivement coûteuse et dangereuse avec l’URSS qui, pendant presque un demi-siècle, menaça à plusieurs reprises de mener à une guerre nucléaire. Les similarités entre le génocide arménien et l’Holocauste suggèrent que le « problème nazi » dans l’Allemagne d’après-guerre n’est que partiellement imputable aux pressions de la guerre froide. Tout au long du vingtième siècle, indépendamment de l’atmosphère prévalant dans les relations Est-Ouest, les Etats les plus puissants ne se sont souciés du génocide que dans la mesure où il a affecté leur propre stabilité et leurs intérêts à court terme. Presque sans exception, ils ont traité les conséquences du génocide en premier lieu comme un moyen d’accroître leur pouvoir et de préserver leur licence d’imposer leur version de l’ordre, sans tenir compte du prix à payer en termes de justice élémentaire. [7]
Les chapitres de Pauwels relatifs à la Deuxième Guerre mondiale démontrent à quel point l’historiographie occidentale a minimisé le rôle décisif de l’Union soviétique dans la défaite de l’Allemagne. Les personnes ayant grandi à l’Ouest, soumises au régime régulier des films de guerre hollywoodiens, croient que c’est le débarquement en Normandie, survenu tardivement dans la guerre, qui a causé la défaite de l’Allemagne. Pauwels affirme que le commencement de la fin décisif pour l’Allemagne a eu lieu dès décembre 1941, quand l’armée allemande a été stoppée aux portes de Moscou. L’Allemagne dépendait d’une attaque éclair (blitzkrieg) comme en Europe de l’Ouest. Elle devait vaincre rapidement parce qu’elle ne disposait pas d’assez de carburant et d’autres ressources pour tenir le coup lors d’une guerre prolongée.
Staline le savait et eut recours à une stratégie de défense en profondeur qui attira les forces allemandes plus avant en territoire ennemi. Ce qui paraissait aux yeux des Allemands une victoire facile pendant l’été 1941 – alors qu’ils avançaient rapidement dans un territoire mal défendu – tourna au désastre lorsqu’ils rencontrèrent des défenses plus fortes plus avant au coeur de l’Union soviétique. Les Soviétiques, bien sûr, payèrent le prix fort leur victoire à Stalingrad en février 1943, après quoi ils commencèrent à avancer vers Berlin. Dans The Untold History of the United States, Peter Kuznick et Oliver Stone notent :
Jusqu’au débarquement en Normandie en 1944, les forces soviétiques se heurtaient régulièrement à plus de deux cents divisions ennemies tandis que les Américains et les Britanniques ensemble étaient rarement confrontés à plus de dix. Churchill reconnaissait que c’était « l’armée russe qui arrachait les tripes de la machine militaire allemande ». L’Allemagne perdit plus de six millions d’hommes sur le front de l’Est et approximativement un million sur de front de l’Ouest et en Méditerranée.[8]
Pauwels écrit que si l’armée allemande l’avait emporté en Russie, elle serait devenue une puissance hégémonique invincible, s’étendant d’Amsterdam à Vladivostok. D’un côté, c’est peut-être une idée fantaisiste que d’évoquer cette conquête allemande de l’Eurasie, car il n’est pas réaliste de penser que l’Allemagne aurait pu dominer la population russe à long terme. L’Allemagne a échoué parce qu’elle devait échouer. Au mieux, elle aurait réussi en Russie de la même manière que les Américains ont réussi en Afghanistan entre 2001 et 2021.
L’Allemagne aurait dû faire face à une insurrection prolongée et coûteuse. La Russie ne pouvait pas être comparée à l’Ouest américain de 1870. Ce n’était pas un territoire qui pouvait être facilement occupé et colonisé. Elle n’était pas habitée par une population diversifiée de seulement quelques millions de personnes répartie en plusieurs nations indigènes. C’était une nation de presque 200 millions de citoyens (trois fois la population allemande de l’époque), dont la plupart s’étaient formé une identité en tant que citoyens de l’Empire russe, puis de l’Union soviétique. C’était une folie de penser qu’elle pourrait être aisément nettoyée pour fournir un « espace de vie » à la race germanique. D’autre part, si quelqu’un d’autre que Staline avait été au pouvoir, si l’Union soviétique avait été affaiblie de l’intérieur par ceux qui voulaient demander la paix et ouvrir le pays à l’exploitation capitaliste, les républiques soviétiques auraient pu devenir toutes vassales ou Etats clients sous contrôle allemand, comme la Corée du Sud et le Japon actuellement, vivant avec des bases militaires Etats-Uniennes sur leur sol et à l’intérieur de l’ »ordre international basé sur des règles » des Etats-Unis.
Si l’armée allemande n’avait pas été déroutée de Moscou en décembre 1941 (au moment de l’attaque de Pearl Harbor quand les Etats-Unis venaient de déclarer la guerre au Japon[9]), la blitzkrieg allemande aurait pu avoir un bon ancrage en Russie, de la même manière qu’en France et dans d’autres pays en Europe, et elle aurait donc eu accès au pétrole, à la nourriture et aux autres ressources dans lesquelles puiser et il serait devenu impossible aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne de la vaincre.

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