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Esclaves musulmans dans les pays européens - XVI-XVIIIè siècles

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  • Esclaves musulmans dans les pays européens - XVI-XVIIIè siècles

    Extraits de l'article «Être esclave à Malte à l’époque moderne» de l'historienne italienne Elina Gugliuzzo , publié dans la revue Cahiers Méditerranéens (France)
    L’existence d’un commerce important d’esclaves en Méditerranée et de nombreux marchés, aussi bien dans le monde chrétien que musulman, a entraîné pour beaucoup d’hommes et de femmes des changements de maîtres, qui pouvaient être de religions différentes, et a pu générer des conversions successives d’individus. Les marchés d’esclaves étaient florissants un peu partout et se nourrissaient de l’activité corsaire : Malte, Livourne, Venise, Naples, Gênes, la Sicile, Marseille, Barcelone, Cadix, les Baléares furent des centres de transactions. Entre les puissances chrétiennes, Malte et l’ordre des chevaliers de Saint-Jean représentèrent le « boulevard de la chrétienté » contre les Turcs, en particulier, contre les puissances barbaresques. Mais la maîtrise des mers était surtout un enjeu pour les économies. L’activité corsaire fut une lutte équitable et équilibrée entre les divers protagonistes, et non, comme le véhicule trop souvent une historiographie européocentriste orientée, noble et chevaleresque chez les chrétiens et barbare chez les musulmans. En réalité, ce brigandage maritime réciproque, à prétexte religieux, fut une activité largement institutionnalisée. Dans cette course à l’enrichissement, les chevaliers de Malte chassent également pour leur compte et pour celui de leurs armateurs, comme le font les galères toscanes de l’ordre de Saint-Étienne, ou les corsaires au service du roi de France ou d’Angleterre. Les galères de l’Ordre jouaient, aux XVIe et XVIIe siècles, un rôle important dans une action concertée avec d’autres forces chrétiennes contre l’ennemi commun. Les esclaves en étaient le moteur humain indispensable.

    À la reconnaissance de l’existence d’une guerre de course chrétienne – dont on doit considérer, entre les principaux représentants, les chevaliers de Malte et ceux de Saint-Étienne – suivit donc l’admission d’un esclavage « musulman », c’est-à-dire de Musulmans (Turcs d’Anatolie, des Balkans et du Maghreb), de Noirs et d’autres, en chrétienté. L’esclavage musulman était le pendant de l’esclavage chrétien en terre d’Islam. Les captifs, chrétiens ou musulmans, étaient de part et d’autre de plus en plus nombreux. Leur existence constituait un lien important dans les relations entre le Maghreb et l’Europe.

    L’exemple de Malte est significatif. Depuis que l’île avait été cédée par Charles Quint à l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, « à titre de fief noble, libre et franc », ces « soldats » y avaient transporté leur « raison d’être », c’est-à-dire la lutte contre l’infidèle, sur terre comme sur mer... Chaque année, l’Ordre armait une demi-douzaine de grosses galères, renforcées au XVIe siècle par trois à quatre vaisseaux ou frégates, pour intervenir contre le commerce musulman en mer et effectuer des razzias dans les villages côtiers non défendus. Ces opérations étaient menées, soit par les seuls bâtiments de la Religion, soit en coopération avec d’autres escadres – vénitiennes et napolitaines en particulier – en guerre contre le Grand Seigneur ou les puissances barbaresques.

    L’histoire de l’ordre de Malte, et l’histoire même de Malte, aux XVIe et XVIIe siècles, est essentiellement liée à la course, non seulement pour défendre le monde chrétien, mais aussi pour mener des actions contre les pays du Maghreb et ses habitants. Les « corsaires » du Grand Maître obtinrent tout d’abord des licences pour accomplir de véritables razzias dans les pays du Maghreb et en Méditerranée occidentale. Mais, à partir de 1720, les licences furent étendues, plus à l’est, à la Méditerranée orientale, où les corsaires attaquaient le plus souvent des navires grecs sous prétexte qu’ils transportaient des marchandises appartenant aux Turcs.

    Cette forme maritime de croisade servait surtout à justifier leur existence aux yeux de la chrétienté et cette raison d’être restait pour l’Ordre la meilleure légitimation de ses richesses et de son statut. Dans cette course, s’il s’agissait d’intervenir « au détriment de l’infidèle » ou « au bénéfice de notre Religion et de toute la chrétienté », les ordres donnés avant leur départ aux capitaines des vaisseaux par le Grand Maître et le Conseil étaient avant tout de « courir les mers pour faire une riche prise et tirer un bon butin ». C’est ce qui fit le général des galères, Jacques François de Chambray, en 1732, au cours d’une campagne au Levant, lorsqu’il captura La Sultane armée de 70 canons et son convoi. Le butin consista en canons, 126 quintaux de poudre, voiles de rechange, deux câbles, 70 couffes de riz, du biscuit et « d’autre embarrasse qui s’est trouvé bon », mais aussi en 117 « Turcs devenus esclaves et […] quatorze chrétiens jusqu’ici esclaves à qui [fut] rendue la liberté ». Le pavillon de Saint-Jean ne flottait d’ailleurs pas seulement sur les bâtiments armés dans l’île, mais aussi fort souvent sur les bâtiments espagnols, italiens, français ou autres, devenus maltais, par la grâce de quelques lignes sur les registres du « Tribunal des Armements » et du Liber Bullarum à La Valette. Ainsi, l’accroissement des opérations maritimes des chevaliers eut pour conséquence une augmentation du nombre d’esclaves, tant de ceux possédés par des propriétaires privés que de ceux qui appartenaient à l’Ordre.

    Les esclaves à Malte
    Que devenaient les prisonniers lorsqu’ils arrivaient à Malte ? Après leur quarantaine, les esclaves les plus jeunes et vigoureux étaient recrutés comme galériens et comme main-d’œuvre pour les travaux publics, en particulier pour les fortifications. Les autres étaient vendus aux enchères sur le marché public de la Valette. « On trafique les hommes comme des animaux », affirme Roland de la Platière.
    L’ordre de Saint-Jean rencontrait souvent beaucoup de difficultés à trouver suffisamment d’esclaves pour les galères, malgré le fait que leur nombre était complété par les forçats, les rameurs libres salariés (buonavoglie) et les marins. Les prises effectuées en mer par les navires de l’Ordre constituaient la principale source d’approvisionnement en esclaves. Une fois arrivés à destination, ils étaient mis en vente sur la place du marché, presque nus, et à ce moment commençait leur inspection. L’état de leur dentition était très important parce qu’on devait vérifier s’ils pouvaient manger les biscuits secs fournis sur les vaisseaux corsaires. Les esclaves, chrétiens ou musulmans, qui ramaient sur les galères souffraient souvent de véritables martyres : on pouvait leur couper le nez ou les oreilles. Quant à l’achat d’esclaves musulmans, qui contribuait à l’accroissement des puissances maritimes chrétiennes, il devait s’effectuer, pour d’évidentes raisons de sécurité, hors des territoires sous domination du Grand Seigneur. Les consuls se chargeaient alors de satisfaire à des demandes émanant de leurs autorités, tout comme ils le faisaient pour d’autres marchandises…
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

  • #2
    Esclaves musulmans dans les pays européens - XVI-XVIIIè siècles

    Suite
    Les galériens étaient au centre d’un enjeu important entre la France et l’Espagne, soit les deux principales puissances armant des galères. Leur prix montait sensiblement quand la demande se faisait pressante et l’offre rare. La masse des galériens était fournie, en dehors des condamnés de droit commun, par les achats de « Turcs » sur les marchés d’esclaves de la Méditerranée.

    L’aspect religieux n’est certainement pas le plus important en la matière : tout était bon pour faire ramer sur les galères. Les « Turcs » qui se convertissaient au catholicisme dans l’espoir d’échapper à la chiourme, demeuraient galériens, sans aucune amélioration de leur sort. Au contraire, la société islamique était plus ouverte que la chrétienne. Des villes cosmopolites comme Alger ou Tunis excluaient tout sentiment de xénophobie une fois qu’un étranger devenait musulman. Les renégats jouissaient du statut politique et social des Turcs d’origine. Cette assimilation se concrétise dans l’expression qui sert alors à les désigner : « Turcs de profession », c’est-à-dire devenus turcs par profession de foi de la religion des Turcs d’origine. N’avons-nous pas l’exemple de jeunes esclaves chrétiens ayant obtenu le titre de Grand Amiral de l’Empire ottoman, comme ce fut le cas de Mehmet Sokollu ou encore de Khaireddine Barberousse. Les privilèges de naissance ne comptaient pas : le mérite, le courage et le savoir-faire étaient les seules qualités qui entraient en compte dans la fortune du renégat. Les renégats espagnols, italiens, portugais ou anglais pouvaient tirer beaucoup de profits d’un commerce de biens et de personnes né de l’affrontement entre islam et chrétienté en Méditerranée. Parmi les victimes de la guerre de course, bon nombre passait à l’ennemi sous la contrainte, si l’on en croit les Mercédaires et les Trinitaires, mais il faut dire aussi que parfois il s’agissait d’un choix délibéré. Pilotes et charpentiers de marine, aux compétences fort prisées dans une telle économie, y trouvaient leur compte en se convertissant. Si la course a signifié la chasse à l’esclave, dès lors que l’on remplacera la galère par le voilier, cette activité commencera à diminuer : la réduction de la demande en rameurs entraînera la chute du nombre d’esclaves.

    La provenance des esclaves à Malte
    Outre les archives de l’Inquisition romaine et les registres de la Quarantaine de Malte, qui nous renseignent sur l’identité et la provenance des esclaves à Malte, les registres des baptêmes des paroisses de l’île représentent une source d’information des plus utiles. Ainsi, l’église Saint-Antoine, connue aussi sous l’appellation de Notre-Dame des Victoires, conserve les traces des baptêmes des esclaves qui relevaient de l’Ordre, à savoir de la juridiction du prieur conventuel de l’Ordre. Le terme que nous retrouvons le plus dans tous les documents est « turc », ce qui veut dire simplement «musulman», sans signification ethnique précise. Et même si un certain nombre de vieilles maisons des villes ont encore la statue d’un homme noir en haut de leur escalier, l’on sait que l’esclave type à Malte, au début de l’époque moderne, c’était le Maure ou le Turc. Du début du XVIe jusqu’au XVIIe siècle, Malte en posséda en permanence entre 500 et 2 000, puis environ 3 000 dans les premières décennies du XVIIIe siècle…
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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    • #3
      Extraits de l’article «Esclaves musulmans en Espagne au XVIIIè siècle» de l’historien espagnol Maximiliano Barrio Gozalo, publié dans la revue Cahiers Méditerranéens (France)

      Les esclaves et les captifs sont omniprésents sur les deux rives de la Méditerranée à l’époque moderne. Contrairement à l’idée communément admise d’une baisse progressive de l’esclavage en Europe à la fin du Moyen Âge, les travaux les plus récents montrent une présence massive et soutenue d’esclaves, aussi bien d’origine chrétienne que musulmane (Maures ou Turcs), suite à l’avancée de l’empire Ottoman à travers toute l’Europe centrale et la Méditerranée, et à l’intensification de la guerre de course.

      La captivité et ses représentations sont courantes, parmi toutes les populations de l’Europe du sud, mais aussi dans les pays du nord, comme aux Pays-Bas et dans les Îles Britanniques. Toutefois, les pages qui suivent ne s’intéressent qu’aux Maghrébins qui ont servi à augmenter le contingent d’esclaves musulmans en Espagne au XVIIIe siècle, suite à la guerre de course. En effet, dès leur capture ils devenaient esclaves, soit de l’État, s’ils avaient été pris par des bateaux de la couronne, soit de particuliers, même si par la suite ils étaient vendus à l’État…

      Les esclaves de l’État, aussi bien ceux capturés par les navires de la couronne que ceux achetés aux armateurs privés, en fonction de leur condition physique ou de leur qualification, servaient sur les galères – selon les époques – ou sur des chantiers d’utilité publique. Quand les galères étaient en service, la majorité des esclaves y servaient à la rame ou dans des fonctions auxiliaires ; les autres travaillaient dans l’arsenal de La Carraca de Cadix. En 1748, quand les galères cessèrent de fonctionner, tous les esclaves furent employés dans les arsenaux et dans les travaux publics…

      Tout au long du XVIIIe siècle, les corsaires espagnols capturent un peu plus de 10 000 Maures et Turcs lors des affrontements maritimes…

      Malgré la dureté de vie des esclaves, nous ne devons pas oublier qu’ils partageaient le sort des prisonniers et des forçats : mêmes travaux, mêmes lieux de vie, même nourriture ; mais aussi mêmes soins quand ils étaient malades et mêmes possibilités de communication avec le monde extérieur…

      À l’époque où les galères étaient en service, les esclaves qui s’y trouvaient avaient pour lieu d’habitation ces mêmes galères ; par contre, ceux qui travaillaient dans l’arsenal de la Carraca étaient logés dans des baraquements, où parfois ils devaient supporter l’entassement et la misère. D’après un texte de 1766 : « la nuit on les met à dormir dans un lieu si étroit que, là où ne peuvent dormir que dix ou douze personnes, on en met cinquante, et ils doivent ainsi dormir recroquevillés, emplis de misère et d’immondice ».

      L’esclave peut être acheté, vendu ou échangé, tout comme n’importe quel autre bien. Voilà pourquoi la dimension économique est l’un des principaux mobiles de l’esclavage. Tout d’abord, le fisc royal percevait des droits sur chaque Turc ou Maure capturé, même si, peu à peu, tout au long du XVIIIe siècle, l’État s’est désisté en faveur des corsaires. Jusqu’à la promulgation de l’ordonnance sur la course de 1718, la couronne avait droit à percevoir le cinquième (quinto real) sur toutes les prises qui étaient réalisées, tant sur les personnes que sur les marchandises ou les bateaux, ainsi que des droits sur les douanes et les ventes. Si l’État renonce alors au quinto qui lui revenait, il n’en va pas de même des droits sur les douanes et les ventes. Ces derniers continueront à être versés par les armateurs des côtes méditerranéennes jusqu’à la décision du 7 juin 1724 qui les exemptera du paiement en raison de la vente des prises…

      En second lieu, les caisses royales tiraient aussi des revenus de la vente des esclaves déclarés inaptes au travail, des enfants et des convertis au christianisme…

      Troisièmement, la rentabilité de l’esclave provenait essentiellement de son utilisation comme main-d’œuvre : toujours disponible, il accomplissait les travaux les plus durs et les plus dangereux, que les travailleurs libres refusaient ou faisaient pour un salaire élevé. Les lieux où ils étaient essentiellement exploités étaient : les galères, les arsenaux et les travaux publics. Cette main-d’œuvre était si appréciée par les autorités que, parfois, les intendants se disputaient pour elle, soulignant ainsi le besoin qu’ils en avaient et les avantages économiques pour les finances royales. C’est ce qui se passe en 1755, quand les intendants de Barcelone, Cadix et Carthagène demandent au secrétaire de la marine des esclaves parmi ceux nouvellement capturés pour effectuer les travaux les plus durs des arsenaux et des chantiers de fortification de la ville comtale.

      Les esclaves, tout comme les forçats, devaient travailler avec chaînes et fers et ils étaient soumis à la surveillance des contremaîtres qui étaient généralement choisis parmi les nouveaux chrétiens, c’est-à-dire les esclaves qui s’étaient convertis au christianisme.
      "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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      • #4
        Très intéressant...
        on assiste à une surenchère autour du thème de l'esclavage des captifs de guerre en Méditerranée. Je pense que des archives sont consultées et mises en musique.

        La politique fournit ensuite les relais

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        • #5
          Il s'agit au minimum de rééquilibrer les choses en montrant que les «Etats Barbaresques» n'avaient pas le monopole de la course et de ce qui en résultait. Les Etats européens avaient aussi leurs corsaires qui attaquaient les navires marchands pour les piller et les bourgades sans défense des Etats ennemis c'est à dire principalement de ce qu'ils appelaient péjorativement les Etats Barbaresques. Le résultat, grandement occulté par l'historiographie occidentale, est que des Musulmans en grand nombre ont été réduits en esclavage, vendus comme des marchandises et sauvagement exploités dans plusieurs Etats européens. Les corsaires Européens pratiquaient la course avec la bénédiction, sous l'impulsion et pour le compte de leurs Etats. Cela n'avait rien de chevaleresque, comme matraqué depuis des siècles, mais ne consistait en fait qu'en massacres, pillages, extorsions et rapts, et ne répondait qu'à de sordides intérêts bassement matériels.
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