La guerre oubliée d’Algérie : les débuts de la conquête et de la colonisation (1re partie)
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Publié par LSA
le 26.10.2021 , 11h00

Par Sahraoui Hocine, ancien ambassadeur
La révolution industrielle en Europe, qui a débuté en premier lieu au Royaume-Uni, à la fin du XIXe siècle, va être, au-delà de toutes autres considérations, le point de départ fondamental du processus devant mener aux colonisations. Dans ce pays, la bourgeoisie industrielle en formation avait un besoin structurel de matières premières et, dans le même temps, dans une logique capitalistique axée sur le profit, poussait afin d’acquérir, aux plus bas prix, les ressources visées et, pourquoi pas, dans un monde impérialiste idéal, leur accaparement dans les pays les plus vulnérables, à la pointe de l’épée et du canon.
Au-delà du jargon analytique, la définition du colonialisme, vu sous son véritable prisme, n’est rien d’autre, en fin de compte, qu’une vaste opération de gangstérisme à l’échelle internationale.
Du fait de l’avance prise par ce pays sur le reste de l’Europe, il n’est pas étonnant donc que le premier empire colonial ait été britannique, comprenant, entre autres : l’Amérique, le Canada, l’Australie et l’Inde. Nous noterons que pour leurs possessions en Asie, les Anglais sont au contrôle de la route des Indes, par l’occupation, en Méditerranée, de Gibraltar, Malte, Chypre et l’Égypte (pour ce dernier pays, après de dures batailles navales contre la marine napoléonienne).
Ce rappel relatif à l’Angleterre nous a paru nécessaire, car il nous permet de mettre en exergue un aspect, qui nous paraît essentiel, à la compréhension de toutes les causes ayant mené à la conquête de l’Algérie : celui de la rivalité franco-britannique en Europe et dans le monde (rivalité historique qui remonte à la guerre de cent ans et qui est, plus que jamais, à l’ordre du jour), ainsi que son impact sur la décision française de conquérir le royaume d’Alger.
La France, qui avait entamé sa révolution industrielle un demi-siècle après l’Angleterre, a vu les mêmes bourgeoisies industrielles, les mêmes oligarchies financières naissantes, réclamer de nouvelles ressources naturelles, l’ouverture de routes commerciales, des agios, etc. Pour les militaires, rivaux féroces et ancestraux de la «perfide Albion», ces appétits économiques et commerciaux correspondaient parfaitement à l’objectif stratégique consistant à contrer la mainmise du Royaume-Uni sur la mer Méditerranée, par l’occupation de sa rive sud. L’idée était d’occuper Alger et de créer ou de rénover des ports le long de la côte, à l’instar de celui du port turc de Mers El Kebir, situé face à la Gibraltar ennemie. L’idée n’est pas nouvelle. Il faut en attribuer la paternité à Napoléon 1er. On trouve, à cet égard, dans la correspondance de l’empereur (volume XII, n° 13760), une lettre très importante d’avril 1808, adressée à son ministre de la Marine, qui nous montre que dans sa vision, l’occupation d’Alger et de sa côte, par la marine française, représenterait un élément dans sa stratégie de lutte contre la couronne d’Angleterre, susceptible de devenir, un jour, un point d’ancrage frayant à la France la route vers l’Égypte, la rendant ainsi partie prenante à la route des Indes (objectif stratégique commercial fondamental dans la démarche impérialiste napoléonienne).
Extraits :
«Monsieur Decrès.
Méditez l’expédition d’Alger, tant sous le point de vue de mer que sous celui de terre. Un pied sur cette terre d’Afrique donnera à penser à l’Angleterre. Y a-t-il sur cette côte un port ou une escadre soit à l’abri d’une force supérieure? (allusion à la flotte anglaise). Quels seraient les ports par ou l’armée, une fois débarquée, pourrait être ravitaillée, etc. Envoyez un de vos ingénieurs discrets sur un brick… il faudrait que cet ingénieur fut un peu officier de marine. Il faut qu’il se promène lui-même en dedans et en dehors des murs et que, une fois rentré chez lui, il écrive ses observations.». Signé : Napoléon 1er.
L’espion désigné fut le colonel du génie Yves Boutin (ingénieur de formation) qui remplit parfaitement sa mission, signalant dans son rapport final (entre autres) que «le meilleur lieu d’accostage pour une flotte de débarquement pourrait être un endroit que les indigènes appellent Sidi Fredj».
Qu’en est-il du côté anglais ?
Laissons parler le Pr Mohand Ouali, docteur en lettres et civilisations anglophones, qui a publié en France, en juillet 2019, un livre sur un thème totalement méconnu des analyses sur la conquête du royaume d’Alger, celui de la rivalité anglo-française en Méditerranée. Le livre est intitulé La prise d’Alger vue de Londres (1830-1846).
«L’arrivée en particulier d’un consul britannique, lord Robert Saint John, dont la mission ‘’officieuse’’ était d’empêcher l’armée française d’Afrique de s’installer dans la Régence d’Alger, demeure jusqu’à nos jours mal connue du grand public… Les réactions britanniques face à la prise d’Alger restent peu connues en Algérie et, plus étonnant, dans les milieux académiques… pratiquement aucune mention n’est faite… sur le refus britannique de l’intervention militaire française et de l’occupation du territoire, ni sur l’influence notoire de Londres sur les mouvements de résistances que connaîtra l’histoire de l’occupation française en Algérie».
Un ouvrage solidement documenté (sources et archives à l’appui) qui donne une réalité concrète aux affirmations de l’auteur qui pourraient être résumées comme suit : il y avait un troisième acteur lors de la conquête de l’Algérie, dont les intérêts divergeaient de ceux de la France, qui a tenté, sans réussir, de s’opposer à la conquête d’Alger puis à la colonisation. Comme on le voit, le besoin d’expansion économique et commerciale de l’oligarchie française et les visées géostratégiques des militaires se rejoignaient. Ces deux «camarillas» vont ainsi pousser à la conquête en exerçant des pressions permanentes sur le pouvoir politique en place.
Et précisément, une conjoncture particulière de la politique intérieure française allait favoriser leurs menées. Le souverain en place, Charles X, risquait de perdre son trône à de prochaines élections législatives face aux libéraux, prévues en juillet 1830. Rumeurs ou réalités, l’idée que le trésor de «la Qassobah» (Casbah), dont toute les cours d’Europe connaissaient l’existence, pourrait être la solution aux élections (par un achat massif des voix des électeurs) et semble avoir été suggérée «au roi des Français» par Talleyrand (dit «le diable boiteux»).
Si les éléments géostratégiques et économico-commerciaux ont constitué les bases objectives qui préparèrent la conquête, ce fut un élément de cupidité et de basse rapine qui en fut le déclencheur : il fallait aller voler le trésor des deys.
C’est ainsi qu’à l’ordre du roi, un corps expéditionnaire, commandé par le général de Bourmont, composé d’une flotte de 357 bateaux et d’une armée de 37 000 hommes, partit de Toulon et effectua le débarquement sur les plages de Sidi Fredj, le 14 juin 1830.
Le 5 juillet, le dey Hussein capitulait (Oran et le port de Mers El Kebir furent rapidement occupés, le 14 décembre). Charles X sera déposé le 29 juillet. Louis Philipe 1er lui succéda le 9 août. C’est donc lui qui sera, finalement, via Talleyrand, l’un des grands bénéficiaires du fameux trésor.
Michel Habart, un auteur communiste français, publie, en 1961, un livre intitulé Histoire d’un parjure, pavé dans la mare qui éclaboussera une France fermement décidée à ce que le voile de l’oubli, sur son passé colonial, reste fermement tendu. Habart (un «juste», il y en avait) sera vilipendé et voué aux gémonies. Son anticolonialisme sera mis en exergue et son ouvrage occulté, comme d’injustice (cachez-moi ce déshonneur que je ne saurais voir !).
Lors de la capitulation du dey Hussein, une convention, dite de capitulation, fut signée entre lui et le chef du corps expéditionnaire français, le général de Bourmont. Le dernier article de l’accord stipulait que «l’exercice de la religion mahométane restera libre.
La liberté de toutes les classes d’habitants, leur religion, leurs propriétés. Leurs commerces ne recevront aucune atteinte. Les femmes seront respectées». Ces engagements, couchés par écrit, feront l’objet des violations les plus infâmes. Le parjure français restera ainsi, à jamais dans l’Histoire, comme un doigt accusateur désignant le déshonneur d’un État criminel.
Le premier acte de pillage fut dirigé contre l’objectif principal, à savoir le trésor des deys, (autrement dit celui de l’État algérien). Le premier jour de l’occupation, le général de Bourmont se rendit dans les caves de la Casbah, et le sac commença.
Tout ne parvint pas à Paris et, selon différentes sources, seul 1/5e du magot arriva dans les caisses du Trésor français. Le reste fut volé en cours de route. Il y aurait eu dans les caves de La Casbah : 62 tonnes d’or, plus de 241 tonnes d’argent, des pierres précieuses, des bijoux, de l’armement et toutes sortes de marchandises (se reporter à ce propos à l’enquête admirable menée par le journaliste Pierre Péan, publiée sous la forme d’un ouvrage intitulé Main basse sur La Casbah).
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