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La guerre oubliée d’Algérie : les débuts de la conquête et de la colonisation (2e partie)

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  • La guerre oubliée d’Algérie : les débuts de la conquête et de la colonisation (2e partie)



    La guerre oubliée d’Algérie : les débuts de la conquête et de la colonisation (2e partie)







    Publié par LSA
    le 27.10.2021 , 11h00










    Par Sahraoui Hocine, ancien ambassadeur

    Le quotidien Le National s’exclame quant à lui : «Cela rappelle les contrées les plus fertiles et les mieux cultivées d’Europe.»
    Bugeaud, plus tard, s’est émerveillé devant l’immensité des terrains ensemencés et la quantité de bétail, après avoir pénétré la Mitidja dans presque toutes les directions, avant de qualifier le pays de nouvelle Amérique. Ces constatations parvinrent très rapidement à Paris et, dès 1832, les appétits de la grande bourgeoisie industrielle et financière s’aiguisèrent. Désormais, il n’était plus question de se limiter à la côte et au commerce (tel que préconisé en 1824, par un rapport du ministère français des Affaires étrangère qui faisait valoir les avantages commerciaux que la France pourrait tirer de la Régence d’Alger, à l’instar de son comptoir de La Calle), alors qu’il y avait tant de grasses terres à prendre.
    L’objectif était donc devenu la terre avec comme résultante logique la colonisation de peuplement. Et la France officielle, par la voix de son ministre de la Guerre Etienne Maurice Gérard (devant la chambre des députés), de tracer la politique en vue d’atteindre cet objectif, «il faut se résigner à refouler au loin, à exterminer la population indigène. Le ravage, l’incendie, la ruine de l’agriculture sont, peut-être, les seuls moyens d’établir notre domination» (afin que les terres, abandonnées par leurs propriétaires «indigènes», soient redistribuées à de futurs colons français).
    Olivier Le Cour Grandmaison, historien et politologue français : «Cet objectif de faire de l’Algérie une colonie de peuplement va avoir des incidences sur les méthodes de guerre, puisque, très vite, surgit l’idée qu’il faut faire place nette.»
    En un mot comme en cent, il fallait prendre exemple sur les Américains, afin d’éradiquer l’indigène à la peau brune.
    Clauzel écrit dans son journal L’Afrique française : «Les avantages de l’Algérie seraient immenses si, comme en Amérique, les races indigènes avaient disparu et si nous pouvions jouir de notre conquête en toute sécurité, condition de toute colonisation.»
    Ferhat Abbas (in La nuit coloniale. Guerre et révolution d’Algérie 1962) : (une fois revenu de ses illusions humanistes) :
    «La colonisation, qui s’est donné comme objectif la substitution d’un peuplement européen au peuple algérien, a échoué devant l’obstination opiniâtre des Algériens à rester sur la terre de leurs ancêtres… c’est un miracle que nous n’ayons pas subi le triste sort des peaux rouges.»
    Il convenait, selon Alexis de Tocqueville, dans son livre intitulé De l’Algérie…, «de ruiner l’agriculture des indigènes, de dévaster le pays».
    Le colonel François de Montagnac : «Selon moi, les populations qui n’accepteront pas nos conditions seront rasées. Tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge et de sexe, l’herbe ne doit plus pousser là ou l’armée française a mis le pied.»
    Le même : «Voilà comment il faut faire la guerre aux Arabes. Tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de 15 ans, prendre toutes les femmes et les enfants. Vous me demandez ce que nous faisons des femmes que nous enlevons. On en garde quelques-unes comme otages (de confort), les autres seront échangées contre des chevaux et le reste vendu aux enchères.»
    Savary, duc de Rovigo : «Apportez des têtes, des têtes, bouchez les conduites d’eau avec la tête d’un premier bédouin que vous rencontrerez.»
    Bugeaud annonce, le 15 janvier 1840, à la chambre des députés française «En Afrique, il n’y a qu’un intérêt, l’intérêt agricole… on y sème des grains, on y fait des récoltes. Eh bien je n’ai pu découvrir d’autres moyens de soumettre le pays que de saisir cet intérêt. Je dirais aux commandants de chacune de nos colonnes armées : général, votre mission n’est pas de courir après ces Arabes. Elle est d’empêcher dans votre zone les Arabes de semer, de récolter, de pâturer…»
    Avec Bugeaud de retour en Algérie comme gouverneur général, choisi parce que déjà connu comme un partisan des méthodes expéditives, «on assiste à une systématisation du génocide. On passe de comportements circonstanciels, encouragés officieusement par les autorités militaires, à une politique délibérée de terreur. Les razzias se multiplient. Pillage, sac, destruction de tout ce qui ne peut être emporté. Les habitations, les greniers, les mosquées, comme les cultures sont systématiquement saccagés dans le but d’expulser en masse leurs habitants» (Olivier Le Cour Grandmaison). Les famines qui en résultent sont encore plus meurtrières que les massacres.
    Ferhat Abbas : «Le colonialisme français nie… que ses généraux, ses juristes, sa caste terrienne et ses oligarchies financières avaient conçu le dessein de nous détruire, de nous refouler au Sahara, de s’emparer de nos terres, il nie avoir réduit de puissantes tribus en une poussière d’individus.» (In La nuit coloniale).
    Dès le début de la colonisation donc, les massacres commencent sous la forme de razzias.
    Olivier Le Cour Grandmaison : «La razzia telle qu’elle est employée par l’armée française devient une arme de destruction massive.» Une arme de destruction dirigée, non seulement, contre la population, mais également et surtout utilisée en vue de détruire l’infrastructure économique et sociale du pays.
    Le colonel de Saint Arnaud, appliquant la désormais politique officielle de la terre brûlée, embrase tout le centre-ouest algérien, Miliana, Mascara, Oran, Cherchell… Jacques Arnaud (dit Achille Leroy de Saint- Arnaud) à propos duquel Victor Hugo disait : «Il avait les états de service d’un chacal.» (François Maspero dans son ouvrage L’honneur de Saint Arnaud).
    Laissons parler ce criminel, à travers les lettres qu’il écrivit à son frère Rodolphe et à sa femme Louise (lettres publiées neuf ans après les faits, par Rodolphe).
    «Nous tirons peu de coups de fusil, nous brûlons tous les douars, tous les villages et les moindres cahutes. L’ennemi fuit en emmenant ses troupeaux.» «Nous avons pris des troupeaux, brûlé tout ce qui se trouvait sous nos pas. Nous resterons jusqu’à la fin du mois de juin à nous battre dans la province d’Oran et y ruiner toutes les villes et toutes les possessions de l’Émir.» Dans une autre lettre, il écrit : «Mascara, ainsi que je te l’ai dit, a dû être une ville belle et importante. Brûlée en partie, puis saccagée par le maréchal Clauzel.» Et dans une autre : «Des tas de cadavres pressés les uns contre les autres et morts durant la nuit, c’était la population des Beni Menacer. C’étaient ceux dont je brûlais les villages, les gourbis et que je chassais devant moi. J’ai laissé sur mon passage un vaste incendie constitué d’environ 200 villages et de tous les oliviers, vergers et autres jardins.». Écrivant à sa femme : «Chère Louise, je suis bivouaqué par une chaleur de 40 degrés au milieu de 20 villages superbes qui ne se sont jamais bien soumis. Je leur ai donné jusqu’à ce soir pour payer les amendes que je leur ai infligées ; s‘ils ne s’exécutent pas, j’enverrai brûler tout.» (1845).
    La nouvelle de ces exactions innommables et du cortège de crimes qui les a accompagnées a suscité quelques réactions et certaines réticences au sein de l’armée et en France, vite étouffées cependant. Le discours de l’époque en fait quelque chose de banal.
    Pire que cela : «Ces gens-là étaient tout à fait conscients des moyens employés et justifiaient l’usage de moyens barbares.» Manceron Gilles (historien), 1840.
    Des tribus entières ont ainsi disparu dans un silence assourdissant.


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  • #2
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    CAS DE MASSACRES

    Les Hadjout


    Les Hadjout de la Mitidja furent les premières tribus à réagir contre l’invasion, leurs terres ayant été les plus immédiatement menacées. La résistance s’organise donc pour la défense de la terre. Bien sûr, ils combattaient, tout naturellement, un envahisseur étranger, chrétien de surcroît, mais également, élément primordial, chaque membre de la tribu défendait un territoire sur lequel en tant qu’individu il possédait un droit de propriété (propriété collective de la terre). Clauzel s’attaque en premier lieu à Blida, place forte de la tribu. Après sa prise et son saccage, le 26 novembre 1830 ; il y aurait eu 800 Blidéens massacrés, et il y gagna son seul titre de noblesse : le surnom de «massacreur».
    Il s’attaque ensuite à la campagne non sans piller la ville, emportant, par exemple, des dizaines de manuscrits anciens volés à la grande mosquée de la ville ; ces manuscrits seront vendus aux enchères le 28 mai 1968 à l’hôtel Drouot, à Paris). Clauzel : «J’ai ordonné aux bataillons de détruire et de brûler tout ce qui se trouvait sur leur passage. Dans deux mois, les Hadjout auront cessé d’exister. Il fallut cinq ans pour totalement les anéantir.» Quant à leur nombre, le général Nicolas Changarnier, qui eut à les combattre, écrit dans ses mémoires : «Les Hadjout pouvaient facilement mettre en campagne 1 800 cavaliers, sans compter des milliers de fantassins.» L’on ne peut qu’imaginer, avec horreur, le nombre total des membres de cette tribu exterminée si l’on inclut les femmes et les enfants.


    Les Aouffia

    En avril 1832, sur un simple soupçon de vol, dont elle a été innocentée par la suite, la tribu des Aouffia, près d’El-Harrach, fut totalement exterminée sur instruction du duc de Rovigo. Citation de l’ouvrage de Pierre Christian in L’Algérie de la jeunesse (1846) : «Un détachement parti d’Alger surprend la tribu des Aouffia et massacre sur-le-champ tous les hommes, femmes et enfants, sans faire de distinction, on parle de 12 000 morts.
    Les troupeaux raflés aux Aouffia seront vendus au consul du Danemark (de Holstein). Le reste du bétail fut exposé au marché de Bab Azzoun. On y voyait des bracelets de femmes encore attachés à des poignets coupés et des boucles d’oreilles pendant à des lambeaux de chair.»
    Pélissier de Raynaud, officier et plus tard historien (à ne pas confondre avec le colonel Aimable Pélissier), écrit à propos de la même tragédie : «Tout ce qui vivait fut voué à la mort, tout ce qui pouvait être pris fut enlevé, on ne fit aucune distinction d’âge, ni de sexe.
    En revenant de cette funeste expédition, plusieurs de nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances.»
    Dans son Histoire de l’Algérie, paru la même année que les faits, l’historien Victor-Amédée Dieuzaide relate cette expédition en des termes quasiment identiques.


    Tribus des Zaâtcha

    En 1889, Alfred Nettement (historien) décrit l’atrocité ultime au siège de Biskra : «L’opiniâtreté de leur défense avait exaspéré les soldats. Notre victoire fut déshonorée par leurs excès et leurs crimes. Rien ne fut sacré, ni le sexe ni l’âge. Le sang, la poudre, la fureur du combat avaient produit cette terrible et homicide ivresse devant laquelle les droits sacrés de l’humanité, la sainte pitié et les notions de la morale n’existaient plus. Il y eut des enfants dont la tête fut broyée contre la muraille devant leurs mères, des femmes furent violées avant d’obtenir la mort qu’elles demandaient à grands cris comme une grâce.» Les chefs survivants seront décapités et leurs têtes, dont celle de leur chef cheikh Bouziane, seront envoyées en France pour on ne sait quelle obscure raison.


    Les enfumades et emmurements

    Si les nazis se sont inspirés des colonialistes américains et français pour l’idée de mise en œuvre d’une «solution» finale, l’utilisation des fours crématoires est, quant à elle, de copyright français. L’ancêtre de ces fours a été, en effet, inventé par les Français lors de la conquête, sous l’appellation d’enfumades.
    Durant l’occupation ottomane, lorsque les collecteurs d’impôts se présentaient, certaines tribus, pour ne pas payer l’impôt, se dissimulaient dans des grottes, avec hommes, femmes, enfants et bétail, le temps du passage des envoyés du Diwan.
    Durant la conquête française, cette pratique allait être dévastatrice pour certaines tribus. Usant de l’opportunité et guidée par des informateurs, une colonne française à la recherche d’une tribu, considérée comme hostile, coince l’ensemble du groupe dans la grotte désignée, entasse un mur de fagots de bois à l’entrée et enflamme le tout pour enfumer hommes et bêtes jusqu’à ce que mort s’ensuive par asphyxie.
    Cette ignominie entrait, bien évidemment, dans le cadre de la stratégie d’extermination à tout-va. Manceron Gilles (historien) : «Les enfumades ont été ordonnées par Bugeaud», gouverneur au moment des faits. Ce qui fait dire à Olivier Le Cour Grandmaison qu’il s’agissait d’un protocole défini par avance. Ce n’étaient pas des décisions isolées d’officiers subalternes. C’était une consigne donnée par lui, au nom d’une politique d’extermination décidée par l’État français.
    Plusieurs cas sont évoqués dans des correspondances privées ou des mémoires, notamment d’officiers de l’Armée française d’Afrique.
    Nous en citerons deux :


    L’enfumade de la tribu des Ouled Sbih

    C’est le 11 juin 1844, que la première enfumade a eu lieu. En a été victime la tribu des Ouled Sbih. Elle a été l’œuvre du général Eugene Cavaignac. Le crime eut lieu près de Chlef.
    Écoutons un témoin de l’acte, le colonel Eugène de Canrobert : «J’étais avec mon bataillon dans une colonne commandée par Cavaignac. Les Sbéah venaient d’assassiner des caïds nommés par les Français ; nous allons les châtier. Après deux jours de course folle à leur poursuite, nous arrivons devant une énorme falaise à pic… dans la falaise est une excavation profonde formant grotte… on pétarada l’entrée de la grotte et on accumula des fagots de broussaille. Le soir le feu fut allumé. Personne n’en sortit.» Le jour même, Bugeaud donne pour instruction à ses subordonnés : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac, comme aux Sbih. Enfumez-les à outrance comme des renards.»
    L’enfumade de la tribu des Ouled Riah
    Quelques jours après ces instructions, le colonel Aimable Pélissier (surnommé Ibliss -Belzébuth par les Algériens) va faire parler de lui dans le Dahra. La tribu des Ouled Riah, au nombre de 1 500 environ, poursuivie par une colonne de soldats de Pélissier, se réfugia dans des grottes, au lieu-dit Ghar-Lfrachich, près de Mostaganem.
    Laissons parler un témoin direct, un soldat de ladite colonne qui, dans une lettre adressée à sa famille (rapportée par Pierre Christian), raconte : «Quelle plume saurait rendre ce tableau ; à la faveur de la lune, un corps de troupes françaises occupé à entretenir un feu infernal ! Entendre les sourds gémissements, des hommes, des femmes, des enfants et des animaux ; le craquement des rochers calcinés… Le matin, quand on chercha à dégager l’entrée des cavernes, un hideux spectacle… j’ai visité les trois grottes, voici ce que j’ai vu … À l’entrée gisaient des bœufs, des ânes, des moutons ; leur instinct les avait conduits à l’ouverture des grottes, pour respirer l’air qui manquait à l’intérieur. Parmi ces animaux, entassés sous eux, se trouvaient des femmes et des enfants. J’ai vu un homme mort le genou à terre, la main crispée sur la corne d’un bœuf. Devant lui était une femme tenant son enfant dans ses bras.
    Cet homme, il était facile de le reconnaître, était mort asphyxié, au moment où il cherchait à préserver sa famille de la rage de l’animal… Les grottes sont immenses, hier seulement on a compté sept cent soixante cadavres.» Pélissier, lui, se vante publiquement de l’acte : «La peau d’un seul de mes tambours avait plus de valeur que la vie de tous ces misérables.»
    Du 8 au 19 août, le colonel Saint-Arnaud enfume et emmure, à son tour, du côté de Ténès, une autre fraction des Ouled Riah.
    Cette affaire fut tenue secrète par Saint-Arnaud. Plus tard, dans une lettre adressée à son frère (seul document comme preuve), il décrit en détail l’enfumade puis l’emmurement :
    «Je fis hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Il y a là-dessous 500 brigands.»
    Ils seront enterrés à jamais. Plus de 9 ans plus tard, cette correspondance a été rendue publique par ce frère. Sinon, silence autour de l’acte criminel.
    L’enfumade des Ouled Riah prend les allures d’un scandale. En France, le président du conseil est interpellé publiquement sur l’Algérie. Bugeaud engage alors ses troupes à poursuivre la répression mais avec plus de discrétion. D’où le black-out autour de l’épisode Saint-Arnaud (silence, on tue !).
    Des journaux anglais, allemands et même australiens se sont fait l’écho de ces atrocités.
    Nous avons parlé de la politique d’extermination de masse de l’État français dans la perspective de l’extinction du peuple algérien. Elle ne faiblira pas durant les quarante premières années de la colonisation. Nous expliquerons, plus loin, pourquoi cette politique a été finalement abandonnée, au terme de cette période.

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    • #3
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      La question qui se pose, à ce stade, est de savoir si l’on peut avoir une idée, un commencement de réponse, quant au nombre de victimes algériennes durant ces quarante premières années.
      Mais d’abord, à combien se montait la population algérienne à la veille de l’arrivée des Français ?
      Nous avons la réponse grâce à notre compatriote, Hamdane Khodja, dont les attributions, en tant que haut fonctionnaire du dey, étaient, entre autres, de procéder à l’estimation de la population algérienne, pour le compte du service des impôts.
      Selon les statistiques de Hamdane Khodja, l’Algérie comptait, à l’époque, 10 millions d’âmes, Il nous décrit, in Le Miroir, quelle a été sa méthodologie pour aboutir à un tel chiffre. Il parcourait le royaume, il s’adressait aux collecteurs d’impôts des villes, des villages et des tribus, calculant le nombre de feux, la moyenne des âmes par foyer, recoupant les indications d’un village par celles des agglomérations et des villes voisines.
      Le premier recensement français en 1836 ne donnait, lui, par contre, que 2,1 millions d’habitants, pour des raisons tout à fait évidentes.
      Curieusement, les mêmes services français donnaient, à la même époque (1840), 8 millions d’habitants au Maroc, ne s’embarrassant ni de cynisme ni de ridicule. Si l’on se base sur les statistiques de Hamdane Khodja, dont la méthodologie nous semble fiable, un décompte macabre simple nous amène à estimer le nombre de victimes algériennes, durant les quarante années dont nous parlons, à environ 7 millions. Mais Hamdane Khodja est algérien. Pour cela, on pourrait presque nous faire douter de ses chiffres, qui paraissent, de prime abord, exagérés, tant notre mémoire a été lavée et notre histoire manipulée.
      Côté français, une source, inattendue et involontaire, nous apporte, cependant, une confirmation de l’ampleur des massacres et de la tentative d’extinction du peuple algérien (autrement dit de la tentative de génocide, n’ayons pas peur des mots).
      Un démographe français, René Ricaux, né en Algérie, chef des travaux de la statistique au Gouvernement général, publie en 1880 un ouvrage intitulé La démographie figurée de l’Algérie dans lequel il fait ce terrible constat : «Les indigènes sont menacés d’une disparition inévitable prochaine. Dans un siècle ou deux, que seront-ils ? Combien seront-ils? Car c’est indiscutable, le peuple arabe tend à disparaître d’une façon régulière et rapide.»
      Ne craignant pas la contradiction et, apparemment, imperméable au ridicule, il déclare, dans le même texte : «Une loi de la sélection naturelle voue les races les plus faibles à disparaître devant la race supérieure.»
      Il incrimine, pourtant, cet état de fait (la menace de disparition) aux calamités naturelles, aux famines, au manque d’hygiène et autres invasions de criquets. Le sieur Ricaux ignore, ou feint d’ignorer, qu’avant l’arrivée des Français, la population algérienne s’accroissait de façon régulière, en dépit des mêmes calamités ; la seule calamité nouvelle étant la présence de criquets pèlerins venus du pays qui avait adopté la déclaration des droits de l’Homme moins de 50 ans auparavant.
      L’objectif du colonialisme étant la terre, nous avons vu à quelle inhumanité la France est-elle arrivée, afin de parvenir à son accaparement et à sa spoliation. Des lois sont prises pour accélérer le processus. Les lois, qui nous semblent les plus significatives sont :
      - La loi de 1840 sur l’expropriation forcée - Les lois de 1863 et 1887 qui individualisent les terres collectives des tribus : le fellah, ainsi isolé, devient une proie facile face aux spéculateurs européens.
      - Les ordonnances de 1844 et 1846 qui rendent aliénables les habous et les terres arch.
      - le décret de 1887 instituant le «cantonnement» consistant à refouler les Algériens vers les terres stériles et à les y regrouper. Où il se confirme que le génocide des indiens en Amérique a été un modèle.
      Les cantonnements n’étant, en effet, rien d’autre que des réserves à l’usage des «peaux brunes»… «Des Oradour à travers tout le pays», selon la formule de René Vautier (anticolonialiste, réalisateur du film Avoir vingt ans dans les Aurès, un autre «juste»).
      S. H.
      (À suivre)


      lesoirdalgerie

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