samedi 30 octobre 2021
par Alger republicain
En hommage à Labri Oucherif récemment décédé, Alger républicain publie la contribution que notre ami défunt avait fait paraître dans les éditions du 20, 21 et 22 mai 2006 du quotidien national El Watan. Cette contribution relate en quelques pages les luttes impulsées par les étudiants révolutionnaires, dans la continuité des aspirations populaires cristallisées durant la guerre de libération, pour l’édification d’une nation économiquement indépendante, démocratique et prospère, pour le progrès social en faveur des classes laborieuses.
Alger républicain publie également en format pdf les pages de ce témoignage captivant. Il remercie par avance les responsables de ce quotidien, convaincu qu’ils ne verront aucune objection à ce geste en reconnaissance pour le combat mené à l’Université et dans l’ensemble du pays par les militants et responsables de l’UNEA historique.
Alger républicain signale par la même occasion que Larbi Oucherif a participé à la rédaction du livre récemment publié en France par les éditions Qatifa « L’UNEA racontée par des militants » . Il faut espérer que cet ouvrage sera bientôt disponible en librairie. Nul doute qu’il répondra aux attentes des jeunes assoiffés de connaître les luttes mémorables de leurs aînés après l’indépendance.
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Il était une fois l’UNEA (1re partie)
Par Larbi Oucherif - ancien membre du Comité de section d’Alger de l’Union Nationale des Etudiants Algériens, 1967-1969
Témoignage repris du quotidien national El Watan des 20, 21 et 22 mai 2006.
C’est en septembre - octobre 1963 que j’ai rencontré cette organisation des étudiants algériens. J’avais, auparavant, assisté en spectateur à la cérémonie de passation du témoin, du flambeau, des idéaux de l’Ugema par Mohammed Seddik Benyahia à la génération de l’UNEA, c’était au 10, boulevard Amirouche.
L’événement
Le conflit sur le tracé des frontières héritées du colonialisme, - conflit ouvert par Hassan Il, roi du Maroc qui revendiquait Tindouf... Ben Bella, alors président de la République depuis peu a au cours d’un meeting populaire sur l’esplanade du Palais du gouvernement, harangué la foule et lancé en arabe dialectal : « Hagrouna ! » (Ils nous sous-estiment !). Ce seul mot a provoqué l’un des plus profonds mouvements de masse d’un peuple qui sortait tout juste d’une guerre meurtrière, d’une lutte qui avait laissé des traces, qui apprenait la naissance du FFS de Aït Ahmed dans un village de Beni Yenni... C’est un peuple qui trouva là l’occasion de se ressouder et de chasser les nuages qui s’amoncelaient. Ce peuple fit, spontanément, une longue marche de l’est, du nord, de l’ouest du pays pour se rendre par tous les moyens sur les lieux des combats.
Direction Colomb-Béchar
A l’Université d’Alger, les étudiants s’étaient tournés vers l’UNEA pour exprimer leur volonté de participer à la défense de la nation. Le tout nouveau comité exécutif de l’union, dont le siège était au 10, bd Amirouche, au-dessus du restaurant universitaire, ouvrit un registre pour l’inscription des volontaires. C’est au début du mois d’octobre, alors que les nouvelles les plus inquiétantes parvenaient du front sud-ouest que les étudiants volontaires étaient invités à se retrouver au siège de l’union. Nous fûmes 32 à nous y rendre pour recevoir notre paquetage et attendre le départ. Trente-deux sur sept cents inscrits, c’était assez peu et ceux qui se trouvaient là ne se connaissaient pas pour la plupart. Parmi les plus décidés, Aziz Belgacem, membre du Comité exécutif (il sera assassiné par les terroristes - rue Bab Azzoun), Malek Saha, membre du CE, Lazhar un étudiant ingénieur en travaux publics, Salem un éternel étudiant en médecine et dévoué militant du FLN, Laïla Noureddine (une future militante du FPLP et qui mourra à Beyrouth en 1973), Zohra Djazouli une étudiante en lettres, Labidi. Moi-même, inscrit à l’Ecole supérieure de commerce. C’est dans la salle du conseil de l’UNEA qu’on nous remit des tenues militaires. On nous dit d’attendre qu’on vienne nous chercher pour rejoindre l’aéroport de Dar El Beïda pour embarquer dans une caravelle de la compagnie nationale Air Algérie (compagnie dirigée alors par maître Benabdellah). Nous fîmes un premier trajet vers Dar El Beïda, mais le voyage ne peut se faire à cause de problèmes liés à l’interprétation des Accords d’Evian. En effet, la zone aéroportuaire de Colomb-Béchar était sous contrôle de l’armée française et l’ANP ne pouvait y faire descendre des soldats en habits ni bien sûr en armes.
Le départ :
C’est par une nuit noire que les 32 furent transférés d’Alger à Colomb-Béchar pour un baptême de l’air inconfortable puisque la carlingue était vide de sièges et qu’il fallait s’attacher aux lanières de ceintures de sécurité. La descente sur Colomb-Béchar eut lieu dans un climat d’appréhension. Quelle sera la réaction des autorités sur place ? En fait, tout se passe très bien et quelques Land-Rover nous prirent en charge pour notre campement. C’était des maisons sahariennes en dur qui nous furent allouées. Je ne me souviens pas avoir dormi à l’intérieur, mais plutôt à la belle étoile, la tête tournée vers le ciel lumineux des nuits du sud. Malgré la fatigue du voyage, l’excitation était à son comble. Chacun se demandait à quoi nous serions affectés et espérait faire le coup de feu face à cette armée royale marocaine pleine de morgue et de mépris. Le lendemain matin, un chaud soleil brille dès l’aube. Ce premier réveil est également marqué par un geste d’hospitalité qui m’émeut chaque fois qu’il me revient en mémoire : nos voisins, de pauvres habitants du sud de Colomb-Béchar, avaient préparé de la galette chaude, du café au lait et du thé, beurre de chamelle pour nous accueillir ; ce signe de bienvenue de la part de gens démunis, je ne l’oublierai jamais.
it sauf...
Ben Barka
Il avait été enlevé en octobre 1965 à Paris. Octobre est venu après le coup d’Etat du 19 Juin perpétré par le Conseil de la révolution, à la tête duquel se trouvait le colonel Houari Boumediène vice-président de la République et ministre de la Défense du gouvernement d’Ahmed Ben Bella. Ce coup d’Etat que ses promoteurs ont baptisé « sursaut révolutionnaire » et que ses opposants les plus modérés ont stigmatisé en tant que « coup d’arrêt » à la poursuite des réformes initiées par Ben Bella. Ce coup d’Etat a provoqué dès le premier jour la protestation des étudiants d’Alger et de jeunes de Annaba que le colonel Attaïlia a réduits au silence par la force. Cette réaction des étudiants de l’UNEA allait marquer les relations avec le pouvoir issu du 19 Juin, dont les contrecoups immédiats ont été le report du Festival mondial de la jeunesse et des étudiants qui devait se tenir à Alger, de la Conférence afro-asiatique qui devait se tenir également à Alger. Le 19 Juin a donc provoqué des manifestations de protestation contre la méthode et du fait de l’arrestation de Ben Bella et du secret qui entoura sa mise à l’écart. Toujours est-il qu’un événement allait précipiter l’UNEA dans une opposition farouche aux méthodes employées pour arracher son soutien. Il s’agit de l’extorsion du « soutien » d’un vice-président de l’UNEA après l’avoir soumis à un simulacre d’exécution sommaire : son apparition à la télévision un soir provoqua un choc et la réprobation. Cet acte entraîna le Comité exécutif de l’UNEA à choisir la clandestinité, jusqu’à ce que les choses reviennent à la normale. Entre-temps, un groupe d’étudiants a été arrêté dont Abdellalim Medjaoui, ancien moudjahid et membre du Comité exécutif, Hamid Aït Saïd, Keddar Berekaâ, Mahmoud « Ini raâytoukouma », Sedik « Take Five », Benfedha, étudiant en mathématiques, Selim Ducos déjà professeur en mathématiques au lycée El Emir Abdelkader, Salah Chouaki le seul étudiant en grammaire latine, des professeurs Mandouze et Malti. Salah qui sera assassiné un matin (en 1994 ) alors qu’il achetait son journal au bureau-tabac proche de son domicile. Nous nous sommes rencontrés au siège de la PRG de Cavaignac où les tabassages, les bastonnades, les tortures faisaient résonner les locaux...
Pour moi, ce furent des retrouvailles avec l’UNEA car, après Béchar, je me suis engagé dans le mouvement de volontariat de la JFLN et de l’UNEA qui avait décidé de construire un village près des Ouadhias. Ce village de l’amitié a pu voir le jour bien après 1965 et doit être encore habité. Il réunissait des jeunes, Soviétiques, Bulgares, Français et bien sûr Algériens...
Après les cachots de la rue Cavaignac, l’institut de gestion et de planification que dirigeait Jacques Peyrega ouvre ses portes aux bacheliers, et aux non-bacheliers, aux travailleurs qui désiraient parfaire leurs connaissances et leurs techniques de gestion. La majorité des étudiants était d’ailleurs des fonctionnaires qui prenaient place dans le amphis à partir de 17 h. Les étudiants boursiers plus jeunes formaient le noyau le plus dynamique, mais pas le plus nombreux. Je retrouvais Aït Saïd, Aïssa Badis, Aïssani Abdelkader, Hassen Bendif et d’autres comme Dib « La Motion », Marsaoui, les frères Sid Ahmed. Les professeurs les plus en vue étaient Peyrega, Plenel, Popov, Bouderbala, Ahmed Akache, Lafargue un ancien avocat des militants du FLN durant la guerre de libération. La vie d’étudiant avait un charme qui s’est perdu. D’une part, les programmes n’étaient pas surchargés et d’autre part, le respect des maîtres par les étudiants et des étudiants par leur maîtres, le respect des franchises universitaires par le pouvoir, l’accès à tout ce qui s’éditait de neuf à des prix abordables ; le déplacement du cœur culturel d Alger du square Port Saïd à la cinémathèque et à l’université ont rendu à la jeunesse un espace qui restera longtemps un espace de liberté de démocratie et de tolérance...
1968, L’année difficile
Au FLN, le responsable de l’appareil du parti était Kaïd Ahmed. C’était un esprit emporté qui voulait à tout prix appliquer à la lettre les statuts du FLN dont la fameuse tutelle « sur les organisations de masse du parti ». La démarche allait ouvrir à nouveau le fossé des malentendus entre le pouvoir étatique et les étudiants. Il choisit son terrain et son heure : l’organisation du Congrès de l’OLP. Il voulait, avec la JFLN, amener l’UNEA à soutenir le Fatah de Yasser Arafat comme seule force palestinienne. Il chargea le commissaire du parti du FLN à Alger de nous contacter pour une action unitaire. Le Comité de section nous chargea, Omar Lardjane et moi, de discuter avec eux. C’est donc en janvier 1968 que ces entretiens commencèrent au palais Bruce d’Alger. Il y avait MM. Boukhalfa, Batata et Abdedou, qui représentaient la JFLN. Nous nous mîmes au travail. L’UNEA a choisi de rédiger un appel à la jeunesse et aux étudiants d’Alger. La méthode était de proposer à l’adoption une phrase, une idée après l’autre, et non pas un texte complet qui n’aurait que des inconvénients, puisque nous aurions à émettre des réserves sur tel ou tel mot ou appréciation. L’appel fut construit avec l’accord de tous les présents. Le représentant de la JFLN revint l’après- midi avec un texte bien ficelé défendant la position de Kaïd Ahmed. Les représentants du FLN étaient devant le fait accompli et la parfaite illustration de ce que Kaïd Ahmed entend par tutelle sur les organisations de masse. (A suivre)
El Watan - 2006-05-21/42925
Il était une fois l’UNEA (3e partie et fin)
L’UNEA relata pour l’ensemble de l’opinion publique les discussions et le contenu de l’appel qui mettait en avant l’unité du peuple palestinien autour de toutes ses organisations de lutte dans un esprit d’union. Kaïd Ahmed entra en fureur, et les responsables du FLN d’Alger furent sermonnés publiquement, il avoua : « Donnez-moi des militants de l’UNEA et je ferai la révolution. » ce qui ne l’empêcha pas de lancer début février une opération visant à dresser l’administration universitaire et pédagogique contre l’UNEA. Il désigne les étudiants boursiers à la vindicte populaire en les traitant de privilégiés, de parasites. Il est vrai que les étudiants boursiers bénéficiaient d’un pécule mensuel équivalent au smig, soit 300 DA. La réplique de l’UNEA est d’appeler à une grève générale le 2 février 1968. Kaïd Ahmed envoie des dockers armés de manches de pioche pour intimider les étudiants, Fatima Medjahed est arrêtée ainsi que Mahdi Mahmoud dit Zorba qu’on donna pour mort. Kaïd Ahmed dira qu’il y avait même des étrangers au sein de l’UNEA. Taleb Ahmed, le ministre de l’Enseignement, fait une déclaration à la télévision démentant ce qui a été dit sur Mahmoud. Recherché par la police et les militants du FLN acquis aux méthodes de Kaïd Ahmed, le Comité de section se retira de l’université, chacun devant veiller à ne pas se faire arrêter. Le retentissement international de la grève des étudiants d’Alger étonna Kaïd et Taleb. Le 7 février, les CNS investissent l’université d’Alger ....
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