Il y a cinquante ans, le 13 mai 1958, le général de Gaulle est rappelé au pouvoir à la suite des troubles insurrectionnels en Algérie. Pour les Européens, ceux que leurs compatriotes de métropole surnomment péjorativement les « pieds-noirs », il représente le dernier espoir de conserver cet éden. Quatre ans plus tard, c'est l'exil, et ce monde de lumière se transforme en paradis perdu. Pour les Algériens, l'ombre dominatrice de la France disparaît au terme d'une terrible guerre d'indépendance. Mais si une nation est née, l'Algérie a aussi été française pendant cent trente-deux ans et, depuis sa difficile conquête, commencée en 1830, deux peuples y ont cohabité pour le meilleur et pour le pire. De cette longue page d'Histoire l'actualité ne retient que la polémique sur le passé colonial de la France et les accusations algériennes de « génocide » qui succèdent aux exhortations hexagonales à la repentance. Heureusement, l'Histoire est bien plus compliquée que cela...
Dossier réalisé par François Malye
'est une histoire comme une autre. Celle d'une famille de cultivateurs alsaciens d'Oberheim, dans le Bas-Rhin, les Farny, qui, placée sur la route de l'émigration allemande, décide, en 1832, d'échapper à la misère en gagnant le Nouveau Monde. Parvenus au Havre et escroqués par les « passeurs » de l'époque comme 73 autres familles candidates au grand départ, le couple et ses cinq enfants sont alors déroutés vers l'Algérie. Si les troupes françaises menées par le général de Bourmont ont conquis Alger deux ans plus tôt, elles ne contrôlent guère que quelques enclaves placées sur la côte. Les Farny, comme leurs 500 compatriotes, sont alors installés dans la plaine de la Mitidja, au sud la capitale. Dix ans plus tard, le père et trois de ses fils sont morts des fièvres, la mère et son dernier garçon ont disparu lors de la razzia d'une tribu d'Abd el-Kader, deux des enfants seulement ont survécu. Cinq générations plus tard, leurs descendants boucleront leurs valises pour regagner cette métropole qu'ils connaissent à peine. Ce qu'ont découvert les Farny à leur arrivée, c'est le Far West. La conquête de ce Sud sauvage est l'affaire des militaires auxquels il faudra dix-sept longues années pour obtenir la reddition d'Abd el-Kader, proclamé à 24 ans commandeur des croyants et chef de la guerre sainte lancée contre l'envahisseur. Ces tout premiers colons sont des pionniers, des hommes et des femmes d'un autre temps, durs à la tâche, sans cesse confrontés à la violence des hommes et des éléments mais qui sont résolus à écrire une page encore vierge. On est alors bien loin du décor de carte postale de cette Algérie française insouciante, de ces villes, véritables reproductions de petites cités françaises avec poste, monument aux morts, église et bar-tabac où l'on sirote paisiblement l'anisette en tentant d'échapper à la chaleur.
Ces premiers arrivants succèdent aux affairistes, aventuriers, aux prostituées qui ont suivi l'armée comme une pente naturelle. Pour eux, pas question de profiter d'Alger la Blanche. Il faut survivre au milieu des marécages, habiter dans une cabane de planches aux murs percés de meurtrières, planter, « le fusil à l'épaule et la quinine dans la poche », à peine de quoi manger, se protéger des lions et des hyènes et, surtout, des tribus qui multiplient les raids. Car, de part et d'autre, on ne s'épargne pas. Par coutume, les guerriers arabes égorgent leurs adversaires dont ils décapitent les corps pour en planter les têtes sur les murailles de leurs villes insoumises. Quant aux tribus ralliées aux troupes françaises, ce ne sont pas des scalps qu'elles rapportent aux officiers de l'armée d'Afrique mais des colliers d'oreilles.
« Une résistance admirable. »
Aucun militaire ne nie le formidable courage de cet ennemi, encore moins de leur chef. Le jeune Arthur Rimbaud, dont le père, le capitaine Frédéric Rimbaud, a combattu en Algérie, compare Abd el-Kader, dans un poème en latin écrit à l'âge de 14 ans, au « nouveau Jugurtha ». « Une résistance admirable. Des hommes qu'il fallait tuer deux fois », s'exclame, en 1836, le futur maréchal Achille de Saint-Arnaud dont Victor Hugo dira plus tard, en raison de ses exactions, qu'il avait « les états de service d'un chacal ». On ne s'en prive donc pas. Les Français multiplient les razzias, massacrent les populations, détruisent les récoltes, enfument des tribus entières réfugiées dans des grottes. C'est la tactique du général Bugeaud, adepte de la conquête totale, de la soumission la plus absolue. Un seul homme, qui a vécu en Amérique, pressent ce qui peut résulter d'une telle violence. Entre ses deux voyages en Algérie en 1860 et 1865, Napoléon III déclare qu'il « refuse d'infliger [à la population arabe] le sort des Indiens de l'Amérique du Nord, chose impossible et inhumaine ». Il sera le seul souverain à vouloir créer un royaume arabe où Français et musulmans connaîtraient l'égalité. La défaite de Sedan fait disparaître tous ces rêves. En 1871, après la dernière grande rébellion, celle d'El-Mokrani en Kabylie, l'armée remet le sabre au fourreau. Après de longues hésitations des différents gouvernements, c'est décidé, l'Algérie, au contraire des autres territoires possédés par la métropole, sera une colonie de peuplement. C'est donc aux colons-ils sont maintenant100 000-que revient de bâtir cette Algérie française, mirage du système colonial, joyau de l'Empire.
Dossier réalisé par François Malye
'est une histoire comme une autre. Celle d'une famille de cultivateurs alsaciens d'Oberheim, dans le Bas-Rhin, les Farny, qui, placée sur la route de l'émigration allemande, décide, en 1832, d'échapper à la misère en gagnant le Nouveau Monde. Parvenus au Havre et escroqués par les « passeurs » de l'époque comme 73 autres familles candidates au grand départ, le couple et ses cinq enfants sont alors déroutés vers l'Algérie. Si les troupes françaises menées par le général de Bourmont ont conquis Alger deux ans plus tôt, elles ne contrôlent guère que quelques enclaves placées sur la côte. Les Farny, comme leurs 500 compatriotes, sont alors installés dans la plaine de la Mitidja, au sud la capitale. Dix ans plus tard, le père et trois de ses fils sont morts des fièvres, la mère et son dernier garçon ont disparu lors de la razzia d'une tribu d'Abd el-Kader, deux des enfants seulement ont survécu. Cinq générations plus tard, leurs descendants boucleront leurs valises pour regagner cette métropole qu'ils connaissent à peine. Ce qu'ont découvert les Farny à leur arrivée, c'est le Far West. La conquête de ce Sud sauvage est l'affaire des militaires auxquels il faudra dix-sept longues années pour obtenir la reddition d'Abd el-Kader, proclamé à 24 ans commandeur des croyants et chef de la guerre sainte lancée contre l'envahisseur. Ces tout premiers colons sont des pionniers, des hommes et des femmes d'un autre temps, durs à la tâche, sans cesse confrontés à la violence des hommes et des éléments mais qui sont résolus à écrire une page encore vierge. On est alors bien loin du décor de carte postale de cette Algérie française insouciante, de ces villes, véritables reproductions de petites cités françaises avec poste, monument aux morts, église et bar-tabac où l'on sirote paisiblement l'anisette en tentant d'échapper à la chaleur.
Ces premiers arrivants succèdent aux affairistes, aventuriers, aux prostituées qui ont suivi l'armée comme une pente naturelle. Pour eux, pas question de profiter d'Alger la Blanche. Il faut survivre au milieu des marécages, habiter dans une cabane de planches aux murs percés de meurtrières, planter, « le fusil à l'épaule et la quinine dans la poche », à peine de quoi manger, se protéger des lions et des hyènes et, surtout, des tribus qui multiplient les raids. Car, de part et d'autre, on ne s'épargne pas. Par coutume, les guerriers arabes égorgent leurs adversaires dont ils décapitent les corps pour en planter les têtes sur les murailles de leurs villes insoumises. Quant aux tribus ralliées aux troupes françaises, ce ne sont pas des scalps qu'elles rapportent aux officiers de l'armée d'Afrique mais des colliers d'oreilles.
« Une résistance admirable. »
Aucun militaire ne nie le formidable courage de cet ennemi, encore moins de leur chef. Le jeune Arthur Rimbaud, dont le père, le capitaine Frédéric Rimbaud, a combattu en Algérie, compare Abd el-Kader, dans un poème en latin écrit à l'âge de 14 ans, au « nouveau Jugurtha ». « Une résistance admirable. Des hommes qu'il fallait tuer deux fois », s'exclame, en 1836, le futur maréchal Achille de Saint-Arnaud dont Victor Hugo dira plus tard, en raison de ses exactions, qu'il avait « les états de service d'un chacal ». On ne s'en prive donc pas. Les Français multiplient les razzias, massacrent les populations, détruisent les récoltes, enfument des tribus entières réfugiées dans des grottes. C'est la tactique du général Bugeaud, adepte de la conquête totale, de la soumission la plus absolue. Un seul homme, qui a vécu en Amérique, pressent ce qui peut résulter d'une telle violence. Entre ses deux voyages en Algérie en 1860 et 1865, Napoléon III déclare qu'il « refuse d'infliger [à la population arabe] le sort des Indiens de l'Amérique du Nord, chose impossible et inhumaine ». Il sera le seul souverain à vouloir créer un royaume arabe où Français et musulmans connaîtraient l'égalité. La défaite de Sedan fait disparaître tous ces rêves. En 1871, après la dernière grande rébellion, celle d'El-Mokrani en Kabylie, l'armée remet le sabre au fourreau. Après de longues hésitations des différents gouvernements, c'est décidé, l'Algérie, au contraire des autres territoires possédés par la métropole, sera une colonie de peuplement. C'est donc aux colons-ils sont maintenant100 000-que revient de bâtir cette Algérie française, mirage du système colonial, joyau de l'Empire.
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