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Coût humain de la guerre de colonisation en Algérie

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  • Coût humain de la guerre de colonisation en Algérie

    Les pertes de guerre entre 1830 et 1875

    La conquête de l’Algérie a débuté par une victoire rapide de l’armée française sur celle de la Régence. Son effondrement a laissé aux prises, pendant plus d’une quarantaine d’années, une armée moderne face à une population en armes. Dans ce contexte, l’ampleur des pertes algériennes n’était un secret pour personne. C’est ainsi que V. Demontès, comparant les résultats des recensements de 1861 et 1856, a affirmé que la croissance de la population entre ces deux dates ne pouvait s’expliquer que par l’apport des Kabyles, qui n’avaient pas été recensés en 1856. Mais, les données globales faisant singulièrement défaut, on ne peut donner qu’un ordre de grandeur des pertes algériennes.

    Contrairement à celles subies par l’armée française, les pertes algériennes n’ont jamais fait l’objet d’un effort d’évaluation à l’époque même de la conquête. Les indications contenues dans les rapports d’opération sont partielles et il faut se livrer à une extrapolation à partir de leur contenu pour proposer un chiffre. Ainsi, durant l’année 1845, les pertes dénombrées du côté algérien par les militaires français s’élèvent à 6.616 tués au combat, pour 605 soldats français. Le rapport est donc de un soldat français mort au combat pour 10,9 Algériens – il s’agit des pertes dénombrées sur le terrain, non compris les décès par suite des blessures. Évoquant les combats du 14 juin au 31 août 1830, X. Yacono estime de même que les pertes étaient dix fois plus élevées chez les Algériens que chez les Français. Avec une telle proportion, face aux 7.469 soldats français morts au combat dans les années 1830-1875, les pertes algériennes seraient alors de 75.000 décès. Il reste cependant à évaluer les décès des suites des combats. Pour l’armée française, le rapport entre les morts au combat et les autres – blessés et malades – est d’environ quinze morts à l’hôpital pour un mort sur le terrain entre 1830 et 1875. En retenant une proportion inférieure de un mort à la suite de blessures pour dix morts au combat dans le cas des Algériens, on obtient un total de 750.000 morts hors combat. La surmortalité, du fait de la guerre de conquête et des opérations de répression, pourrait alors être estimée à 825.000 morts.

    La fragilité des données est en ce domaine identique à celle de tous les bilans de la répression coloniale : faute d’enregistrement fiable des victimes au moment des faits, les chiffres prêtent à discussion.

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    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

  • #2
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    Les conséquences indirectes de la guerre : émigration,
    épidémies, famines


    La guerre de conquête a engendré l’émigration des forces résistantes à la colonisation, qu’il s’agisse de tribus entières ou d’individus qui ne concevaient pas de vivre sous domination d’un gouvernement non musulman. Il est impossible, cependant, d’en fournir une évaluation chiffrée.

    Les calamités, quant à elles, n’étaient pas spécifiques à l’Algérie. En Europe aussi se produisit le cycle infernal menant de la guerre à l’apparition des épidémies. [...] En Algérie, l’installation des services de la santé militaire dès les premiers mois de la conquête a permis d’étudier ces fléaux. Dès les années 1840, comme l’a démontré l’historienne Y. Turin, l’administration française utilisa la médecine comme « arme de pacification ». Les médecins militaires ont été ainsi associés à l’action de l’administration militaire des bureaux arabes. Ils développèrent des « infirmeries indigènes » et se déplacèrent dans les tribus, où ils pratiquèrent la vaccination antivariolique. Les services de santé militaire se chargeaient aussi de la collecte des statistiques médicales. Ces services ont identifié le choléra et le typhus comme causes d’épidémies aux conséquences importantes sur la mortalité de la population. Le choléra était le plus fréquent : il fit son apparition en 1833, 1849-1851, 1854, 1865, 1869, 1884, 1887-1889, 1893, 1896 puis en 1912 et 1916. Ces épidémies partaient en général des villes portuaires et gagnaient progressivement les régions intérieures en suivant l’implantation militaire française. Les archives de santé militaire du musée du Val-de-Grâce démontrent que les épidémies de choléra ayant sévi au 19e siècle en Algérie ont été importées d’Europe.

    Les épidémies de typhus obéissent à d’autres schémas. Elles résultent des conditions de vie déplorables des populations vivant en milieu carcéral (1843) ou dans les campagnes comme en Kabylie (1861, 1863 et 1866). Celle de 1866 se répand dans toute la région d’Alger puis dans tout le pays. En 1870, les docteurs J. Perier et A. Vital, médecins en chef divisionnaires des hôpitaux militaires d’Alger et de Constantine, en ont donné l’explication suivante : « Ce sont les calamités de plusieurs années qui ont contribué à préparer cette épidémie. L’insurrection de 1864 en a la première responsabilité par les razzias et les mesures répressives qui s’ensuivirent ; puis vinrent deux années de sécheresse, accompagnées du fléau des sauterelles. Si nous ajoutons à cela le tremblement de terre – partiel, il est vrai – dans la Mitidja et les deux épidémies de choléra qui désolèrent surtout la vallée du Chélif et les régions de Constantine et de Cherchell, on comprendra aisément que cette longue série de malheurs, ajoutée à l’imprévoyance légendaire des Arabes, ait produit en 1868, où la pluie tant attendue ne vint pas, la plus extrême misère ». Cette explication retient deux causes citées par ailleurs par M. Hubert dans le cas allemand : les troubles politiques et les crises de subsistance. Mais elle en ignore une troisième : les bouleversements qu’ont connus les campagnes algériennes à la suite du cantonnement et du sénatus-consulte de 1863. Ces mesures ont en effet entraîné une réduction de la surface agricole exploitée par les Algériens. Surtout, les silos traditionnels ont disparu. L’existence de ces silos démontre, contrairement aux affirmations de Perier et Vital, qu’il n’y avait pas d’« imprévoyance légendaire » dans la société indigène. Ces silos de réserve étaient un des moyens de réduire l’impact des sécheresses, invasions de sauterelles, famines et épidémies. S’y ajoutait la solidarité entre riches et pauvres sur une base religieuse, dont l’action régulatrice avait été réduite à néant par la colonisation. Le lieutenant-colonel É. Villot la décrit ainsi en 1880 : « Lorsqu’un individu, une fraction de tribu ou une tribu entière devient la victime d’une de ces calamités si fréquentes dans les pays orientaux, les confréries s’empressent de faire des avances de grains, de bétail ou même d’argent. […] C’est la consécration d’une ancienne coutume, la "maâouna", et qu’on retrouve chez tous les peuples à la période pastorale ». Le typhus a sévi plusieurs fois par la suite, du fait de la misère. La dernière épidémie date de 1943. Dans les années 1940, cependant, la mortalité a doublé sans entraîner de recul démographique. De nombreux changements, par rapport au siècle précédent, l’expliquent : fin de l’état de guerre permanent, des expéditions punitives et des razzias ; amélioration générale des conditions sanitaires ; adaptation des populations aux conditions socioéconomiques nouvelles, par le salariat et l’émigration.

    [Fin]
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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