Voici un article d'André Raymond ,sur l'essor des grandes villes arabes a l'époque ottomane.
Le travail d'André Raymond balaie les idées reçues sur cette longue période fascinante d'échanges civilisationels ,et qui a eu le mérite parmi d'autre de préserver et d'offrir un sursis de plusieurs siécles au monde musulman déjà en plein décadence, face à la monté en puissance de l'Europe chrétienne a partir du 15 ème siècle.
Introduction:
" La période de la domination ottomane sur les pays arabes est traditionnellement considérée comme marquée par une décadence ininterrompue du XVIe au XVIIIe siècle, ce qui amène maints historiens du monde arabe à porter une condamnation sévère, voire à garder un silence presque total, sur ces trois siècles d’histoire. Une telle attitude justifierait, en elle-même, une étude attentive.
Pour l’expliquer on devrait d’abord évoquer une tendance très répandue à peindre l’ensemble du passé ottoman avec les couleurs sombres du déclin de l’Empire, au XIXe et au début du XXe siècle, période d’effondrement politique et de violence. À ceci s’ajoute l’évidente répugnance des historiens arabes à aborder une période de leur histoire que, par assimilation à la récente ère de domination européenne, ils tendent à décrire comme coloniale. L’obscurité qui entoure encore la période ottomane de l’histoire arabe contribue à perpétuer ce discrédit : cette obscurité est d’autant moins compréhensible que des sources existent, plus abondantes, et plus variées, que pour aucune autre période de l’histoire non contemporaine des pays musulmans, en particulier en ce qui concerne la documentation d’archive. Cette situation a été longtemps aggravée par la propension de l’histoire coloniale à assombrir l’histoire moderne des pays arabes et, en conséquence, à justifier l’implantation européenne : c’est ainsi que, dans les pays du Maghreb, l’introduction des colonisateurs a été souvent présentée comme la conclusion inévitable à une ère de misère et de barbarie.
Ainsi s’explique l’état de sous-développement où se trouve encore l’histoire des pays arabes à l’époque ottomane, le manque de monographies locales et régionales, l’absence d’études globales, dans le domaine politique, économique et social. Ces lacunes sont spécialement sensibles en ce qui concerne l’histoire des villes pour plusieurs raisons particulières. L’histoire urbaine est longtemps restée le domaine des historiens de l’art qui ont tout naturellement décrit les villes à travers leurs monuments et qui ont donc accrédité l’idée qu’il existe une adéquation entre l’éclat artistique et la prospérité et le développement urbains, et inversement. Cette tentation d’écrire l’histoire des villes comme un chapitre de l’histoire des beaux-arts a eu des résultats particulièrement dommageables pour la période ottomane, dans la mesure où les réalisations architecturales et artistiques, dont les provinces arabes ont été le théâtre, n’ont pas eu l’ampleur et l’originalité de celles des époques antérieures. Un culte exagéré de l’Antiquité et la répugnance à concevoir l’existence d’une organisation urbaine qui n’obéirait pas à ses lois, ou à celles de l’urbanisme qui était né en Occident au XVIe siècle, ont contribué au même résultat.
Le retard de l’histoire urbaine ne pourra être comblé que lentement. Pour y parvenir, l’étude des villes arabes entre le XIXe et le XIXe siècle devrait s’appuyer sur une connaissance des phénomènes économiques globaux, et de l’évolution démographique qu’on ne peut attendre que du dépouillement des archives dès maintenant disponibles dans les pays arabes, en attendant une ouverture plus large des archives d’Istanbul à la consultation. Elle devrait partir d’une histoire concrète des villes, de l’évolution de leur structure et de leurs monuments, étudiés sous l’angle de leur signification urbaine et non pas seulement comme des réalisations artistiques. Comme nous sommes encore fort éloignés de posséder cette information et que les études locales indispensables sont encore trop rares, un problème comme celui qui est abordé dans cet article donnera largement lieu à des hypothèses et à des généralisations faites à partir de ce qui n’est pas complètement inconnu pour essayer d’expliquer ce qui l’est presque tout à fait."
Sur le cas d'Alger :
"Le cas d’Alger doit être mis à part dans l’étude que nous allons maintenant faire de la croissance urbaine dans les grandes villes arabes à l’époque ottomane. Le spectaculaire essor de cette ville, modeste république municipale de 20 000 habitants au XVe siècle, capitale de 100 000 habitants vers la fin du XVIIe siècle, est lié surtout à des facteurs politiques.
En faisant d’Alger la capitale d’un État pour la première fois unifié, en la dotant d’un port d’où partirent pendant trois siècles des corsaires qui semèrent la terreur en Méditerranée occidentale, en installant à Alger une machine de guerre efficace, l’odjaq des Janissaires qui allait dominer le Maghreb durant deux siècles, les Ottomans ont véritablement créé une ville nouvelle dont l’organisation urbaine relativement perfectionnée mériterait une étude approfondie : avec son šaïẖ al-balad qui contrôlait les corporations de métiers et les communautés nationales, son qâ’id al-zabal qui présidait au nettoiement de la ville, son qâ’id al-šawâri‘, chargé de l’entretien des égouts et de la voirie, son qâ’id al-‘uyûn, chargé du contrôle des eaux, de l’entretien des aqueducs et des fontaines, Alger est tout à fait exceptionnelle au milieu de ces villes peu administrées où un wâli et un muḥtasib étaient les seuls préposés véritablement urbains.
Cette constatation devrait amener à repenser ce qu’on écrit généralement de l’administration urbaine ottomane qui s’est ici organisée dans un cadre vraiment nouveau, à moins qu’il ne s’agisse d’un phénomène maghrébin qu’il faudrait étudier en liaison avec ce que nous savons de Fès ou de Tunis. Mais la croissance d’Alger a eu un caractère trop original pour que nous puissions faire plus que la mentionner ici, et nous nous contenterons de considérer le cas de trois métropoles anciennes, Le Caire, Damas et Alep."
la suite de l'article par ici:
Le travail d'André Raymond balaie les idées reçues sur cette longue période fascinante d'échanges civilisationels ,et qui a eu le mérite parmi d'autre de préserver et d'offrir un sursis de plusieurs siécles au monde musulman déjà en plein décadence, face à la monté en puissance de l'Europe chrétienne a partir du 15 ème siècle.
Introduction:
" La période de la domination ottomane sur les pays arabes est traditionnellement considérée comme marquée par une décadence ininterrompue du XVIe au XVIIIe siècle, ce qui amène maints historiens du monde arabe à porter une condamnation sévère, voire à garder un silence presque total, sur ces trois siècles d’histoire. Une telle attitude justifierait, en elle-même, une étude attentive.
Pour l’expliquer on devrait d’abord évoquer une tendance très répandue à peindre l’ensemble du passé ottoman avec les couleurs sombres du déclin de l’Empire, au XIXe et au début du XXe siècle, période d’effondrement politique et de violence. À ceci s’ajoute l’évidente répugnance des historiens arabes à aborder une période de leur histoire que, par assimilation à la récente ère de domination européenne, ils tendent à décrire comme coloniale. L’obscurité qui entoure encore la période ottomane de l’histoire arabe contribue à perpétuer ce discrédit : cette obscurité est d’autant moins compréhensible que des sources existent, plus abondantes, et plus variées, que pour aucune autre période de l’histoire non contemporaine des pays musulmans, en particulier en ce qui concerne la documentation d’archive. Cette situation a été longtemps aggravée par la propension de l’histoire coloniale à assombrir l’histoire moderne des pays arabes et, en conséquence, à justifier l’implantation européenne : c’est ainsi que, dans les pays du Maghreb, l’introduction des colonisateurs a été souvent présentée comme la conclusion inévitable à une ère de misère et de barbarie.
Ainsi s’explique l’état de sous-développement où se trouve encore l’histoire des pays arabes à l’époque ottomane, le manque de monographies locales et régionales, l’absence d’études globales, dans le domaine politique, économique et social. Ces lacunes sont spécialement sensibles en ce qui concerne l’histoire des villes pour plusieurs raisons particulières. L’histoire urbaine est longtemps restée le domaine des historiens de l’art qui ont tout naturellement décrit les villes à travers leurs monuments et qui ont donc accrédité l’idée qu’il existe une adéquation entre l’éclat artistique et la prospérité et le développement urbains, et inversement. Cette tentation d’écrire l’histoire des villes comme un chapitre de l’histoire des beaux-arts a eu des résultats particulièrement dommageables pour la période ottomane, dans la mesure où les réalisations architecturales et artistiques, dont les provinces arabes ont été le théâtre, n’ont pas eu l’ampleur et l’originalité de celles des époques antérieures. Un culte exagéré de l’Antiquité et la répugnance à concevoir l’existence d’une organisation urbaine qui n’obéirait pas à ses lois, ou à celles de l’urbanisme qui était né en Occident au XVIe siècle, ont contribué au même résultat.
Le retard de l’histoire urbaine ne pourra être comblé que lentement. Pour y parvenir, l’étude des villes arabes entre le XIXe et le XIXe siècle devrait s’appuyer sur une connaissance des phénomènes économiques globaux, et de l’évolution démographique qu’on ne peut attendre que du dépouillement des archives dès maintenant disponibles dans les pays arabes, en attendant une ouverture plus large des archives d’Istanbul à la consultation. Elle devrait partir d’une histoire concrète des villes, de l’évolution de leur structure et de leurs monuments, étudiés sous l’angle de leur signification urbaine et non pas seulement comme des réalisations artistiques. Comme nous sommes encore fort éloignés de posséder cette information et que les études locales indispensables sont encore trop rares, un problème comme celui qui est abordé dans cet article donnera largement lieu à des hypothèses et à des généralisations faites à partir de ce qui n’est pas complètement inconnu pour essayer d’expliquer ce qui l’est presque tout à fait."
Sur le cas d'Alger :
"Le cas d’Alger doit être mis à part dans l’étude que nous allons maintenant faire de la croissance urbaine dans les grandes villes arabes à l’époque ottomane. Le spectaculaire essor de cette ville, modeste république municipale de 20 000 habitants au XVe siècle, capitale de 100 000 habitants vers la fin du XVIIe siècle, est lié surtout à des facteurs politiques.
En faisant d’Alger la capitale d’un État pour la première fois unifié, en la dotant d’un port d’où partirent pendant trois siècles des corsaires qui semèrent la terreur en Méditerranée occidentale, en installant à Alger une machine de guerre efficace, l’odjaq des Janissaires qui allait dominer le Maghreb durant deux siècles, les Ottomans ont véritablement créé une ville nouvelle dont l’organisation urbaine relativement perfectionnée mériterait une étude approfondie : avec son šaïẖ al-balad qui contrôlait les corporations de métiers et les communautés nationales, son qâ’id al-zabal qui présidait au nettoiement de la ville, son qâ’id al-šawâri‘, chargé de l’entretien des égouts et de la voirie, son qâ’id al-‘uyûn, chargé du contrôle des eaux, de l’entretien des aqueducs et des fontaines, Alger est tout à fait exceptionnelle au milieu de ces villes peu administrées où un wâli et un muḥtasib étaient les seuls préposés véritablement urbains.
Cette constatation devrait amener à repenser ce qu’on écrit généralement de l’administration urbaine ottomane qui s’est ici organisée dans un cadre vraiment nouveau, à moins qu’il ne s’agisse d’un phénomène maghrébin qu’il faudrait étudier en liaison avec ce que nous savons de Fès ou de Tunis. Mais la croissance d’Alger a eu un caractère trop original pour que nous puissions faire plus que la mentionner ici, et nous nous contenterons de considérer le cas de trois métropoles anciennes, Le Caire, Damas et Alep."
la suite de l'article par ici:
