Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Cité de Dieu et prospérité : l’imâmat rustamide de Tāhert

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Cité de Dieu et prospérité : l’imâmat rustamide de Tāhert

    Tāhert est fondée en 761 par Abdarrahmāne b. Rustam à l’O. de l’actuelle Tiaret. Y eut-il dans cette fondation une volonté d’ériger une manière de cité de Dieu khârijite, pendant de Kairouan la malikite ?

    En 777, Ibn Rustam est reconnu imâm par l’ensemble des ibâdites du Maghreb ; de fait, les assises de son imâmat s’étendirent au 9e siècle de Tripoli aux monts de Tlemcen, sur plus de 1 300 km, dans les steppes, zones de la vie dure et ascétique par nécessité, qu’on a pu voir comme naturellement propices au rigorisme religieux.


    Prospérité économique

    À plus de 1000 m d’altitude, Tāhert bénéficie de pluies abondantes et est alimentée en eau par plusieurs sources et deux rivières qui actionnent nombre de moulins. On y trouve des élevages de bétail et de chevaux, une céréaliculture prospère, de beaux jardins, et des vergers dont al-Bakrî vante la production de coings. Le troisième imâm, Aflah b. ‘Abd al-Wahhâb (823-872), surtout, fait édifier des bâtiments agricoles et donne une extension sans précédent à l’irrigation.

    L’impression d’abondance est corroborée par la richesse des marchés de la cité. Tāhert se trouve sur l’itinéraire transmaghrébin E.-O., dans une zone de contacts entre paysans sédentaires du Tell et éleveurs des Hautes Plaines et du jabal Amour, ou autres nomades du S. S’y échangent le blé et les tissus du N., les laines et moutons locaux et du S., les dattes et abricots de Laghouat, ainsi que les dromadaires, l’or et les esclaves du Bilâd al-Sûdân. Avec l’atout d’une relative stabilité politique et un contexte d’abondance, la ville connaît l’apogée aux 9e-10e siècles. Dans cette riche cité commerçante se rencontrent des marchands de toutes origines. L’interface maritime à laquelle aboutissent les produits du S., redistribués par voie de mer, prend alors son essor : la rade de Hunayn, au N. de Tlemcen, à partir du 9e siècle surtout, est en relations commerciales avec la toute proche Andalousie.

    ... /...
    Dernière modification par Harrachi78, 04 mai 2022, 00h50.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

  • #2
    Système politique

    Tāhert est aussi renommée pour le gouvernement de ses imâms, réputés pour leur puritanisme et leur sens politique.

    Parmi eux émerge Aflah ‘Abd al-Wahhâb qui régna près d’un demi-siècle. Crédités du sens de la justice et d’une conduite ascétique, ils auraient dormi sur un simple coussin, mené une vie retirée, se seraient nourris de pain et de laitages. Si les neuf imâms qui se succèdent de 777 à 909 sont élus par les vénérables sages (shaykh[s]) au nom de la communauté ibâdite, le pouvoir est en fait héréditaire : existe une dynastie Rustamide, organisée en théocratie, même si les révocations par les shaykh(s) sont en principe possibles. Les imâms auraient nommé et révoqué des gouverneurs de provinces, géré un budget — tout en étant réputés ne pas toucher d’argent de leurs mains — et fait fonction de juges suprêmes. Ils prélèvent sur les récoltes et les troupeaux l’aumône légale (zakât), et en auraient équitablement réparti le produit dans une communauté éprise d’absolu. Le 5e imâm, Muhammad b. Aflah, aurait fait fabriquer de grands plats pour distribuer de la nourriture à son peuple. Dans cette sorte de cité de Dieu, le mot d’ordre est la guerre contre les pécheurs et contre les non-musulmans (dhimmî[s]) renâclant au paiement des impôts qui leur sont spécifiques — rigueur intraitable, mais n’ayant pas confiné au fanatisme : on ne prône pas chez les Ibâdites le meurtre religieux en cas de manquement aux règles de l’islam, comme chez les kharridjites Sofrites et Nukkarites.

    On a pu écrire que les imâms de Tāhert disposèrent d’un pouvoir absolu. En fait, garants de la foi, tenus de n’y pas déroger, ils sont davantage des arbitres que des ra’îs(s) (chefs). Compte tenu de la force de l’organisation tribale, ils contrôlent de manière assez lâche un territoire dont l’unité tient au Khârijisme. L’histoire de la ville est émaillée de controverses religieuses dégénérant en crises de pouvoirs, heurts, voire schismes entre ibâdites et autres branches du khârijisme, comme les nukkarites — assez proches des vues rationalisantes de la mu‘tazila — et des affrontements avec des tenants déclarés du mu‘tazilisme, doctrine officielle du califat abbasside sous al-Ma’mûn (813-833).

    Dans le gouvernement et l’administration, la place de choix réservée aux Berbères ibâdites originaires du jabal Nafûsa fut mal vue : entre ces Nafûsî(s) réputés être le « sabre » des Rustamides, des conflits éclatent avec ces derniers. Tāhert est même attaquée par un gouverneur de Tripoli dont l’imâm avait refusé l’investiture. Fin 9e siècle, après une révolte des tribus berbères des Ziban contre le pouvoir aghlabide d’Ifriqiya, les Nafûsî(s) s’insurgent mais ils sont écrasés en 896. Existent aussi de multiples tensions entre Zénètes nomades et populations sédentaires.

    Les imâms de Tāhert ont aussi à manœuvrer entre Idrîsîdes et Aghlabides pour préserver leur pouvoir. La paix est signée avec Kairouan suite à l’offensive abbasside au Maghreb de 772-787, et, côté idrîsîde, les menaces ne se concrétiseront guère. Tāhert parvient aussi à s’attirer l’appui des Omeyyades de Cordoue — certes alliés, mais lointains et incertains.

    ... /...
    Dernière modification par Harrachi78, 04 mai 2022, 00h46.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

    Commentaire


    • #3
      Culture

      Le siècle et demi rustamide fut aussi illustré par ses lettrés.

      Les imâms, dont les maisons sont des foyers culturels, supervisent des controverses théologiques publiques dont le niveau dépasse parfois l’entendement des auditeurs. Deux imâms, Muhammad b. Aflah et Yûsuf b. Muhammad, sont les auteurs de traités de théologie et de fiqh. Les Rustamides dépêchent en Orient des missions pour y acquérir des manuscrits, ils sont en contact avec les milieux savants de l’Andalousie omeyyade. Les bibliothèques de Tāhert auraient renfermé des ouvrages d’exégèse coranique, des traités de médecine et d’astronomie.

      La cité, très cosmopolite — on la nommait le « petit Irak » —, attire commerçants et réfugiés orientaux, notamment persans. L’ambiance est plutôt à la tolérance : y exista un quartier chrétien, al-kanîsa (l’église). Il y eut à Tāhert, dont ne subsistent aujourd’hui que quelques ruines, de riches demeures à patio et, d’après al-Bakrî, une citadelle où résidait l’imâm, sous la protection d’une garde, suite à des conflits ayant pris la forme de différends religieux troublant la cité et pouvant tourner à la guerre civile. Les fragments de céramiques émaillées sans fioritures légués par cette époque attestent de l’existence d’un artisanat local, mais leur facture fruste témoigne d’une ambiance austère.

      ... /...
      Dernière modification par Harrachi78, 04 mai 2022, 00h53.
      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

      Commentaire


      • #4
        Fin de l'Etat Rustamide

        Tāhert, comme endormie dans sa prospérité et ses controverses juridico-religieuses, ne trouve pas le ressort de la résistance : la cité est enlevée et détruite en 909 par des Berbères Kutama de Petite Kabylie, conduits par le missionnaire (dâ‘î) Abû ‘Abd Allâh, conquérant des Fatimides sur la scène africaine.

        Les rescapés du massacre se réfugient à 10 km au S. d’Ouargla, à Sedrata, dont ne subsistent aujourd’hui que des ruines. Ils doivent en partir au 11e siècle pour s’installer au M’zab. Là, sont fondées les cités à la sobre beauté de la Pentapole ibâdite où ils demeurent, pratiquant une stricte endogamie dans cet environnement désertique, mettant leur ingéniosité au service de l’irrigation et de la difficile mise en valeur agricole de la région, et, comme leurs ancêtres tihertiens, s’adonnant au commerce. Leur berbérophonie n’empêchera pas ces gardiens de la tradition ibâdite, comme à Tāhert, d’ouvrir des bibliothèques et d’être une pépinière d’érudits. Mais jamais le khârijisme ne retrouvera plus sa place des 8e-9e siècles.

        [Fin de l'extrait]
        "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

        Commentaire


        • #5
          si je comprends bien, les mozabites ont pour origine, Tiaret?

          Commentaire


          • #6
            Bachi

            Oui, en gros c'est cela. La communauté mozabite que nous connaissons est l'héritière directe du Kharridjisme ibādite qui s'était établit il y a de cela 1300 ans à Tāhert. C'est en soit une chose très intéressante car c'est une forme d'islam très primitive.

            Maintenant, si tu songes à la question en termes d'origines "éthiques", le tableau réel est plus complexe qu'il n'y paraît. Comme indiqué dans l'article, l'essentiel du "makhzen" (le terme est encore inexistant à cette époque mais le concepte est à peu près là) de l'Etat Rustamide était constitué des groupes tribaux zénètes qui occupaient à l'époque le centre et le centre-ouest du Maghreb central (mais qui ont disparu ou bougé ailleurs par la suite), mais la dynastie régnante elle-même descend d'une origine persane (ont dit que l'arriere grand-père du fondateur était un général de l'Empire sassanide lol) de même que les chefs du mouvement étaient de diverses origines d'Orient, alors que l'administration rustamide était plutôt accaparée par d'autres berbères originaires du Djebel Naffūssa (act. en Libye) car les Kharridjites y étaient nombreux aussi et ils reconnaissaient l'imām à Tāhert comme souverain légitime, tandis que l'économie était aux mains d'une caste de commerçants de diverses origines, tant maghrébines qu'orientales.

            Or, lorsque le régime s'effondre à Tāhert devant les Fatimides un siècle et demi plus tard, c'est les rejetons de tout ce melting-pot qui quittent la ville pour se transplanter d'abord à Sedrāta (du côté de Ouargla), d'où ils vont par la suite s'établir dans la vallée du Mzāb, là où leur désendants vivent encore de nos jours.

            Tu vois donc que, une fois qu'on regarde les choses dans le fond, ce n'est jamais aussi simple et linéaire qu'on ne pourrait souvent le croire, car qui penserait que nos bons vieux mozabites, si renfermés et endogames, puissent sortir à l'origine d'une aussi vaste tchektchūka ... héhéhéhé
            Dernière modification par Harrachi78, 08 mai 2022, 00h44.
            "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

            Commentaire

            Chargement...
            X