Pour essayer de comprendre comment les troupes de mêlée – infanterie, chars - sont employées de part et d’autre dans la guerre en Ukraine, il faut revenir à la manière dont les combats étaient envisagés.
La force terrestre russe engagée en Ukraine est l’héritière directe des conceptions soviétiques de l’art opératif industriel. Presque entièrement motorisée et sous blindage, son objectif est de provoquer un « choc opératif » en disloquant les dispositifs adverses par des pénétrations rapides en profondeur afin de s’emparer ou de détruire au plus vite des points ou des objectifs clés. Ainsi transpercé, coupé des flux de logistique et de commandement et écrasé à l’avant par les feux le dispositif ne peut que se disloquer, à la manière des opérations Bagration en juin-août 1944 en Biélorussie ou Tempête d’août en août-septembre en Mandchourie, qui restent les modèles purs et parfaits à reproduire.
Petit retour sur le concept de division blindée
L’instrument premier de ces « offensives à grande vitesse » est la grande unité blindée dont les contours ont été établis à la fin de fin de la 2e Guerre mondiale. Le fer de lance est constitué par les bataillons de chars de bataille, mais aussi puissants soient-ils, ceux-ci ne peuvent pas tout faire. Ils ne sont pas forcément à l’aise dans certains terrains denses et doivent faire à des menaces multiples, comme les chars ennemis bien sûr, mais aussi et peut-être surtout toute une série d’ « anticorps » qui sont apparus depuis l’origine des chars : canons de campagne, fusils antichars, canons antichars tractés ou portés, roquettes à charge creuse lancées à l’épaule ou depuis un aéronef, canons sans recul, puis bien sûr les missiles, à charge unique, puis tandem, piloté puis guidés puis en « tire et oublie », tous annoncés comme devant « tuer le char ».
En fait, s’il y a des grandes frayeurs, comme après les destructions de la première force de chars française à Berry-au-Bac en avril 1917 ou après les combats d’octobre 1973 dans le Sinaï, le char a toujours survécu. Il a survécu par ses adaptations propres d’abord : amélioration et poids du blindage d’acier, blindage composite, réactif, défense active (radars de proximité et neutralisation des projectiles), canon principal jusqu’au calibre 120-125 mm dans les années 1980, armes secondaires anti-personnel, meilleure conduite de tir ...etc. Il a survécu ensuite grâce à la coopération des autres armes. [...] En 1918, chars et fantassins, qui évoluent tous au rythme de l’homme à pied sur le champ de bataille, sont intimement associés avec des batteries d’artillerie et même des avions d’infanterie. On imagine alors mettre tout ce monde sous acier et sur chenilles en 1919 pour former des divisions cuirassées, lourdes et lentes mais irrésistibles. La cavalerie, qui comprend comment des véhicules blindés plus mobiles et alors donc légers, peuvent l’aider à remplir ses missions dans un cadre industriel, développe de son côté le concept de division légère mécanique.
Le char est forcément, comme sur les pions classiques de wargame, un arbitrage entre attaque, défense et déplacement. Les « chars de bataille » qui apparaissent pendant la 2e Guerre mondiale, comme (T-34, Panther, Panzer IV canon long, M4-Sherman ...) constituent un bon compromis d’engin apte à tout qui efface les distinctions d’avant-guerre. On retrouve les mêmes caractéristiques dans les grandes unités dont ils font partie, à côté d’une infanterie et d’une artillerie également blindées, et souvent chenillées, entourées de petites unités complémentaires de reconnaissance de véhicules rapides à roues ou de génie.
La division blindée (DB), avec une grande puissance de feu, protégée par l’acier et la coopération des armes, et d’une grande mobilité tant sur le champ de bataille (mobilité tactique) que sur les routes (mobilité opérative), paraît alors l’optimum de la fin de la révolution militaire industrielle commencée au milieu du 19e siècle. Cette DB 1945 est souvent partagée en deux régiments ou brigades interarmes eux-mêmes partagés en kampfgruppen ou bataillons eux-mêmes interarmes lors des combats.
Dans ce cadre, l’infanterie mécanisée, motorisée selon l’appellation soviétique, ou simplement blindée, avec ses véhicules et leur armement principal de bord – mitrailleuse lourde ou canon-mitrailleur – et leurs hommes à pied fournit de nombreux petits systèmes d’armes destinés au combat de précision à une distance moindre de celle des tubes de chars. Les fantassins peuvent protéger, reconnaître des positions délicates en avant ou sur les côtés des chars, organiser une ligne de défense antichars car ce sont eux qui ont hérité des lance-roquettes et lance-missiles légers, s’emparer et occuper des positions, et en fait faire plein de choses que les autres ne peuvent pas faire comme par exemple prendre en compte les prisonniers. L’infanterie blindée est l’huile d’une machine qui sans elle casserait vite.
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