Annonce

Réduire
Aucune annonce.

De l'usage du terme "Maghrib" dans la littérature géographique arabe médiévale

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • De l'usage du terme "Maghrib" dans la littérature géographique arabe médiévale

    Je propose ici un petit exercice pratique concernant le sens variable que revêtait le terme "al-Maghrib" dans le langage des géographes musulmans aux époques anciennes. A cet effet, je prends un seul ouvrage en exemple, tirant de lui tous les contextes où l'auteur fait usage du terme en question.

    L'ouvrage témoin est purement géographique : al-Rawdh al-Mi3tār fī khabar al-aqtār. C'est une sorte de dictionnaire, plutôt abrégé, descriptif des villes et régions du Monde Musulman de manière générale. L'auteur, un certain Abū-Abdallah Muhammad b. Abd-al-Mūn3im al-Himyarī, est un notable de Ceuta, mort en 1327 dans la région de Taza, dans l'actuel Maroc.

    La littérature arabe est abondante dans ce genre, et cet ouvrage n'est ni le plus volumineux ni le plus fameux. Son choix fut motivé par trois choses :

    a) La simplicité relative de sa rédaction et la brièveté de sa composition ;

    b) Le fait que l'auteur soit lui-même maghrébin et donc, en toute logique, certainement familier de la géographie de la région.

    c) ll s'agit enfin d'un auteur relativement tardif (14e siècle), qui vécut à une époque où la division politique du Maghreb en trois entités était une réalité depuis un bout de temps. Sa perception du territoire est donc la plus intéressante pour notre sujet, puisqu'il est le plus susceptible de faire apparaître les nuances qui auraient pu affecter le sens du terme qui nous intéresse aux basses époques.

    ... /...
    Dernière modification par Harrachi78, 18 juin 2022, 20h12.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

  • #2
    1) Usage du terme "Maghrib" comme simple cardinal :

    En langue arabe, Maghrib ("Couchant [du Soleil]", "Occident") vient de Gharb ("Ouest") et il a valeur basique d'un simple cardinal. Ce sens primaire était demeuré intacte dans la langue, et tous les géographes de l'époque classique en font usage pour dire "Ouest" de manière générale.

    Ici, par exemple, l'auteur parle de al-Yamāma, une région de la péninsule arabique, qu'il situe par rapport à celle d'Omān "du côté occidental vers le Nord" (min jihati al-maghrib ma3a a-chamāl), c'est-à-dire le Nord-Ouest :



    Cet usage élémentaire du mot se retrouve un peu partout à travers le texte, lorsque l'auteur situe une région ou une ville à l'ouest de quelque chose. On retrouvera par exemple la même terminologie dans l'article qu'il consacre à les description de la péninsule ibérique :



    L'auteur commence donc par indiquer que al-Andalus se situe "à l'extrémité du 4e secteur vers l'Ouest" (fī ākhir al-iqlīm a-rābi3 nahw al-maghrib), et précise que ce pays est "la dernière terre habitée en Occident" (ākhir al-ma3mūr fī l-maghrib) ou, un peu plus loin, "à l'extrême occident" (fī aqssā l-maghrib) parceque bordé par l'océan, mer au-delà de laquelle il n y avait plus de terres connues à cette époque.

    Ici, le contexte est clair pour le lecteur arabophone, et il n y avait aucune confusion possible avec le toponyme al-Maghrib au sens d'Afrique du Nord ou tout autre sens possible.

    ... /...
    Dernière modification par Harrachi78, 17 juin 2022, 12h51.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

    Commentaire


    • #3
      2) Usage du terme "Maghrib" comme toponyme équivalent à "Afrique [du Nord]" :

      Au tout début de la conquête musulmane, le terme usuel chez les Arabes pour désigner l'ensemble nord-africain était Ifrīqiyya, ce qui calcait tout simplement l'appellation romaine de ce même ensemble géographique : Africa [romana] ("Afrique [romaine]).

      Bien que le terme al-Maghrib soit, par la suite, devenu le plus courant en arabe pour désigner cet espace, l'usage archaïque de Ifrīqiyya a toujours laissé une trace dans la littérature géographique ultérieure, et on peut voir cela chez notre auteur, qui a pourtant vécu plus de 600 ans après la conquête :



      Pour lui, Ifrīqiyya reste donc cette "immense province à l'ouest de l'Egypte" (3amal 3adhīm fī gharb a-diyār al-missriyya) comme il l'etait chez les tous premiers géographes arabes, et il précise même quelques lignes plus loin que la longueur de cet immense pays s'étendait "de la Cyrénaïque à l'Est" (min Barqa charqan) jusqu'à Tanger à l'ouest (ilā Tandja gharban). On peut aussi décéler la trace de cette conception initiale dans le hadith que l'auteur cite dans son article, et selon lequel le Prophète aurait dit : "Le Jihād va un jour s'éteindre dans tous les pays, sauf dans un endroit en Occident qu'on appelle Afrique ..." (illā bi mawdhi3in fī l-maghrib yuqālu lahu Ifrīqiyya ...). On notera, d'ailleurs, que l'auteur n'a même pas inclus dans son dictionnaire une entrée spécifique au mot "al-Maghrib", et que ce rôle est joué par l'article intitulé "Ifrīqiyya" qu'on vient qu'on voit ici.

      Cette description sera encore reprise dans l'article de l'ouvrage dédié à Tanger et qui, pour rappel, se trouve dans la région même où a vécu l'auteur puisqu'il est de la cité voisine de Ceuta : "les anciens disent : Tanger est l'extrême limite de l'Ifrīqiyya vers l'Occident" (Tandja ākhiru hudūd Ifrīqiyya min al-maghrib).



      Cela-dit, on vois aussi que, même dans le contexte archaïque évoqué, la notion et le terme d'Occident (Maghrib) sont souvent présents lorsqu'on évoque l'Ifrīqiyya en général, les deux étant systématiquement liés dans la mesure où l'Ifrīqiyya était aussi "le pays de l'Ouest" par définition. Il n'est donc pas étonnant que le mot Maghrib soit progressivement devenu synonyme de cette appellation initiale, tandis que Ifrīqiyya va petit à petit prendre le sens plus restreint de Maghrib adnā ("Proche-Occident"), terme qui sera très rarement utilisé en tant que tel dans les sources.

      Ainsi, lorsque l'auteur présente Kairouan (qui se situe techniquement en Ifrīqiyya proprement dite, c'est-à-dire l'Est maghrébin), il voit en la vénérable cité (qui n'était pourtant plus à son époque qu'une petite bourgade sans importance politique depuis trois siècles) le centre du Maghreb : fa madīntu l-Qayrawān dāru mulk al-Maghrib ("Kairouan et le siège du pouvoir au Maghreb") :



      Ici, l'auteur aurait bien pu écrire dāru mulk Ifrīqiyya et ca aurait été tout aussi correct du point de vue de la langue classique. Mais, le sens de ce terme n'était plus exactement à son époque ce qu'il l'était pour un lecteur arabophone 300 ans plutôt : le contexte du 14e siècle aurait plutôt donné la signification "siège du pouvoir au Maghreb oriental", ce qui n'était pas le cas puisque c'est la Tunis hafçide qui jouait ce rôle à son époque, et que l'auteur souhaitait souligner dans ce passage l'ancien rôle de la prestigieuse capitale comme centre politique, culturel et religieux de l'ensemble du Maghreb aux premiers siècles qui ont suivi la conquête musulmane de l'Afrique du Nord et jusqu'à sa destruction au cours de l'invasion hilālienne. Pour éviter l'équivoque, l'auteur a donc recours au terme usuel pour désigner cet ensemble à son époque à lui : al-Maghrib.



      ... /...
      Dernière modification par Harrachi78, 19 juin 2022, 12h38.
      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

      Commentaire


      • #4
        3) Les autres usages de "Maghrib" comme toponyme :

        Globalement, et excluant du compte son usage comle simple cardinal l'urilisation dominante du mot Maghrib dans le texte reste son sens de toponyme général :

        Ifrīqiyya / bilād Ifrīqiyya ................. 135 mentions
        al-Maghrib / bilād al-Maghrib ........... 97 mentions
        al-Maghrib al-aqssā .......................... 08 mentions
        al-Maghrib al-awsatt ......................... 05 mentions

        Les sous-catégories (Ifrīqiyya, Maghrib awsatt, Maghrib aqssā) ne sont pas systématiquement mentionnées dans les descriptions des sites et villes qui s'y trouvent, mais uniquement lorsque le contexte semble exiger une telle précision pour diverses raisons. Exemple :



        Cette série d'entrées dans l'ouvrage commence par Tāza que l'auteur introduit simplement par "du pays du Maghreb" (min bilād al-Maghrib), mais en précisant immédiatement après que le début du territoire de cette ville est "la limite entre le Maghreb Médian et le pays du Maghreb proprement dit" (haddu mā bayna al-Maghrib al-awsatt wa bilād al-Maghrib) : on constate ici que le glissement sémantique qui va faire de al-Maghrib un synonyme de al-Maghrib al-aqssā (et donc du mot français "Maroc") est déjà entamé à l'époque de l'auteur. Mais, on y vois aussi le caractère naturel dans le langage qui conduit à ce glissement : une fois qu'on précise en arabe "Maghrib awsatt" dans une pherase descriptive, il devient relativement superflu de dire autre chose pour l'autre partie étant donné que le "proche Maghrib" était plutôt nommé Ifrīqiyya et que le seul "Maghrib" qui subsistait était forcément "al-aqssā", Occident géographique absolu et ultime de surcroît, et qui pouvait donc se passer relativement de toute précision lorsque évoqué seul.

        Mais, cette même page indique aussi que, comme pour la dichotomie Ifrīqiyya/Maghrib qu'on a vu plus haut, ce nouveau glissement qu'on constate dans le sens du mot al-Maghrib n'efface pas nécessairement le(s) sens premier(s), et que tous ses usages coexistent au sein d'un seul et même texte : (1) en jaune le mot "Maghrib" en tant que simple cardinal, (2) en bleu le mot "Maghrib" en tant que toponyme général et (3) en rouge le mot "Maghrib" en tant que désignation de sous-région.
        Dernière modification par Harrachi78, 19 juin 2022, 12h40.
        "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

        Commentaire


        • #5
          Un petit hors sujet : l'auteur raconte des fakes news historiques monumentales. Ex:
          marwan bnu al hakam et abdellah ibnu el zubyr ensemble ont conquit l'Afrique ces deux là de leur vivant étaient des ennemis et se disputaient le pouvoir (el khilafa) .
          وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

          Commentaire


          • #6
            HADJRESS

            1. Dans ce genre d'ouvrages, et surtout d'époque tardive, l'autaur rapporte ce qu'il a pu croiser comme informarions sur le site qu'il présente. Ces informations peuvent être de valeur historique inégale, mais elles sont importantes aussi parcequ'elles renseignent sur ce qui a pu circuler à telle ou telle époque.

            2. L'expédition à laquelle le texte fait référence eut lieu en 642, c'est-à-dire sous le califat de Uthmān b. 3affān. A cette époque, un Marwān b. al-Hakam n'avait encore que 19 ans et Abd-Allāh b. al-Zubayr à peine 22.

            Le conflit politique auquel tu fais référence aura lieu entre les deux hommes en 682, soit quarante années après cette expédition au Maghreb. S'en étonner pour cette raison seulement revient à dire qu'il aurait été impossible que Laval et de Gaule aient tous les deux participé à la 1e Guerre Mondiale côté français, au motif qu'ils sont devenus ennemis politiques 20 ans plus tard.

            3. Maintenant que ce point est clarifié, j'espère qu'on va respecter un peu le sujet du topic ...
            Dernière modification par Harrachi78, 17 juin 2022, 14h26.
            "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

            Commentaire


            • #7
              Me concernant, je me présentais comme Maghrébin mais depuis quelques années je refuse qu'on m'y mette. Je suis d'origine algérienne. Point.
              ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément

              Commentaire


              • #8
                Salam ya el harrachi,

                Mais, cette même page indique aussi que, comme pour la dichotomie Ifrīqiyya/Maghrib qu'on a vu plus haut, ce nouveau glissement qu'on constate dans le sens du mot al-Maghrib n'efface pas nécessairement le(s) sens premier(s),
                On peut aussi voir le bon côté des choses.. Si pour les marocains tous ce qui est à l’ouest de quelque chose est devenu marocain.. on pourrait faire la même chose : Tous ce qui est Afrique est donc forcément Algérien/Tunisien.. L’histoire de l’Afrique est donc la nôtre.. et tous les pays de l’actuelle Afrique n’ont du coup, aucune histoire. C’est simple non ?? de la pure logique de l’istihmare..

                Commentaire


                • #9
                  MOHAMED REDA
                  Bien vu .
                  ارحم من في الارض يرحمك من في السماء
                  On se fatigue de voir la bêtise triompher sans combat.(Albert Camus)

                  Commentaire


                  • #10
                    Ni Africain, ni maghrébin ni ya7zinoun...Algérien, c'est largement plus intéressant....
                    ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément

                    Commentaire


                    • #11
                      Mohamed_Rédha

                      Euh ... que puis-je dire ? Oui, lorsqu'on se met à "interpréter" en usant de barèmes différents de ceux qui avaient réellement servi de cadre aux événements, on peut à peu près faire dire ce qu'on veux à ce passé ... lol

                      Mais, ce n'est jamais ma tasse de thé personnellement ... lol ... Mon intérêt pour l'histoire découle réellement d'une passion et d'une saine curiosité pour le passé. Je n'éprouve jamais un quelconque besoin de "justifier" un quelconque présent. Mon seul souci c'est de m'expliquer à moi même ce passé, soit pour le simple plaisir de la découverte, soit -parfois- pour mieux comprendre son résultat qui est le présent. Rien de plus ... lol
                      Dernière modification par Harrachi78, 17 juin 2022, 21h00.
                      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

                      Commentaire


                      • #12
                        Bachi
                        Ni Africain, ni maghrébin ni ya7zinoun...Algérien, c'est largement plus intéressant....
                        L'optique abordée ici n'est pas en relation avec les identités présentes BACHI, ni même avec une quelconque dimension identitaire tout court ... lol

                        Le sujet proposé ici est exclusivement en rapport avec la sémantique, l'idée étant de donner une image claire et concrètes sur comment certains termes et mots étaient perçus à d'autres époques, et dans quel sens ils étaient exactement utilisés dans le contexte classique. Rien de plus ... lol
                        Dernière modification par Harrachi78, 17 juin 2022, 20h57.
                        "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

                        Commentaire


                        • #13
                          oui j'avais bien compris, Harrachi...
                          Maghreb c'est tous les pays du Maghreb, dans la sémantique officielle actuelle.

                          Mais pour éviter toute confusion et ne pas s'exposer à la fâcheuse manie des Marocains à rapporter tout le Maghreb à leur bled, je préfère me dire Algérien.
                          En vérité, je ne pense pas qu'il s'agit de confusion sémantique mais de consciente entourloupe, une malhonnêteté.


                          ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément

                          Commentaire


                          • #14
                            Bachi

                            Oui, dans le contexte de notre époque il existe effectivement un aspect tel que tu le décris, et il est essentiellement provoqué à sa base par les besoins nouveaux qu'impose le "sentiment national" depuis que nos sociétés sont régies par son principe. Lorsque je m'efforce de donner une meilleure vision contextuelle de la sémantique, c'est justement pour mieux outiller contre cette mystification étant donné que l'essentiel de l'interloupe comme tu dis se joue sur la polysémie de certains termes, ou sur leurs valeur plus ou moins variable dans le temps. En un mot, je m'éfforce de combattre la supercherie dans ce domaine par la vérité historique, et non pas en developpant simplement un contre-discours symétrique en supercherie ... lol

                            Si non, je comprend tout à fait ton agacement et ainsi que solution. Toutefois, contrairement à toi, je ne réagit pas dans ce domaine par "délaissement". Je m'attèle plutôt à mieux comprendre la réalité maghrébine passée et, par conséquent, à mieux identifier la part qui nous en revient en tant que nation algérienne. Ce n'est pas, par exemple, le bruit assourdisssant d'un mkhazni marocain ou le prisme colonialiste d'un rescapé de l'Algérie française qui vont me faire "fuire" mon héritage ... Héhéhéhé
                            Dernière modification par Harrachi78, 18 juin 2022, 13h03.
                            "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

                            Commentaire


                            • #15
                              Harrachi, une simple curiosité
                              Ton héritage en dehors des considérations juridiques fondatrices, tu le situe où dans le temps ?
                              وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

                              Commentaire

                              Chargement...
                              X