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Etymologie de "Amazigh"

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  • Etymologie de "Amazigh"

    L'étymologie d'Amazigh a suscité bien des hypothèses contradictoires :

    – Celle de Ch. de Foucauld, qui a longtemps prévalu, consistait à rattacher la forme touarègue (Ahaggar) Amahegh au verbe ahegh, "piller". Amaheq signifiant alors "pillard". L'explication cadrait bien avec la société touarègue où le pillage était l'un des piliers de l'économie et de la culture traditionnelles. Mais c'est là une étymologie "populaire", insoutenable du point de vue de la linguistique historique berbère. Amahegh n'étant qu'une variante locale de Amazigh, toute étymologie valant pour l'un doit nécessairement être acceptable pour l'autre. Or, il est impossible d'expliquer l'Amazigh du berbère nord à partir du verbe ahegh, "piller, prendre par violence". Ce verbe a pour correspondant en touareg méridional agh(u) [Alojaly 1980 : 64], et en berbère nord agh, "prendre, saisir..." (issu d'un ancien awgh, encore attesté dans certains parlers de Petite Kabylie ; Cf. chap. 17). Ceci démontre que /h/ de ahegh Ahaggar ne provient pas d'un ancien /z/ puisque, si tel était le cas, on devrait trouver : *azegh/a−zegh/ašegh en touareg méridional et *azegh en berbère nord. Il s'agit en fait d'une autre correspondance phonétique, plus rare, mais bien établie : Berbère ancien = /w/ > Berbère moderne = /w/, /h/ ou zéro (selon les dialectes et les environnements ; Cf. Prasse 1957 et 1969). Il ne peut donc y avoir de lien entre Amahegh/Amazigh et le verbe ahegh/awgh/agh, "piller/prendre...", car cela supposerait en berbère nord une forme *amawigh/amawegh au lieu de l'amazià attesté. – T. Sarnelli (1957) a proposé de rattacher Amazià à la racine ZWgh, "rouge". Sa démonstration n'est guère convaincante au plan linguistique dans la mesure où tous les dérivés de cette racine maintiennent très nettement, et dans tous les dialectes, les trois phonèmes constitutifs, y compris la semi-voyelle médiane [izwigh/izwagh, azegg°agh/azeggagh, tezwegh, imizwigh...].

    Or, Amazigh, dans un système de correspondances synchroniques, ne peut être rattaché qu'à une base *Zgh. Il faudrait donc admettre un traitement particulier de la semi-voyelle dans le cas de la relation postulée ZWgh > Amazigh. Les seuls arguments que l'on pourrait avancer en faveur de cette thèse seraient d'ordre éthnologique (peintures corporelles, couleur de peau, habillement, représentations conventionnelles...). – Karl Prasse (1972 : 9, note 4 et 1974 : 299), suivant sur ce point F. Nicolas (1950 : 188), rapproche prudemment Amazigh d'un verbe −z−zegh, "marcher d'un pas altier, comme un noble". On peut se demander s'il ne s'agit pas d'une coïncidence fortuite, ou d'une reconstruction sémantique locale : ce verbe semble n'avoir qu'une existence très locale et n'a jamais été signalé ailleurs qu'en touareg méridional (tawellemmet de l'Est). Il est possible qu'il n'y ait là qu'une variante de −zeghegh, "être brave, intrépide" [Alojaly 1980 : 83].

    Du point de vue morphologique, un dérivé de forme ama−zegh serait anormal et assez surprenant à partir d'un verbe −z−zegh à initiale tendue (on attendrait un *ama−z−zagh). Il faudrait, là encore, postuler un traitement morphologique et phonétique particulier à partir d'une base primitive *(W)Zgh (qui aurait donné d'une part amazigh, d'autre part −z−zegh) pour expliquer l'ensemble des faits. L'hypothèse ne peut être exclue mais elle reste à démontrer. En fait, les nom d'agent de structure aMaCiC sont plutôt rares dans l'état actuel de la langue et la plupart de ceux qui existent ne sont plus reliés à des bases verbales vivantes (l'un des rares exemples transparents est le chleuh amarir, "chanteur", formé sur le verbe irir/urar, "chanter/jouer" connu en chleuh et en kabyle).

    En définitive, les seuls éléments de (quasi) certitude auxquels on puisse aboutir quant à la formation de ce mot peuvent se résumer ainsi :Amazigh est : - de façon quasi certaine un nom dérivé (Nom d'Agent à préfixe m-), - construit, d'un point de vue synchronique, sur un radical *Zgh (= *izigh/uzagh) dont on ne trouve apparemment pas de trace certaine en berbère moderne, en tant que lexème verbal vivant. A titre d'hypothèse cependant, on avancera un rattachement à la racine Zgh "dresser la tente" (Laoust 1935), attestée dans le Maroc central et qui n’est sans doute pas sans lien avec le lexème nominal pan-berbère tazeqqa/tizghwin "maison"). Si ce lien est exact, amazigh a pu tout simplement signifier : "le nomade, celui qui habite sous la tente" ou "l'habitant, le résident", en fonction du sens que l’on retient pour ce verbe à date ancienne.

    En tout état de cause, difficile d'établir un étymologie sûre pour cet éthnique dont la formation remonte à une époque très ancienne (au moins l'Antiquité) et dont la base verbale à partir de laquelle il a été formé peut avoir disparu depuis longtemps. Imazighen, "les hommes libres" Au niveau sémantique, de nombreux chercheurs ont pensé et écrit que Amazigh/Imazighen signifiait "homme(s) libre(s), noble(s)" (ce qui est du reste le cas de beaucoup de noms d'ethnies dans le monde). Cette interprétation semble venir de Jean-Léon l'Africain [1956, notamment p. 15] : « aquel amazig [= awal amazigh], ce qui veut dire langage noble. » Elle a été reprise et répandue par St. Gsell [HAAN, V : 119 et 1916 : 135] et on peut la rencontrer sous la plume des meilleurs auteurs. Pourtant, elle n'est certainement pas fondée et relève d'une extrapolation indue faite à partir de données régionales exactes : dans certains groupes berbères où il existait une stratification sociale forte [Touaregs] et/ou une importante population (réputée) allogène (négroïde) [Sud marocain, Sahara algé-rien], le terme Amazigh a eu tendance à désigner spécifiquement le Berbère blanc, l'homme libre, voire le noble ou le suzerain (comme chez les Touaregs méridionaux), par opposition aux berbérophones noirs ou métissés, de statut social inférieur (esclaves, descendants d'esclaves, quinteniers quasiment asservis, castes professionnelles spécifiques : musiciens, bouchers...). Mais il ne s'agit là que d'usages locaux secondaires, déterminés par les conditions socio-économiques particulières de ces groupes et il n'y a pas d'argument sérieux [sinon les réactions d'auto-glorification nationale des Berbères eux-mêmes !] pour les postuler dans la significationsignification idéologico-politique profonde de sa récupération par les Etats algérien et marocain... Sans doute les Imazighen et le tamazight sont-ils moins subversifs que les Berbères et la langue berbère.


    * Bibliographie

    - ALOJALY Gh., Lexique touareg-français, Copenhague, 1980.
    - BASSET R., Notice "Amazigh", Encyclopédie de l'Islam, 1908, p. 329.
    - BATES O., The Eastern Libyans, Londres, 1914 [réédition 1970) [notamment : p. 42-43 et 77]
    - BEGUINOT F., Il Berbero Nefûsi di Fassato, Roma, 1931.
    - CAMPS G., Massinissa ou les débuts de l'Histoire, Alger, 1961, [p. 23-29]

    DESANGES J., Catalogue des tribus africaines de l'Antiquité classique à l'Ouest du Nil, Dakar, 1962.
    - FOUCAULD Ch. de, Dictionnaire touareg-français, Paris, 1950-51. [Amahegh : t. II, p.673-4]
    - GALAND L., "Afrique du Nord", Revue d'Onomastique, sept. 1958. p. 222.
    - GALAND L., La langue berbère existe-t-elle ?, Mélanges linguistiques offerts à Maxime Rodinson, Paris, Geuthner, 1985, p. 175-184 (= Supplément 12 aux C.R. du GLECS).
    - GSELL St., Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, Paris, 1918-1928, [t. V, 1925].
    - GSELL St., Hérodote [Textes relatifs à l'histoire de l'Afrique du Nord], Alger, A. Jourdan, 1926.
    - IBN KHALDOUN, Histoire des Berbères, Paris, 1925 (rééd.)
    - JEAN-LEON L'AFRICAIN, Description de l'Afrique, [édit. Epaulard], Paris, A. Maisonneuve, 1956, 2 vol.
    - LANFRY J., Ghadames, II (Glossaire), Alger, FDB, 1970.
    - LAOUST E. : L’habitation chez les transhumants du Maroc central, Paris, Larose (collection Hesperis VI) 1935.
    - MASQUERAY E., Le Djebel Chechar, Revue Africaine, XXII, 1978, p. 26-48, 129-144, 202-213, 259-281.
    - NICOLAS F., Tamesna. Les Ioullemmeden de l'Est ou Touâreg "Kel Dinnik", Paris, 1950.
    - PRASSE K.G., Le problème berbère des radicales faibles, Mémorial André Basset, Paris, A. Maisonneuve, 1957, p.121-130.
    - PRASSE K.G., L'origine du mot Amazigh, Acta Orientalia [Copenhague], XXIII, 1958, p.197-200.
    - PRASSE K.G., A propos de l'origine de h touareg (tahaggart), Copenhague, 1969.
    - PRASSE K.G., Manuel de grammaire touarègue (tahaggart), Copenhague, 1972-1974, 3 vol [notamment vol. 1, 1972, p. 9-10 et vol 3, 1987, p.299].

    - PROVOTELLE Dr., Etude sur la tamazir't ou zenatia de Qalaat Es-Sened, Paris, 1911.
    - SARNELLI T., Sull'origine del nome Imazighen, Mémorial André Basset, Paris, A. Maisonneuve, 1957, p.131-138.
    Dernière modification par democracy, 08 octobre 2022, 17h22.
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