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La presse indigène en Algérie avant 1914

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  • La presse indigène en Algérie avant 1914

    1. Aux origines de la presse algérienne de langue arabe :

    Le premier journal imprimé qui parut en Algérie, fut un organe officiel bilingue : Le Moniteur Algérien, sorti le 27 janvier 1832. Quoi qu’on en dise souvent, ce ne fut pas le premier journal paru au Maghreb (dès 1820, à Ceuta, fut imprimé un hebdomadaire espagnol). Il ne fut pas non plus le premier en Afrique du Nord qui ait employé la typographie et l’alphabet arabe, puisque le pacha d’Égypte, Muhamad Ali, avait créé dès le 20 novembre 1828 un bi-hebdomadaire, Al-Waqa’i al-Misriyya ("Les Evénements d’Égypte") tiré à l’imprimerie Balaq. Ce journal officiel du gouvernement égyptien – et qui le resta jusqu’en 1914 – contenait aussi des articles d’information, généralement copiés dans les journaux français. Ce journal servit d’ailleurs de modèle au véritable Journal Officiel de langue arabe que créèrent les Français en 1847 : le bi-mensuel Al-Mubachchir. Cet organe, qui parut régulièrement pendant 81 ans jusqu’en 1928, était envoyé d’office à tous les fonctionnaires musulmans algériens, auxquels il apportait non seulement les textes officiels, mais aussi « des renseignements utiles afin que vos connaissances se développent au fur et à mesure que progressent les sciences et techniques ». Ce J.O. comprit donc des articles de vulgarisation et de culture générale longtemps rédigés par des fonctionnaires français et traduits en arabe. Plus tard, des journalistes algériens y furent associés, et Le Mobacher fut ainsi la première école de journalisme de l’Algérie musulmane.

    Au-delà de ce journal officiel et de quelques autres organes officieux, aucun périodique arabe indépendant ne s’imprima en Algérie avant 1907. Cette lacune est d’autant plus impressionnante que, pendant ces années, 1847 à 1907, le monde arabe vit fleurir, en Égypte et en Syrie essentiellement, des centaines de journaux hebdomadaires ou quotidiens, dans une langue progressivement recréée, « langue de la renaissance musulmane » selon Louis Massignon, qui est devenue l’arabe moderne, Koinè de tout le Dar al-Islam. Au moment où La Revue du monde musulman saluait dès son premier numéro (novembre 1906) le développement de la presse arabe comme « une des manifestations les plus remarquables du mouvement d’évolution qui s’accentue rapidement dans les pays musulmans » et montrait le rôle modernisateur de cette presse auprès de « tous les Musulmans des classes libérales », aucun journal arabe n’était publié en Algérie.

    Certes, on vit apparaître à Constantine, en janvier 1882 un hebdomadaire d’origine assez mystérieuse dont le titre en graphie française, El Mountakheb ("L’Élu" ou "Le Choisi" ?), pourrait laisser croire à un journal arabe. En fait, ce journal « indigénophile » était pour l’essentiel rédigé en français par des Français et les seuls textes arabes qui y figurent sont des pétitions authentiques ou des traductions d’articles français faites par Omar Brihmat. Ce journal politique, vraisemblablement animé et soutenu de Paris par la Société française pour la protection des Indigènes des colonies de P. Leroy-Beaulieu et de V. Schoelcher – « cette société de farceurs pour qui tous les moyens sont bons » selon Le républicain de Constantine – fut également combattu de Paris par un organe bilingue officieux L’Astre d’Orient lequel cessa, semble-t-il, de paraître quatre mois après la disparition d’El-Mountakheb. « La presse, voilà l’arme dont vous devez apprendre à vous servir ; elle peut soulever un monde » avait dit ce journal. On veilla à Alger à ce que cela ne se fit que le plus tard possible, au besoin en créant une feuille officieuse. Ce fut le cas pour An-Nasih ("Le Bon Conseiller) « rédigé en arabe courant » par un fonctionnaire, Gosselin, de 1899 à 1900. La direction des Affaires indigènes songea à publier cette même année, un journal moins médiocre, El-Djezaïri, mais y renonça. Son projet aboutit cependant, en 1903, avec Al-Maghrib, bi-hebdomadaire rédigé à Alger par un groupe de professeurs de la medersa officielle, lequel n’eut que 32 numéros.

    En 1907 enfin, un bi-mensuel parut à Alger, le bien-nommé Al-Ihya ("La Revivcation"). Cette petite revue de huit pages, dirigée par une arabisante française, Mlle Desrayaux, avait pour buts la défense de la langue et de la culture arabes, « Le Progrès et la Fraternité ». N’ayant trouvé que 400 abonnés, elle disparut après quatre mois d’existence (14 février-14 mai 1907). On peut penser que le Gouverneur Général Jonnart qui tentait alors d’encourager la langue arabe trouva une autre formule. Le 7 mai 1907 sortit à Alger Kawkab Ifriqiya ("L’Étoile Nord-Africaine"), journal d’information rédigé par des lettrés algériens appartenant au « clergé musulman » ou à l’enseignement des medersas. Le rédacteur en chef, Mahmud Bendali dit Kahhul, était un fonctionnaire du culte proche de l’Administration. Ce journal bien peu indépendant n’en est pas moins tenu aujourd’hui encore en Algérie pour « le premier journal de langue arabe » parce qu’il était rédigé uniquement par des Algériens, dans une langue classique et un style châtié. Certains de ses rédacteurs n’hésitèrent pas, il est vrai, à fustiger le retard intellectuel de leurs coreligionnaires et à déplorer la décadence de la culture arabe. Le mufti malékite de Constantine, Ben Mouhoub Al-Mouloud, en multipliant les satires mordantes contre les préjugés de la bourgeoisie de sa ville y gagna une solide réputation et de nombreux ennemis.

    Cependant d’autres périodiques, tout différents et rédigés presque exclusivement en français, furent publiés à partir de 1893. Ils constituent néanmoins une presse politique algérienne que j’ai naguère appelée la presse jeune-algérienne.

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    Dernière modification par Harrachi78, 03 avril 2023, 23h33.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

  • #2
    2. La presse jeune-algérienne :

    Le premier organe à mériter le qualificatif de jeune-algérien fut l’hebdomadaire El-Hack ("La Vérité") créé à Bône en juillet 1893. Il était rédigé en français, mais se donna à partir du numéro 16 une page en arabe constituée par des traductions des articles en français. Ce petit hebdomadaire qui portait en sous-titre : « Journal politique et littéraire s’occupant des intérêts arabes algériens » était l’œuvre de quelques jeunes francisés, tels Khalid Caïd-Laïoun secrétaire de rédaction, son cousin Sliman Bengui, Omar Samar, Abou Darbala et de Français dissimulés sous des pseudonymes arabes. Il devait tirer à quelques centaines d’exemplaires ; faute d’abonnés et de lecteurs et victime d’un acte arbitraire, il cessa sa parution le 25 mars 1894. Il devait être continué sous un nouveau titre, L’Éclair, par Omar Samar en mars 1895, mais L’Éclair disparut en juin 1895. Cette première expérience manquée amenait Si M’hammed Ben Rahal à écrire, en 1901 : « Ici, la presse indigène n’existe que pour les citoyens français. Pour les indigènes, on tolère difficilement qu’ils parlent au public, fut ce le public français. »
    À partir de novembre 1902, le vieux journal français L’Akhbar avait été remis entre les mains d’un écrivain de talent, Victor Barrucand, qui en fit un très intéressant hebdomadaire ouvert aux Jeunes-Algériens. Ce journal bien informé joua un rôle politique disproportionné avec la faiblesse de son tirage. Il était lu et apprécié à Paris et ses nouvelles furent souvent reprises dans les colonnes du Temps. Après 1919, au contraire, il perdit toute audience et toute influence.

    Il y eut peut être en 1902 à Oran, un hebdomadaire qui reprit le nom d’El-Hack. Par ailleurs, un notable de Nedroma tenta en 1903 de faire paraître un journal en arabe, mais malgré son prestige M’Hammed Ben Rahal n’obtint que 40 promesses d’abonnement et dut renoncer à son projet.

    L’hebdomadaire Al-Misbah ("Le Flambeau") réussit lui, à voir le jour à Oran, en juin 1904, grâce aux efforts d’un instituteur de Tlemcen, Larbi Fekkar et de son frère le professeur Ben Ali Fekkar. Son sous-titre disait clairement « Pour la France par les Arabes, Pour les Arabes par la France ». Ce périodique de contenu politico-littéraire était certes francophile, mais, jacobin d’inspiration, il plaidait pour le recul des particularismes régionaux en Algérie : les Musulmans devaient cesser de se désigner par leur lieu d’origine et se dire tous « Algériens ». Encore qu’il prétendit avoir 500 abonnés, il disparut pourtant faute de ressources à son 34e numéro, en février 1905.

    Plus violent dans le ton, Le Croissant, sous-titré El-Hilal, s’affirmait à Alger à partir du 15 juin 1906 « l’organe des revendications indigènes ». Il demandait « le réveil de l’islam avec, pour et par la France ». Son directeur, un métropolitain indigènophile, Gaston de Vulpillières, qui aimait sincèrement l’Islam mais plus encore la polémique, dut vite renoncer à faire paraître son journal qui cessa en janvier 1907. Toujours prêt à dénoncer « le banditisme administratif », Vulpillières créa d’autres journaux de même style et de même ton où il attaquait pêle-mêle les fonctionnaires français, les Beni-Oui-Oui musulmans et même « la rampante presse arabe ». Tel futLe Cri de l’Algérie, hebdomadaire qui parut de février 1912 à août 1944 à Constantine, compta aussi parmi ses rédacteurs un ex-colon alsacien Victor Spielmann qui y fit ses premières classes de publiciste pro-algérien, et qui publia aussi des articles d’un anticolonialiste bien connu, Vigné d’Octon.

    Le public jeune-algérien devint bientôt assez nombreux pour qu’en 1909 la formule d’El-Hack fut reprise avec plus de succès. Successivement parurent Le Musulman (Constantine d’octobre 1909 à avril 1910), L’Islam (Bône de décembre 1909 à décembre 1911, puis à Alger depuis janvier 1912 jusqu’en décembre 1914), L’Étendard Algérien (Bône depuis novembre 1910). Le Rachidi (Djidjelli de janvier 1911 à août 1914), Le Croissant Philippevillois d’avril à octobre 1911), Es-Sadjie ("Le Courageux", Philippeville de mars à juin 1912), El-Hack (Oran d’octobre 1911 à août 1912). Au total, de 1907 à 1913, 15 journaux jeunes-algériens furent créés dont quelques-uns furent, il est vrai, éphémères. Appuyés sur des organes indigénophiles parisiens, tels La France islamique ou La Revue indigène, ils firent connaître à la classe politique les revendications des Jeunes-Algériens et sonnèrent le réveil politique de l’Algérie musulmane.

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    • #3
      Le plus influent de ces petits hebdomadaires et le plus lu par l’intelligentsia jeune-algérienne fut L’Islam, journal démocratique des musulmans algériens, fondé pour défendre, disait-il, « les droits et les intérêts des indigènes auprès des pouvoirs publics ». Ce fut « le journal de la classe des évolués », selon le sous-préfet de Bône. Transféré à Alger, le 7 janvier 1912, en raison de son succès, il demeura rédigé par une équipe mixte de Musulmans et de Français tous Parisiens (Sadek Denden, Ben Ali Fekkar, Maurice Heine, Paul Bruzon, Me Numa-Léal). Il posséda pendant quelques mois (juillet 1912 à juillet 1913) un supplément en arabe conforme au texte français, L’Islam, « organe démocratique des Musulmans algériens » prônait le développement de « l’instruction des indigènes », l’abolition du code de l’Indigénat, l’octroi des droits politiques à l’élite lettrée en français et une représentation des Musulmans au Parlement. Par tactique, il déclara accepter le service militaire obligatoire pour les Algériens, car il en espérait des compensations politiques.
      Le Rachidi, « organe indépendant d’union franco-arabe et des intérêts djidjelliens » avait la même ligne politique : « Par la France, pour les indigènes ». Lui aussi écrivait : « Le service militaire sera volontairement accepté par nous, car nous y voyons une preuve de confiance que nous tenons à justifier. Si la France a besoin de ses enfants adoptifs, ils ont encore plus besoin d’elle et s’en remettent à sa générosité » (octobre 1911).

      L’Étendard Algérien ne parut qu’irrégulièrement avant 1914 tout en tentant de reparaître en 1919-1920. Cet hebdomadaire rédigé par un Français, Gouvion, et un Algérien, Brahim Merdaci, voulait être « l’étendard de la révolution nécessaire aux indigènes et profitable à la France ». Il célébra les Jeunes-Algériens : « Eux seuls pourront faire renaître une race arabe qui soit digne des bienfaits de la France ». Rigoureusement assimilationniste (« attendons patiemment que l’École et la caserne aient fait leur œuvre »), il revendiqua la participation des Musulmans à la vie politique de l’Algérie et dénonça l’opposition de milieux colons : « Les véritables anti-français ne sont pas les arabes mais ceux qui, par une opposition aussi absurde que criminelle, empêchent la France de s’acquérir la reconnaissance de tout un peuple, tout en assurant la défense de son sol par une armée de courageux et dévoués soldats » (janvier 1911).

      Cette presse jeune-algérienne revendicative, mais qui se proclamait francophile, aurait été, selon certains auteurs, suscitée par l’Administration d’Alger pour canaliser le mécontentement des Musulmans. Outre le fait qu’il n’existe aucune preuve à l’appui de cette hypothèse, on peut répondre que cette petite presse, fragile et à diffusion restreinte, fut au contraire détestée et combattue par la presse et l’administration coloniale. Celles-ci parlaient avec mépris des Jeunes-Algériens « ces élites du certificat d’études » dont elles dénonçaient « le complot permanent ». Le directeur des Affaires indigènes répondait au député libéral, A. Rozet, que « loin de se réjouir de l’action des Jeunes-Musulmans, il fallait la regretter ». Pour lui, leur presse « affectait le loyalisme alors qu’elle nourrit la secrète pensée de reléguer au second plan l’élément français ». C’est pourquoi sans doute il sévit, en 1912, contre les fonctionnaires musulmans qui y étaient mêlés.

      La presse jeune-algérienne nous apparaît donc comme bien représentative d’un courant d’opinion sans doute très minoritaire, mais authentique. Les historiens de la colonisation savent que tous les colonisés acculturés ont commencé par demander l’assimilation, c’est-à-dire l’égalité avec les colonisateurs avant d’oser réclamer un jour l’autonomie, puis l’indépendance. Aussi bien certains journaux qu’on disait à tort jeunes-algériens n’hésitaient pas à suggérer déjà ce qui serait l’évolution postérieure.

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      • #4
        3. La presse d'inspiration islamique avant 1914 :

        Tel fut le cas du nouvel El-Hack qui se donnait pour second titre Le Jeune Égyptien. Cet hebdomadaire bilingue qui parut à Oran à partir d’octobre 1911 et jusqu’en août 1912, fut fondé par un libraire français converti à l’Islam, Abderrahman Tapié, avec la collaboration d’une équipe où se détachent les noms de Si Ahmed Ben Rahal, confident de l’ex-conseiller général de Nedroma, Si M’hammed, d’Ahmed Bouri, instituteur socialiste, et d’Omar Racim. Ce journal qui se disait « essentiellement musulman » n’hésita pas à prendre position contre le service militaire obligatoire et les « traîtres » qui en étaient partisans : il appela les Algériens « à lutter contre le régime du plus vil esclavage », publia des pétitions arabes en ce sens et envoya une délégation à Paris composée de gens de Nedroma et de Ghazaouet. Il condamna aussi le code de l’Indigénat, et réclama le droit pour les Musulmans de participer à l’administration de leur pays. Surtout il fit appel à la cohésion du peuple algérien : « Instruits ou ignorants, riches (s’il en reste) ou pauvres, fonctionnaires ou laboureurs, ne formez qu’un seul peuple et qu’une seule nation » (21 octobre 1911).
        Luttant contre l’assimilation (« Abandonnons cette utopie ; restons ce que nous sommes, ce que nous ne pouvons pas ne pas être »), il protesta contre toute tentative de modification sous prétexte de codification de la loi musulmane. Il fallait selon lui, que ce peuple « peuple conquis » s’enferme « dans une dignité froide ... il progressera dans sa voie, il continuera la tradition, il se mêlera aux choses nouvelles ; sans chercher à rien retrancher de son passé et de son caractère... Il sera un peuple parallèle » (30 mars 1912). Il proposait de constituer une banque musulmane, une hôtellerie musulmane, voire une ligue anti-alcoolique musulmane.

        Combattu par les Jeunes-Algériens francophiles, El-Hack regardait visiblement en direction de l’Orient arabe. L’Administration sans jamais le poursuivre en interdit cependant la lecture aux élèves des médersas et de l’École normale.

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        • #5
          4. Les premiers périodiques islahistes :

          D’autres journaux de langue arabe affichèrent plus ouvertement encore leurs sympathies pour l’École de la Salafiyya telle que la revue égyptienne Al-Manar l’avait fait connaître en Algérie.
          La nécessité de l’Islāh, d’une « Réformation » religieuse dans le sens d’un retour aux ancêtres (a-Salaf) était proclamée publiquement à Alger depuis le passage en 1903 du cheikh égyptien Muhammad Abduh. Omar Racim tenta un projet de revue intitulée Al-Jazaïr qui eut deux numéros-maquettes en septembre et octobre 1908. Il y appelait à revivifier les valeurs islamiques et faisait l’apologie des nationalismes égyptien et turc. Omar Racim réussit finalement en 1913-1914 à publier quatre numéros d’un hebdomadaire lithographié à 800 exemplaires Dhu l’Fiqar, calligraphié et orné de dessins à la plume. Ce journal s’annonçait comme un organe islahiste : « Il ne s’écartera pas de la voie qui lui a été tracée par les réformateurs authentiques ». Sous un portrait de Abduh, on pouvait lire « Le Directeur religieux de ce journal ». Et pourtant malgré son apolitisme de principe, O. Racim célébrait aussi l’islam comme religion socialiste.

          Plus nettement encore, l’hebdomadaire Al-Faruq ("Le Justicier") créé le 28 janvier 1913 par Omar Ben Kaddour osait écrire dans son premier numéro : « Nous avons écrit ce journal pour combler l’absence d’un journal islamique au plein sens de ce mot aussi bien à Alger que dans le pays. Nous n’avons aucun autre but que d’enrichir des réalités de la nationalité islamique, de servir la langue arabe et de faire connaître l’histoire de la nationalité (qawmiyya) islamique ».

          Cet hebdomadaire que les fonctionnaires français classèrent comme « nationaliste musulman » annonçait dès 1913, la prédication des oulémas réformistes : il condamnait les innovations blâmables en religion, les vices contemporains (ivrognerie, jeux de hasard, etc...) et appelait le peuple à retrouver tout ensemble « ces trois données que nous avons perdues : notre nationalité, notre religion, et notre morale » (20 février 1914) ... « Debout peuple ! Regarde vers l’avenir. Vas-tu te réveiller et entreprendre une renaissance scientifique, islamiste et réformiste ? Ramasse les débris de la nationalité et insuffle-lui une nouvelle âme » (décembre 1913). Il prophétisait même : « Si un jour notre nationalité réapparaît, elle prendra une forme différente de celle qu’ont connue nos ancêtres ».

          On ne pourra pas nier après avoir lu Al-Faruq que l’espérance nationaliste existât en Algérie dès avant la Première Guerre mondiale. Or cet hebdomadaire qui parut régulièrement de février 1913 à janvier 1915 tirait à quelque 1000 exemplaires selon Tewfiq al Madani qui y publia ses premiers articles. Avec l’éphémère Al-Barid Al-Jazaïri ("Le Courrier Algérien") il représentait l’opinion des premiers réformistes musulmans, adversaires déclarés des Jeunes-Algériens assimilationnistes ou naturalisés.

          Vue au miroir de sa presse peu nombreuse mais diverse et représentative, l’Algérie musulmane était, on le voit, sortie de sa longue léthargie. Sans doute ne disposait-elle encore d’aucun quotidien de langue arabe, alors que la Tunisie en comptait déjà cinq, ni d’aucun grand organe où elle put se reconnaître. Mais grâce à la multiplicité de ces petits périodiques politiques de quatre à six pages, qui se disaient tous « organes des revendications des indigènes », La Nuit coloniale se faisait moins obscure. Malgré la faiblesse de ses tirages, compensée il est vrai par l’habitude de la lecture à haute voix faite par des lettrés devant des auditoires avides, la presse jeune-algérienne ou réformiste, s’affirmait déjà comme un instrument essentiel de la modernisation des esprits ou selon le mot de Voltaire « comme une machine qu’on ne pourra plus briser et qui continuera à détruire l’ancien monde jusqu’à ce qu’elle en ait formé un nouveau ».

          C.-R. Agéron

          [Fin]
          Dernière modification par Harrachi78, 04 avril 2023, 00h41.
          "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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          • #6
            Le Bulletin officiel de l'Algérie (en langue française) existe, au moins, à partir de 1832. J'ai eu l'occasion d'en consulter dans une bibliothèque de wilaya. Pour les années 1870, j'ai pu trouver les noms de certaines familles originaires de mon village, victimes de séquestres administratifs, en raison de l'insurrection de 1871.

            merci pour le partage.
            « Même si vous mettiez le soleil dans ma main droite et la lune dans ma main gauche je n'abandonnerais jamais ma mission". Prophète Mohammed (sws). Algérie unie et indivisible.

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            • #7
              L’Islam (Bône de décembre 1909 à décembre 1911, puis à Alger depuis janvier 1912 jusqu’en décembre 1914), L’Étendard Algérien (Bône depuis novembre 1910). Le Rachidi (Djidjelli de janvier 1911 à août 1914),
              Merci pour le partage,

              A noter que les deux derniers , L'Islam de Sadek Denden (Bône) et Le Rachidi de Hamou Hadjammar (Djijdelli) avaient fusionné au lendemain de la première guerre (14- 18) pour donner naissance au journal l'Ikdam proche de l'Emir Khaled et des Jeunes-Algeriens.





              _________________




              l’IKDAM


              Parcours d’un journal «indigène»



              Il y a 100 ans, le 7 mars 1919, l’imprimeur, Sadek Denden, et le commerçant, Mohamed Hadjammar, dit «Hamou», créent, à Alger, 18, rue Eugène Robe (actuellement Mustapha Allouche, Bab El Oued), L’Ikdam, un organe de défense des intérêts politiques et économiques des musulmans d’Afrique du Nord. Sadek Denden (1869-1938), né dans la région de l’ex-Bône (Annaba), était déjà le fondateur, en 1909, du journal L’Islam dans sa ville, avant de le transférer à Alger en 1912, alors que Hamou Hadjammar (1880-1932), natif de Djidjelli (Jijel) était cofondateur dans sa ville de l’hebdomadaire Le Rachidi, en 1911, qui disparaîtra en 1914, en même temps que L’Islam.


              Dans le premier numéro du nouvel hebdomadaire, les codirecteurs, Sadek Denden et Hamou Hadjammar, écrivent : «Après quatre années d’interruption volontaire de L’Islam et du Rachidi, due uniquement aux difficultés d’ordre matériel et à la mobilisation d’une grande partie de notre personnel, nous avons décidé, au prix de gros efforts, de la réapparition de nos journaux. Nous avons décidé également de la fusion de ces deux organes en un seul que nous intitulons : ‘‘L’Ikdam’’». Les deux anciens titres (L’Islam et Le Rachidi) étaient mentionnés en sous-titre. Proches de l’émir Khaled, ils étaient considérés comme affiliés au mouvement des Jeunes Algériens.

              Hamou Hadjammar avait déjà fait partie en 1908 de la délégation conduite par l’avocat Ahmed Bouderba et comprenant aussi Ahmed Bourkail, qui a rencontré à Paris le président du Conseil, Georges Clémenceau, pour protester contre le projet du gouvernement d’étendre le service militaire obligatoire aux indigènes de l’Algérie et défendre le principe d’«à charge nouvelle, droit nouveau».

              A compter de son 5e numéro, daté du 5 avril 1919, L’Ikdam ne fait plus référence à sa première année, il décide de passer à la 2e série et de mentionner «sixième année», comptabilisant ainsi le parcours antérieur des deux journaux avant leur fusion. A l’occasion des élections municipales du 30 novembre 1919 à Alger, la liste de Mustapha Hadj Moussa, dans laquelle s’étaient notamment portés l’émir Khaled, Hamou Hadjammar et Mohamed Kaïd Hammoud, est toute entière élue. Parlant de «la leçon d’un scrutin», Hadjammar écrit dans L’Ikdam du 4 décembre 1919 : «La bataille électorale dans la capitale de l’Algérie a eu lieu, on peut le dire presque uniquement sur la situation créée aux indigènes par la loi du 4 février 1919. Cette loi, qui accorde plus de facilités pour la naturalisation de nos coreligionnaires que le sénatus-consulte de 1865, a été envisagée par quelques-uns comme la panacée devant mettre fin à tous les maux dont souffrent les indigènes, en engageant toute la collectivité musulmane à demander l’accession aux droits des citoyens français.»


              Et d’ajouter : «Quoi qu’il en soit, la population indigène s’est nettement prononcée : vox populi, vox dei. Elle ne veut pas renoncer à son statut personnel, non par fanatisme, comme on semble le faire entendre, mais par tradition, par respect pour les mœurs et les coutumes consacrées par des siècles de vie musulmane.»

              Cette élection, à laquelle avait participé Sadek Denden dans une liste rivale conduite par Ahmed Bouderba, ne sera pas sans conséquences sur la codirection du journal. Bouderba et ses colistiers prônaient une naturalisation, avec l’abandon du statut personnel, alors que celle de Hadj Moussa refusait la répudiation de ce statut.

              Dans le même numéro précité, Hamou Hadjammar annonce que «le présent numéro est le dernier paraissant avec les noms des deux directeurs en manchette. En effet, les candidatures au Conseil municipal nous ayant séparés, la plus élémentaire probité politique commande cette séparation». A la reprise de la publication, le 5 mars 1920, après une éclipse de près de 3 mois, elle sera dirigée par Hadjammar seul, et ce, jusqu’au lancement, dans ses nouveaux locaux du 12, rue de la Lyre (actuelle Ahmed Bouzrina), de la 3e série, avec un nouveau n°1 daté du 10 septembre 1920, où Hadjammar redeviendra codirecteur, cette fois-ci, avec Kaïd Hammoud, alors que Ahmed Balloul, agrégé universitaire, assure la rédaction en chef.



              Aux élections du 9 janvier 1921, la liste émir Khaled triomphe aux élections municipales d’Alger, avec notamment Kaïd Hammoud, Dr Tamzali et Hadjammar, comme colistiers. Dans son édition du 14 janvier 1921, L’Ikdam félicite et écrit que «c’est donc la liste de l’émir Khaled qui est réélue toute entière» et que «devant ce résultat, que tout commentaire affaiblirait, nous nous demandons ce que les détracteurs de l’émir Khaled pourront dire encore ? Il est grand temps, pensons-nous de se mettre au labeur et de laisser de côté ce vieil épouvantail panislamique qui n’est plus qu’une vieille arme usée et dont les coups ne portent plus». Cette codirection se poursuivra jusqu’au mois de juillet 1921, puisqu’à compter du numéro daté du 22juillet, la direction revient une fois encore à Hadjammar, avec l’émir Khaled comme rédacteur en chef pour la partie en arabe. Mais dès le mois septembre, la direction politique est reprise par l’émir Khaled, qui reprendra dès le mois suivant Ahmed Balloul comme rédacteur en chef.

              L’hebdomadaire existera avec cette nouvelle direction jusqu’au mois d’avril 1923, soit peu de temps avant son exil vers l’Egypte. De cette période, Jacques Bouveresse(1) écrit que «Hadjammar et Kaïd Hammoud ont relancé en février 1925 L’Ikdam, dont la direction est confiée à l’avocat Haddou. Ces trois personnages, élus conseillers municipaux d’Alger en 1929, donnent de 1925 à décembre 1930 au nouvel Ikdam une orientation favorable à la politique officielle d’assimilation». Après une nouvelle éclipse, le journal renaît de ses cendres à El Biar, sous la codirection de Sadek Denden et de Dr Mohamed Salah Bendjelloul, qui éditent en date du 14 mars 1931 le numéro 1 d’une nouvelle série.

              Quelques jours après la disparition de Hamou Hadjammar, L’Ikdam lui rend hommage en page Une de son édition du 1er août 1932, en écrivant qu’il était «doué d’un esprit méthodique et puissamment lumineux, d’un caractère éminemment combatif, désintéressé et généreux, il créa en 1910, en pleine bataille engagée contre le colonialisme, le ‘‘Rachidi’’ à Djidjelli, son pays natal, et mena la lutte à nos côtés, renforçant non moins énergiquement notre vigoureuse et audacieuse action avec toute la fougue et la compétence d’un militant dont la foi dans le succès final de nos revendications était son seul et unique idéal», ajoutant quelques lignes plus loin qu’«il n’a jamais failli à ses devoirs de défenseur de la cause des nôtres, car, disait-il, dans ses moments fort rares de découragement : «Tôt ou tard, la justice immanente aura toujours et quand même le fin mot en toutes choses ici bas.»

              La codirection Denden-Bendjelloul cessera dès la fin du mois d’août 1933, et c’est Sadek Denden qui reprendra seul la direction à compter du numéro du 1er septembre 1933, avant de prendre Georges Grandjean en qualité de rédacteur en chef dès le deuxième numéro de ce même mois. Cette équipe dirigera l’hebdomadaire jusqu’au début de l’année 1935. Le dernier numéro de la nouvelle série portant le numéro 71 est tiré à la date du samedi 26 janvier 1935 sous la seule direction de Sadek Denden, qui disparaîtra quant à lui en juillet 1938.

              Fodil S

              El Watan ( mars 1919)
              Dernière modification par sako, 08 avril 2023, 11h40.

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