En 2018, le journaliste Emran Feroz mène une série d’entretiens avec Noam Chomsky, publiés sous le titre de La lutte ou la chute (2020), et dans lesquels l’analyste américain nous met en garde contre les tendances périlleuses de nos sociétés actuelles.
Les profondes inégalités, l’immense pauvreté, les changements climatiques et le risque rampant d’une guerre nucléaire ont, pour la première fois, fait de l’autodestruction de l’humanité un risque bien réel. Selon Chomsky, il est essentiel que les différents peuples du monde prennent conscience que, pour paraphraser Georges Orwell, certains sont plus « égaux » que d’autres et qu’il leur faut lutter contre cet état de fait, pour éviter la chute de nos sociétés.
Ce qu’il faut retenir :
L’humanité fait aujourd’hui face à deux périls qui menacent sa survie : le risque nucléaire et le risque climatique. La société est aux prises avec une classe possédante bien décidée à s’accaparer les richesses du monde entier sans se préoccuper du malheur qu’elle provoque.
Pour assoir sa domination, rien de tel que la technique ancestrale du bouc émissaire. Les immigrés, les Noirs, les minorités, tout est bon pour détourner le regard du peuple de ceux qui le dominent d’en haut.
Pour les élites, la démocratie est dangereuse, car elle donne le pouvoir de décision aux peuples. C’est pour cette raison que ces dernières ont verrouillé les élections, en mettant en place un gigantesque système d’endoctrinement des masses par l’éducation et les médias.
Pour résoudre ces problèmes existentiels, il devient urgent que le peuple prenne conscience de sa puissance, celle du nombre, et s’organise en de véritables forces militantes capables de renverser le paradigme néolibéral dominant.
Biographie de l’auteur
Noam Chomsky, né en 1928 à Philadelphie, est un linguiste américain, professeur émérite de linguistique au Massachusetts Institute of Technology où il a enseigné durant l’intégralité de sa carrière. Également connu pour son activisme politique et sa critique de la politique étrangère et des médias américains, il s’affiche comme un sympathisant de l’anarcho-syndicalisme. Entre autres, il fustige l’utilisation du terme « terroriste » qui, selon lui, permet aux gouvernements de se dédouaner de la dimension terroriste de leurs propres politiques. Il est également un fervent défenseur de la liberté d’expression.
Très apprécié par l’extrême gauche, Noam Chomsky est soumis à de vives critiques de la part des libéraux et des partisans de la droite américaine. Il reste pourtant reconnu comme l’un des plus grands intellectuels vivants, ayant notamment reçu de nombreux diplômes honorifiques des plus grandes universités au monde.
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Synthèse de l’ouvrage
Chapitre 1. Tucson, Arizona
Le sud des États-Unis est marqué par une très forte immigration de populations en provenance des pays d’Amérique du Sud. Cette immigration, qui fuit une misère et une violence provoquée en grande partie par la politique étrangère américaine, est souvent refoulée ou maltraitée à la frontière. Cela n’a rien de bien surprenant lorsque l’on sait que les États-Unis ont bâti leur empire sur un génocide – celui des Autochtones – et sur l’esclavage, cela en toute connaissance de cause.
À l’origine de ces crimes, nous trouvons la même minorité de puissants qui ne se préoccupent que de leurs intérêts personnels. On compte parmi les victimes de leurs agissements les étrangers, mais aussi la population américaine qui subit les effets des politiques néolibérales imposées par les élites. L’affaiblissement des liens sociaux, la torpeur sociale, la concentration des richesses et les dysfonctionnements de la démocratie qui en découlent tendent à faire du monde un gigantesque réseau de ploutocraties.
Comme l’ont montré les économistes Lawrence Katz et Alan Krueger, 94 % de la croissance nette de l’emploi des États-Unis entre 2005 et 2015 était due à des contrats atypiques. Si l’on combine ce chiffre à celui des personnes ayant quitté le marché du travail, le véritable taux de chômage des États-Unis n’est pas de seulement 3 ou 4 %, mais de 11 %.
« La mondialisation néolibérale crée, partout dans le monde, une armée de réserve de travailleurs à la disposition des patrons. Ils peuvent s’en servir pour menacer de délocaliser la production s’il prenait l’envie aux travailleurs de faire valoir leurs droits. »
Ajoutons que, par rapport aux années 1970, soit depuis l’offensive néolibérale, la productivité au travail a doublé, tandis que les salaires ont baissé ou stagné. Comme l’explique Alan Greenspan, directeur de la FED de 1987 à 2006, la croissance américaine, des années 1980 jusqu’à la crise, reposait essentiellement sur la précarisation de l’emploi.
Ce type de politique crée un cercle vicieux : la concentration des richesses implique nécessairement une concentration des pouvoirs politiques entre les mains de ceux qu’Adam Smith, en son temps, qualifiait de « maîtres de l’humanité ». Il désignait par-là les marchands et fabricants anglais qui œuvraient pour défendre leurs intérêts au détriment du peuple et de leurs compatriotes. « Aujourd’hui, les maîtres de l’espèce humaine sont issus de la classe des investisseurs internationaux », qui détermine la ligne politique et veille à protéger ses intérêts, peu importe les conséquences pour autrui.
Ce flagrant état de corruption de notre société devrait faire l’objet de critiques acerbes de la part de ceux que l’on nomme « intellectuels ». Ce qualificatif, entré dans l’usage avec l’affaire Dreyfus, a malheureusement cessé de désigner « les dreyfusards », ceux qui, détestés des élites, remettaient en cause les institutions. L’Histoire est marquée par l’intervention de ce type de figure, celle d’hommes qui appelaient à s’élever contre les abus des puissants envers les pauvres et les misérables. Dans les récits bibliques, ils étaient nommés « prophètes », puis on les a nommés les « intellectuels ». Cependant, les intellectuels actuels sont loin de refléter cette image altruiste :
« chez nous, ces valeurs sont renversées. On est reconnu en tant qu’intellectuel à condition d’être un technocrate et de suivre le courant politique du moment. »
Il est honteux que, dans nos sociétés occidentales permissives, de soi-disant « intellectuels » joignent leurs voix aux dominants qui condamnent les plus faibles. La véritable noblesse devrait résider dans la dénonciation des dérives de nos sociétés, notamment dans des pays qui ne sont pas encore libres.
Chapitre 2. Impérialisme, guerre et causes des migrations
L’Empire américain est le plus puissant de l’histoire de l’humanité, mais, si l’on considère la conjoncture mondiale, cet empire est en déclin. Si certains pouvaient s’en réjouir, il ne faut pas oublier de se poser une question : « dans leur chute, les États-Unis d’Amérique ne risquent-ils pas de provoquer la destruction de toute forme de vie humaine organisée ? » Une chute totale de l’empire américain pourrait provoquer une guerre nucléaire. Si cette alternative peut être maîtrisée, le second risque qui pèse sur nos sociétés et dont la réalité et constamment niée par le parti républicain, à savoir le changement climatique, est beaucoup moins maîtrisable et beaucoup plus inquiétant.
Outre le danger environnemental, le gouvernement américain opère de nombreuses omissions historiques, souvent volontaires. Le meilleur exemple est celui de l’absence du génocide des Autochtones – dont la persécution se poursuit encore aujourd’hui – du programme d’histoire destiné aux jeunes Américains.
De même, en ce qui concerne le droit au port d’arme, une véritable manipulation de l’histoire a été opérée. Le deuxième amendement de la Constitution, qui consacre ce droit, avait initialement été adopté pour permettre de contrôler les esclaves, tuer les autochtones et se défendre d’une potentielle attaque britannique (les États-Unis n’ayant, à cette époque, pas d’armée constituée). Cependant, à la fin du XIXe siècle, le marché des armes était saturé et ne trouvait plus de demande. Voyant leurs ventes chuter, les producteurs d’armes lancèrent une gigantesque campagne de publicité destinée à montrer les armes sous « l’image romantique du combattant armé » :
« c’est la naissance du mythe du cow-boy solitaire à la conquête du Far West, de faux héros comme Buffalo Bill, et toute la camelote qui va avec. »
Le mandat de Barack Obama fut encore un autre mensonge. Le narratif de la première famille noire emménageant à la Maison-Blanche, bâtiment construit par des esclaves pour des Blancs, s’est rapidement estompé pour laisser place à la vérité. Sur le plan matériel et social, rien n’a changé. La situation des Afro-Américains s’est même dégradée avec la crise de 2008, dont ils furent les premières victimes. Sous l’administration Obama, les banques sont devenues plus riches que jamais, et rien n’a été fait pour ceux qui avaient tout perdu.
La domination et la manipulation par le gouvernement américain a été généralisée à l’ensemble de la planète depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les grands stratèges de la politique américaine ont compris que les États-Unis étaient en situation d’hégémonie et qu’il fallait défendre cette position. Georges Kennan, l’un des principaux architectes de l’impérialisme américain, l’écrit noir sur blanc dans le rapport Policy Planning Study Number 23 (PPS/23) : chaque partie du globe devait être divisée pour servir les intérêts américains. C’est la thèse de la « Grande Région ».
Kennan y écrit que le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est et l’Amérique latine devaient servir à l’approvisionnement du pays en matières premières. L’Europe, par le biais de l’Allemagne, et l’Asie du Nord-Est, par le biais du Japon, devaient être des centres industriels au service des États-Unis. Et l’Afrique, jugée inutile, pouvait être abandonnée aux Européens pour les aider à reconstruire le vieux continent.
Pour sécuriser cette « Grande Région », il fallait nécessairement éliminer la moindre velléité indépendante des pays en question. Le prétexte fut la lutte contre le communisme, c’est-à-dire contre la « philosophie du nouveau nationalisme visant une plus large distribution des richesses et une amélioration du niveau de vie des masses ». L’Amérique-Latine, particulièrement, fit les frais de cette politique :
« Les Latino-Américains étaient convaincus que les premiers bénéficiaires du développement économique d’un pays devaient être ses propres citoyens. [Mais,] les États-Unis voyaient les choses autrement. »
Le « virus » nationaliste doit impérativement être éliminé avant qu’il ne contamine ses voisins et ne mette à mal les investissements américains. Le pays contaminé doit également être « vacciné » – ce qui se traduit par l’instauration d’une dictature brutale américanoservile. À cet égard, le Vietnam n’a pas été entièrement détruit, mais suffisamment mis à mal pour éviter toute menace d’un développement indépendant du pays et le renversement du régime favorable aux États-Unis.
Le déclin américain doit être relativisé. Si depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la part du PIB des États-Unis dans le PIB mondial a chuté de 50 % à 25 %, la part des entreprises américaines dans la richesse mondiale n’a pas bougé. Les « maîtres de l’humanité » sont toujours aussi puissants, mais ils ont troqué leurs activités de commerçants et fabricants pour celles des multinationales, contrôlant les chaînes d’approvisionnement complexe qui sillonnent la planète.
Chapitre 3. Donald Trump et le « monde libre »
Pour bien comprendre la menace que représente Trump pour le monde, il faut rappeler que les dirigeants du parti républicain sont ouvertement climatosceptiques. La moitié des électeurs républicains considère que le réchauffement de la planète est une fiction.
En somme, « non seulement l’État le plus puissant de l’histoire ne se préoccupe pas du tout des menaces qui pèsent sur notre existence, mais il accélère le processus de destruction. Tout cela pour que de l’argent tombe dans des poches déjà trop pleines. »

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