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L'histoire de Zaphira

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  • L'histoire de Zaphira

    C'est un extrait du livre Royaume d'Alger:


    Comme on n’a aucune Relation exacte de ce qui se passe actuellement dans la Barbarie, l’impression de ce livre pourra faire quelque plaisir aux personnes qui souhaitent de s’en instruire.

    J’avais composé ces Mémoires pour mon utilité particulière, et ils n’auraient jamais vu le jour, si des amis que je considère ne m’eussent conseillé de les donner au public. La guerre que les Provinces-Unies des Pays-bas ont avec la Régence d’Alger, fournit souvent la matière des conversations dans ce Pays. On parle des Algériens, mais on les connaît aussi peu que les nations les plus éloignées de notre continent.

    Je ne donne qu’un abrégé, ou pour mieux dire une idée de l’ancienneté de ce Royaume et de ses révolutions; je ne me suis attaché qu’à l’état de son gouvernement présent, en écrivant ce que j’ai vu, ce que j’ai appris sur les lieux, et ce que j’ai trouvé dans les mémoires que j’ai recueillis dans les maisons chrétiennes qui y sont établies.

    J’ai inséré dans cet ouvrage quelques aventures ou historiettes, qui ont du rapport aux sujets qui y sont traités. Il y en a dont j’ai été témoin, et d’autres de si fraîche date, et dont la vérité est si positivement affirmée par les habitants du pays, qu’on ne saurait les révoquer en doute, sans pousser trop loin l’incrédulité. Pour celle des amours d’Aroudj Barberousse avec la Princesse Zaphira, il y a peu de personnes qui la sache dans le pays même. Elle pourrait passer pour un roman, et je ne voudrais pas être garant de sa véracité. Je l’ai mise telle qu’on la traduite d’un manuscrit en Vélin, qui est entre les mains de Sidi Ahmed ben Haraam, marabout du territoire de Constantine, qui prétend descendre de la famille du Prince Arabe Selim Eutemi, mari de Zaphira
    Dernière modification par El-Magico, 12 août 2023, 18h30.

  • #2
    Partie 1

    Après la conquête d’Oran, l’armée d’Espagne gagna du terrain, et s'empara de Bougie et de plusieurs autres places avec beaucoup de rapidité.

    Les Algériens craignant le même sort pour leur ville et leur pays, appelèrent à leur secours Selim Eutemi, prince Arabe d’une grande réputation, et distingué par sa valeur. Il vint avec plusieurs braves Arabes de la nombreuse nation qui lui était sumise dans la plaine de la Mutija ou Mostigie, et amena Zaphira sa femme, princesse douée de rares qualités,et un fils qui était âgé d’environ douze ans. Mais il ne put empêcher que la même année, Ferdinand, ayant envoyé une puissante armée navale et des troupes de débarquement, n’obligeât la ville d’Alger à lui faire hommage, et à se rendre tributaire.

    Les Algériens souffrirent même, que les Espagnols construisirent un fort sur une île vis à vis de la ville, où ils mirent de l’artillerie, et une garnison pour les tenir en bride, et empêcher le départ et l’entrée des corsaires Algériens. Ils supportèrent avec tranquillité le joug fâcheux que les chrétiens leur avaient imposé, jusqu’en 1516 que Ferdinand étant mort, ils résolurent de le secouer. Pour y réussir, ils firent une députation à Aroudj Barberousse, corsaire mahométan, aussi fameux par sa fortune que par sa valeur, et natif de l’île de Lesbos, à présent Metelin dans l’archipel. Il était occupé à croiser avec une escadre de galères et de barques, lorsque des députés Algériens vinrent le prier de les délivrer du joug des Espagnols, et lui promirent une récompense proportionnée aux grands services qu’ils en attendaient: il leur répondit très favorablement, et tint sa parole.

    Ce corsaire envoya à Alger 18 galères et 30 barques sous les ordres de son lieutenant, et il marcha lui-même par terre avec tout ce qu’il put trouver de Turcs et de Maures affectionnés. Les Algériens furent transportés de joie en apprenant la diligence de Barberousse, qu’ils regardaient comme un foudre de guerre, et un homme invincible.

    Selim Eutemi, général d’Alger et tous les principaux de la ville furent le recevoir à près de deux journées. Ils lui rendirent des honneurs extraordinaires, l’amenèrent en triomphe dans Alger aux acclamations du peuple, et le logèrent dans le palais du prince Selim Eutemi, qui les reçut avec toute la distinction possible. Les troupes furent aussi traitées avec beaucoup d’amitié et de générosité; mais elle en abusèrent bientôt, le besoin qu’on avait d’elles leur ayant inspiré beaucoup de fierté. Le pirate Barberousse s’enfla aussi d’orgueil, et conçut le dessein de s’emparer d’Alger et de son territoire, et de s’en rendre souverain. Il le communiqua à son ministre et à ses principaux officiers,etil fut résolu dans son conseil particulier, qu’on garderait un secret inviolable, et qu’on ne se mettrait pas en peine de réprimer la licence des soldats Turcs. Ceux-ci firent d’abord les maîtres dans la ville et à la campagne, et maltraitèrent fort les bourgeois; et Barberousse était persuadé, que cette conduite donnerait lieu à des troubles dont il profiterait.

    Cependant le pirate, pour faire voir qu’il était de bonne foi, peu de temps après son arrivée, fit dresser une batterie de canons à la porte de la marine, vis à vis le fort des Espagnols construit sur une île éloignée d’environ 500 pas. Il le fit battre inutilement pendant un mois, parce que le canon était trop petit, et il remit son expédition à un autre temps.

    Selim Eutemi ne fut pas longtemps à s’apercevoir de la faute qu’il avait faite, d’appeler au secours d’Alger, le fier Barberousse qui ne faisait aucun cas de lui, et ne prenait jamais son avis. Les habitants traités avec autant de hauteur et de tyrannie par la soldatesque, reconnurent aussi le dessein du pirate, et le publièrent ouvertement.

    Barberousse se voyant découvert ne garda plus de mesures, et s’abandonnant à son naturel violent, ils résolut d’ôter la vie au prince Selim, de se faire proclamer roi par ses troupes, et reconnaître de gré ou de force par les habitants.

    Voici ce qui contribua à faire hâter l’exécution de cette barbare entreprise. Le pirate ayant été d’abord vivement touché de la beauté et du mérite de la princesse Zaphira, se servit inutilement de toutes sortes de voies de douceur pour se rendre maître de son coeur. Le mépris avec lequel Barberousse en fut reçu, alluma toute sa rage, et lui fit prendre la résolution d’acquérir Zaphira par un crime, dont son ambition avait commencé de lui inspirer. Il se flattait d’épouser la princesse dès qu’elle serait veuve, et qu’il serait souverain du pays. Comme Barberousse était un homme de fortune, né misérable, et dont l’origine était inconnue, il tirait beaucoup de vanité de ce projet; parce que Zaphira descendait des plus illustres Arabes, et que sa famille était alliée à tous les plus puissants cheikhs de ces nations. Il se flattait aussi, que par ce mariage il deviendrait respectable à ces nations Arabes, et qu’elles ne se ligueraient pas contre lui pour le chasser d’un pays, dont il aurait été l’usurpateur.

    Barberousse ne différa pas longtemps l’exécution de ce projet. Il avait observé que le prince Arabe restait ordinairement quelque temps seul dans son bain, avant la prière du midi. Comme Barberousse était logé dans son palais, il eut un jour la commodité d’y entrer sans être vu par le prince. Il le surprit nu et sans armes, et l’étrangla avec une serviette, sans lui donner le temps de se reconnaître.

    Le pirate sortit sur le champ, et rentra dans le bain peu après avec nombre de personnes qui l’accompagnaient, comme pour se baigner selon la coutume. Il affecta une surprise extraordinaire de la mort du prince. Il fit publier qu’il était tombé en faiblesse, selon toute apparence, et mort faute de secours; et il ordonna en même temps à ses troupes de prendre les armes.

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    • #3
      Partie 2

      Les habitants d’Alger ne se doutèrent point, que ce ne fût un coup du perfide Barberousse. Chacun d’eux craignant le même sort, ils s’enfermèrent dans leurs maisons, abandonnant la ville aux soldats Turcs, qui profitèrent de cette occasion pour s’en rendre entièrement maîtres. Ils conduisirent Barberousse à cheval et en grande pompe par toute la ville, et le proclamèrent roi d’Alger, en criant: «Vive Aroudj Barberousse l’invincible roi d’Alger, que Dieu a choisi pour gouverner son peuple et le délivrer de l’oppression des chrétiens. Malheur à ceux qui refuseront de lui obéir comme à leur légitime souverain ». Après avoir jeté la terreur et l’épouvante parmi les bourgeois, qui s’attendaient à quelque massacre, ils placèrent Barberousse sur le siège royal dans le palais du prince Selim, environné de gardes bien armés. Les troupes se répandirent dans les principales maisons des habitants, pour leur faire part de ce qui se passait, et les prier fort honnêtement de la part du nouveau roi de lui aller rendre hommage, et de lui prêter serment de fidélité; on leur promettait beaucoup d’égards et d’avantages de cette démarche, s’ils la faisaient de bonne grâce. Ces bourgeois craignant d’être immolés à la cruauté de Barberousse s’y laissèrent conduire. Il les combla de belles paroles, de promesses et de témoignages d’amitié, et leur fit prêter serment, et signer l’acte de son couronnement.

      Ensuite les officiers de Barberousse accompagnés de soldats, menèrent avec eux les principaux bourgeois, et furent de maison en maison exhorter les autres habitants à faire la même démarche, et ils se rendirent sans résistance. L’usurpateur fit ensuite publier par un crieur public son couronnement et les promesses qu’il faisait à son peuple de bien le traiter, et de le défendre contre les chrétiens et tous ses autres ennemis. Il fit un règlement pour l’ordre et la discipline, qui ne fut pas observé. Il ordonna que tous les habitants sortiraient de leurs maisons et vaqueraient à leurs affaires comme auparavant, sans crainte d’être inquiétés; il leur faisait espérer au contraire sa protection comme à ses sujets et à ses enfants.

      Le fils du prince Selim, encore jeune, craignant pour lui-même le sort de son père, prit la fuite secrètement avec l’aide d’un Arabe officier de sa maison, et d’un esclave affectionné. Il se réfugia à Oran sous la protection de l’Espagne, et sur la parole du marquis de Comarez gouverneur de cette place, qui le reçut avec honneur, et le traita avec beaucoup de distinction.

      Barberousse ayant été déclaré roi, et reconnu de gré ou de force, fit réparer les fortifications de l’Alcaçave, y plaça beaucoup d’artillerie avec une bonne garnison Turque, et y fit battre la monnaie en son nom.

      Le peuple ne resta pas longtemps sans ressentir le poids de la tyrannie,et de l’oppression de son nouveau roi.

      Ce prince fit étrangler tous ceux qu’il soupçonnait d’être ses ennemis, ou pour mieux dire, tous ceux qu’il craignait; car ils étaient tous ses ennemis. Il s’empara de leurs biens, et exigea des amendes considérables de tous ceux qui avaient de l’argent. On conçut tant d’horreur pour lui et pour ses soldats, que lorsqu’il sortait pour se faire voir en public, tous les habitants se cachaient et fermaient les portes de leurs maisons.

      Pendant que la désolation régnait dans Alger, la princesse Zaphira devenue la proie d’un perfide, fit éclater sa constance et sa vertu, et se fit admirer malgré les rigueurs du sort qui l’accablait. De souveraine qu’elle était, elle se vit sujette et esclave du meurtrier de son mari, et de l’usurpateur du royaume. La douleur que son état lui causait, et le souvenir des déclarations de tendresse que Barberousse avait osé lui faire, lui donnaient lieu d’appréhender que ce tyran qu’elle avait traité avec mépris, ne voulut s’en venger, et user à son égard de tout son pouvoir. Ces frayeurs troublèrent son esprit: elle devint furieuse, et s’armant d’un poignard, elle résolut de le plonger dans le sein du tyran, ou de se tuer elle-même, si elle manquait son coup. Mais ses fidèles compagnes s’opposant à son dessein, la désarmèrent et l’enfermèrent jusqu’à ce que la douleur, et l’agitation où l’avaient mise ses malheurs, furent un peu calmées.

      Barberousse de son côté toujours amoureux de l’infortunée princesse, ne douta point qu’il ne fût maître de l’épouser, après que la douleur, disait-il, et la bienséance auraient joué leur rôle, et résolût de donner tout le temps nécessaire à l’une et à l’autre. Il ne parut pas devant la princesse, et ne lui envoya aucun compliment de condoléances, pour ne pas l’irriter. Il ordonna seulement dans son palais, qu’on lui fournit tout ce qui serait nécessaire ou qu’elle pourrait désirer; et sous prétexte qu’elle fût mieux servie, il lui fit présent de deux belles esclaves, qui avaient ordre d’informer le tyran de tout ce qui se passerait dans l’appartement de cette veuve affligée. Zaphira revint bientôt de son trouble, et sa fureur se changea en une douleur muette et tranquille, qu’elle sentait plus vivement que la première. Elle donna encore quelques jours à ses larmes et à ses regrets; et étant revenue peu à peu à elle-même, elle fit les réflexions convenables à son état. Elle considéra qu’il n’y avait plus de remède à son malheur; que Barberousse était trop puissant pour combattre son parti, et pour pouvoir venger sur lui la mort du prince Selim Eutemi: et après avoir consulté parmi les femmes de sa suite; celles qui étaient les plus raisonnables et les plus fidèles, elle résolut de faire ses efforts pour obtenir du tyran la liberté de retourner dans son pays avec sa suite.

      Barberousse agité de pensées bien différentes, ayant appris que Zaphira se portait beaucoup mieux, prit cette occasion pour lui écrire, n’osant paraître devant elle, sans l’avoir adoucie par quelque endroit. Il lui envoya la lettre, dont voici la traduction.

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      • #4
        Partie 3

        AROUDJ BARBEROUSSE, Roi d’Alger, à la princesse ZAPHIRA.

        « Belle Zaphira, image du soleil, et plus belle par tes rares qualités que par l’éclat radieux qui environne ta personne, le plus fier et le plus heureux conquérants du monde, à qui tout cède, ne cède qu’à toi et est devenu ton esclave. Je suis extrêmement touché de ton affliction et de tes malheurs; mais mon coeur ressent encore plus vivement l’effet de tes charmes, qui seraient dignes de l’attention de notre grand prophète, s’il revenait sur la terre. J’ai une joie inexprimable de ce que tu as persisté au torrent d’affliction, qui semblait devoir te faire succomber, et de ce qu’on me donne espérance d’un prompt rétablissement de ta santé.

        J’en loue Dieu seul et tout puissant, par lequel tout est réglé de toute éternité. Adore ses décrets et ne l’irrite point par un excès de douleur, puisqu’il est le maître de la vie des hommes, et que ce qu’il a ordonné depuis le commencement qui n’a point de commencement, doit arriver, soit le bien, soit le mal. Ne crains pas que j’use de mon droit de souveraineté pour te forcer d’être à moi; mais je te conseille de me donner ton coeur de bonne grâce. Ton sort, belle Zaphira, fera envie à toutes les femmes du monde. Tu règneras, non comme tu as fait, mais en véritable souveraine de ton roi et de tes sujets, avec une autorité pleine et absolue.

        J’espère qu’en peu de temps, ma valeur secondée par mes invincibles troupes, mettra toute l’Afrique à tes pieds. En attendant ce glorieux sort, sois maîtresse dans mon palais, fais, défais, tout sera bon venant de ta part: et malheur à ceux ou à celles qui auront l’insolence de te désobéir; et qui ne ramperont pas en baisant la poussière de tes pieds, après l’auguste commandement que j’en fais à tous mes sujets. »

        Une des esclaves de Barberousse avait donné à la princesse fut chargée de lui rendre cette lettre, et de la prévenir en lui représentant la tendresse du roi, et le sort glorieux qui l’attendait si elle savait en profiter. Ces discours et la vue d’une lettre du meurtrier de son mari, jetèrent cette princesse infortunée dans son premier trouble. Elle ne répondit que par des larmes et des soupirs, et fut pendant quelques temps dans l’incertitude, si elle devait recevoir cette lettre. Elle la prit pourtant, et s’étant enfermée avec ses plus fidèles suivantes pour délibérer sur la conduite qu’elle devait tenir, on lui conseilla se ménager le tyran, et de lire sa lettre. Quel fut son désespoir, lorsqu’elle l’eut lue ! Peu s’en fallut qu’elle n’expirât de douleur. Elle ne revint à elle-même que par l’espérance, que lui donneront ses fidèles compagnes, qu’elle pourrait revoir avec elles sa chère patrie, en dissimulant sa haine pour Barberousse.Après avoir fait de sérieuses réflexions, elle répondit en ces termes à Barberousse.

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        • #5
          Partie 4

          L’infortunée ZAPHIRA, au Roi d’Alger.

          « Seigneur, tout autre que moi, plus sensible à la gloire, à la grandeur, et aux richesses, qu’à la réputation qui est la véritable gloire, la suprême grandeur et la plus grande richesse, s’estimerait heureuse de se donner à toi, et de partager l’éclatante fortune que tu m’offres si généreusement.

          Je ne puis l’accepter, sans me rendre à jamais un objet d’horreur et d’abomination à tous les vrais croyants. Permets, seigneur, que je te représente, que mon époux a péri depuis peu d’une mort violente, comme tous ceux qui ont vu son respectable cadavre ont été convaincus. A peine était-il expiré; que tu t’es emparé de la ville par la force: tes soldats ont commis des cruautés qui font frémir.

          Ils ont tué, violé et se sont tout approprié. Enfin tu règnes par la force, n’ayant ou régner autrement, et toutes tes violences ont persuadé le public, que tu es coupable de la mort de mon époux. Si je me donne à toi, n’aurait on pas raison de dire, que je suis aussi complice de ce crime, et que de concert nous lui avons donné la mort pour nous unir et régner ensemble ? Pour moi, seigneur, je ne te crois pas capable d’un tel crime,mais ce n’est pas assez. Je ne puis vivre, si je ne prouve que je suis innocente; ni les supplices, ni la mort n’ont rien d’assez effrayant pour me faire changer de sentiment. Il faut que je me justifie, seigneur, et il est de ta grandeur de me laisser pour cet effet la maîtresse de ma conduite pour ton honneur et pour ta justification. Il est naturel de vouloir régner quand on le peut; mais pour faire voir que tu ne veux pas régner par un crime si énorme, que celui d’avoir ôté la vie et le royaume à un prince qui t’avait reçu dans sa maison comme son frère, pour lui aider à conserver l’une et l’autre, et pour convaincre le public que je suis pure et innocente comme un agneau que sa mère allaite, fais un grand et généreux effort sur toi, s’il est vrai que tu aimes l’infortunée Zaphira.

          Donne moi la liberté d’aller dans la plaine de Mitidja avec mes femmes et mes esclaves, pour mêler mes regrets avec les leurs. Dans un si grand malheur permets que je tâche de me consoler avec ceux qui m’ont donné la vie, après Dieu seul et tout puissant; et laisse moi donner carrière en liberté à mes justes et innocentes larmes. Je te le demande, seigneur, au nom du maître de l’univers, à qui rien n’est caché, qui ordonne la pratique de la vertu, la droiture et la générosité, et qui est ennemi de tout mal. Puisse le Saint prophète, son bien-aimé Mahomet, t’inspirer de m’accorder ce que je te demande, et te guérir d’une passion qui me rendrait trop criminelle, si je la favorisais, et qui ne pourrait avoir que des suites funestes. »

          La même esclave qui avait porté à Zaphira la lettre du roi, remit entre ses mains celle de la princesse. Il sentit en la lisant mille remords; et ne pouvant sans injustice condamner les sentiments de Zaphira, il résolut d’attendre du temps qu’il désirait avec tant d’ardeur. Plus elle témoignait de fermeté et faisait paraître sa vertu, plus il en était épris. Comme il trouvait dans cette veuve une illustre naissance, de la beauté, beaucoup de grandeur d’âme, et toutes les bonnes qualités et les vertus rassemblées dans sa personne, il jugea à propos d’employer les voies de la douceur pour se l’acquérir, sans user d’aucune violence. Il laissa la princesse à ses réflexions pendant quelques temps, après quoi il lui écrivit de la manière suivante.

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          • #6
            Partie 5

            Le Roi d’Alger à la princesse ZAPHIRA.

            « Incomparable Zaphira, j’ai frémi d’horreur en lisant dans ta lettre écrite de ta précieuse main, qu’on me soupçonnait d’être le meurtrier du prince Selim. Dieu seul le sait, et puis que ce faux bruit t’empêche de te donner à moi, je ferai si bien que je m’en laverai, m’en dût-il coûter mon royaume. Il y va de ma gloire et de mon bonheur: et s’il est nécessaire, je ferai couler un torrent de sang innocent pour découvrir le coupable. Je vais ordonner qu’on le cherche, et malheur à lui et à tous ces complices s’il en a eu. Je me suis emparé du royaume, il est vrai, belle Zaphira, après la mort du prince Selim, n’y ayant point de souverain plus légitime que moi; tout le pays était exposé à devenir la conquête des chrétiens, sans mon courage, et les troupes que j’ai amenées à mes dépends. Je me flatte qu’avec le temps tu me croiras aussi innocent que je t’ai paru criminel; et que tu te résoudras à jouir d’une gloire éclatante, et à être adorée de tes sujets, comme je t’adore ».

            Pour venir à bout de son dessein et faire cesser le soupçon de son crime, ou plutôt afin d’ôter à la princesse tout prétexte de na pas l’épouser, Barberousse communiqua la même jour, tout ce qui se passait entre Zaphira et lui à Ramadan Choulak son vieux ministre, qui avait perdu un bras à son service, et qui lui avait aidé à se défaire du prince Selim et à se rendre maître d’Alger. Il dit à ce confi- dent, qu’il fallait lui trouver quelques victimes pour laver et satisfaire à la princesse, et ils convinrent de la scène tragique qui se passa bientôt à ce sujet.

            Ramadan fit publier par un crieur public, que le roi ayant appris que le prince Selim avait péri de mort violente, et qu’il était injustement accusé d’en être l’auteur, il était commandé à celui ou ceux qui connaîtraient ou soupçonneraient le meurtrier et les complices de les déclarer, à peine de la mort la plus cruelle pour ceux qui les connaissant ou en ayant soupçon, les cèleraient et qu’on donnerait un récompense considérable en or ou en argent aux délateurs. Il parut bientôt un accusateur gagné à cet effet, disant qu’en Arabe serviteur du Prince Selim, lui avait déclaré avant sa fuite, les complices qui étaient au nombre de trente;etqu’il avait ajouté qu’ils s’étaient promis de souffrir la mort plutôt que de révéler le secret, si Barberousse n’avait pas eu le dessus; mais qu’étant maintenant le maître, ils n’avaient rien à craindre quand même on le saurait.

            Ce misérable, qui avait été au service du prince, reçut en or la récompense, et en même temps le roi lui fit arracher la langue, sous prétexte qu’il ne l’avait pas déclaré plus tôt, mais en effet afin qu’il ne peur révéler la trahison. On fit venir devant lui les trente prétendus complices, qui étaient les plus mauvais soldats des troupes de Barberousse, qui avaient aussi été gagnés. Ramadan les avait fait consentir, pour sauver l’honneur du roi, d’avouer publiquement qu’ils étaient complices.

            Il leur promit que quoi qu’on les fit mettre en prison avec grand bruit et pour la forme, on les ferait sauver, et qu’on les comblerait de biens, pour aller vivre à leur aise en Egypte d’où ils étaient originaires. Sur cette promesse, ces misérables s’avouèrent complices dans les interrogatoires; et dans le moment des Chiaoux postés à cet effet, les saisirent et les étranglèrent. Il y en eut un parmi eux, qui pour se venger de Ramadan qui les trahissait, ou gagné par le roi dont il espérait sa grâce, cria tout haut avant d’être saisi, que c’était par ordre de Ramadan que le prince Selim avait été étouffé. Barberousse ordonna en même temps qu’on étranglât Ramadan, qui fut exécuté sans avoir le loisir de se reconnaître, de se reconnaître, de même que son accusateur.

            Ainsi ce malheureux ministre, confident du crime de l’usurpateur, subit la peine que méritaient se mauvais conseils; et Barberousse, sur qui les remords semblaient ne faire plus aucune impression, crut que rien ne s’opposerait plus à la conquête du coeur de la princesse. Pour faire éclater davantage sa prétendue justice, il fit attacher les têtes de tous ceux qui avaient été étranglés, aux murailles de son palais,ettraîner leurs corps ignominieusement hors la ville, et fit courir là-dessus tel bruit qu’il jugea à propos pour sa justification.

            Les habitants d’Alger furent extrêmement surpris, que le tyran eût fait mourir son ministre et son plus cher confident, pour se laver d’un crime qu’on lui imputait, et cet acte prétendu de justice, sembla désabuser le public. Il n’y eut que Zaphira, qui pleine de jugement et de pénétration, ne donna point dans ce piège. Elle prit une ferme résolution de mourir plutôt, que de devenir l’épouse d’un tyran qui lui était en horreur.

            Barberousse tout glorieux de cette cruelle expédition, écrivit ainsi à la princesse.

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            • #7
              Partie 6

              Le Roi d’Alger, à la princesse ZAPHIRA.

              « Me voilà lavé, belle et incomparable Zaphira, du crime affreux qu’on a osé m’imputer.

              J’ai fait mourir les complices qui l’ont eux-mêmes avoué. Leur prompt aveu a épargné bien du sang, car j’aurais plutôt fait périr tous mes sujets, que de ne pas satisfaire à mon honneur et à tes scrupules.

              Rien ne peut à présent t’empêcher de me donner la main. Hâte toi de régner avec plus d’éclat et d’empire que tu n’as fait, et tâche de redonner par moi à tes illustres aïeux, les vastes pays qu’ils avaient conquis par leur courage et la force de leurs armes ».

              La princesse qui s’attendait à de pareils discours, et qui s’était fortifiée dans la résolution de résister, répondit sur le champ.

              L’infortunée ZAPHIRA au Roi d’Alger.

              « Seigneur, mes scrupules n’ont point cessé par le trépas de ces misérables, qui viennent d’expirer par tes ordres. L’ombre de mon mari me poursuit.

              Elle m’est apparue en songe cette nuit, par ordre du Prophète, et m’a dit que tu avais immolé des victimes innocentes, excepté Ramadan, lâche conseiller de la mort du prince Selim. Ainsi, seigneur, pour ne pas te tromper, je dois te dire que j’accepterai plutôt la mort que ta main, et que je m’estimerai heureuse d’être bientôt délivrée de ma misérable vie, si tu veux m’y contraindre et agir en tyran. Mais si tu es véritablement juste, ne me retiens pas comme une esclave; au contraire ouvre moi à ma patrie avec toute sûreté, et accorde à mon illustre naissance et à mon rang la justice que je mérite. »

              Barberousse fut au désespoir des sentiments de la princesse. Il entra en fureur, et résolut d’employer toute sorte de moyens pour la réduire de gré ou de force. Elle s’attendait à une telle visite, en étant avertie par les esclaves que le roi avait mis auprès de cette princesse. Elle le vit entrer avec mépris, et lui dit d’un ton ferme, quoi qu’af- fligé: Eh bien seigneur, viens-tu m’annoncer la mort ? J’y suis préparée. Epargne toi la peine de vouloir me séduire par des promesses ou par des menaces. Elle serait inutile, et je te demande moimême la mort ou la liberté. C’est le seul moyen de me plaire; et puisque tu as été assez inhumain et assez perfide pour m’ôter mon mari et la gloire qui l’environnait, ce ne sera plus qu’un demi crime, de m’ôter la vie.

              Barberousse fut saisi de ce discours, prononcé avec toute la fierté d’une personne qui ne ménage plus rien, qu’il demeura pendant quelques temps confus, interdit et sans pouvoir proférer une seule parole: mais revenant à lui il employa les termes les plus doux pour apaiser la princesse. Ses soumissions ne servirent qu’à irriter Zaphira, qui pleine d’une noble et généreuse audace, l’accabla des reproches les plus sanglants, et lui fit perdre toute espérance de la gagner.

              La passion du tyran irrité n’eut plus de frein,et son amour se changeant en fureur, il accabla Zaphira d’injures et de menaces, et se retira en lui accordant encore vingt-quatre heures pour se résoudre à l’épouser.

              L’affligée princesse fut plus troublée par la hauteur avec laquelle son tyran lui avait parlé, que la crainte que ses mauvais traitements pouvaient lui inspirer. Elle jugea bien qu’il fallait absolument se rendre ou périr, et c’est sur ce sujet qu’elle eut un terrible combat à livrer à ses femmes, qui firent tout ce qu’elles purent pour la porter, au moins, à feindre pour gagner du temps; non seulement toute son éloquence fut inutile, mais encore, le courage et la ferme résolution de Zaphira leur firent changer de sentiment. Elles auraient toutes voulu mourir pour leur maîtresse, et il ne leur restait plus qu’un léger espoir de voir le tyran radouci.

              Cependant la princesse qui s’attendait à avoir une rude scènes à soutenir le lendemain, mit un poignard sous sa robe, et prépara une dose de violent poison, pour ne pas survivre à l’affront qu’elle craignait de Barberousse, ou pour le prévenir.

              Le roi qui avait pris une violente résolution de la posséder à quelque prix que ce fût, se rendit dans sa chambre le lendemain, à la même heure que le jour précédent. Avant que de se faire voir à la princesse, il fit appeler toutes ses femmes, sous quelque prétexte, et les ayant fait mettre sous clef, il entra et ferma la porte de la chambre où la princesse était assise, sur son sofa, les larmes aux yeux et le coeur pénétré de douleur. Barberousse employa encore la douceur pour la porter à se rendre; mais elle lui ayant répondu dans les termes que la rage et le désespoir sont capables d’inspirer à une femme outragée, il ne garda plus aucune mesure et se jeta sur elle pour s’en rendre maître. Cette héroïne se saisit du poignard qu’elle tenait prêt, et voulut le lui enfoncer dans le coeur. Mais le tyran ayant paré le coup, ne reçut qu’une blessure au bras dont-il fut fort irrité. Il la laissa un moment pour bander sa plaie, dans la résolution de s’en venger en se rendant maître de sa personne: mais comme il se préparait à faire entrer un de ses satellites, qui était de garde à la porte de la chambre, afin de désarmer Zaphira qu’il ne ménager plus que pour la déshonorer, elle avala le poison qu’elle avait préparé, et qui la fit expirer peu de temps après.

              Barberousse se vengea contre les femmes de la princesse, qu’il fit toutes étrangler. Il les fit enterrer secrètement avec leur maîtresse, et fit courir le bruit qu’elles s’étaient évadées de son insu et déguisées.

              Cependant les soldats de Barberousse, qui l’avaient fait roi, et qui faisaient sa force, et soutenaient sa puissance, s’abandonnaient au libertinage et vivaient avec toute sorte de licence. Ils maltraitaient les bourgeois et les chargeaient d’injures et de coups. Ils prenaient ce qui leur convenait dans les villes et à la campagne; et le malheureux peuple fut obligé d’abandonner les maisons de campagne et les jardins, parce que les Turcs les volaient et faisaient toute sorte d’outrages aux hommes, aux femmes et aux enfants.


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