Au nom de Marx et de Mahomet
 
Enquête sur les Moujahidine du Peuple d'Iran (MEK)
 
 
 
BRÛLÉ VIF
 
 
 
Résumé:
 
Pendant plus d'un an, l'auteur a enquêté sur les Moujahidine, se rendant en Irak, en Iran, en Allemagne et en Grande-Bretagne pour rencontrer les témoins de leur histoire.
 
Il a découvert un monde étrange où l'islamisme se mêle au marxisme, mis à jour des filiations remontant à Hassan As Sabbah, le maître de la secte des Assassins au XIème siècle. Plus étonnant encore, pénétrant dans l'intimité de l'Organisation (MEK), comme la désigne ses adeptes, il nous révèle les protections américaines dont jouissent les Moujahidine. Mieux, en France, il a percé à jour les relations qu'ils entretiennent avec une certaine extrême gauche toujours en mal de Révolution.
Surtout, l'auteur, s'interrogeant sur la nature des Moujahidine du peuple,(Mojahidine-e-Khalq), approfondit la réflexion sur le terrorisme et la manière de combattre ses affidés.
 
 
CHAPITRE 1
 
Immolations par le feu
 
Nous sommes le mercredi 18 juin 2003 à Paris. Rue Nélaton, dans le 15ème arrondissement, quelques dizaines d'individus manifestent devant les bureaux du ministère de l'Intérieur. Leur teint mat trahit leur origine orientale. Scandant des slogans indistincts, ils brandissent des drapeaux et de grandes photos d'une femme souriante. Sans s'en préoccuper, pour la plupart en civil, des fonctionnaires de police gravissent les marches du bâtiment pour se rendre à leur travail. Les montres vont afficher 9 heures 25 sur leur cadran. Il fait déjà chaud.
 
Soudain, un hurlement déchire l'air. Un peu plus loin, devant la ligne du métro aérien, une silhouette enveloppée de flammes se débat. Un homme court vers elle. Des policiers interviennent. Trop tard. Noirci, monstrueux, le corps gît sur le sol agité de soubresauts. Les manifestants connaissent la victime. Elle est iranienne. Du même pays qu'eux. Âgée de 42 ans, elle s'appelle Marzieh Babakhani. Elle voulait s'immoler par le feu pour obtenir la libération de la femme dont l'image flotte au-dessus de la petite foule assemblée, à quelques pas, devant le ministère de l'Intérieur.
Transportée d'urgence à l'hôpital Cochin, la blessée rendra l'âme dans la soirée.
 
A la mi-journée, une autre jeune femme, après s'être aspergée d'essence,
se transforme en torche humaine au même endroit. Elle répond au nom de Sedighieh Mohageri et comptait 38 printemps. Plus tard dans l'après-midi, Mohammad Vakili-Fard, un homme de 46 ans, répète le geste fatal. Une épidémie de suicides par le feu semble gagner la planète: le jour même, un homme à Bern; la veille et le lendemain, quatre à Londres; deux encore à Rome et un autre à Ottawa. Message sans ambiguïté, à chaque fois, pour se donner la mort, les victimes ont choisi la proximité d'une ambassade de France.
 
La cause de cette passion mortifère s'appelle Maryam Rajavi. Avec son mari, Massoud Rajavi, elle dirige les Moujahidine-e-Khalq, ou Moujahidine du Peuple, un mouvement d'opposition au régime islamiste au pouvoir en Iran. Les suicides ont pour objet d'obtenir la libération de Maryam, arrêtée par les autorités françaises. Le 17 juin aux aurores, le juge Jean-Louis Bruguière a lui-même conduit l'opération à la tête de plusieurs centaines de policiers. Ils ont effectué un raid sur la résidence des MEK, à Auvers-sur-Oise, dans la région parisienne. Près de deux cents Moujahidine ont été incarcérés avec Maryam.
 
Pour Pierre de Bousquet de Florian, le directeur de la DST, la décision prise par les autorités est justifiée. « Il y avait un danger pour notre pays et nos concitoyens,déclarait-il au cours d'un point de presse organisé le 18 juin, il était tout à fait temps d'intervenir. »
Ali Safavi, porte-parole des Moujahidine, qualifie « de complètement faux » les propos du patron de la DST.
 
 
En 22 ans de présence en France, clame-t-il, « toutes nos activités ont été pacifiques et respectueuses des lois européennes. »
L'élargissement de Maryam et de ses compagnons, le 3 juillet, semble donner raison à Ali Safavi. Certes, elle doit verser une caution de 80 000 euros et reste en examen, mais laisse-t-on en liberté un danger public, fût-ce contre rançon?
 
Il est vrai encore, on imagine mal l'égérie des Moujahidine dans la peau d'un chef de bande terroriste. Arrivant à Auvers-sur-Oise à sa sortie de la prison de Fleury-Mérogis, on la voit en tailleur et foulard roses répondre avec sollicitude aux ovations de ses partisans. Engageant sa réputation, Jean-Pierre Bequet, le maire socialiste d'Auvers vient même l'accueillir.
Ce n'est pas le seul soutien français de Maryam. Outre de nombreux députés et sénateurs de notre pays, elle compte parmi ses amis Danièle Mitterrand. A sa sortie de prison, dans le discours dédié à ses partisans, elle remercie les personnes qui sont intervenues en sa faveur. En premier lieu, la veuve du Président socialiste « qui a démontré la grandeur, la conscience et les plus nobles valeurs de la France et de la Résistance française... C'est comme si Madame Mitterrand avait amené ici avec elle le général De Gaulle, le chef de la Résistance contre le fascisme en France, et feu le président Mitterrand... » Image osée, tant l'on imagine mal De Gaulle et Mitterrand unis par un même sentiment. Mais comment ne pas se laisser séduire par tant de fraîcheur?
 
Cependant, tout n'est pas aussi rose que le tailleur de Maryam dans cette affaire. Au cours des perquisitions, les policiers ont saisi pour huit millions de dollars en billets. Les Moujahidine ne peuvent pas expliquer l'origine de cet argent. Et puis, il y a ces suicides par le feu.
 
Certes, depuis les locaux de la DST où on la tenait en garde à vue, Maryam a invité ses supporters à cesser ces immolations. Des actes par ailleurs dommageables pour son image de marque auprès de l'opinion française. Cependant, le synchronisme et l'ubiquité de ces sacrifices humains obligent à penser à l'existence d'un chef d'orchestre.
Les autorités françaises le pensent aussi. Confirmant leurs soupçons, dans la nuit du 20 au 21 juin, elles ont arrêté deux Iraniens. Des membres des Moujahidine. Elles les ont mis en examen pour « provocation au suicide.» Âgés de 47 et 51 ans, les deux hommes ont été filmés par une caméra de surveillance achetant huit litres d'essence dans un bidon. Ceci quelques dizaines de minutes avant l'immolation de Sedighieh Mohageri, la seconde victime de la rue Nélaton.
 
En ce mois de juin 2003, je n'avais qu'une vague connaissance de cette affaire. D'autres auraient pu susciter mon intérêt. Je sentais pourtant celle-là portée par des mystères étonnants pour l'Occident. Comme on choisit un roman réagissant à son titre ou à l'image de couverture, je décidai de consacrer quelque temps à une enquête sur les Moujahidine-e-Khalq.
					Enquête sur les Moujahidine du Peuple d'Iran (MEK)
BRÛLÉ VIF
Résumé:
Pendant plus d'un an, l'auteur a enquêté sur les Moujahidine, se rendant en Irak, en Iran, en Allemagne et en Grande-Bretagne pour rencontrer les témoins de leur histoire.
Il a découvert un monde étrange où l'islamisme se mêle au marxisme, mis à jour des filiations remontant à Hassan As Sabbah, le maître de la secte des Assassins au XIème siècle. Plus étonnant encore, pénétrant dans l'intimité de l'Organisation (MEK), comme la désigne ses adeptes, il nous révèle les protections américaines dont jouissent les Moujahidine. Mieux, en France, il a percé à jour les relations qu'ils entretiennent avec une certaine extrême gauche toujours en mal de Révolution.
Surtout, l'auteur, s'interrogeant sur la nature des Moujahidine du peuple,(Mojahidine-e-Khalq), approfondit la réflexion sur le terrorisme et la manière de combattre ses affidés.
CHAPITRE 1
Immolations par le feu
Nous sommes le mercredi 18 juin 2003 à Paris. Rue Nélaton, dans le 15ème arrondissement, quelques dizaines d'individus manifestent devant les bureaux du ministère de l'Intérieur. Leur teint mat trahit leur origine orientale. Scandant des slogans indistincts, ils brandissent des drapeaux et de grandes photos d'une femme souriante. Sans s'en préoccuper, pour la plupart en civil, des fonctionnaires de police gravissent les marches du bâtiment pour se rendre à leur travail. Les montres vont afficher 9 heures 25 sur leur cadran. Il fait déjà chaud.
Soudain, un hurlement déchire l'air. Un peu plus loin, devant la ligne du métro aérien, une silhouette enveloppée de flammes se débat. Un homme court vers elle. Des policiers interviennent. Trop tard. Noirci, monstrueux, le corps gît sur le sol agité de soubresauts. Les manifestants connaissent la victime. Elle est iranienne. Du même pays qu'eux. Âgée de 42 ans, elle s'appelle Marzieh Babakhani. Elle voulait s'immoler par le feu pour obtenir la libération de la femme dont l'image flotte au-dessus de la petite foule assemblée, à quelques pas, devant le ministère de l'Intérieur.
Transportée d'urgence à l'hôpital Cochin, la blessée rendra l'âme dans la soirée.
A la mi-journée, une autre jeune femme, après s'être aspergée d'essence,
se transforme en torche humaine au même endroit. Elle répond au nom de Sedighieh Mohageri et comptait 38 printemps. Plus tard dans l'après-midi, Mohammad Vakili-Fard, un homme de 46 ans, répète le geste fatal. Une épidémie de suicides par le feu semble gagner la planète: le jour même, un homme à Bern; la veille et le lendemain, quatre à Londres; deux encore à Rome et un autre à Ottawa. Message sans ambiguïté, à chaque fois, pour se donner la mort, les victimes ont choisi la proximité d'une ambassade de France.
La cause de cette passion mortifère s'appelle Maryam Rajavi. Avec son mari, Massoud Rajavi, elle dirige les Moujahidine-e-Khalq, ou Moujahidine du Peuple, un mouvement d'opposition au régime islamiste au pouvoir en Iran. Les suicides ont pour objet d'obtenir la libération de Maryam, arrêtée par les autorités françaises. Le 17 juin aux aurores, le juge Jean-Louis Bruguière a lui-même conduit l'opération à la tête de plusieurs centaines de policiers. Ils ont effectué un raid sur la résidence des MEK, à Auvers-sur-Oise, dans la région parisienne. Près de deux cents Moujahidine ont été incarcérés avec Maryam.
Pour Pierre de Bousquet de Florian, le directeur de la DST, la décision prise par les autorités est justifiée. « Il y avait un danger pour notre pays et nos concitoyens,déclarait-il au cours d'un point de presse organisé le 18 juin, il était tout à fait temps d'intervenir. »
Ali Safavi, porte-parole des Moujahidine, qualifie « de complètement faux » les propos du patron de la DST.
En 22 ans de présence en France, clame-t-il, « toutes nos activités ont été pacifiques et respectueuses des lois européennes. »
L'élargissement de Maryam et de ses compagnons, le 3 juillet, semble donner raison à Ali Safavi. Certes, elle doit verser une caution de 80 000 euros et reste en examen, mais laisse-t-on en liberté un danger public, fût-ce contre rançon?
Il est vrai encore, on imagine mal l'égérie des Moujahidine dans la peau d'un chef de bande terroriste. Arrivant à Auvers-sur-Oise à sa sortie de la prison de Fleury-Mérogis, on la voit en tailleur et foulard roses répondre avec sollicitude aux ovations de ses partisans. Engageant sa réputation, Jean-Pierre Bequet, le maire socialiste d'Auvers vient même l'accueillir.
Ce n'est pas le seul soutien français de Maryam. Outre de nombreux députés et sénateurs de notre pays, elle compte parmi ses amis Danièle Mitterrand. A sa sortie de prison, dans le discours dédié à ses partisans, elle remercie les personnes qui sont intervenues en sa faveur. En premier lieu, la veuve du Président socialiste « qui a démontré la grandeur, la conscience et les plus nobles valeurs de la France et de la Résistance française... C'est comme si Madame Mitterrand avait amené ici avec elle le général De Gaulle, le chef de la Résistance contre le fascisme en France, et feu le président Mitterrand... » Image osée, tant l'on imagine mal De Gaulle et Mitterrand unis par un même sentiment. Mais comment ne pas se laisser séduire par tant de fraîcheur?
Cependant, tout n'est pas aussi rose que le tailleur de Maryam dans cette affaire. Au cours des perquisitions, les policiers ont saisi pour huit millions de dollars en billets. Les Moujahidine ne peuvent pas expliquer l'origine de cet argent. Et puis, il y a ces suicides par le feu.
Certes, depuis les locaux de la DST où on la tenait en garde à vue, Maryam a invité ses supporters à cesser ces immolations. Des actes par ailleurs dommageables pour son image de marque auprès de l'opinion française. Cependant, le synchronisme et l'ubiquité de ces sacrifices humains obligent à penser à l'existence d'un chef d'orchestre.
Les autorités françaises le pensent aussi. Confirmant leurs soupçons, dans la nuit du 20 au 21 juin, elles ont arrêté deux Iraniens. Des membres des Moujahidine. Elles les ont mis en examen pour « provocation au suicide.» Âgés de 47 et 51 ans, les deux hommes ont été filmés par une caméra de surveillance achetant huit litres d'essence dans un bidon. Ceci quelques dizaines de minutes avant l'immolation de Sedighieh Mohageri, la seconde victime de la rue Nélaton.
En ce mois de juin 2003, je n'avais qu'une vague connaissance de cette affaire. D'autres auraient pu susciter mon intérêt. Je sentais pourtant celle-là portée par des mystères étonnants pour l'Occident. Comme on choisit un roman réagissant à son titre ou à l'image de couverture, je décidai de consacrer quelque temps à une enquête sur les Moujahidine-e-Khalq.



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