Dans La civilisation du poisson rouge. Petit traité sur marché de l’attention (2019), Bruno Patino s’efforce d’expliquer comment le libéralisme et la logique de marché, appliqués à l’univers numérique, ont fait émerger une nouvelle branche de l’économie, celle de l’attention.
Il met en évidence les rouages de l’addiction, laquelle constitue le support principal de la rentabilité des plateformes sur Internet. Tout en diminuant les potentialités de l’être humain d’un point de vue psychologique et cognitif, le réduisant à l’état de poisson rouge, Internet met également en péril le débat public. Face à la multiplicité des informations, il devient impossible de diffuser une narration unique de la réalité, élément essentiel de la cohésion d’une nation.
Ce qu’il faut retenir :
Le transfert des logiques du capitalisme économique au monde du numérique a entrainé une monétisation du temps d’attention dépensé par les utilisateurs sur les plateformes Internet. Les plateformes ont donc cherché à augmenter ce temps. Pour ce faire, elles se sont fondées sur les études de la psychologie comportementale pour adapter leurs méthodes en visant à maximiser le temps d’attention voire à le transformer en addiction.
L’impact intellectuel et psychologique est réel. Dès 30 minutes par jour passées sur les réseaux sociaux, des troubles mentaux et comportementaux médicalement reconnus commencent à apparaître. De plus, la capacité d’attention, à partir de la génération des Millenials, est désormais réduite à 9 secondes.
Un véritable combat se joue actuellement entre les médias peinant à dispenser la pensée commune à un large public et les réseaux d’Internet qui démultiplient les points de vue. Cet éclatement tend à fracturer la confiance et la cohésion nationale.
Différentes réformes du système numérique seraient envisageables pour renouer avec les potentialités émancipatoires qui prévalurent à la création d’Internet. Toutefois, les suggestions de l’auteur passent majoritairement par une régulation de l’exploitation économique du cyberespace, ce qui laisse présager de la difficulté leur mise en application.
Biographie de l’auteur
Bruno Patino (1955-) est diplômé de l’Institut de Sciences politiques de Paris et de l’ESSEC. Il est également docteur en sciences politiques.
Il poursuit une carrière dans le secteur éditorial et travaille notamment pour le groupe Hachette en tant que secrétaire général des éditions Hazan. Il rejoint par la suite le groupe Le Monde, puis Radio France et France Télévision, où il occupe le poste de directeur général des programmes, des antennes et des développements numériques. Il devient, en parallèle, maître de conférences à l’IEP de Paris à partir de 2007. En 2015, Bruno Patino rejoint le groupe Arte en tant que directeur éditorial et membre du Directoire. Il est depuis janvier 2021, le Président d’Arte GEIE (Arte France et Arte Allemagne).
Plan de l’ouvrage
Chapitre 1. 9 secondes
Chapitre 2. Addictions
Chapitre 3. Utopie
Chapitre 4. Repentance
Chapitre 5. La matrice
Chapitre 6. L’aiguillage
Chapitre 7. Un jour sans fin
Chapitre 8. Trop de réels tuent le réel
Chapitre 9. La kaléidoscope asymétrique
Chapitre 10. Le combat inégal de l’information
Chapitre 11. Combattre et guérir
Synthèse de l’ouvrage
Chapitre 1. 9 secondes
Alors que la cybernétique portait en elle la promesse de dépasser les limites de l’esprit grâce à la circulation émancipatrice des connaissances, du savoir et des informations, elle a eu pour effet, au contraire, d’atrophier les facultés humaines, spécialement la capacité d’attention.
Selon une étude menée par Google, la capacité d’attention de la génération des « Millenials », née avec l’apparition du numérique dans les années 1980 et 1990, est de 9 secondes. Celle d’un poisson rouge est de 8 secondes. En somme, les jeunes sont capables de se concentrer à peine plus longtemps qu’un poisson rouge. En conséquence, la production de supports et de contenus pour ces nouvelles générations s’est accélérée. Il s’agit de renouveler ce contenu continuellement afin de ne pas perdre leur attention. Cette dégradation de l’attention au contact du numérique nous fait entrer dans un cercle vicieux caractérisé par l’accélération et le renouvellement perpétuel de la réalité. En outre, parce qu’il est en principe précédé d’un temps de frustration, le sentiment de satisfaction s’efface, au profit de celui créé par l’addiction.
Chapitre 2. Addictions
Les firmes du numérique travaillent désormais pour créer un phénomène d’addiction chez les utilisateurs d’Internet. En 1938, une étude menée par le professeur Burrhus Frederic Skinner, de l’Université d’Harvard tentait de démontrer le caractère instinctif de ce phénomène. Travaillant sur des souris, il leur apprit à appuyer sur un bouton pour obtenir de la nourriture.
Dans un premier cas de figure, la quantité de nourriture donnée était variable : les souris obtenaient très peu ou beaucoup de nourritures. Dans un second cas de figure, la quantité de nourriture était identique. On observa que, dans le second cas, les souris n’appuyaient sur le bouton que pour se nourrir. En revanche, lorsque la quantité de nourriture distribuée était variable, les souris développaient une addiction, parce que, leur satisfaction n’était pas constante, elles appuyaient constamment sur le bouton. Autrement dit, lorsque la conséquence d’un acte est prévisible, le sujet exécute l’action normalement, pour répondre à un besoin. Mais, lorsque les conséquences de l’action sont aléatoires, le sujet développe une forme d’addiction à l’exécution de cette action.
Les firmes du numérique s’appuient sur d’autres aspects de la psychologie comportementale, qui soutiennent l’addiction. L’homme est par exemple victime de son « besoin de complétude », c’est-à-dire le fait de désirer achever ce qui s’apparente à une série d’actions (principe des séries télévisées). Ce comportement est appelé l’effet Zeigarnik. Également, on sait que lorsqu’une action présente le bon dosage de complexité et de simplicité, elle permet de s’extraire de la réalité (principe de Candy Crush), constituant un comportement addictif.
Cette addiction est à l’origine de véritables pathologies médicalement reconnues qui apparaissent par le biais de trois mécanismes : l’augmentation de la tolérance au numérique, l’impossibilité de réfréner les pulsions addictives et l’asservissement de sa vie aux plateformes numériques. Ces pathologies provoquent divers syndromes secondaires. Une forme d’anxiété peut découler, par exemple, de la recherche d’approbation lorsque l’on poste ou publie un événement sur les réseaux sociaux. Une schizophrénie des profils peut également se développer à mesure que l’individu bascule d’un profil à l’autre sur les réseaux sociaux. La peur d’être oublié, ou athazagoraphobie, peut conduire à consulter de façon compulsive les réseaux, en quête d’un signe (un like, un partage, etc.) de reconnaissance de sa propre existence.
Chapitre 3. Utopie
Le 8 février 1996, John Perry Barlow, le parolier d’un groupe de rock dénommé The Grateful Dead, rédigea la Déclaration d’Indépendance du cyberespace. Cette déclaration regroupait les revendications de la communauté des hackers et autres précurseurs du monde numérique. Pour ces derniers, le cyberespace était porteur d’une utopie : celle d’un monde sans État, ou d’un État sans frontière, hors de toute influence et de toute domination. L’interconnexion perpétuelle et infinie devait permettre, selon eux, d’accéder à la sagesse et à la connaissance universelle. Il s’agissait d’accéder à une totale liberté et égalité grâce à Internet.
John Perry Barlow s’inspirait de la philosophie de Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955). Ce dernier distinguait quatre stades d’évolution : géosphère, biosphère, noosphère (lorsque la pensée évolue vers une conscience universelle) et la christosphère (lorsque l’Homme et le monde ne font qu’un). Pour Barlow, la noosphère avait été atteinte grâce à Internet.
La réalité est bien différente. L’attention portée au réseau Internet s’est trouvée peu à peu accaparée par les intérêts économiques et la logique de marché de sorte que le développement de réseaux s’est éloigné de l’utopie attendue.
Chapitre 4. Repentance
Aujourd’hui, certaines personnalités manifestent clairement leur regret d’avoir contribué involontairement au dévoiement d’Internet. Les désaveux sont nombreux, qu’il s’agisse de la condamnation par Steve Jobs de l’utilisation des Ipads par des enfants, ou de la dénonciation par Tristan Harris des algorithmes de Facebook et Google, qui profitent de la vulnérabilité psychologique des utilisateurs.
L’exemple de la World Wide Web Foundation de Tim Berners Lee, le fondateur d’Internet, est lui aussi révélateur de l’écart séparant les attentes initiales, de ce qu’est devenu l’outil qu’il a conçu. Les motivations originelles de Tim Berners Lee se focalisaient principalement sur le partage des connaissances et l’organisation des savoirs. À cet effet, il créa tout d’abord Enquire Within Upon Everything (EWUE). Puis, en 1989, il s’appuya sur le réseau de la Défense Arpanet auquel il adjoint la fonctionnalité de réaliser des liens hypertextes. Il créa ainsi le World Wide Web à destination des chercheurs pour faciliter la mise en réseaux des travaux de recherche.
Le développement d’Internet s’inscrivait ainsi dans une volonté humaniste et démocratique. Mais, poursuivant des logiques économiques sous prétexte de liberté politique, le cyberespace a finalement été conquis et privatisé. Alors que l’objectif était une parfaite égalité entre individus, certains acteurs se transformèrent en prédateurs en quête de données personnelles, de contrôle et d’influence sur des utilisateurs impuissants. La fondation World Wide Web dénonce cette captation d’Internet par quelques entités, en particulier par les GAFAM, et appelle à reconquérir le cyberespace, territoire libre par nature.
Chapitre 5. La matrice
Le professeur B.J. Fogg est le directeur du Persuasive Technology Lab rattaché à l’université de Stanford. Il est spécialisé dans l’étude de l’impact et de l’influence de l’aspect extérieur des plateformes numériques sur la pensée et l’humain. Pour lui, la forme du message numérique est aussi puissante que le contenu. Son champ de recherche, la « captologie » tente de déterminer les moyens tactiles ou visuels par lesquels un ordinateur ou un autre outil numérique peut influencer la pensée et le comportement humain.
L’objectif de ces recherches est de trouver le moyen de monopoliser au maximum le temps d’attention, principal facteur de rentabilité et de pouvoir sur Internet. Pour ce faire, ce laboratoire se fonde sur les trois éléments constitutifs de la psychologie de l’adolescent : la motivation, l’habileté à réaliser l’action et l’élément déclencheur de l’action. La captation du temps de cerveau, non régulée, peut s’apparenter à une violation du cerveau ou « brain hacking ». Le temps d’attention ainsi capté est le nouvel « or noir » qui procure une capacité d’influence mais aussi de négociation immense à qui le détient et sait le raffiner. Pour les autorités, il s’agit de contrôler la population.
Alors que l’industrialisation était censée garantir la croissance du temps disponible pour les individus, le temps est aujourd’hui une denrée rare et précieuse dont la valeur marchande tend à augmenter. L’objectif des géants d’Internet consiste ainsi à capter le temps d’attention des individus et le vendre aux publicitaires et aux services numériques. Or, l’astuce réside dans la capacité de faire croire aux individus que ces outils doivent nous servir à faire gagner du temps.
Les plateformes excellent ainsi dans l’art de simuler, sous forme d’algorithmes, les conditions des déviances de l’Homme révélées par la psychologie comportementale. Ces algorithmes servent à maintenir le cerveau humain dans un état de veille et d’expectation permanent, ce qui permet de tirer avantage de l’attention des individus.
Il met en évidence les rouages de l’addiction, laquelle constitue le support principal de la rentabilité des plateformes sur Internet. Tout en diminuant les potentialités de l’être humain d’un point de vue psychologique et cognitif, le réduisant à l’état de poisson rouge, Internet met également en péril le débat public. Face à la multiplicité des informations, il devient impossible de diffuser une narration unique de la réalité, élément essentiel de la cohésion d’une nation.
Ce qu’il faut retenir :
Le transfert des logiques du capitalisme économique au monde du numérique a entrainé une monétisation du temps d’attention dépensé par les utilisateurs sur les plateformes Internet. Les plateformes ont donc cherché à augmenter ce temps. Pour ce faire, elles se sont fondées sur les études de la psychologie comportementale pour adapter leurs méthodes en visant à maximiser le temps d’attention voire à le transformer en addiction.
L’impact intellectuel et psychologique est réel. Dès 30 minutes par jour passées sur les réseaux sociaux, des troubles mentaux et comportementaux médicalement reconnus commencent à apparaître. De plus, la capacité d’attention, à partir de la génération des Millenials, est désormais réduite à 9 secondes.
Un véritable combat se joue actuellement entre les médias peinant à dispenser la pensée commune à un large public et les réseaux d’Internet qui démultiplient les points de vue. Cet éclatement tend à fracturer la confiance et la cohésion nationale.
Différentes réformes du système numérique seraient envisageables pour renouer avec les potentialités émancipatoires qui prévalurent à la création d’Internet. Toutefois, les suggestions de l’auteur passent majoritairement par une régulation de l’exploitation économique du cyberespace, ce qui laisse présager de la difficulté leur mise en application.
Biographie de l’auteur
Bruno Patino (1955-) est diplômé de l’Institut de Sciences politiques de Paris et de l’ESSEC. Il est également docteur en sciences politiques.
Il poursuit une carrière dans le secteur éditorial et travaille notamment pour le groupe Hachette en tant que secrétaire général des éditions Hazan. Il rejoint par la suite le groupe Le Monde, puis Radio France et France Télévision, où il occupe le poste de directeur général des programmes, des antennes et des développements numériques. Il devient, en parallèle, maître de conférences à l’IEP de Paris à partir de 2007. En 2015, Bruno Patino rejoint le groupe Arte en tant que directeur éditorial et membre du Directoire. Il est depuis janvier 2021, le Président d’Arte GEIE (Arte France et Arte Allemagne).
Plan de l’ouvrage
Chapitre 1. 9 secondes
Chapitre 2. Addictions
Chapitre 3. Utopie
Chapitre 4. Repentance
Chapitre 5. La matrice
Chapitre 6. L’aiguillage
Chapitre 7. Un jour sans fin
Chapitre 8. Trop de réels tuent le réel
Chapitre 9. La kaléidoscope asymétrique
Chapitre 10. Le combat inégal de l’information
Chapitre 11. Combattre et guérir
Synthèse de l’ouvrage
Chapitre 1. 9 secondes
Alors que la cybernétique portait en elle la promesse de dépasser les limites de l’esprit grâce à la circulation émancipatrice des connaissances, du savoir et des informations, elle a eu pour effet, au contraire, d’atrophier les facultés humaines, spécialement la capacité d’attention.
Selon une étude menée par Google, la capacité d’attention de la génération des « Millenials », née avec l’apparition du numérique dans les années 1980 et 1990, est de 9 secondes. Celle d’un poisson rouge est de 8 secondes. En somme, les jeunes sont capables de se concentrer à peine plus longtemps qu’un poisson rouge. En conséquence, la production de supports et de contenus pour ces nouvelles générations s’est accélérée. Il s’agit de renouveler ce contenu continuellement afin de ne pas perdre leur attention. Cette dégradation de l’attention au contact du numérique nous fait entrer dans un cercle vicieux caractérisé par l’accélération et le renouvellement perpétuel de la réalité. En outre, parce qu’il est en principe précédé d’un temps de frustration, le sentiment de satisfaction s’efface, au profit de celui créé par l’addiction.
Chapitre 2. Addictions
Les firmes du numérique travaillent désormais pour créer un phénomène d’addiction chez les utilisateurs d’Internet. En 1938, une étude menée par le professeur Burrhus Frederic Skinner, de l’Université d’Harvard tentait de démontrer le caractère instinctif de ce phénomène. Travaillant sur des souris, il leur apprit à appuyer sur un bouton pour obtenir de la nourriture.
Dans un premier cas de figure, la quantité de nourriture donnée était variable : les souris obtenaient très peu ou beaucoup de nourritures. Dans un second cas de figure, la quantité de nourriture était identique. On observa que, dans le second cas, les souris n’appuyaient sur le bouton que pour se nourrir. En revanche, lorsque la quantité de nourriture distribuée était variable, les souris développaient une addiction, parce que, leur satisfaction n’était pas constante, elles appuyaient constamment sur le bouton. Autrement dit, lorsque la conséquence d’un acte est prévisible, le sujet exécute l’action normalement, pour répondre à un besoin. Mais, lorsque les conséquences de l’action sont aléatoires, le sujet développe une forme d’addiction à l’exécution de cette action.
Les firmes du numérique s’appuient sur d’autres aspects de la psychologie comportementale, qui soutiennent l’addiction. L’homme est par exemple victime de son « besoin de complétude », c’est-à-dire le fait de désirer achever ce qui s’apparente à une série d’actions (principe des séries télévisées). Ce comportement est appelé l’effet Zeigarnik. Également, on sait que lorsqu’une action présente le bon dosage de complexité et de simplicité, elle permet de s’extraire de la réalité (principe de Candy Crush), constituant un comportement addictif.
Cette addiction est à l’origine de véritables pathologies médicalement reconnues qui apparaissent par le biais de trois mécanismes : l’augmentation de la tolérance au numérique, l’impossibilité de réfréner les pulsions addictives et l’asservissement de sa vie aux plateformes numériques. Ces pathologies provoquent divers syndromes secondaires. Une forme d’anxiété peut découler, par exemple, de la recherche d’approbation lorsque l’on poste ou publie un événement sur les réseaux sociaux. Une schizophrénie des profils peut également se développer à mesure que l’individu bascule d’un profil à l’autre sur les réseaux sociaux. La peur d’être oublié, ou athazagoraphobie, peut conduire à consulter de façon compulsive les réseaux, en quête d’un signe (un like, un partage, etc.) de reconnaissance de sa propre existence.
Chapitre 3. Utopie
Le 8 février 1996, John Perry Barlow, le parolier d’un groupe de rock dénommé The Grateful Dead, rédigea la Déclaration d’Indépendance du cyberespace. Cette déclaration regroupait les revendications de la communauté des hackers et autres précurseurs du monde numérique. Pour ces derniers, le cyberespace était porteur d’une utopie : celle d’un monde sans État, ou d’un État sans frontière, hors de toute influence et de toute domination. L’interconnexion perpétuelle et infinie devait permettre, selon eux, d’accéder à la sagesse et à la connaissance universelle. Il s’agissait d’accéder à une totale liberté et égalité grâce à Internet.
John Perry Barlow s’inspirait de la philosophie de Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955). Ce dernier distinguait quatre stades d’évolution : géosphère, biosphère, noosphère (lorsque la pensée évolue vers une conscience universelle) et la christosphère (lorsque l’Homme et le monde ne font qu’un). Pour Barlow, la noosphère avait été atteinte grâce à Internet.
La réalité est bien différente. L’attention portée au réseau Internet s’est trouvée peu à peu accaparée par les intérêts économiques et la logique de marché de sorte que le développement de réseaux s’est éloigné de l’utopie attendue.
Chapitre 4. Repentance
Aujourd’hui, certaines personnalités manifestent clairement leur regret d’avoir contribué involontairement au dévoiement d’Internet. Les désaveux sont nombreux, qu’il s’agisse de la condamnation par Steve Jobs de l’utilisation des Ipads par des enfants, ou de la dénonciation par Tristan Harris des algorithmes de Facebook et Google, qui profitent de la vulnérabilité psychologique des utilisateurs.
L’exemple de la World Wide Web Foundation de Tim Berners Lee, le fondateur d’Internet, est lui aussi révélateur de l’écart séparant les attentes initiales, de ce qu’est devenu l’outil qu’il a conçu. Les motivations originelles de Tim Berners Lee se focalisaient principalement sur le partage des connaissances et l’organisation des savoirs. À cet effet, il créa tout d’abord Enquire Within Upon Everything (EWUE). Puis, en 1989, il s’appuya sur le réseau de la Défense Arpanet auquel il adjoint la fonctionnalité de réaliser des liens hypertextes. Il créa ainsi le World Wide Web à destination des chercheurs pour faciliter la mise en réseaux des travaux de recherche.
Le développement d’Internet s’inscrivait ainsi dans une volonté humaniste et démocratique. Mais, poursuivant des logiques économiques sous prétexte de liberté politique, le cyberespace a finalement été conquis et privatisé. Alors que l’objectif était une parfaite égalité entre individus, certains acteurs se transformèrent en prédateurs en quête de données personnelles, de contrôle et d’influence sur des utilisateurs impuissants. La fondation World Wide Web dénonce cette captation d’Internet par quelques entités, en particulier par les GAFAM, et appelle à reconquérir le cyberespace, territoire libre par nature.
Chapitre 5. La matrice
Le professeur B.J. Fogg est le directeur du Persuasive Technology Lab rattaché à l’université de Stanford. Il est spécialisé dans l’étude de l’impact et de l’influence de l’aspect extérieur des plateformes numériques sur la pensée et l’humain. Pour lui, la forme du message numérique est aussi puissante que le contenu. Son champ de recherche, la « captologie » tente de déterminer les moyens tactiles ou visuels par lesquels un ordinateur ou un autre outil numérique peut influencer la pensée et le comportement humain.
L’objectif de ces recherches est de trouver le moyen de monopoliser au maximum le temps d’attention, principal facteur de rentabilité et de pouvoir sur Internet. Pour ce faire, ce laboratoire se fonde sur les trois éléments constitutifs de la psychologie de l’adolescent : la motivation, l’habileté à réaliser l’action et l’élément déclencheur de l’action. La captation du temps de cerveau, non régulée, peut s’apparenter à une violation du cerveau ou « brain hacking ». Le temps d’attention ainsi capté est le nouvel « or noir » qui procure une capacité d’influence mais aussi de négociation immense à qui le détient et sait le raffiner. Pour les autorités, il s’agit de contrôler la population.
Alors que l’industrialisation était censée garantir la croissance du temps disponible pour les individus, le temps est aujourd’hui une denrée rare et précieuse dont la valeur marchande tend à augmenter. L’objectif des géants d’Internet consiste ainsi à capter le temps d’attention des individus et le vendre aux publicitaires et aux services numériques. Or, l’astuce réside dans la capacité de faire croire aux individus que ces outils doivent nous servir à faire gagner du temps.
Les plateformes excellent ainsi dans l’art de simuler, sous forme d’algorithmes, les conditions des déviances de l’Homme révélées par la psychologie comportementale. Ces algorithmes servent à maintenir le cerveau humain dans un état de veille et d’expectation permanent, ce qui permet de tirer avantage de l’attention des individus.

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