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Algérie-France : la querelle de l’émir.-Kamel Daoud-

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  • Algérie-France : la querelle de l’émir.-Kamel Daoud-


    Emprisonné à Amboise entre 1848 et 1852, Abd el-Kader, figure controversée de l’histoire coloniale, est aujourd’hui l’enjeu d’une nouvelle guerre mémorielle entre la France et l’Algérie.

    Par Kamel Daoud


    Captif. Portrait photographique de l’émir Abd el-Kader en 1852, au château d’Amboise, par Gustave Le Gray.«Mais nous n’avons rien ! » s’exclame le directeur du château d’Amboise, pourtant soucieux de perpétuer les traces de l’émir Abd el-Kader à Amboise. L’homme qui nous accueille avec une grande disponibilité est perplexe face à cette accélération algérienne dans l’intérêt porté au joyau perché au-dessus de la Loire et abritant la tombe de Léonard de Vinci. Cela est vrai : ce bijou architectural est un « nombril » de l’histoire de France. Rois, dauphins, précepteurs et jardins à l’italienne : toute la culture monarchique française s’y retrouve brassée entre mariages et guerres. La séquence « émir Abd el-Kader », au milieu du XIXe siècle, vient s’imbriquer dans ce fleuve d’histoire, parallèle à la Loire. Aujourd’hui, l’Algérie souhaite réinvestir cette période pour des raisons différentes de celle de la France de Macron.

    En 1847, l’émir Abd el-Kader, sultan de l’Algérie, reçoit le sabre du général Lamoricière en guise d’entame des pourparlers de sa reddition. Le duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe et gouverneur général de l’Algérie, donne sa parole pour un transfert de l’émir vers une destination choisie : Alexandrie, Saint-Jean-d’Acre ou La Mecque, dit-on. Le voyage d’exil sur le bateau Asmodée finira cependant dans l’impasse et la parole trahie : les 61 hommes, 21 femmes et 15 enfants embarqueront à bord de ce navire et partiront pour Toulon. Après un long couloir de prisons temporaires, ils arriveront à destination au château d’Amboise, en 1848. La smala y perd des vies dans les dures conditions de déportation. C’est Napoléon III qui libère enfin l’émir en 1852 – scène immortalisé par le peintre Ange Tissier.

    L’émir reste dans la froidure de ce château pendant quatre ans. Aujourd’hui, cependant, la « parenthèse émir » demeure vide au château, bien que ses gestionnaires actuels veuillent en « meubler » le passage : vêtements ? épées ? livres ? Tout cela a été émietté dans la durée et les lieux : Paris, Turquie, Syrie. L’universalité de l’homme lui vaut une dispersion des traces. Pourtant, c’est ce que demande l’Algérie dans sa guerre imaginaire : elle a besoin d’objets fétichisés pour se sentir réelle.

    Remake permanent

    De quoi s’agit-il ? Il y a deux ans, après un déjeuner à l’Élysée, l’auteur de ces lignes avait proposé au président Macron l’idée de faire visiter le château d’Amboise au président algérien. À l’époque, la visite d’Abdelmadjid Tebboune apparaissait dans les agendas d’un énième réchauffement. On misait beaucoup sur cette dernière, dans le rêve d’accords d’Évian mémoriaux, mais sans avoir considéré suffisamment ce besoin de « rente mémorielle » en Algérie, qui consiste à faire de l’histoire commune et douloureuse entre l’ex-pays colonial et l’ex-pays colonisé un remake permanent au présent. L’annulation, par trois fois, de la visite en France du président Tebboune a fini par révéler le fond de l’affaire : avec une opinion algérienne remontée artificiellement contre la France pour obtenir l’union sacrée intérieure et distraire la population de son présent, la tournée présidentielle algérienne devenait de facto infaisable. Pour l’Algérie politique, il y a toujours plus à gagner en menant la guerre à la France, avec des épisodes d’hystéries médiatiques, qu’en construisant le présent.

    L’idée proposée par l’auteur au président Macron s’appuyait sur trois arguments : l’actuel président algérien n’a pas la « psychologie FLN », qui enferme l’Histoire dans la séquence quasi exclusive de la guerre 1954-1962. Le deuxième est que, en tant qu’homme du Sud, il est plus sensible à l’épopée des résistances algériennes du XIXe siècle qu’à la guerre du XXe. La dernière est que l’émir Abd el-Kader propose un cas unique de transcendance : homme de guerre, homme de paix, universel, mystique, voyageur, amoureux de la France. Il restitue la complexité humaine de la colonisation en lieu et place d’un manichéisme simpliste. Quoi de mieux pour recommencer l’Histoire « de zéro » qu’une réconciliation par l’Histoire ?

    Réparation contre restitution

    Le rapport Stora, intitulé « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » (janvier 2021), avait ouvert la voie : ce sont les spécialistes de la commission d’historiens mixte créée en 2022 qui garantiront les clés de la thérapie binationale. Une formule bien pensée qui se heurta d’abord à des tergiversations du côté algérien : on nomma en vis-à-vis un apparatchik de l’« Histoire » pour bien signifier le refus de cette commission mixte. Abdelmadjid Chikhi, patron des archives algériennes depuis des décennies, sera écarté après avoir expliqué, lors d’une conférence officielle, comment il fallait donner le statut de combattant contre la France à une cigogne « moudjahida ».

    Mais l’insistance macronienne réussit plus ou moins : la commission fut « revisitée » et, depuis peu, elle travaille. Elle fut installée en août 2022, lors de la signature de la « déclaration d’Alger » à l’occasion de la visite de Macron en Algérie. Du désert de contacts entre États aux visites reportées pour souffler sur les braises de la guerre imaginaire, du sentiment antifrançais nourri en Algérie à l’hystérisation de tout rapport entre officiels, les historiens obtiennent graduellement un quitus. Une première rencontre est organisée à Constantine en novembre 2023, la quatrième a eu lieu à Paris, le 25 janvier 2024. La commission devait être accueillie à Matignon, visiter des musées, des archives. L’Algérie « officielle », à un an d’une présidentielle floue (décembre 2024), voit les réunions d’historiens comme un signe de bonne volonté partagée et plaide pour une visite de « sacre » de Tebboune. Mais un malentendu est déjà perceptible : la partie française rêve de discussions sur l’histoire commune et de traitements sans influence politique. La partie algérienne, quant à elle, se voit prescrire une mission précise : compter les objets. Canons, épées, archives… À l’ambition de réparation on oppose discrètement celle de restitution.

    Le précédent de l’affaire des crânes de résistants algériens, rapportés en France au XIXe siècle et rendus à l’Algérie en juillet 2020, a ouvert la voie. Ces restes, recueillis dans le faste le jour de l’anniversaire de l’indépendance, à la mesure des déficits en légitimité interne, ont conduit à rêver d’une suite. Cela explique le langage publiquement belliqueux, maladroit pour la diplomatie algérienne traditionnelle, de l’actuel ministre algérien des Affaires étrangères. Répondant récemment à Al-Jazira, il opta pour le discours du chantage mémoriel : « Le président de la République devait se rendre au château d’Amboise, où était emprisonné l’émir Abd el-Kader […]. Pour la symbolique, on a demandé la restitution de l’épée et du burnous de l’émir, mais les autorités françaises ont refusé, arguant de la nécessité d’une loi. » Soudain, ce fut un autre objet qui se retrouva au centre des négociations : l’épée de l’émir. Laquelle ? Personne ne cherche à le savoir, ou même à l’identifier. En octobre 2023, c’est une dépêche de l’agence officielle algérienne qui précise pourtant que l’épée de l’émir a été récupérée par l’ambassade algérienne.


    Libéré. Le 16 octobre 1852, au château d’Amboise, l’émir Abd el-Kader (au centre) présente sa mère à Napoléon III, qui vient d’ordonner sa libération. (Copie d’après la peinture d’Ange Tissier, 1861.)

    Héros ou traître

    Ce que la partie française voit comme un retour sur l’Histoire, la partie algérienne le perçoit comme une continuation de la guerre. Le cas de l’épée constitue un symbole fort selon cette logique. Cependant, « il n’y a pas d’épée de l’émir. Il y a celles qui lui ont été offertes par des Français à l’époque, en cadeau », expliquent nos sources. Certains évoquent l’enjeu plus bilatéral qu’historique, en rappelant, par exemple, que l’importante archive des échanges épistolaires de l’émir, conservée en Turquie, ne fait pas l’objet, en Algérie, des mêmes batailles de restitution. « L’épée demeure tout un symbole faussé : l’émir était un homme de savoir et de manuscrits, un mystique et un combattant, mais on continue de le réduire à l’homme guerrier, l’homme de l’épée », indique un journaliste d’Alger. C’est la tendance « FLNisante » de l’histoire algérienne : le héros, c’est l’homme armé, pas l’homme savant. L’épée est donc au centre d’un imaginaire militaire, d’un récit politique exclusif. L’Histoire se réclame d’abord de ses objets perdus ou gagnés, comme dans une guerre. Le lien historique, dans sa douleur, est toujours réifié, à dessein d’usage politique interne. Ainsi, toute la dimension universelle de l’émir, son lien passionnel avec la France, sa complexité humaine se retrouvent évacués derrière le « litige » volontairement intensifié de l’épée et du burnous.

    Cet émir combattant de la France sert à dissimuler la figure d’un autre émir, celle d’un émir contesté en « interne ». Abd el-Kader n’est jamais évoqué en Algérie sans polémiques : on emprisonna un ancien député pour l’avoir accusé d’être un traître. Et, si les islamistes n’en pensent pas moins, ils le répètent rarement en public, stratégie oblige. Que reproche-t-on à cet homme ? Son adhésion présumée à la franc-maçonnerie, ses passions françaises, ses rentes financières françaises, l’acte de déposer des armes au lieu de mourir en martyr selon le récit exemplaire. Homme de paix ? Homme de guerre vaincu ? Français désormais ? Algérien exclusivement ? La figure convoque l’archétype algérien du traître et du héros : l’émir aurait trahi l’Algérie, mais l’agence officielle algérienne préfère, de nos jours, expliquer, pour ses besoins de propagande, que c’est le roi du Maroc. Pour près de 10 millions de dollars, un préfet à Oran a annoncé l’érection de la plus grande statue du monde, avec une épée en lumière laser pointant en direction de La Mecque : voilà un émir selon le goût national-islamiste de l’époque. Face à la polémique sur la dépense, l’héroïsme et la traîtrise, c’est le chef des armées algériennes qui apportera son soutien public au projet.

    Encore un échec pour l’approche historique française ? Peut-être pas : l’histoire franco-algérienne est réparable. Par la nécessité géographique et la maturité des deux côtés. Pour sa quatrième réunion en France, la commission a décidé de « poursuivre l’identification et la recension des cimetières, des tombes et des noms des détenus algériens du XIXe siècle décédés et enterrés en France ». Les historiens appellent à « valoriser ces lieux de mémoire par l’apposition de plaques commémoratives ». Le même geste est-il possible en Algérie ? Celle-ci peut-elle s’ouvrir à sa pluralité française, juive, espagnole refoulée ?

    Un universaliste, non un identitaire

    Dans le cas de l’émir, le traitement sélectif de l’héritage de l’émir n’aide pas les Algériens à penser l’impératif de l’« universel ». Dans ce pays, l’universel demeure synonyme de menace pour l’hypernationaliste identitaire et confessionnel. L’émir Abd el-Kader est un religieux, non un islamiste, un Français de passion autant qu’un Algérien de racines, un universaliste, non un identitaire, un guerrier humaniste, non un rentier de la mémoire. En France aussi, la figure est à revisiter, pour nourrir l’imaginaire des histoires plurielles de ce pays.

    Une partie de la délégation algérienne d’historiens devait visiter Amboise en février. Côté algérien, la quête mémorielle ne se préoccupe pas de donner un sens à la vie de cet homme unique mais se focalise seulement sur ses objets de guerre. La guerre imaginaire doit se poursuivre pour meubler le présent §
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    Kamel égal à lui-même, le parfait larbin.

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    • #3
      K .Daoud dans sa mégalomanie s'imagine à travers l'émir , il se décrit en fait lui-même ,de l'islamisme salafiste (ex militant du FIS ) au reniement complet de ses anciennes convictions et comme il est manichéen il va jusqu'à la trahison et la vente de son âme;qu'il confond avec universalisme (ce qui n'était pas le cas de l'émir ,lui était prisonnier , mystique et combattant pour la liberté) ...........Pauvre Daoud ,un jour comme certains, il viendra demander pardon au peuple algérien .............Ce sera trop tard !
      « Dans les dunes du Sahara, un homme devient le symbole de la résilience face à l'immensité. » – Albert Camus

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