Les Pieds-blancs est le deuxième tract de Marc-Édouard Nabe, imprimé le 24 octobre 2006. Il a pour thème la sortie du film Indigènes (de Rachid Bouchareb) et prolonge « Les Collabeurs » publié dans J’enfonce le clou (2004), chapitre qui avait déjà circulé, une fois scanné ou recopié par de nombreux admirateurs arabes, dans les banlieues, ce qui en faisait une sorte de préfiguration des tracts à venir. Dans Les Pieds-blancs, Nabe attaque le message patriotique du film de Bouchareb qui montre des Maghrébins (sous domination française) combattant pendant la Seconde Guerre mondiale sous l’uniforme français, avant de fustiger plus généralement les « Pieds-blancs », ces Français d’origine arabe ou africaine (Jamel Debbouze en tête, cible principale du tract) qui adoptent les positions occidentales dans les questions géopolitiques touchant au monde moyen-oriental dans le seul but de trouver chacun une place d’intégré dans la société française. Intégration factice qui n’est, selon Nabe, que le prolongement de la colonisation, et même de la décolonisation.
Le tract est évoqué dans Les Porcs (« Où l’on voit Yves et Salim se renifler le cul », pp. 374-377).
Illustration de Yves Loffredo : un jeune adepte du hip-hop, jogging-casquette-baskets-blanches, danse au son d’un gramophone installé sur une table, devant un colon casqué et botté qui le regarde assis sur sa chaise pliante.
Tract
Plus qu’un navet, une honte ! Grâce au film Indigènes, les Arabes de France vont pouvoir courber l’échine la tête haute. C’est l’histoire de quatre soldats algériens et marocains enrôlés dans l’armée française en 1943 et qui subissent les humiliations de leurs supérieurs, ce qui ne les empêche pas de servir la patrie pas du tout reconnaissante. Apothéose : le simple soldat qu’interprète Jamel Debbouze finit par se sacrifier pour tenter de sauver le gradé qui l’a brimé !...
Avec Indigènes, on est repassé de la France « Black Blanc Beur » à la bonne vieille Bleu Blanc Rouge. Il y avait longtemps qu’on n’avait vu une telle apologie de la soumission... Car c’est le message de ce film de guerre bourré de clichés : « Vous, fils d’immigrés qui voulez être français à part entière, glorifiez le bon vieux temps des colonies où vos pères étaient assez bêtes pour aller se faire tuer pour la mère patrie ! » Les tirailleurs sont tiraillés entre leur désir de révolte et leur attachement au colon qui les commande. Tout le monde est gentil : le caporal arabe, le sergent-chef pied-noir et son colonel métropolitain. À tous les échelons, les bons sentiments triomphent, dans la plus totale invraisemblance psychologique. Le problème, avec ce bel élan de solidarité entre l’esclave et son maître contre la barbarie, c’est que déjà, à l’époque, il avait tourné court... Spéculant sur l’ignorance historique des jeunes Beurs d’aujourd’hui, la production d’Indigènes se garde bien de révéler à son public que les Maghrébins, après avoir servi dans l’armée française, aux côtés des Pieds-Noirs, ces derniers les en ont remerciés en les exterminant par milliers le jour même (8 mai 1945) où ils prétendaient fêter la victoire comme les autres Français.
Si le metteur en scène avait eu des couilles, il aurait tourné la partie prévue sur les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata ! Rachid Bouchareb a supprimé cette séquence parce qu’il ne voulait pas finir sur une note trop hard qui eût choqué les Français suffisamment culpabilisés comme ça, et compromis les chances de vendre son western mou... Bouchareb promet de tourner la suite plus tard, mais en attendant, l’Algérie de Boutéflika a refusé à Jamel son visa ! Même traitement que pour son copain Enrico Macias... Les vendus ne sont pas les bienvenus dans le pays qu’ils font semblant de défendre et qu’ils salissent. Il y a peut-être un masochisme occidental, mais pas oriental !
C’est vrai que des indigènes engagés (souvent volontairement, les cons !) ont participé aux combats contre les nazis, mais comment soutenir sans rire que ce sont eux seuls qui ont « libéré » la France, l’Italie et la Corse (pourquoi pas la Normandie ?), comme les acteurs du film aiment à le clamer sur tous les plateaux-télé où on les voit bien serrés, en brochette de promo ? Ils vont bientôt affirmer que ce sont eux, les bras cassés, qui se sont coltinés l’Afrikakorps ! Contrairement à la légende que colporte le film, les troupes coloniales ne servaient pas plus de chair à canon que les autres. Malgré leur racisme, les colons ne se planquaient pas derrière leurs « bougnouls » pour monter au front. Le système colonial était fier de ses indigènes, mais pas au point de les envoyer en premières lignes !
Ah ! Il fallait la voir, à Cannes, l’équipe du film chanter cet hymne à la résignation qu’est Le chant des tirailleurs. Tous en smoking, fous de joie d’avoir reçu le prix collectif d’interprétation pour avoir accompli cette mauvaise action : redorer le prestige de la France qui a écrasé leurs pères... Ô pingouins de Tizi Ouzou !
- C’est nous les Africains / Qui revenons de loin / Nous venons des colonies / Pour sauver la patrie / (...) Car nous voulons porter haut et fier / Le beau drapeau de notre France entière / Et si quelqu’un venait à y toucher / Nous serions là pour mourir à ses pieds / (...) Et lorsque finira la guerre / Nous reviendrons dans nos gourbis / Le coeur joyeux et l’âme fière d’avoir libéré le pays !...
Savent-ils, ces rampouilles du show-biz, que c’est le chant préféré des fins de banquets du Front National, celui que les anciens de l’OAS s’amusent à gueuler entre deux Heili Heilo ! dans les arrière-salles des brasseries ? Oui ! En vantant les valeurs de la « Colo », les fils des Algériens torturés font le jeu du FN ! Déjà à l’époque c’était la honte de chanter ça aux côtés des colonisateurs de son pays, mais aujourd’hui, relancer ce cri d’esclaves ravis, est impardonnable ! On dirait que les trentenaires collabeurs regrettent de ne pas avoir vécu l’heureux temps de la colonisation...
Qu’ils se rassurent : ils en vivent un autre, celui de leur néo-colonisation, à eux, par l’industrie du cinéma occidentaliste. Eux aussi sont de bons soldats de la machine guerrière de démoralisation des troupes : il s’agit de montrer les Arabes comme des demeurés qui se battent pour trois tomates, ou qui servent comme de vraies petites soubrettes le café au lit du Blanc qui leur donne des coups de crosse de fusil dans le ventre... Jamais on ne verra un film où des Musulmans dignes de ce nom seront montrés en action dans un vrai combat pour l’indépendance, la liberté, l’honneur, la justice. C’est toujours : ou bien la dénonciation du terroriste, ou bien l’apologie du supplétif !
Évidemment on peut toujours trouver pire : dans l’Histoire d’Algérie, il n’y a pas eu que des Algériens engagés dans les troupes de leurs persécuteurs, il y a 60 ans. Il y en a eu aussi d’autres qui, au moment de la guerre d’indépendance, se sont rangés du côté des Français pour combattre leurs frères dans leur propre pays ! On les appelle des harkis, et ces deux sortes de jolis messieurs sont aujourd’hui représentés par les deux comiques les plus célèbres de leurs générations, qui n’hésitent pas à interpréter au cinéma et à la télévision les personnages les plus méprisables de leur peuple : un Indigène pour Jamel, et un Harki pour Smaïn... Il faut se rendre à l’évidence : en France, les comiques arabes finissent en tragiques larbins.
Le seul auteur que cite Jamel l’inculte, c’est Albert Camus ! Cette fascination de l’Arabe pour le Pied-Noir est tenace. Même après la décolonisation, et sur plusieurs générations, il adore le Français. Dès l’indépendance, on a même vu des Algériens venir en masse en France comme pour « raccompagner » les rapatriés ! Incorrigibles !
Dire que le FLN s’est battu pour ça ! Des Arabes honteux, et fiers de l’être. Nouveaux esclaves d’une France vautrée dans la repentance... Sauf que certains occidentaux, sous prétexte de ne pas vouloir macérer dans la culpabilité, s’absolvent de tous leurs crimes. Ils conviennent (bien obligés) que la colonisation a été une saloperie, mais pour aussitôt revendiquer le droit de tourner la page. Remettre à l’heure les pendules du passé, c’est la meilleure façon de ne pas en être encombré pour foncer vers l’avenir sur l’autoroute de l’ignominie ! Ainsi le criminel ne paye jamais ses exactions : toujours manque la facture. Il lui suffit de dire que se sentir coupable le ferait trop verser dans la haine de soi, et qu’il serait malsain qu’il stagnât éternellement dans le remords, pour se retrouver libre et impuni ! Le refus de l’autoflagellation, c’est bien pratique pour oublier qu’on a donné des coups de fouet à d’autres !
Voilà pourquoi l’idée de colonisation est si bien portée aujourd’hui où l’on fait semblant d’en dénoncer les méfaits. Les pourfendeurs de la tyrannie de la repentance sont, comme par hasard, ceux qui prônaient la guerre en Irak, ceux qui approuvent l’implantation de colons israéliens en Palestine et plus globalement les massacres des peuples qui résistent chez eux aux divers envahisseurs !
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