GRAND ENTRETIEN - Dans La Survie des civilisations. Après 1177 av. J.-C, le professeur d’histoire et d’anthropologie à l’université George Washington s’appuie sur les découvertes archéologiques les plus récentes pour réfléchir sur la fragilité des sociétés antiques et tenter d’en tirer des leçons pour aujourd’hui.
LE FIGARO. - Vous avez commencé à écrire des livres sur la survie et l’effondrement des civilisations à une époque où l’on parlait de plus en plus de la menace d’effondrement de nos sociétés. Avez-vous conçu votre livre La Survie des civilisations comme un guide pour les temps difficiles que nous traversons ?
Eric H. CLINE. - Tout au long de ma carrière, j’ai étudié la fin de l’âge du bronze et le début de l’âge du fer, de 1700 avant notre ère jusqu’au VIIIe siècle av. J.-C. Lorsque Princeton University Press m’a demandé si je voulais écrire un livre sur l’effondrement de la fin de l’âge de bronze, et plus précisément sur ce qui s’est passé vers 1200 avant notre ère, j’ai accepté, mais à condition de pouvoir parler de ce qui s’était réellement effondré. Il fallait raconter aux lecteurs ce qu’étaient les civilisations des Mycéniens, des Minoens, des Hittites et des Égyptiens. J’ai voulu replacer l’effondrement dans son contexte pour qu’on comprenne tout ce qui a été perdu lorsque ces sociétés se sont effondrées.
J’ai écrit mon livre 1177 avant J.-C. Le jour où la civilisation s’est effondrée entre 2008 et 2013, une période qui a été marquée par le changement climatique, des incendies de forêt, mais surtout par la crise financière de Wall Street en 2008. J’ai donc pris conscience que toutes les données que j’avais recueillies sur l’effondrement allaient intéresser les gens aujourd’hui. Car on retrouve dans l’histoire ancienne toutes les raisons possibles de l’effondrement : le changement climatique, la sécheresse et la famine. Et lorsque le livre est sorti en 2014, il a touché juste.
Ensuite, certains lecteurs m’ont écrit pour me demander : mais que s’est-il passé ensuite ? J’ai donc entrepris de raconter ce qui s’était passé après l’effondrement. Encore une fois, j’ai travaillé à partir de sources archéologiques, mais, en parallèle, j’ai commencé à lire des livres et des articles sur des sujets tels que la résilience, l’adaptation et la transformation des sociétés, sans savoir ce que j’allais en faire. En écrivant La Survie des civilisations. Après 1177 av. J.-C., je me suis rendu compte que c’était effectivement une histoire de la façon dont les sociétés se transforment. J’ai donc terminé le livre en faisant des comparaisons avec ce qui se passe aujourd’hui, et en évoquant les travaux du Giec. Car le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat discute précisément de tout cela. Ils ont même des définitions pour tout ce dont je parle au XIIe siècle avant notre ère.
Je suis assez inquiet, à vrai dire, des similitudes entre ce qui s’est passé il y a des milliers d’années et ce qui se passe aujourd’hui
À cela s’ajoute le fait que j’ai écrit la majeure partie de ce livre pendant la pandémie, à une époque où nous avions le sentiment d’être encore plus proches de l’effondrement qu’auparavant. Nous nous demandions alors ce que nous allions faire si nous survivions. Il fallait donc puiser dans l’histoire ancienne pour se demander ce que les Phéniciens, les Mycéniens ou les Hittites ont fait après l’effondrement. Et trouver éventuellement dans cette histoire des lignes directrices sur la façon de se préparer au cas où notre civilisation serait menacée. Je suis assez inquiet, à vrai dire, des similitudes entre ce qui s’est passé il y a des milliers d’années et ce qui se passe aujourd’hui. Ça ne peut donc pas faire de mal de dire que c’est arrivé une fois. Et si cela se reproduit, nous devons être prêts.
Quels sont les principaux points communs que vous identifiez entre le XIIe siècle av. J.-C. et aujourd’hui ?
Il y a eu des changements climatiques dans l’antiquité. L’analyse du pollen, des lacs et des stalagmites dans les grottes indiquent qu’il y a eu une sécheresse qui a duré de 150 à 300 ans, et qui s’est étendue à toute la région de la Méditerranée. Elle s’étendait du nord de l’Italie jusqu’à l’Iran et de la Turquie jusqu’à l’Égypte moderne. Nous savons, d’après les preuves textuelles, que cette sécheresse a engendré une famine. Et puis, archéologiquement, nous pouvons voir que beaucoup de villes ont été détruites et qu’il y a eu des envahisseurs. Les textes de l’époque mentionnent également des migrations. Enfin, des maladies sévissaient à l’époque, Ramsès V serait mort d’une forme de variole.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous avons un changement climatique, nous connaissons dans certaines parties du monde des sécheresses et des famines, des épidémies, des mouvements migratoires. Tout ce qu’ils avaient à l’époque et qui les a menés à l’effondrement, nous le retrouvons aujourd’hui.
Penser que nous ne nous effondrerons pas parce que nous sommes « too big to fail » (« trop gros pour faire faillite »), c’est peut-être faire preuve de trop d’orgueil. En réalité, toutes les civilisations de l’histoire de l’humanité se sont effondrées ou se sont transformées au point de devenir complètement différentes. Ce fut le cas de l’Empire romain, par exemple, qui s’est effondré mais a continué d’exister en Orient sous la forme de l’Empire byzantin pendant encore un millier d’années. Donc, pour moi, la question n’est pas de savoir si notre civilisation va s’effondrer, mais quand. Et de voir ce que nous allons faire pour y remédier.
Dans votre livre, vous expliquez que le commerce international et l’interconnexion des sociétés à l’âge du bronze ont pu précipiter leur effondrement. Alors que le commerce international est souvent vu comme un rempart contre la guerre et un facteur de développement, cela rendrait-il au contraire les civilisations vulnérables ?
En effet. Parfois les choses mêmes qui vous aident à devenir une société prospère sont aussi celles qui peuvent accélérer l’effondrement dans un contexte de crise. À l’âge du bronze, les relations internationales et le commerce ont contribué à propulser toutes ces sociétés interconnectées - les Assyriens, les Babyloniens, les Mycéniens et les autres. Mais, lorsque les choses commencent à se gâter, des problèmes de chaîne d’approvisionnement apparaissent, sur les céréales, l’étain, le cuivre. Les pénuries vont alors contribuer à aggraver la situation, car les sociétés sont devenues trop dépendantes : seuls les Égyptiens ont de l’or, les Chypriotes ont pratiquement le monopole du cuivre, et les Mycéniens, de l’argent.
Cette situation peut aussi s’appliquer à nous. Nous sommes tellement interconnectés qu’il est très facile de tout dérégler. Il suffit de regarder la crise financière de 2008, la pandémie ou même le bateau qui a bloqué le canal de Suez pendant six jours en 2021. Les mêmes choses qui nous ont permis de nous développer pourraient être celles qui finiront par nous faire tomber si tout est coupé. J’avais l’habitude de dire que l’étain, à l’époque, c’était l’équivalent pour nous du pétrole ; le pharaon égyptien était aussi préoccupé par l’étain pour faire du bronze que le président de la France ou des États-Unis sont préoccupés par le pétrole aujourd’hui.
Les Phéniciens et les Chypriotes ont su innover. C'est pourquoi nous devons être inventifs au cas où quelque chose commencerait à mal tourner. L'effondrement des civilisations n'est pas seulement une ère de chaos, c'est aussi une ère d'invention, à partir de laquelle on passe à la phase suivante
Mais, désormais, je pense que les choses ont changé : l’enjeu se situe plutôt au niveau des métaux rares, comme le lithium utilisé pour fabriquer des puces, des ordinateurs et des voitures. Si l’approvisionnement de ces matières premières devait s’interrompre, nous aurions de véritables problèmes. Nous l’avons vu lors de la pandémie : en Amérique, il était soudain impossible d’acheter une voiture parce qu’elles n’étaient plus importées, parce que les usines de puces en Chine ou ailleurs avaient été touchées. Je suis en fait étonné que nous ayons réussi à nous en sortir.
Si les événements de ces dernières années s’étaient produits de manière plus rapprochée, que serait-il advenu ? Si la crise financière de 2008 s’était produite douze ans plus tard et qu’elle avait eu lieu en même temps que la pandémie ? Nous aurions eu de sérieux problèmes. Cela aurait ressemblé à ce qui s’est passé lors de l’effondrement de l’âge du bronze. Nous sommes passés très près, mais nous avons réussi à en réchapper cette fois-ci. Une civilisation s’effondre lorsqu’une multiplicité de facteurs de crise apparaissent simultanément : « Everything, Everywhere All at Once », pour reprendre le titre d’un film sorti en 2022.
Certaines sociétés parviennent pourtant à résister à l’effondrement, comme les Phéniciens et les Chypriotes à l’époque. Comment réussissent-elles à tirer profit du chaos ?
Toutes les sociétés ont réagi de façon très différente ; certaines ont bien réussi à gérer la transformation et d’autres ont complètement disparu. Les Phéniciens et les Chypriotes sont ceux qui s’en sont le mieux sortis, effectivement. Ils ont su réagir rapidement grâce à leurs capacités à inventer et à innover. Les Phéniciens, par exemple, ont normalisé et diffusé l’alphabet dans toute la Méditerranée. Ils ont aussi développé la pourpre de Tyr, devenue une teinture luxueuse. Ils en ont standardisé la production et l’ont répandue dans toute la Méditerranée.
Mais ils ont pu le faire en partie parce que tous les autres commençaient à s’effondrer et avaient du mal à envoyer leurs bateaux à travers la Méditerranée. Après la disparition de la cité d’Ougarit, les Phéniciens ont pris le relais et se sont emparés des routes maritimes à travers la Méditerranée, apportant leurs marchandises et l’alphabet. C’est donc leur inventivité, leur sens de l’innovation et leur volonté de prendre un risque qui se sont avérés payants.
Il en va de même pour les Chypriotes, qui sont devenus des leaders dans la fabrication du fer. Il semble que les Chypriotes soient les premiers en Méditerranée à avoir commencé à fabriquer des objets, armes et outils, en fer plutôt qu’en bronze. C’est nouveau, à l’époque, et ils commencent à expédier des objets en fer, puis le savoir-faire se répand, car tout le monde a du minerai de fer dans son pays. Rapidement, les Grecs puis les peuples du Levant commencent à fabriquer des objets en fer.
Les Phéniciens et les Chypriotes ont su innover. C’est pourquoi nous devons être inventifs au cas où quelque chose commencerait à mal tourner. L’effondrement des civilisations n’est pas seulement une ère de chaos, c’est aussi une ère d’invention, à partir de laquelle on passe à la phase suivante. Pour cette raison, il vaut mieux parler de « début de l’âge du fer » plutôt que de « siècles obscurs ». Car c’est à partir de là qu’ont commencé, d’une certaine manière, les prémices de notre société actuelle, avec les Grecs qui reviennent quelques siècles plus tard pour inventer la démocratie et construire le Parthénon. Mais il ne faut pas oublier que certaines civilisations sont tombées et ne se sont pas relevées. Et d’autres se sont élevées à leur place. Il s’agit donc à nouveau d’un avertissement : si nous ne faisons rien, nous risquons de disparaître. Comme les Hittites et les Mycéniens.
Concrètement, que se passe-t-il quand une civilisation disparaît ? Que deviennent les survivants après la disparition des sociétés minoenne, mycénienne et hittite ?
Lorsqu’une société disparaît, cela ne signifie pas automatiquement que tout le monde meurt. Mais il n’y a plus de roi, d’administration, et l’économie centralisée s’effondre. La plupart des élites meurent ou émigrent, mais il est difficile de savoir si les gens qui travaillent dans les champs ont survécu ou non. À un moment donné, nous pensions que 90 % des habitants de la Grèce étaient morts ou avaient émigré entre le XIIIe et le XIe siècle.
LE FIGARO. - Vous avez commencé à écrire des livres sur la survie et l’effondrement des civilisations à une époque où l’on parlait de plus en plus de la menace d’effondrement de nos sociétés. Avez-vous conçu votre livre La Survie des civilisations comme un guide pour les temps difficiles que nous traversons ?
Eric H. CLINE. - Tout au long de ma carrière, j’ai étudié la fin de l’âge du bronze et le début de l’âge du fer, de 1700 avant notre ère jusqu’au VIIIe siècle av. J.-C. Lorsque Princeton University Press m’a demandé si je voulais écrire un livre sur l’effondrement de la fin de l’âge de bronze, et plus précisément sur ce qui s’est passé vers 1200 avant notre ère, j’ai accepté, mais à condition de pouvoir parler de ce qui s’était réellement effondré. Il fallait raconter aux lecteurs ce qu’étaient les civilisations des Mycéniens, des Minoens, des Hittites et des Égyptiens. J’ai voulu replacer l’effondrement dans son contexte pour qu’on comprenne tout ce qui a été perdu lorsque ces sociétés se sont effondrées.
J’ai écrit mon livre 1177 avant J.-C. Le jour où la civilisation s’est effondrée entre 2008 et 2013, une période qui a été marquée par le changement climatique, des incendies de forêt, mais surtout par la crise financière de Wall Street en 2008. J’ai donc pris conscience que toutes les données que j’avais recueillies sur l’effondrement allaient intéresser les gens aujourd’hui. Car on retrouve dans l’histoire ancienne toutes les raisons possibles de l’effondrement : le changement climatique, la sécheresse et la famine. Et lorsque le livre est sorti en 2014, il a touché juste.
Ensuite, certains lecteurs m’ont écrit pour me demander : mais que s’est-il passé ensuite ? J’ai donc entrepris de raconter ce qui s’était passé après l’effondrement. Encore une fois, j’ai travaillé à partir de sources archéologiques, mais, en parallèle, j’ai commencé à lire des livres et des articles sur des sujets tels que la résilience, l’adaptation et la transformation des sociétés, sans savoir ce que j’allais en faire. En écrivant La Survie des civilisations. Après 1177 av. J.-C., je me suis rendu compte que c’était effectivement une histoire de la façon dont les sociétés se transforment. J’ai donc terminé le livre en faisant des comparaisons avec ce qui se passe aujourd’hui, et en évoquant les travaux du Giec. Car le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat discute précisément de tout cela. Ils ont même des définitions pour tout ce dont je parle au XIIe siècle avant notre ère.
Je suis assez inquiet, à vrai dire, des similitudes entre ce qui s’est passé il y a des milliers d’années et ce qui se passe aujourd’hui
À cela s’ajoute le fait que j’ai écrit la majeure partie de ce livre pendant la pandémie, à une époque où nous avions le sentiment d’être encore plus proches de l’effondrement qu’auparavant. Nous nous demandions alors ce que nous allions faire si nous survivions. Il fallait donc puiser dans l’histoire ancienne pour se demander ce que les Phéniciens, les Mycéniens ou les Hittites ont fait après l’effondrement. Et trouver éventuellement dans cette histoire des lignes directrices sur la façon de se préparer au cas où notre civilisation serait menacée. Je suis assez inquiet, à vrai dire, des similitudes entre ce qui s’est passé il y a des milliers d’années et ce qui se passe aujourd’hui. Ça ne peut donc pas faire de mal de dire que c’est arrivé une fois. Et si cela se reproduit, nous devons être prêts.
Quels sont les principaux points communs que vous identifiez entre le XIIe siècle av. J.-C. et aujourd’hui ?
Il y a eu des changements climatiques dans l’antiquité. L’analyse du pollen, des lacs et des stalagmites dans les grottes indiquent qu’il y a eu une sécheresse qui a duré de 150 à 300 ans, et qui s’est étendue à toute la région de la Méditerranée. Elle s’étendait du nord de l’Italie jusqu’à l’Iran et de la Turquie jusqu’à l’Égypte moderne. Nous savons, d’après les preuves textuelles, que cette sécheresse a engendré une famine. Et puis, archéologiquement, nous pouvons voir que beaucoup de villes ont été détruites et qu’il y a eu des envahisseurs. Les textes de l’époque mentionnent également des migrations. Enfin, des maladies sévissaient à l’époque, Ramsès V serait mort d’une forme de variole.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous avons un changement climatique, nous connaissons dans certaines parties du monde des sécheresses et des famines, des épidémies, des mouvements migratoires. Tout ce qu’ils avaient à l’époque et qui les a menés à l’effondrement, nous le retrouvons aujourd’hui.
Penser que nous ne nous effondrerons pas parce que nous sommes « too big to fail » (« trop gros pour faire faillite »), c’est peut-être faire preuve de trop d’orgueil. En réalité, toutes les civilisations de l’histoire de l’humanité se sont effondrées ou se sont transformées au point de devenir complètement différentes. Ce fut le cas de l’Empire romain, par exemple, qui s’est effondré mais a continué d’exister en Orient sous la forme de l’Empire byzantin pendant encore un millier d’années. Donc, pour moi, la question n’est pas de savoir si notre civilisation va s’effondrer, mais quand. Et de voir ce que nous allons faire pour y remédier.
Dans votre livre, vous expliquez que le commerce international et l’interconnexion des sociétés à l’âge du bronze ont pu précipiter leur effondrement. Alors que le commerce international est souvent vu comme un rempart contre la guerre et un facteur de développement, cela rendrait-il au contraire les civilisations vulnérables ?
En effet. Parfois les choses mêmes qui vous aident à devenir une société prospère sont aussi celles qui peuvent accélérer l’effondrement dans un contexte de crise. À l’âge du bronze, les relations internationales et le commerce ont contribué à propulser toutes ces sociétés interconnectées - les Assyriens, les Babyloniens, les Mycéniens et les autres. Mais, lorsque les choses commencent à se gâter, des problèmes de chaîne d’approvisionnement apparaissent, sur les céréales, l’étain, le cuivre. Les pénuries vont alors contribuer à aggraver la situation, car les sociétés sont devenues trop dépendantes : seuls les Égyptiens ont de l’or, les Chypriotes ont pratiquement le monopole du cuivre, et les Mycéniens, de l’argent.
Cette situation peut aussi s’appliquer à nous. Nous sommes tellement interconnectés qu’il est très facile de tout dérégler. Il suffit de regarder la crise financière de 2008, la pandémie ou même le bateau qui a bloqué le canal de Suez pendant six jours en 2021. Les mêmes choses qui nous ont permis de nous développer pourraient être celles qui finiront par nous faire tomber si tout est coupé. J’avais l’habitude de dire que l’étain, à l’époque, c’était l’équivalent pour nous du pétrole ; le pharaon égyptien était aussi préoccupé par l’étain pour faire du bronze que le président de la France ou des États-Unis sont préoccupés par le pétrole aujourd’hui.
Les Phéniciens et les Chypriotes ont su innover. C'est pourquoi nous devons être inventifs au cas où quelque chose commencerait à mal tourner. L'effondrement des civilisations n'est pas seulement une ère de chaos, c'est aussi une ère d'invention, à partir de laquelle on passe à la phase suivante
Mais, désormais, je pense que les choses ont changé : l’enjeu se situe plutôt au niveau des métaux rares, comme le lithium utilisé pour fabriquer des puces, des ordinateurs et des voitures. Si l’approvisionnement de ces matières premières devait s’interrompre, nous aurions de véritables problèmes. Nous l’avons vu lors de la pandémie : en Amérique, il était soudain impossible d’acheter une voiture parce qu’elles n’étaient plus importées, parce que les usines de puces en Chine ou ailleurs avaient été touchées. Je suis en fait étonné que nous ayons réussi à nous en sortir.
Si les événements de ces dernières années s’étaient produits de manière plus rapprochée, que serait-il advenu ? Si la crise financière de 2008 s’était produite douze ans plus tard et qu’elle avait eu lieu en même temps que la pandémie ? Nous aurions eu de sérieux problèmes. Cela aurait ressemblé à ce qui s’est passé lors de l’effondrement de l’âge du bronze. Nous sommes passés très près, mais nous avons réussi à en réchapper cette fois-ci. Une civilisation s’effondre lorsqu’une multiplicité de facteurs de crise apparaissent simultanément : « Everything, Everywhere All at Once », pour reprendre le titre d’un film sorti en 2022.
Certaines sociétés parviennent pourtant à résister à l’effondrement, comme les Phéniciens et les Chypriotes à l’époque. Comment réussissent-elles à tirer profit du chaos ?
Toutes les sociétés ont réagi de façon très différente ; certaines ont bien réussi à gérer la transformation et d’autres ont complètement disparu. Les Phéniciens et les Chypriotes sont ceux qui s’en sont le mieux sortis, effectivement. Ils ont su réagir rapidement grâce à leurs capacités à inventer et à innover. Les Phéniciens, par exemple, ont normalisé et diffusé l’alphabet dans toute la Méditerranée. Ils ont aussi développé la pourpre de Tyr, devenue une teinture luxueuse. Ils en ont standardisé la production et l’ont répandue dans toute la Méditerranée.
Mais ils ont pu le faire en partie parce que tous les autres commençaient à s’effondrer et avaient du mal à envoyer leurs bateaux à travers la Méditerranée. Après la disparition de la cité d’Ougarit, les Phéniciens ont pris le relais et se sont emparés des routes maritimes à travers la Méditerranée, apportant leurs marchandises et l’alphabet. C’est donc leur inventivité, leur sens de l’innovation et leur volonté de prendre un risque qui se sont avérés payants.
Il en va de même pour les Chypriotes, qui sont devenus des leaders dans la fabrication du fer. Il semble que les Chypriotes soient les premiers en Méditerranée à avoir commencé à fabriquer des objets, armes et outils, en fer plutôt qu’en bronze. C’est nouveau, à l’époque, et ils commencent à expédier des objets en fer, puis le savoir-faire se répand, car tout le monde a du minerai de fer dans son pays. Rapidement, les Grecs puis les peuples du Levant commencent à fabriquer des objets en fer.
Les Phéniciens et les Chypriotes ont su innover. C’est pourquoi nous devons être inventifs au cas où quelque chose commencerait à mal tourner. L’effondrement des civilisations n’est pas seulement une ère de chaos, c’est aussi une ère d’invention, à partir de laquelle on passe à la phase suivante. Pour cette raison, il vaut mieux parler de « début de l’âge du fer » plutôt que de « siècles obscurs ». Car c’est à partir de là qu’ont commencé, d’une certaine manière, les prémices de notre société actuelle, avec les Grecs qui reviennent quelques siècles plus tard pour inventer la démocratie et construire le Parthénon. Mais il ne faut pas oublier que certaines civilisations sont tombées et ne se sont pas relevées. Et d’autres se sont élevées à leur place. Il s’agit donc à nouveau d’un avertissement : si nous ne faisons rien, nous risquons de disparaître. Comme les Hittites et les Mycéniens.
Concrètement, que se passe-t-il quand une civilisation disparaît ? Que deviennent les survivants après la disparition des sociétés minoenne, mycénienne et hittite ?
Lorsqu’une société disparaît, cela ne signifie pas automatiquement que tout le monde meurt. Mais il n’y a plus de roi, d’administration, et l’économie centralisée s’effondre. La plupart des élites meurent ou émigrent, mais il est difficile de savoir si les gens qui travaillent dans les champs ont survécu ou non. À un moment donné, nous pensions que 90 % des habitants de la Grèce étaient morts ou avaient émigré entre le XIIIe et le XIe siècle.
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