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Rome, la guerre et la paix (1/9)

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  • Rome, la guerre et la paix (1/9)


    Douze siècles séparent la fondation de Rome de la chute du dernier empereur d’Occident. La cité fondée dans une boucle du Tibre sur la route du sel était devenue entre-temps le centre du monde.


    I. 21 avril 753 avant J.-C : Romulus trace le premier cercle d’où naîtra la future Rome


    Par Alexandre Grandazzi,



    Cet article est extrait du Figaro Hors-Série « Rome antique, la Légende des siècles ». Retrouvez l’histoire de cette Ville qui se crut éternelle, et nous laissa la beauté en héritage, en un numéro de 164 pages.





    Sept siècles et demi avant notre ère, dans la basse vallée d’un fleuve, au pied de la plus vaste des quelques collines qui dominent un brusque tournant du cours d’eau, un homme tient solidement les mancherons d’une charrue avec laquelle il trace, à pas lents et en silence, selon un parcours circulaire préparé par quelques grosses pierres fichées çà et là dans le sol, un sillon étroit et profond. Massives et tranquilles, deux bêtes forment l’attelage : du côté intérieur, une vache, vers l’extérieur, un taureau, gages pour l’une de fécondité, pour l’autre de puissance.

    En cette journée de printemps, la lumière est vive et la terre, fraîchement ouverte par le soc de la charrue, exhale une vapeur légère. Derrière, suit un petit groupe d’hommes à la tête encapuchonnée, psalmodiant à voix basse des paroles indistinctes. Pourquoi donc labourer ainsi, alors que le temps des semailles est passé ? Ne serait-ce pas plutôt, en ce 21 avril, jour de la fête des Parilia, le moment de procéder à la toilette et à la tonte des brebis, juste avant le départ pour la transhumance annuelle ? Ce n’est pas apparemment l’intention de notre laboureur : à l’aube, il est monté sur cette colline dont il a entrepris de faire le tour, et, de là, il a longuement regardé le ciel, « pris les auspices », comme on dit en latin, attendant que lui fasse signe le grand dieu qui veille aux destinées de la communauté, Jupiter : les oiseaux ne sont-ils pas les messagers du dieu céleste ?

    Il en a vu suffisamment pour s’estimer maintenant autorisé à accomplir son grand projet : la fondation solennelle d’un nouvel habitat sur la colline, afin que, désormais, puissent être concentrées sur elle les forces vives encore éparses dans les quelques hameaux qui se partagent l’ensemble du site au bord du fleuve. Cette colline, où l’on révère, sous le nom de Palès, la déesse des troupeaux, c’est le Palatin, Palatium ; le fleuve, qui s’appellera un jour le Tibre, porte alors le nom de Rumon, qui se retrouve dans celui d’un arbre vénéré par tout le voisinage, le figuier Ruminal, ficus Ruminalis. C’est là où, aime à faire dire notre homme, il avait été recueilli encore nourrisson avec son frère jumeau par un berger et sa femme au grand cœur, dans un berceau qu’une crue du fleuve avait fait échouer au pied de l’arbre sacré.

    Une légende devenue histoire

    Logiquement, le bourg qu’il fonde dans ces lieux prédestinés sera appelé Ruma/Roma et il prendra, lui, le surnom de Romulus , « l’homme de Rome ». D’origine latine, il vient lui-même, avec ses compagnons, du fertile massif sur les pentes duquel, à quelque distance vers le sud-est, s’étend, sous le nom d’Albe la Longue, une fédération de gros villages. Mais la cité qu’il est en train de fonder sera désormais seule à être désignée comme Urbs, « la Ville », avec l’idée qu’elle bénéficiera d’atouts et d’une protection divine qui la rendront unique. Le mot n’a pas été choisi au hasard : d’origine indo-européenne, il peut être mis en rapport avec le mot orbis, « le cercle »


    Réplique de l’autel de Mars et Vénus, place des Corporations à Ostie. Dans la partie inférieure, à gauche, on voit Romulus et Rémus allaités par la louve dans le Lupercal, la grotte située au pied du Palatin où se serait échoué le panier en osier dans lequel les jumeaux avaient été abandonnés aux caprices du Tibre, figuré en bas à droite. Photo12/Alamy/Adam Eastland Art + Architecture

    On le retrouve aussi dans la désignation d’un labour rituel : ce qui se dit, en latin, urbare, chacun des mancherons d’une charrue s’appelant un urbum. Ainsi, l’Urbs est le cercle tracé avec une charrue au cours d’un labour ritualisé, et Rome portera, dans le nom même qui la désigne comme espace sacré, la référence au rite par lequel elle a été fondée. En ce sens, le labour fondateur est vraiment primordial, sulcus primigenius : il dessine le tracé de la future limite de la ville, le pomerium, soit la bande de terrain située derrière la muraille (post murum) et réservée à la défense de la cité.

    Cette scène fondatrice, décrite par tant d’auteurs antiques, n’était-elle qu’un conte fabriqué a posteriori ? Romulus et ses successeurs, dont on trouve les noms dans les textes antiques, Numa Pompilius, Tullus Hostilius, Ancus Marcius, Tarquin l’Ancien, Servius Tullius et Tarquin le Superbe, n’auraient jamais existé : longtemps, ce fut la conviction des historiens modernes, soucieux de rigueur scientifique. Puis, voici qu’au printemps 1988, suite à une fouille menée en profondeur au pied du Palatin, vint au jour, visible sur une quarantaine de mètres entre de puissants contreforts d’époque impériale, une entaille profonde, contenant çà et là de grosses pierres : au lieu et au temps indiqués par la tradition antique, d’un coup, la légende se faisait histoire.

    Dernière modification par HADJRESS, 10 juillet 2025, 09h27.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2


    Vers 525 avant J.-C. : le nouveau temple de Jupiter voit le jour, symbole de la domination de Rome sur le Latium


    ROME, LA GUERRE ET LA PAIX (2/9) - Le grand projet des derniers Tarquin est enfin achevé. Au sommet du Capitole, le plus majestueux des édifices sacrés se dresse en l’honneur du roi des dieux.

    Depuis plusieurs semaines, sur la plus haute colline de Rome, qui domine le Tibre et s’appelle alors le mont Tarpéien, une foule de manœuvres s’affaire pour dégager de ses échafaudages un grand bâtiment, tout juste achevé après un chantier commencé deux générations plus tôt. Ce matin, sans doute vers 525 avant J.-C., voici enfin le nouveau temple de Jupiter qui s’offre à la vue de toute la population de la Ville, dans l’éclat des sculptures de terre cuite peintes qui en décorent toit et fronton et dans celui des scènes historiées courant le long de sa corniche : devant une large place, l’édifice se dresse sur un socle massif, qu’il occupe entièrement. Que d’efforts a-t-il fallu pour le construire ! Parce que la colline était, de part et d’autre d’une dépression centrale, constituée par deux sommets dont aucun n’était suffisamment large, des centaines de prisonniers recrutés comme terrassiers ont dû d’abord, ahanant de fatigue, niveler le terrain de manière à créer une plate-forme qui eût une superficie suffisante.

    C’est là que, sous le règne de Tarquin l’Ancien, les fondations ont été creusées, dans un sol argileux et instable, à presque 8 m de profondeur, sous la forme de larges tranchées de 5 à 7 m de largeur, remplies ensuite de milliers de dalles soigneusement disposées : près de 143 000 pour un volume de près de 23 000 m³, chacune d’elles pesant 200 kg. Ces rectangles de tuf ont tous les mêmes dimensions et permettent la mise en œuvre d’un mode d’assemblage qui va donner toute sa solidité à ce socle élevé au-dessus du sol de près de 5 m, pour une longueur de 63 m et une largeur de plus de 53 m.

    Sur ce gigantesque podium se juche le temple proprement dit, dont la façade s’ouvre vers le Forum et les collines de la Ville par un large escalier d’une quinzaine de marches. L’édifice sacré est entouré, sauf à l’arrière, par une colonnade qui, à l’avant, forme une triple rangée sans murs latéraux, de manière à constituer un espace cérémoniel à la fois couvert et ouvert. Ces colonnes de tuf supportent une architrave faite de longues poutres de bois, cachées par des plaques de terre cuite. La charpente soutient un toit de plus de 11 000 tuiles, chacune pesant environ 13 kg, ce qui a nécessité au total l’extraction et le traitement de 165 tonnes du précieux matériau, qui abonde dans le sol romain.

    Revendication de supériorité

    Au-dessus du fronton, s’élance un quadrige conduit par Jupiter en personne, commandé au célèbre Vulca, établi dans la toute proche Véies. À l’intérieur, le fond de l’édifice se trouve curieusement partagé en trois chapelles, celle du centre, la plus grande, consacrée à Jupiter Roi, étant bordée par deux autres, réservées respectivement à Junon Reine et à Minerve. Nouvelle triade divine, sans autre équivalent, et qui remplacera désormais l’archaïque triade qui associait à Jupiter, Mars et Quirinus. Jupiter y sera désormais honoré comme Optimus et Maximus, autrement dit pourvoyeur de richesses, opes, et de puissance, en tant que dieu supérieur aux autres Jupiter de la région, en particulier Jupiter Latial, révéré sur le sommet de ce mont Albain qu’on aperçoit au loin.



    Triade capitoline, Minerve, Jupiter et Junon, seconde moitié du IIe siècle (Guidonia Montecelio, Museo Civico Archeologico Rodolfo Lanciani). Eric Vandeville / akg-images

    Et pour que cette revendication de supériorité soit comprise par tous, la colline où s’élève le temple sera désormais appelée le Capitole, Capitolium, d’un nom composé à partir de caput, « la tête », et qui affiche à lui seul la domination revendiquée par le pouvoir romain sur l’ensemble de la région du Latium. Rome n’est-elle pas maintenant, avec ses 40 000 habitants et sa grande muraille de 11 km de pourtour, une puissante principauté ? Le temple capitolin est l’un des plus grands de ce temps, à peine inférieur à l’Artemision d’Ephèse. C’est vers lui que monte le cortège du roi Tarquin le Superbe, lors de la cérémonie du triomphe, mot venu du grec mais passé par l’étrusque : ce jour-là, sur son char, le roi, immobile et grimé comme une statue de terre cuite, est comme l’incarnation de Jupiter.

    Bientôt cependant, voici que les rois seront chassés de Rome, suite à l’invasion menée par le roi étrusque Porsenna : la royauté sera alors remplacée par la République, dirigée non plus par un seul individu, choisi par le Sénat et détenteur à vie de sa fonction, mais par deux consuls, élus pour un an seulement par le peuple romain. Que faire dans ce nouveau régime d’un tel temple, si important pour l’identité collective de la cité ? Pour ne pas rendre tant d’efforts inutiles, la solution sera celle d’une réécriture de l’histoire : le 13 septembre 509 avant J.-C., le temple sera reconsacré par une nouvelle cérémonie, comme s’il venait d’être achevé, quelques mois après la fin de la royauté. Ainsi pourra-t-il devenir comme le symbole même de la nouvelle Rome. Centre de la vie religieuse de la cité, il sera la cathédrale ou plutôt le Parthénon de Rome.
    Dernière modification par HADJRESS, 10 juillet 2025, 09h34.
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    • #3



      18 juillet 390 avant J.-C. : après la bataille de l’Allia entre Romains et Gaulois, malheur aux vaincus


      ROME, LA GUERRE ET LA PAIX (3/9) - La première grande bataille des soldats romains fut une écrasante défaite. Vaincue par les Gaulois sur les bords de l’Allia, Rome sera occupée durant six mois.

      Ce matin du 18 juillet 390 avant J.-C., il fait déjà chaud pour les soldats romains qui attendent l’ennemi dans cette plaine que bornent, à leur droite, des collines au relief irrégulier, à leur gauche, le Tibre, vers lequel serpente devant eux un cours d’eau, l’Allia. Pourquoi être venus jusqu’ici, non loin de la limite nord du territoire romain, à 16 km de la porte du Quirinal ? Depuis une dizaine de jours, une nouvelle affole toute la population de Rome : partie de la cité étrusque de Clusium, où l’un de ses chefs a été, au mépris du droit le plus sacré, tué par un membre d’une délégation romaine venue là en médiation, une énorme armée gauloise s’approche à marches forcées.

      Car, non seulement les Romains n’ont pas livré aux Gaulois l’ambassadeur meurtrier, mais ils en ont fait un de leurs dirigeants annuels ! C’en est trop et Brennus a lancé son peuple, les redoutables Sénons, venus du nord-est de la péninsule italienne, dans un raid foudroyant contre Rome.

      Un carnage sans merci

      Cela fait certes déjà bien longtemps que les remuantes tribus celtes se sont mises en mouvement vers les territoires ensoleillés du sud des Alpes qui les font rêver, mais jamais la Ville n’a été l’objet d’une telle attaque. Ne dit-on pas, à Rome, que ces Gaulois sont d’une taille gigantesque, et que, n’ayant peur de rien, ils combattent presque nus en poussant des cris effrayants ? Une sourde inquiétude règne dans les rangs romains. Pourtant, leurs chefs, renseignés sur l’itinéraire suivi par l’ennemi, ont soigneusement choisi le champ de bataille : à la confluence du Tibre et de l’Allia, le fleuve, d’un côté, les collines, de l’autre, réduisent la largeur de la plaine à un seul kilomètre. Ainsi, les soldats romains disposés en ligne sur plusieurs files de profondeur devraient pouvoir bloquer le passage à l’envahisseur : minutieusement préparé, ce dispositif doit permettre de compenser l’infériorité numérique des Romains, qui ne sont que 15 000 contre plus de 30 000 Barbares.


      Les Barbares devant Rome, par Evariste Vital Luminais, vers 1870. (Dunkerque, musée des Beaux-Arts). Direction des Musées de Dunkerque, MBA

      Soudain, un frémissement parcourt les hommes : loin devant, un nuage de poussière vient de leur révéler l’approche de la horde barbare, qui, bientôt arrivée sur l’autre rive de l’Allia, fait maintenant face à l’armée romaine. Puis, après un long moment de silence, c’est l’assaut, et tout de suite un vacarme indescriptible, où se mêlent le son rauque des trompes, le cliquetis des armes, les cris des blessés, les hurlements sauvages de ces grands guerriers, souples, rapides, maniant avec virtuosité leur grande épée de fer, à double tranchant et d’une qualité bien supérieure à celle des armes romaines.

      Tandis que les Gaulois ont déjà franchi le mince obstacle du petit cours d’eau, une partie d’entre eux monte directement à l’assaut des collines où attend la réserve romaine, composée de jeunes soldats inexpérimentés. Dans un élan irrésistible, les Gaulois délogent les occupants des hauteurs, les repoussent vers la plaine et le dispositif romain, vite disloqué par l’arrivée de cette masse de fuyards. La peur puis la panique s’emparent maintenant de l’armée de la République, qui cède sur toute la ligne. La bataille n’est désormais plus qu’un carnage sans merci, auquel n’échappe que le petit nombre de Romains qui réussissent à franchir le Tibre à la nage pour aller vers Véies, ou à se faufiler du côté des collines afin de regagner l’Urbs.

      L’un des fondements de l’identité collective des Romains

      La première grande bataille de son histoire est ainsi pour Rome une écrasante défaite, un désastre tel, qu’il sera, pour toujours, inscrit dans le calendrier religieux de la Ville en tant que « jour noir » et frappé d’interdits religieux. Immenses et durables, les conséquences de cette débâcle militaire en révèlent toute la gravité. La bataille a en effet ouvert aux Gaulois la route de Rome : ils y feront leur entrée trois jours après, seul le Capitole résistant, et pour un temps seulement, à une occupation qui va durer six mois. Jusqu’à ce que les Romains aient pu rassembler une énorme rançon – « Malheur aux vaincus ! » dira Brennus – qui permettra la libération de la Ville, pillée, endommagée par des incendies partiels, mais finalement sauvegardée.

      Mais la conséquence la plus durable de la journée de l’Allia sera la crainte à l’égard des Gaulois, ce metus gallicus qui va devenir, dès lors, l’un des fondements de l’identité collective des Romains et qui les poussera à conquérir le monde afin d’éviter d’être eux-mêmes conquis. Dans le demi-siècle qui suivra, ils entreprendront, méthodiquement, la conquête du Latium, achevée en 338 avant J.-C. par une grande victoire, suivie d’une complète réorganisation de leurs rapports avec les Latins, qui, dès lors, deviendront leurs plus fidèles alliés. La vraie revanche sur l’Allia attendra plusieurs siècles : ce sera la conquête de la Gaule par César.

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