FIGAROVOX/TRIBUNE - Au Maroc, la « Gen Z » revendique une réforme profonde de la santé publique, de l’éducation ou de la justice. Mais cette énergie, souvent diffuse, peine à se structurer politiquement, souligne Abdelmalek Alaoui, président de l’Institut marocain d’intelligence stratégique.
Abdelmalek Alaoui est le Président de l’Institut marocain d’intelligence stratégique (Imis).
Au Maroc, les symboles ne s’épuisent jamais dans l’instant. Ils s’inscrivent dans la durée, cette temporalité où se forge la méthode marocaine. Le mois d’octobre en a offert une démonstration : un discours royal d’ouverture du Parlement, puis, trois jours plus tard, l’inauguration du premier écosystème africain d’assemblage de moteurs d’avion. Deux séquences en apparence distinctes, mais un même message : dans un pays sous tension créatrice, la constance reste la clé du mouvement.
Depuis son accession au Trône en 1999, puis à la faveur de la révision constitutionnelle de 2011, Mohammed VI incarne la permanence et l’arbitrage, tandis que le gouvernement assume l’exécution et le court terme. Ce partage, souvent mal compris à l’extérieur, a permis au Maroc de rester stable dans un environnement régional tourmenté. Là où d’autres pays réagissent à chaud, le Royaume s’inscrit dans la continuité : il rénove sans rompre, réforme sans bruit.
Le 10 octobre, le Souverain ouvre la dernière année de la législature par un discours sobre. Il rappelle les fonctions essentielles du Parlement — légiférer, contrôler, évaluer — et exige davantage d’efficacité, de rapidité, et de rigueur. Mais c’est la mise en garde qui retient l’attention : « Le diptyque justice sociale et lutte contre les inégalités territoriales n’est pas un slogan », dit le Roi, « mais une orientation stratégique ». Déjà, au cœur de l’été lors de son discours du trône, Mohammed VI alertait sur le risque d’un « Maroc à deux vitesses », où la prospérité côtoie le décrochage territorial.
Trois jours plus tard, à Nouaceur, il inaugure un mégaprojet industriel dans l’aéronautique générant 900 emplois qualifiés à terme. Ce site propulse le Royaume dans le cercle restreint des six nations capables d’assembler un moteur d’avion complet. Au-delà du symbole, l’événement illustre une bascule : le Maroc devient une école de souveraineté technologique et franchit un palier dans la sophistication des équipements produits sur son sol.
Cette double séquence s’inscrit dans un climat social particulier, où une jeunesse connectée exprime son impatience. La « Gen Z » marocaine, plus anglophone et mondialisée, revendique une réforme profonde de la santé publique, de l’éducation ou de la justice. Mais cette énergie, souvent diffuse, peine à se structurer politiquement. Certains y ont vu une rupture entre générations ; d’autres, une alerte adressée aux institutions. Le Roi n’y a pas répondu dans la précipitation, mais par le rappel du cadre et du cap. Le cadre, c’est la Constitution ; le cap, celui d’un Maroc souverain par la compétence. La scène de Nouaceur, où le Souverain échange avec de jeunes ingénieurs en blouses bleues, symbolise cette vision : le Maroc de demain se construira moins dans la dénonciation que dans la maîtrise
La singularité marocaine réside aussi dans cette tension permanente : entre modernité industrielle et fragilités sociales, entre ambition mondiale et inégalités locales, entre institutions stables et jeunesse en éveil.
Car le Maroc est une mosaïque : minorité francophone héritière d’un modèle libéral, majorité conservatrice attachée à la cohésion communautaire, et jeunesse hybride, fluide, qui parle plusieurs langues et vit plusieurs identités. Entre ces pôles, la monarchie agit comme charnière : elle relie la mémoire à l’avenir, le local au global, et fait tenir ensemble des vitesses sociales divergentes.
Tout cela s’inscrit dans une dynamique plus longue. En novembre 2025, le Maroc commémorera deux anniversaires fondateurs : le 70e anniversaire du retour d’exil de Mohammed V, et les 50 ans de la Marche Verte. Ces deux moments rappellent que la souveraineté politique et territoriale s’est conquise dans la durée. Aujourd’hui, c’est une nouvelle souveraineté qui s’affirme : celle de la technologie, de l’industrie et du savoir-faire.
Avec un PIB qui dépasse 150 milliards d’euros et une notation « investment grade » de l’agence Standard and Poor’s retrouvée en septembre, le Royaume veut se positionner comme une puissance d’équilibre : africaine par son ancrage, méditerranéenne par sa géographie, atlantique par sa projection. Mais cette ambition s’accompagne d’un paradoxe : les infrastructures se multiplient, les exportations explosent, et pourtant les fractures territoriales persistent et les inégalités s’accroissent. Or la croissance ne sera durable que si elle devient plus inclusive. La commission ad hoc en charge de l’élaboration d’un nouveau modèle de développement, qui a rendu ses conclusions en 2021, alertait déjà sur cette nécessité d’équilibrer le développement et de réduire les fractures sociales, spatiales et d’opportunité.
Car la singularité marocaine réside aussi dans cette tension permanente : entre modernité industrielle et fragilités sociales, entre ambition mondiale et inégalités locales, entre institutions stables et jeunesse en éveil. Le pays avance, fidèle à son ADN : celui d’un État qui ne s’agite pas, mais se transforme dans la durée.
Les échéances de 2030 et 2035 – Coupe du Monde de football, stratégie de développement, transition énergétique – forment un horizon commun. Elles exigent une nouvelle génération d’engagement politique avec des femmes et des hommes de compétence habités par un sentiment d’urgence permanent. Qu’ils soient issus de l’entreprise, de la recherche ou de la société civile, il leur faut s’impliquer plus pour permettre d’accélérer le mouvement et ainsi transformer la stabilité en mouvement.
Ceux qui attendaient une réponse immédiate aux mouvements numériques en ont été pour leurs frais. Le Roi ne parle pas pour l’instant ; il parle pour le temps. Et dans ce pays où la stabilité est une ressource, la constance n’est pas une inertie : c’est une stratégie. Une manière d’habiter l’Histoire sans s’y figer.
Le Figaro
Abdelmalek Alaoui est le Président de l’Institut marocain d’intelligence stratégique (Imis).
Au Maroc, les symboles ne s’épuisent jamais dans l’instant. Ils s’inscrivent dans la durée, cette temporalité où se forge la méthode marocaine. Le mois d’octobre en a offert une démonstration : un discours royal d’ouverture du Parlement, puis, trois jours plus tard, l’inauguration du premier écosystème africain d’assemblage de moteurs d’avion. Deux séquences en apparence distinctes, mais un même message : dans un pays sous tension créatrice, la constance reste la clé du mouvement.
Depuis son accession au Trône en 1999, puis à la faveur de la révision constitutionnelle de 2011, Mohammed VI incarne la permanence et l’arbitrage, tandis que le gouvernement assume l’exécution et le court terme. Ce partage, souvent mal compris à l’extérieur, a permis au Maroc de rester stable dans un environnement régional tourmenté. Là où d’autres pays réagissent à chaud, le Royaume s’inscrit dans la continuité : il rénove sans rompre, réforme sans bruit.
Le 10 octobre, le Souverain ouvre la dernière année de la législature par un discours sobre. Il rappelle les fonctions essentielles du Parlement — légiférer, contrôler, évaluer — et exige davantage d’efficacité, de rapidité, et de rigueur. Mais c’est la mise en garde qui retient l’attention : « Le diptyque justice sociale et lutte contre les inégalités territoriales n’est pas un slogan », dit le Roi, « mais une orientation stratégique ». Déjà, au cœur de l’été lors de son discours du trône, Mohammed VI alertait sur le risque d’un « Maroc à deux vitesses », où la prospérité côtoie le décrochage territorial.
Trois jours plus tard, à Nouaceur, il inaugure un mégaprojet industriel dans l’aéronautique générant 900 emplois qualifiés à terme. Ce site propulse le Royaume dans le cercle restreint des six nations capables d’assembler un moteur d’avion complet. Au-delà du symbole, l’événement illustre une bascule : le Maroc devient une école de souveraineté technologique et franchit un palier dans la sophistication des équipements produits sur son sol.
Cette double séquence s’inscrit dans un climat social particulier, où une jeunesse connectée exprime son impatience. La « Gen Z » marocaine, plus anglophone et mondialisée, revendique une réforme profonde de la santé publique, de l’éducation ou de la justice. Mais cette énergie, souvent diffuse, peine à se structurer politiquement. Certains y ont vu une rupture entre générations ; d’autres, une alerte adressée aux institutions. Le Roi n’y a pas répondu dans la précipitation, mais par le rappel du cadre et du cap. Le cadre, c’est la Constitution ; le cap, celui d’un Maroc souverain par la compétence. La scène de Nouaceur, où le Souverain échange avec de jeunes ingénieurs en blouses bleues, symbolise cette vision : le Maroc de demain se construira moins dans la dénonciation que dans la maîtrise
La singularité marocaine réside aussi dans cette tension permanente : entre modernité industrielle et fragilités sociales, entre ambition mondiale et inégalités locales, entre institutions stables et jeunesse en éveil.
Car le Maroc est une mosaïque : minorité francophone héritière d’un modèle libéral, majorité conservatrice attachée à la cohésion communautaire, et jeunesse hybride, fluide, qui parle plusieurs langues et vit plusieurs identités. Entre ces pôles, la monarchie agit comme charnière : elle relie la mémoire à l’avenir, le local au global, et fait tenir ensemble des vitesses sociales divergentes.
Tout cela s’inscrit dans une dynamique plus longue. En novembre 2025, le Maroc commémorera deux anniversaires fondateurs : le 70e anniversaire du retour d’exil de Mohammed V, et les 50 ans de la Marche Verte. Ces deux moments rappellent que la souveraineté politique et territoriale s’est conquise dans la durée. Aujourd’hui, c’est une nouvelle souveraineté qui s’affirme : celle de la technologie, de l’industrie et du savoir-faire.
Avec un PIB qui dépasse 150 milliards d’euros et une notation « investment grade » de l’agence Standard and Poor’s retrouvée en septembre, le Royaume veut se positionner comme une puissance d’équilibre : africaine par son ancrage, méditerranéenne par sa géographie, atlantique par sa projection. Mais cette ambition s’accompagne d’un paradoxe : les infrastructures se multiplient, les exportations explosent, et pourtant les fractures territoriales persistent et les inégalités s’accroissent. Or la croissance ne sera durable que si elle devient plus inclusive. La commission ad hoc en charge de l’élaboration d’un nouveau modèle de développement, qui a rendu ses conclusions en 2021, alertait déjà sur cette nécessité d’équilibrer le développement et de réduire les fractures sociales, spatiales et d’opportunité.
Car la singularité marocaine réside aussi dans cette tension permanente : entre modernité industrielle et fragilités sociales, entre ambition mondiale et inégalités locales, entre institutions stables et jeunesse en éveil. Le pays avance, fidèle à son ADN : celui d’un État qui ne s’agite pas, mais se transforme dans la durée.
Les échéances de 2030 et 2035 – Coupe du Monde de football, stratégie de développement, transition énergétique – forment un horizon commun. Elles exigent une nouvelle génération d’engagement politique avec des femmes et des hommes de compétence habités par un sentiment d’urgence permanent. Qu’ils soient issus de l’entreprise, de la recherche ou de la société civile, il leur faut s’impliquer plus pour permettre d’accélérer le mouvement et ainsi transformer la stabilité en mouvement.
Ceux qui attendaient une réponse immédiate aux mouvements numériques en ont été pour leurs frais. Le Roi ne parle pas pour l’instant ; il parle pour le temps. Et dans ce pays où la stabilité est une ressource, la constance n’est pas une inertie : c’est une stratégie. Une manière d’habiter l’Histoire sans s’y figer.
Le Figaro
