Le GIA y a perpétré en 1997 un horrible massacre collectif
Bentalha, 11 ans après
Par : SALIM KOUDIL
Lu : (2026 fois)
Pour la première fois depuis 1997, la date du massacre du 23 septembre, qu’avait subi la localité de Bentalha, coïncide avec le mois sacré du Ramadhan.
Onze ans déjà et rien n’a changé depuis. Ou presque. Il suffit de relire les comptes-rendus de la presse, algérienne ou étrangère, réalisés les jours d’après le massacre pour se retrouver dans ce Bentalha-là. Une localité qui, de l’avis même de ses habitants, est en “arrêt sur image” depuis la macabre soirée.
La plupart des survivants du massacre ont quitté les lieux. Les onze ans qui se sont écoulés semblent insuffisants pour livrer tout ce qui s’était passé durant cette nuit d’horreur avec 500 personnes tuées et autant de blessés. Un bilan qui avait suscité des polémiques encore inachevées qui donneront lieu au fameux “qui tue qui ?”. C’est Bentalha qui avait fait sortir de l’anonymat un certain Yous Nesroulah, auteur de Qui a tué à Bentalha ? Et c’est encore Bentalha qui avait permis au photographe algérien Hocine Zaourar de remporter le prix du World Press avec sa célèbre madone. Onze ans après, Bentalha croule toujours sous la poussière et le béton.
À 23h sur les lieux du massacre
Onze ans après la sanglante nuit, nous nous retrouvons ainsi sur les lieux mêmes du crime à vingt-trois heures. C’est l’heure à laquelle, en cette nuit du 23 septembre 1997, le carnage avait commencé. H. M. a 32 ans et il habite à Sidi-Moussa, à quelques encablures des lieux. C’est un jeune cadre dans une entreprise nationale. Son frère a été assassiné. “Par les terroristes islamistes”, a-t-il souvent tenu à préciser tout au long de la soirée. Dès qu’il a eu vent qu’on avait l’intention de faire une “chose” en vue de la 11e année du massacre de Bentalha, il s’est immédiatement enthousiasmé en insistant à se déplacer avec nous. “J’ai des amis là-bas et je connais assez bien l’endroit.” Il nous proposa même d’aller voir une de ses connaissances qui était sur place lors la fameuse soirée du 23 au 24 septembre 1997. La rue principale de Bentalha, longue de plus d’un kilomètre, est toujours en très mauvais état et entre deux gros trous évités en surfant avec sa voiture, H. M. se retournait vers nous avec un sourire nerveux : “Finalement, ce n’est pas la peine d’éviter ces trous, il faut tout simplement choisir le moins profond.” Ayant oublié où habitait sa connaissance et n’arrivant pas à l’avoir au téléphone, H. M. suppose que son ami “a sûrement changé son numéro de téléphone, il en a l’habitude”. Il demande à un jeune adossé à un mur l’adresse de la personne qu’on cherchait. Après nous avoir bien dévisagés, il indiqua la maison du doigt, sans nous quitter des yeux. Elle se trouve à la fin de Haï Djilali, l’un des deux quartiers (l’autre c’est Haï Boudoumi) qui ont subi le massacre de 1997. Devant la porte, H. M. sort de la voiture et commence à appeler : “Rabah ! Rabah !” Quelques instants après, un jeune d’une vingtaine d’années sort de la maison, l’air surpris. H. M. discute avec lui et revient. “C’est le frère de Rabah. Il dit qu’il est absent, mais il m’a donné son nouveau numéro.” Il l’appelle et ils se donnent rendez-vous une demi-heure après à l’entrée de Bentalha. “On va l’attendre dans la cafétéria”, propose H. M.
À la cafétéria, l’ambiance était bien morose. Deux clients seulement y étaient attablés. Arrive enfin Rabah. La trentaine, un gabarit impressionnant, il entre dans la cafétéria avec une autre personne. Il interpelle directement H. M. “J’espère qu’il n’y a rien de grave !” H. M. le tranquillise et après avoir demandé des cafés, il dit à Rabah : “C’est notre ami. Il est en train de préparer une thèse de doctorat sur le massacre qui s’était déroulé ici et veut que tu lui racontes le maximum.”
Le témoin qui n’a “rien vu”
Le visage de Rabah devient subitement rouge et la bonhomie qu’il avait affichée depuis le début disparaît subitement. “Makane hata mouchkil (pas de problèmes). Mais vous devez savoir que je n’ai pas vécu le massacre. On n’habitait pas encore ici. Ce n’est que quelque années après qu’on a acheté ici et donc, je n’ai rien vu.” H. M. semblait désabusé : “Mais tu m’as toujours dis que tu as vécu le drame !” Rabah lui coupa la parole : “Je t’ai dit que je n’y étais pas et donc je ne peux rien dire sur ce qui s’est passé cette nuit-là !” H. M. essaya alors de calmer Rabah qui devenait de plus en plus nerveux. “Mais wache bik ? Hada ni houkouma ni DRS. Si tu ne veux rien raconter, pas de problème.” L’atmosphère devenue lourde, H. M. change de sujet et commence à parler de football à un Rabah qui ne semble pas du tout intéressé par le sujet. Plusieurs minutes après, il interrompt H. M. : “Chouf kho, dit-il en me regardant dans les yeux, tu dois savoir que c’est très difficile de trouver ici des gens qui vont te parler de ce qui s’est passé. Soit ils ne veulent plus s’en rappeler, soit ils ont toujours peur des conséquences. D’ailleurs la plupart ont quitté Bentalha depuis longtemps.” Excité et nerveux, il était évident qu’il voulait quitter la table par n’importe quel moyen. “Avant de vous laisser, je vais vous dire une chose”, lâcha-t-il. “Il y a ici quelqu’un qui est devenu carrément fou depuis cette nuit-là. Ses sept filles et ses trois garçons ont été égorgés. Il a reçu en contrepartie un capital décès, mais la vie ne veut rien dire pour lui. Il est mort lui aussi cette nuit-là, même s’il est encore debout actuellement.” Il nous salue et sort presque en courant pour rejoindre sa voiture et démarrer en trombe en direction de la sortie de Bentalha.
“Je sais qui a tué mon frère”
Après un silence de quelques instants, H. M. lâche : “Je m’excuse vraiment. J’étais sûr qu’il allait nous donner le maximum d’informations surtout que tout le monde savait qu’il était là cette nuit-là.” Et d’ajouter après une gorgée de café : “J’avais pourtant pris soin de ne pas lui dire qu’il s’agissait de la presse. Je ne comprends pas pourquoi il a eu autant peur que ça.”
On quitte Bentalha, H. M. campe le rôle d’un guide de la région. Il nous emmène vers Ouled Allel. “Voilà l’un des plus grands gâchis de la période du terrorisme. C’était un paradis avant la période du terrorisme et tous ceux qui habitaient la Mitidja savaient qu’il y avait tout ici. Le terrorisme l’a transformé et depuis c’est devenu un véritable enfer ici. Personne n’ose plus s’en approcher.” À la fin de cette soirée ramadhanesque, il nous montre sa maison qui se trouve au centre de Sidi-Moussa. “C’est à quelques dizaines de mètres d’ici qu’on a tué mon frère. Je venais d’avoir mon bac. Il avait 31 ans et il est mort dans mes bras. C’était quelqu’un qui aimait la vie et il avait beaucoup de projets.” Les larmes aux yeux, il continue : “Nous avons quitté la maison juste après son assassinat et nous ne sommes revenus que plusieurs années après. Ceux qui l’ont tué sont connus de tout le monde, que ce soit à Sidi-Moussa ou dans les alentours. Ce sont des terroristes notoires et sur lesquels je n’ai aucun doute.”
Bentalha, 11 ans après
Par : SALIM KOUDIL
Lu : (2026 fois)
Pour la première fois depuis 1997, la date du massacre du 23 septembre, qu’avait subi la localité de Bentalha, coïncide avec le mois sacré du Ramadhan.
Onze ans déjà et rien n’a changé depuis. Ou presque. Il suffit de relire les comptes-rendus de la presse, algérienne ou étrangère, réalisés les jours d’après le massacre pour se retrouver dans ce Bentalha-là. Une localité qui, de l’avis même de ses habitants, est en “arrêt sur image” depuis la macabre soirée.
La plupart des survivants du massacre ont quitté les lieux. Les onze ans qui se sont écoulés semblent insuffisants pour livrer tout ce qui s’était passé durant cette nuit d’horreur avec 500 personnes tuées et autant de blessés. Un bilan qui avait suscité des polémiques encore inachevées qui donneront lieu au fameux “qui tue qui ?”. C’est Bentalha qui avait fait sortir de l’anonymat un certain Yous Nesroulah, auteur de Qui a tué à Bentalha ? Et c’est encore Bentalha qui avait permis au photographe algérien Hocine Zaourar de remporter le prix du World Press avec sa célèbre madone. Onze ans après, Bentalha croule toujours sous la poussière et le béton.
À 23h sur les lieux du massacre
Onze ans après la sanglante nuit, nous nous retrouvons ainsi sur les lieux mêmes du crime à vingt-trois heures. C’est l’heure à laquelle, en cette nuit du 23 septembre 1997, le carnage avait commencé. H. M. a 32 ans et il habite à Sidi-Moussa, à quelques encablures des lieux. C’est un jeune cadre dans une entreprise nationale. Son frère a été assassiné. “Par les terroristes islamistes”, a-t-il souvent tenu à préciser tout au long de la soirée. Dès qu’il a eu vent qu’on avait l’intention de faire une “chose” en vue de la 11e année du massacre de Bentalha, il s’est immédiatement enthousiasmé en insistant à se déplacer avec nous. “J’ai des amis là-bas et je connais assez bien l’endroit.” Il nous proposa même d’aller voir une de ses connaissances qui était sur place lors la fameuse soirée du 23 au 24 septembre 1997. La rue principale de Bentalha, longue de plus d’un kilomètre, est toujours en très mauvais état et entre deux gros trous évités en surfant avec sa voiture, H. M. se retournait vers nous avec un sourire nerveux : “Finalement, ce n’est pas la peine d’éviter ces trous, il faut tout simplement choisir le moins profond.” Ayant oublié où habitait sa connaissance et n’arrivant pas à l’avoir au téléphone, H. M. suppose que son ami “a sûrement changé son numéro de téléphone, il en a l’habitude”. Il demande à un jeune adossé à un mur l’adresse de la personne qu’on cherchait. Après nous avoir bien dévisagés, il indiqua la maison du doigt, sans nous quitter des yeux. Elle se trouve à la fin de Haï Djilali, l’un des deux quartiers (l’autre c’est Haï Boudoumi) qui ont subi le massacre de 1997. Devant la porte, H. M. sort de la voiture et commence à appeler : “Rabah ! Rabah !” Quelques instants après, un jeune d’une vingtaine d’années sort de la maison, l’air surpris. H. M. discute avec lui et revient. “C’est le frère de Rabah. Il dit qu’il est absent, mais il m’a donné son nouveau numéro.” Il l’appelle et ils se donnent rendez-vous une demi-heure après à l’entrée de Bentalha. “On va l’attendre dans la cafétéria”, propose H. M.
À la cafétéria, l’ambiance était bien morose. Deux clients seulement y étaient attablés. Arrive enfin Rabah. La trentaine, un gabarit impressionnant, il entre dans la cafétéria avec une autre personne. Il interpelle directement H. M. “J’espère qu’il n’y a rien de grave !” H. M. le tranquillise et après avoir demandé des cafés, il dit à Rabah : “C’est notre ami. Il est en train de préparer une thèse de doctorat sur le massacre qui s’était déroulé ici et veut que tu lui racontes le maximum.”
Le témoin qui n’a “rien vu”
Le visage de Rabah devient subitement rouge et la bonhomie qu’il avait affichée depuis le début disparaît subitement. “Makane hata mouchkil (pas de problèmes). Mais vous devez savoir que je n’ai pas vécu le massacre. On n’habitait pas encore ici. Ce n’est que quelque années après qu’on a acheté ici et donc, je n’ai rien vu.” H. M. semblait désabusé : “Mais tu m’as toujours dis que tu as vécu le drame !” Rabah lui coupa la parole : “Je t’ai dit que je n’y étais pas et donc je ne peux rien dire sur ce qui s’est passé cette nuit-là !” H. M. essaya alors de calmer Rabah qui devenait de plus en plus nerveux. “Mais wache bik ? Hada ni houkouma ni DRS. Si tu ne veux rien raconter, pas de problème.” L’atmosphère devenue lourde, H. M. change de sujet et commence à parler de football à un Rabah qui ne semble pas du tout intéressé par le sujet. Plusieurs minutes après, il interrompt H. M. : “Chouf kho, dit-il en me regardant dans les yeux, tu dois savoir que c’est très difficile de trouver ici des gens qui vont te parler de ce qui s’est passé. Soit ils ne veulent plus s’en rappeler, soit ils ont toujours peur des conséquences. D’ailleurs la plupart ont quitté Bentalha depuis longtemps.” Excité et nerveux, il était évident qu’il voulait quitter la table par n’importe quel moyen. “Avant de vous laisser, je vais vous dire une chose”, lâcha-t-il. “Il y a ici quelqu’un qui est devenu carrément fou depuis cette nuit-là. Ses sept filles et ses trois garçons ont été égorgés. Il a reçu en contrepartie un capital décès, mais la vie ne veut rien dire pour lui. Il est mort lui aussi cette nuit-là, même s’il est encore debout actuellement.” Il nous salue et sort presque en courant pour rejoindre sa voiture et démarrer en trombe en direction de la sortie de Bentalha.
“Je sais qui a tué mon frère”
Après un silence de quelques instants, H. M. lâche : “Je m’excuse vraiment. J’étais sûr qu’il allait nous donner le maximum d’informations surtout que tout le monde savait qu’il était là cette nuit-là.” Et d’ajouter après une gorgée de café : “J’avais pourtant pris soin de ne pas lui dire qu’il s’agissait de la presse. Je ne comprends pas pourquoi il a eu autant peur que ça.”
On quitte Bentalha, H. M. campe le rôle d’un guide de la région. Il nous emmène vers Ouled Allel. “Voilà l’un des plus grands gâchis de la période du terrorisme. C’était un paradis avant la période du terrorisme et tous ceux qui habitaient la Mitidja savaient qu’il y avait tout ici. Le terrorisme l’a transformé et depuis c’est devenu un véritable enfer ici. Personne n’ose plus s’en approcher.” À la fin de cette soirée ramadhanesque, il nous montre sa maison qui se trouve au centre de Sidi-Moussa. “C’est à quelques dizaines de mètres d’ici qu’on a tué mon frère. Je venais d’avoir mon bac. Il avait 31 ans et il est mort dans mes bras. C’était quelqu’un qui aimait la vie et il avait beaucoup de projets.” Les larmes aux yeux, il continue : “Nous avons quitté la maison juste après son assassinat et nous ne sommes revenus que plusieurs années après. Ceux qui l’ont tué sont connus de tout le monde, que ce soit à Sidi-Moussa ou dans les alentours. Ce sont des terroristes notoires et sur lesquels je n’ai aucun doute.”
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