Intervention de Jean-Pierre Chevènement
Merci Monsieur Grigoriev pour cet exposé tout à fait passionnant qui nous a fait comprendre les problèmes réels auxquels est confrontée l’économie russe dont je dois vous dire que nombreux sont, en France, ceux qui se réjouissent de son existence - avec ses richesses pétrolières et surtout gazières - en raison de la complémentarité évidente entre nos besoins et vos ressources. La proximité géographique de la Russie et de l’Europe occidentale ne nous inquiète pas, nous y voyons au contraire un grand avantage. Le rapprochement de l’Europe et de la Russie doit être une perspective toujours présente à l’esprit de nos responsables politiques et j’observe avec plaisir que les choses semblent plutôt aller dans ce sens.
Nous avons parlé d’énergie, un sujet éminemment politique : votre exposé, d’autres auparavant, celui de Monsieur Claude Mandil notamment, l’ont montré. J’adhère au point de vue modéré qu’a exprimé Claude Mandil. La Russie ne doit pas être diabolisée. En 1982, j’étais ministre de l’Industrie dans le gouvernement qui a réquisitionné les entreprises américaines qui, en France, participaient à la construction du gazoduc sibérien, notamment Dresser France, sise au Havre, qui fabriquait les compresseurs. Alors que la guerre froide battait son plein, nous avons pris des décisions conformes à notre intérêt national et à l’intérêt européen bien compris. Je me souviens d’une conversation, à Washington, avec Monsieur Bush père, alors vice-président : j’essayais de lui expliquer que nous avions besoin du gaz sibérien et qu’il ne fallait pas tout ramener à la question de l’Empire du mal. Il n’a pas réagi - sans doute peu désireux de polémiquer - mais il m’a paru assez compréhensif. Il est vrai que la famille Bush s’intéresse beaucoup au pétrole.
Clémenceau disait déjà en 1918 qu’une goutte de pétrole est aussi précieuse qu’une goutte du sang d’un soldat. Chacun sait que le pétrole a gouverné puissamment le partage du Moyen Orient entre la France et la Grande-Bretagne, la Grande-Bretagne se réservant d’ailleurs le meilleur morceau, ne laissant à la France que le quart de l’Iraq Petroleum Company (1) d’où est née la CFP (Compagnie française des pétroles) - aujourd’hui Total - chose qu’on ne rappelle jamais. Je ne soulignerai pas le rôle important que joua le pétrole lors de la Deuxième guerre mondiale, déviant les offensives des armées de Hitler en URSS vers le Caucase. Pas davantage ne faudrait-il oublier que c’est l’embargo américain sur le pétrole qui décida les Japonais à lancer leur offensive suicidaire sur Pearl Harbour. Aujourd’hui, qui ne voit le rôle du pétrole dans la stratégie américaine au Moyen Orient et en Asie centrale pour s’accaparer les richesses de la région du Golfe mais aussi de la Caspienne (avec probablement quelques erreurs d’estimation) ? J’ai lu le rapport de Claude Mandil sur les richesses du Turkménistan. Il se trouve que je fus en tant que parlementaire président de France-Turkménistan à l’époque où le Turkménistan était classé comme le 4e pays quant aux réserves gazières : je vois que ces prévisions ont été revues à la baisse.
Je note aussi que le projet Nabucco (2) ne pourra réussir que s’il est alimenté avec du gaz russe, juste retour des choses car il avait précisément été conçu pour contourner la Russie ! Faut-il y voir un inconvénient? Je n’en vois guère car, comme le dit Monsieur Mandil, le gaz russe ne représente que 7% de notre consommation énergétique globale. Pour des raisons évidentes de proximité géographique, c’est beaucoup plus important pour les Pays baltes.
Les tensions qu’on observe aujourd’hui en Europe ne procèdent-elles pas aussi de la diplomatie américaine ? Les systèmes anti-missiles, la volonté d’étendre l’OTAN toujours plus à l’est trahissent les engagements qui avaient été pris en 1989-90 vis-à-vis des Soviétiques à l’époque Monsieur Gorbatchev) de ne pas étendre l’OTAN au territoire même des Länder d’Allemagne de l’est : je m’en souviens d’autant mieux que j’étais alors ministre de la Défense. Depuis on a fait beaucoup de « progrès » (au sens étymologique du terme), poussant jusqu’à la Tchéquie, la Hongrie, la Pologne, les Pays baltes et on parle pour demain de l’Ukraine de la Géorgie. Cette extension se nourrit évidemment d’une vision antagonique des rapports avec la Russie. Est-ce là une vue pertinente ?
Les Américains, à mon sens, devraient y réfléchir à deux fois : ils se sont mis à dos le monde musulman (1,2 milliard de personnes) en envahissant l’Irak et en lançant une grande guerre - soi-disant contre la terreur - qui dégénère en guerre de civilisations. Si le terrorisme doit être combattu, terrorisme et monde musulman ne sont absolument pas superposables. Aujourd’hui, on parle beaucoup de la Russie à propos du Caucase, de l’Ukraine etc. Un troisième discours suggère que le grand rival des États-Unis sera la Chine (dont le PIB dépassera en 2030 celui des États-Unis). L’adversaire est-il la Russie ? Le monde musulman ? La Chine ? Je n’ai pas de conseils à donner à nos amis américains mais il serait bon qu’ils choisissent et qu’ils ne nous entraînent pas sur des voies dangereuses et contreproductives. Je pense exprimer là, en un langage assez clair, des réticences de plus en plus sensibles dans la politique française. Le rapport de Monsieur Mandil est très nuancé sur ce sujet (il fallait un certain courage pour écrire ce qu’il a écrit en mars ou avril dernier). Entre l’Europe et la Russie, la complémentarité est, en effet, évidente.
On peut bien sûr envisager une diversification. Ni la Norvège ni l’Algérie ne produiront éternellement du gaz. L’Iran devra être réintégré dans la communauté des nations. Je note la présence de Monsieur l’ambassadeur Nicoullaud qui nous représenta à Téhéran pendant plusieurs années et qui a toujours tenu un langage modéré, comme il convient, sans jamais insulter l’avenir. Nous savons, d’autre part, que l’Iran et le Qatar vivent sur la même – énorme - bulle de gaz. Maintes possibilités de diversification se profilent donc à l’horizon.
emande.
Merci Monsieur Grigoriev pour cet exposé tout à fait passionnant qui nous a fait comprendre les problèmes réels auxquels est confrontée l’économie russe dont je dois vous dire que nombreux sont, en France, ceux qui se réjouissent de son existence - avec ses richesses pétrolières et surtout gazières - en raison de la complémentarité évidente entre nos besoins et vos ressources. La proximité géographique de la Russie et de l’Europe occidentale ne nous inquiète pas, nous y voyons au contraire un grand avantage. Le rapprochement de l’Europe et de la Russie doit être une perspective toujours présente à l’esprit de nos responsables politiques et j’observe avec plaisir que les choses semblent plutôt aller dans ce sens.
Nous avons parlé d’énergie, un sujet éminemment politique : votre exposé, d’autres auparavant, celui de Monsieur Claude Mandil notamment, l’ont montré. J’adhère au point de vue modéré qu’a exprimé Claude Mandil. La Russie ne doit pas être diabolisée. En 1982, j’étais ministre de l’Industrie dans le gouvernement qui a réquisitionné les entreprises américaines qui, en France, participaient à la construction du gazoduc sibérien, notamment Dresser France, sise au Havre, qui fabriquait les compresseurs. Alors que la guerre froide battait son plein, nous avons pris des décisions conformes à notre intérêt national et à l’intérêt européen bien compris. Je me souviens d’une conversation, à Washington, avec Monsieur Bush père, alors vice-président : j’essayais de lui expliquer que nous avions besoin du gaz sibérien et qu’il ne fallait pas tout ramener à la question de l’Empire du mal. Il n’a pas réagi - sans doute peu désireux de polémiquer - mais il m’a paru assez compréhensif. Il est vrai que la famille Bush s’intéresse beaucoup au pétrole.
Clémenceau disait déjà en 1918 qu’une goutte de pétrole est aussi précieuse qu’une goutte du sang d’un soldat. Chacun sait que le pétrole a gouverné puissamment le partage du Moyen Orient entre la France et la Grande-Bretagne, la Grande-Bretagne se réservant d’ailleurs le meilleur morceau, ne laissant à la France que le quart de l’Iraq Petroleum Company (1) d’où est née la CFP (Compagnie française des pétroles) - aujourd’hui Total - chose qu’on ne rappelle jamais. Je ne soulignerai pas le rôle important que joua le pétrole lors de la Deuxième guerre mondiale, déviant les offensives des armées de Hitler en URSS vers le Caucase. Pas davantage ne faudrait-il oublier que c’est l’embargo américain sur le pétrole qui décida les Japonais à lancer leur offensive suicidaire sur Pearl Harbour. Aujourd’hui, qui ne voit le rôle du pétrole dans la stratégie américaine au Moyen Orient et en Asie centrale pour s’accaparer les richesses de la région du Golfe mais aussi de la Caspienne (avec probablement quelques erreurs d’estimation) ? J’ai lu le rapport de Claude Mandil sur les richesses du Turkménistan. Il se trouve que je fus en tant que parlementaire président de France-Turkménistan à l’époque où le Turkménistan était classé comme le 4e pays quant aux réserves gazières : je vois que ces prévisions ont été revues à la baisse.
Je note aussi que le projet Nabucco (2) ne pourra réussir que s’il est alimenté avec du gaz russe, juste retour des choses car il avait précisément été conçu pour contourner la Russie ! Faut-il y voir un inconvénient? Je n’en vois guère car, comme le dit Monsieur Mandil, le gaz russe ne représente que 7% de notre consommation énergétique globale. Pour des raisons évidentes de proximité géographique, c’est beaucoup plus important pour les Pays baltes.
Les tensions qu’on observe aujourd’hui en Europe ne procèdent-elles pas aussi de la diplomatie américaine ? Les systèmes anti-missiles, la volonté d’étendre l’OTAN toujours plus à l’est trahissent les engagements qui avaient été pris en 1989-90 vis-à-vis des Soviétiques à l’époque Monsieur Gorbatchev) de ne pas étendre l’OTAN au territoire même des Länder d’Allemagne de l’est : je m’en souviens d’autant mieux que j’étais alors ministre de la Défense. Depuis on a fait beaucoup de « progrès » (au sens étymologique du terme), poussant jusqu’à la Tchéquie, la Hongrie, la Pologne, les Pays baltes et on parle pour demain de l’Ukraine de la Géorgie. Cette extension se nourrit évidemment d’une vision antagonique des rapports avec la Russie. Est-ce là une vue pertinente ?
Les Américains, à mon sens, devraient y réfléchir à deux fois : ils se sont mis à dos le monde musulman (1,2 milliard de personnes) en envahissant l’Irak et en lançant une grande guerre - soi-disant contre la terreur - qui dégénère en guerre de civilisations. Si le terrorisme doit être combattu, terrorisme et monde musulman ne sont absolument pas superposables. Aujourd’hui, on parle beaucoup de la Russie à propos du Caucase, de l’Ukraine etc. Un troisième discours suggère que le grand rival des États-Unis sera la Chine (dont le PIB dépassera en 2030 celui des États-Unis). L’adversaire est-il la Russie ? Le monde musulman ? La Chine ? Je n’ai pas de conseils à donner à nos amis américains mais il serait bon qu’ils choisissent et qu’ils ne nous entraînent pas sur des voies dangereuses et contreproductives. Je pense exprimer là, en un langage assez clair, des réticences de plus en plus sensibles dans la politique française. Le rapport de Monsieur Mandil est très nuancé sur ce sujet (il fallait un certain courage pour écrire ce qu’il a écrit en mars ou avril dernier). Entre l’Europe et la Russie, la complémentarité est, en effet, évidente.
On peut bien sûr envisager une diversification. Ni la Norvège ni l’Algérie ne produiront éternellement du gaz. L’Iran devra être réintégré dans la communauté des nations. Je note la présence de Monsieur l’ambassadeur Nicoullaud qui nous représenta à Téhéran pendant plusieurs années et qui a toujours tenu un langage modéré, comme il convient, sans jamais insulter l’avenir. Nous savons, d’autre part, que l’Iran et le Qatar vivent sur la même – énorme - bulle de gaz. Maintes possibilités de diversification se profilent donc à l’horizon.
emande.

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