Face aux déboires d'UBS avec la justice américaine, les autorités suisses se retrouvent devant un cas de conscience. Doivent-elles ou non céder aux pressions venues des Etats-Unis et de l'Union européenne et accepter de briser un tabou ?
Encore une fois, les fautes d'UBS obligent le pays à changer d'époque [poursuivie par la justice des Etats-Unis pour avoir aidé des citoyens américains à échapper au fisc, UBS se croyait sortie d'affaire. Le 18 février, la banque suisse avait en effet accepté de payer une amende de 780 millions de dollars et de livrer les noms de 250 clients. Mais Washington exige maintenant des informations sur 52 000 comptes secrets]. Après avoir financé son sauvetage l'automne dernier [la banque a perdu 13 milliards d'euros en 2008], voici que les autorités sacrifient au nom de sa survie un secret bancaire dont Kaspar Villiger, l'ancien ministre des Finances et ancien président de la Confédération helvétique, disait qu'il n'était pas négociable, et que le président de l'Association suisse des banquiers présentait en 2004 comme "bétonné" pour quinze ans.
Gageons que tout ira désormais très vite. Cette crise à rebonds est trop brutale pour s'embarrasser de finesses juridiques. Et puisque la Suisse est prête à les piétiner elle-même, en violant ses propres lois, on voit mal que ses partenaires se gênent.
Juste avant le rebondissement judiciaire de jeudi soir, la réplique du séisme avait déjà surgi à Bruxelles : l'Union européenne réclame à l'avenir un traitement identique à celui consenti aux Américains. Les pressions étaient fortes, elles vont devenir écrasantes. Les déclarations de Nicolas Sarkozy ou d'Angela Merkel [qui souhaitent "moraliser les paradis fiscaux"], ces dernières semaines, ont bien montré les limites des amitiés traditionnelles : c'est au pur rapport de force que les cartes vont être rebattues. Et la Suisse vient d'admettre la faiblesse de sa position.
Ce coup de Trafalgar ne tuera peut-être pas le principe du secret bancaire, mais il risque de balayer la distinction que la Suisse entretient entre fraude et évasion fiscale. Pour conserver le premier, indispensable à la notoriété de la place financière, il s'agira sans doute de sacrifier la seconde.
Cette concession sonnerait le glas de la gestion de fortune transfrontalière et non déclarée, et ouvrirait un nouveau chapitre dans l'histoire de la place financière helvétique.
Quant à la leçon politique, elle est hélas trop évidente. La Suisse mesure combien il lui coûte de n'avoir pas anticipé les réformes que les autres vont exiger d'elle, en lui mettant le couteau sous la gorge. Elle aura beau réclamer de ses accusateurs qu'ils appliquent les mêmes changements dans leurs propres havres fiscaux : la pertinence de l'argument n'en garantira pas l'efficacité. Par tempête, l'isolement se paie comptant…
Jean-Jacques Roth
Le Temps (journal Suisse)
Encore une fois, les fautes d'UBS obligent le pays à changer d'époque [poursuivie par la justice des Etats-Unis pour avoir aidé des citoyens américains à échapper au fisc, UBS se croyait sortie d'affaire. Le 18 février, la banque suisse avait en effet accepté de payer une amende de 780 millions de dollars et de livrer les noms de 250 clients. Mais Washington exige maintenant des informations sur 52 000 comptes secrets]. Après avoir financé son sauvetage l'automne dernier [la banque a perdu 13 milliards d'euros en 2008], voici que les autorités sacrifient au nom de sa survie un secret bancaire dont Kaspar Villiger, l'ancien ministre des Finances et ancien président de la Confédération helvétique, disait qu'il n'était pas négociable, et que le président de l'Association suisse des banquiers présentait en 2004 comme "bétonné" pour quinze ans.
Gageons que tout ira désormais très vite. Cette crise à rebonds est trop brutale pour s'embarrasser de finesses juridiques. Et puisque la Suisse est prête à les piétiner elle-même, en violant ses propres lois, on voit mal que ses partenaires se gênent.
Juste avant le rebondissement judiciaire de jeudi soir, la réplique du séisme avait déjà surgi à Bruxelles : l'Union européenne réclame à l'avenir un traitement identique à celui consenti aux Américains. Les pressions étaient fortes, elles vont devenir écrasantes. Les déclarations de Nicolas Sarkozy ou d'Angela Merkel [qui souhaitent "moraliser les paradis fiscaux"], ces dernières semaines, ont bien montré les limites des amitiés traditionnelles : c'est au pur rapport de force que les cartes vont être rebattues. Et la Suisse vient d'admettre la faiblesse de sa position.
Ce coup de Trafalgar ne tuera peut-être pas le principe du secret bancaire, mais il risque de balayer la distinction que la Suisse entretient entre fraude et évasion fiscale. Pour conserver le premier, indispensable à la notoriété de la place financière, il s'agira sans doute de sacrifier la seconde.
Cette concession sonnerait le glas de la gestion de fortune transfrontalière et non déclarée, et ouvrirait un nouveau chapitre dans l'histoire de la place financière helvétique.
Quant à la leçon politique, elle est hélas trop évidente. La Suisse mesure combien il lui coûte de n'avoir pas anticipé les réformes que les autres vont exiger d'elle, en lui mettant le couteau sous la gorge. Elle aura beau réclamer de ses accusateurs qu'ils appliquent les mêmes changements dans leurs propres havres fiscaux : la pertinence de l'argument n'en garantira pas l'efficacité. Par tempête, l'isolement se paie comptant…
Jean-Jacques Roth
Le Temps (journal Suisse)
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