Fiches” de pai(x)
Dans ce numéro, il est question de scruter de plus près les salaires des hauts cadres en Algérie
Indice d’appréciation du niveau de richesse d’un pays, mais également facteur de motivation ou de démobilisation par excellence de tout travailleur au sens économique du terme, le revenu salarial est une source riche en informations. Les citoyens ne sont pas tous égaux devant les salaires, comme ils le sont devant la loi. En revanche, les lois économiques, elles, recommandent que tout travail mérite salaire dont le niveau est directement lié à la productivité, et ce, à l’opposé des salaires politiques, qui, eux, obéissent à une contrepartie de même nature.
C’est dans ce dernier chapitre que s’inscrivent les revenus des ministres, des parlementaires, ainsi que de certains hauts cadres de l’État dont la productivité, voire le “smig” en termes d’apport concret et en utilité d’actions et d’efforts n’est pas toujours évident à établir.
Telle qu’elle se pratique en Algérie, et notamment dans ce contexte de crise, la fixation des gros salaires des hauts cadres n’obéit pas toujours à une critériologie transparente et s’apparente plus à une attribution d’une partie de la rente qu’à une rétribution d’un travail. En tête de la pyramide, les ministres et les députés, qu’il est légitime de soustraire à tout besoin et autre tentation, accumulent des avantages sans pour autant être tenus par une quelconque obligation de résultats et affichent des rémunérations hors normes et hors catégorie, à l’opposé des managers dont le revenu est fonction de la performance. Le scénario est celui qui consiste à confondre salaire et récompense.
Un tel état de fait a aggravé les disparités et accentué la démobilisation des populations actives quand on sait, par exemple, qu’un contrôleur des douanes, à qui il incombe la surveillance et la protection économique, gagne moins de 20 000 DA et qu’un directeur d’agence bancaire, qui gère des milliards au quotidien, se voit rétribuer à moins de 25 000 DA par mois. Si dans certaines fonctions, le silence et l’immobilisme sont payants, la lecture de certaines fiches de paie comme celles qui se rapportent à des postes sensibles suscite de sérieuses inquiétudes quant aux risques de dérives. Il en est ainsi pour l’agent de contrôle fiscal rémunéré à moins de 25 000 DA et chargé de procéder au recouvrement de l’impôt allant jusqu’à avoir sur ses épaules la mission de réaliser des redressements à coups de milliards auprès des fraudeurs ! N’est-ce pas là un cas avéré d’incitation à la corruption ?
Aujourd’hui, le citoyen ne raisonne plus uniquement en fonction du pouvoir d’achat, mais intègre également dans ses calculs “le pouvoir de logement” dans un pays où la moyenne immobilière par mètre carré est de l’ordre de 75 000 DA.
Alors quand un douanier fermera les yeux devant un conteneur contrefait ou lorsqu’un agent du fisc détournera le regard face à une fraude flagrante, c’est qu’ils auront trouvé une rémunération conséquente que la fiche de paie n’aura jamais fournie…
La révision de la grille des salaires reste un sujet toujours d'actualité. Pays le plus riche du Maghreb grâce à ses revenus pétroliers et ses 140 milliards de dollars de réserves de changes, l'Algérie offre, en effet, des salaires moins élevés que ses voisins.
Mais au-delà de cette comparaison avec les pays voisins, il serait utile de se pencher sur le système salarial national qui, de prime abord, fait ressortir une disparité criante entre différentes catégories de salariés. Ainsi, au moment où la quasi-totalité des salariés, notamment ceux de la Fonction publique dont le gros des troupes se recrute dans l’éducation nationale et la santé, ne cessent de réclamer une revalorisation de leurs salaires, l’État se montre particulièrement généreux vis-à-vis de certaines catégories “privilégiées”.
En effet, le critère selon lequel la rémunération doit tenir compte du résultat, voire de l’efficacité, ne semble pas s’appliquer à tous.
Pour preuve, l’État a décidé, en septembre dernier, d’une augmentation des salaires des députés de 300%. Un membre de l’APN ou du Sénat touche désormais un salaire de 30 millions de centimes, sans compter les primes et autres avantages, contre 13 millions de centimes auparavant.
Le triplement des salaires des députés qui représentent plus de 25 fois le salaire minimum (le Smig est de 12 000 DA) a choqué beaucoup d’Algériens. Si cette augmentation salariale des parlementaires a fait la une de toute la presse, il semblerait que, plus discrètement, le gouvernement a également revu à la hausse les rémunérations des ministres, des walis et des directeurs des grandes administrations publiques.
Les salaires des membres du gouvernement se situent actuellement entre 330 000 et 350 000 dinars, selon l'importance du ministère, contre 120 000 à 140 000 dinars avant l'augmentation.
Pour leur part, les walis ont vu leurs salaires tripler. Ils sont passés de 50 000 dinars à 150 000 dinars.
Enfin, les salaires des directeurs des grandes administrations ont également été revus à la hausse.
Par ailleurs, les indemnités des magistrats ont également été augmentées, ainsi que leurs salaires qui ont été alignés sur ceux des députés et des ministres, à la faveur du décret présidentiel du 5 octobre dernier déterminant les modalités de déroulement de la carrière des magistrats et leur rémunération. Le salaire brut sans l’indemnité de responsabilité est ainsi porté à plus de 20 millions pour les magistrats classés au premier groupe, selon la nouvelle nomenclature.
Ce premier groupe comporte les premiers présidents de la Cour suprême, le président de la Cour d’État, les procureurs généraux de la Cour suprême et les commissaires d’État près le Conseil d’État. Pour ce premier groupe, l’indemnité mensuelle de responsabilité s’élève à 50 000 dinars.
Tandis que le second groupe et qui concerne les vice-présidents de la Cour suprême, les vice-présidents de la Cour d’État, les procureurs généraux-adjoints près la Cour suprême, les vice-commissaires d’État près le Conseil d’État, les présidents de chambre à la Cour suprême et les présidents de chambre au Conseil d’État, leur salaire brut sera désormais de 201 732,50 dinars alors que leur indemnité est de 30 000 dinars.
Les autres salaires varient entre 197 315 et 105 545 dinars pour un magistrat stagiaire. Leurs indemnités mensuelles de responsabilité oscillent entre 14 000 et 20 000 dinars.
Comparé aux 6 millions de centimes par mois que touche un chef d’entreprise publique, ces salaires octroyés aux élus et aux ministres renseignent sur la disparité criante qui caractérise le système salarial national.
Il convient de relever à ce titre que les modestes salaires dans le secteur public sont derrière la fuite de milliers de cadres vers le secteur privé étranger.
D’ailleurs, c’est justement au niveau du secteur privé étranger que l’on constate une autre forme de disparité salariale. En effet, entre employés algériens et expatriés des firmes étrangères, le principe dû “à travail égal, salaire égal” n’est pas du tout de mise. Les étrangers touchent jusqu’à 150 fois plus que les nationaux. À titre d’exemple, les quelques expatriés travaillant pour ADP à l’aéroport d’Alger touchent, selon des indiscrétions,
16 000 euros par mois.
Durant sa campagne électorale, le candidat Bouteflika a promis une augmentation des salaires.
Élu confortablement, le président Bouteflika tiendra sans aucun doute ses engagements en ce qui concerne cette augmentation du salaire national minimum garanti. Mais quel que soit le niveau de cette augmentation, elle sera loin d’atténuer les disparités qui minent le système salarial national.
Par Liberté
Dans ce numéro, il est question de scruter de plus près les salaires des hauts cadres en Algérie
Indice d’appréciation du niveau de richesse d’un pays, mais également facteur de motivation ou de démobilisation par excellence de tout travailleur au sens économique du terme, le revenu salarial est une source riche en informations. Les citoyens ne sont pas tous égaux devant les salaires, comme ils le sont devant la loi. En revanche, les lois économiques, elles, recommandent que tout travail mérite salaire dont le niveau est directement lié à la productivité, et ce, à l’opposé des salaires politiques, qui, eux, obéissent à une contrepartie de même nature.
C’est dans ce dernier chapitre que s’inscrivent les revenus des ministres, des parlementaires, ainsi que de certains hauts cadres de l’État dont la productivité, voire le “smig” en termes d’apport concret et en utilité d’actions et d’efforts n’est pas toujours évident à établir.
Telle qu’elle se pratique en Algérie, et notamment dans ce contexte de crise, la fixation des gros salaires des hauts cadres n’obéit pas toujours à une critériologie transparente et s’apparente plus à une attribution d’une partie de la rente qu’à une rétribution d’un travail. En tête de la pyramide, les ministres et les députés, qu’il est légitime de soustraire à tout besoin et autre tentation, accumulent des avantages sans pour autant être tenus par une quelconque obligation de résultats et affichent des rémunérations hors normes et hors catégorie, à l’opposé des managers dont le revenu est fonction de la performance. Le scénario est celui qui consiste à confondre salaire et récompense.
Un tel état de fait a aggravé les disparités et accentué la démobilisation des populations actives quand on sait, par exemple, qu’un contrôleur des douanes, à qui il incombe la surveillance et la protection économique, gagne moins de 20 000 DA et qu’un directeur d’agence bancaire, qui gère des milliards au quotidien, se voit rétribuer à moins de 25 000 DA par mois. Si dans certaines fonctions, le silence et l’immobilisme sont payants, la lecture de certaines fiches de paie comme celles qui se rapportent à des postes sensibles suscite de sérieuses inquiétudes quant aux risques de dérives. Il en est ainsi pour l’agent de contrôle fiscal rémunéré à moins de 25 000 DA et chargé de procéder au recouvrement de l’impôt allant jusqu’à avoir sur ses épaules la mission de réaliser des redressements à coups de milliards auprès des fraudeurs ! N’est-ce pas là un cas avéré d’incitation à la corruption ?
Aujourd’hui, le citoyen ne raisonne plus uniquement en fonction du pouvoir d’achat, mais intègre également dans ses calculs “le pouvoir de logement” dans un pays où la moyenne immobilière par mètre carré est de l’ordre de 75 000 DA.
Alors quand un douanier fermera les yeux devant un conteneur contrefait ou lorsqu’un agent du fisc détournera le regard face à une fraude flagrante, c’est qu’ils auront trouvé une rémunération conséquente que la fiche de paie n’aura jamais fournie…
La révision de la grille des salaires reste un sujet toujours d'actualité. Pays le plus riche du Maghreb grâce à ses revenus pétroliers et ses 140 milliards de dollars de réserves de changes, l'Algérie offre, en effet, des salaires moins élevés que ses voisins.
Mais au-delà de cette comparaison avec les pays voisins, il serait utile de se pencher sur le système salarial national qui, de prime abord, fait ressortir une disparité criante entre différentes catégories de salariés. Ainsi, au moment où la quasi-totalité des salariés, notamment ceux de la Fonction publique dont le gros des troupes se recrute dans l’éducation nationale et la santé, ne cessent de réclamer une revalorisation de leurs salaires, l’État se montre particulièrement généreux vis-à-vis de certaines catégories “privilégiées”.
En effet, le critère selon lequel la rémunération doit tenir compte du résultat, voire de l’efficacité, ne semble pas s’appliquer à tous.
Pour preuve, l’État a décidé, en septembre dernier, d’une augmentation des salaires des députés de 300%. Un membre de l’APN ou du Sénat touche désormais un salaire de 30 millions de centimes, sans compter les primes et autres avantages, contre 13 millions de centimes auparavant.
Le triplement des salaires des députés qui représentent plus de 25 fois le salaire minimum (le Smig est de 12 000 DA) a choqué beaucoup d’Algériens. Si cette augmentation salariale des parlementaires a fait la une de toute la presse, il semblerait que, plus discrètement, le gouvernement a également revu à la hausse les rémunérations des ministres, des walis et des directeurs des grandes administrations publiques.
Les salaires des membres du gouvernement se situent actuellement entre 330 000 et 350 000 dinars, selon l'importance du ministère, contre 120 000 à 140 000 dinars avant l'augmentation.
Pour leur part, les walis ont vu leurs salaires tripler. Ils sont passés de 50 000 dinars à 150 000 dinars.
Enfin, les salaires des directeurs des grandes administrations ont également été revus à la hausse.
Par ailleurs, les indemnités des magistrats ont également été augmentées, ainsi que leurs salaires qui ont été alignés sur ceux des députés et des ministres, à la faveur du décret présidentiel du 5 octobre dernier déterminant les modalités de déroulement de la carrière des magistrats et leur rémunération. Le salaire brut sans l’indemnité de responsabilité est ainsi porté à plus de 20 millions pour les magistrats classés au premier groupe, selon la nouvelle nomenclature.
Ce premier groupe comporte les premiers présidents de la Cour suprême, le président de la Cour d’État, les procureurs généraux de la Cour suprême et les commissaires d’État près le Conseil d’État. Pour ce premier groupe, l’indemnité mensuelle de responsabilité s’élève à 50 000 dinars.
Tandis que le second groupe et qui concerne les vice-présidents de la Cour suprême, les vice-présidents de la Cour d’État, les procureurs généraux-adjoints près la Cour suprême, les vice-commissaires d’État près le Conseil d’État, les présidents de chambre à la Cour suprême et les présidents de chambre au Conseil d’État, leur salaire brut sera désormais de 201 732,50 dinars alors que leur indemnité est de 30 000 dinars.
Les autres salaires varient entre 197 315 et 105 545 dinars pour un magistrat stagiaire. Leurs indemnités mensuelles de responsabilité oscillent entre 14 000 et 20 000 dinars.
Comparé aux 6 millions de centimes par mois que touche un chef d’entreprise publique, ces salaires octroyés aux élus et aux ministres renseignent sur la disparité criante qui caractérise le système salarial national.
Il convient de relever à ce titre que les modestes salaires dans le secteur public sont derrière la fuite de milliers de cadres vers le secteur privé étranger.
D’ailleurs, c’est justement au niveau du secteur privé étranger que l’on constate une autre forme de disparité salariale. En effet, entre employés algériens et expatriés des firmes étrangères, le principe dû “à travail égal, salaire égal” n’est pas du tout de mise. Les étrangers touchent jusqu’à 150 fois plus que les nationaux. À titre d’exemple, les quelques expatriés travaillant pour ADP à l’aéroport d’Alger touchent, selon des indiscrétions,
16 000 euros par mois.
Durant sa campagne électorale, le candidat Bouteflika a promis une augmentation des salaires.
Élu confortablement, le président Bouteflika tiendra sans aucun doute ses engagements en ce qui concerne cette augmentation du salaire national minimum garanti. Mais quel que soit le niveau de cette augmentation, elle sera loin d’atténuer les disparités qui minent le système salarial national.
Par Liberté
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