Jean-Pierre Chevènement
Merci à Jean-Luc Gréau.
Je voudrais faire observer devant deux économistes libéraux qui aboutissent à des préconisations sensiblement différentes que moi-même, avec quelques autres, j’avais inventé, une technique pour éviter les délocalisations, c’étaient … les nationalisations ! C’était, il est vrai, il y a fort longtemps !
Au-delà de cette boutade, je voudrais insister sur un élément qui rapproche vos thèses. M. Gréau, comme M. Sapir et M. El Karoui, ont insisté sur la pression déflationniste exercée par les pays à bas coût de main d’œuvre. Chacun comprend que cela pèse sur la demande et que c’est peut-être une des origines de la fuite en avant dans l’endettement. En même temps, comment la Chine aurait-elle pu développer ses exportations si l’économie américaine ne s’était pas grand ouverte à ses exportations, usant et abusant, jusqu’à la corde, du privilège du dollar ?
Donc je ne vois pas, au niveau de l’analyse des causes, de divergence fondamentale entre vous parce que cette pression déflationniste exercée par les pays à bas coût n’est possible que par la politique des changes flottants organisée autour du dollar, monnaie mondiale, dans un pays qui a abandonné le modèle fordiste pour un modèle rentier.
Les Etats-Unis n’ont conservé leurs industries qu’à cause de leur budget de défense qui arrose les nouvelles technologies de l’information, l’aéronautique, de l’espace. Ils ont laissé partir une grande partie du reste, se repliant sur le secteur financier, prodigieusement développé, cherchant à capter l’épargne mondiale - avec succès : 80% -, visant à mettre la main sur les ressources mondiales en hydrocarbures, grâce aussi à leur potentiel militaire, à leurs interventions extérieures et à leur appareil coercitif qui, naturellement, crée une situation très particulière.
M. Daniel nous le disait tout à l’heure : comment demander aux Américains de mettre fin à cet abus qu’est le privilège du dollar ? Ils vont rire !... jusqu’à un certain point parce qu’il ne faut quand même pas oublier les créanciers : la Chine, le Japon, un peu les Européens, certains pétromonarques. Bref, il y a quand même une pression qui s’exerce.
Le président de la Banque de Chine vient d’appeler à la création d’un nouveau panier de monnaies qui serait une nouvelle monnaie de réserve et se substituerait au dollar. Est-ce possible ? Certains ne le croient pas. C’était le principe du DTS, créé par les accords de la Jamaïque, en 1976 mais dont les États-Unis ont freiné l’émission par le FMI. Une chose est sûre : on n’est pas certain que le dollar soit assuré de l’éternité.
Je pense qu’il faut introduire un peu de géopolitique, si vous permettez à l’homme politique de s’exprimer. Nous sommes au point où un historien américain, Paul Kennedy, parlait de « la surextension impériale » (1), exprimant par là qu’un empire ne peut pas s’étendre au-delà d’un certain point où sa base n’est plus suffisamment large pour lui permettre de développer son extension, sa « surextension », bref, de multiplier ses engagements. Ce que Paul Kennedy avait décrit en 1987 se réalise aujourd’hui : les Etats-Unis ne peuvent plus dominer seuls le reste de la planète, il n’est même pas certain qu’avec leurs différents auxiliaires, au Japon ou en Europe, ils le puissent encore. Mais c’est une prospective pessimiste que je laisse à Jean-Luc Gréau qui en déduit une forme de protectionnisme pour l’Europe.
Je voudrais conclure en disant que, comme M. Daniel, je ne pense pas qu’on puisse convertir les Chinois à la thèse d’un protectionnisme modéré (concurrence équitable, raisonnable). Il faudra leur imposer ou on n’y arrivera pas. Mais ce n’est pas l’Europe qui l’imposera, ça ne peut venir que des Etats-Unis ; nous suivrons ensuite. Il faudrait aussi convaincre les Allemands de la nécessité de cette protection au niveau de l’Europe. Les Allemands étaient encore l’an dernier les premiers exportateurs mondiaux, suivis de très près par la Chine. Aujourd’hui, ils ont été dépassés par la Chine. Mais ils restent convaincus que l’hypercompétitivité sur les marchés extérieurs et européens est la « clé » de leur réussite.
Jean-Luc Gréau
Les réserves de change de la Chine ont dépassé de 1000 milliards de dollars celles de l’Allemagne. Les exportations de la Chine ont baissé fortement sur la période récente à cause de la crise mais elles ont baissé moins vite que les importations. L’excédent commercial chinois est donc en croissance et les réserves de change continuent à gonfler, inutilement. Je vais appeler à la rescousse ce pauvre Keynes qui a rangé l’épargne des ménages en trois rubriques : « encaisse de transaction », « encaisse de précaution » et « encaisse de spéculation ». On peut considérer les réserves de change d’un pays comme une encaisse de précaution, c’est-à-dire ce que ce pays doit avoir à sa disposition en cas de problème inopiné (crise de compétitivité, choc pétrolier etc.). Mais il n’y a aucune raison pour que les réserves de change augmentent continuellement à un rythme aussi effréné que celles de la Chine en ce moment.
Jean-Marc Daniel
Je voudrais réagir à ce que vous venez de dire sur le fait que les Américains sont dépendants de leurs créanciers. Les Américains ne sont dépendants de personne. S’ils ont besoin de dollars, ils les fabriquent. Les Chinois ont 2000 milliards de dollars, le déficit budgétaire américain va atteindre 1 500 milliards de dollars. Les Chinois ne peuvent donc pas payer le déficit budgétaire américain et pourtant ce déficit sera payé. Il sera payé par la Réserve fédérale des États-Unis qui vient d’acheter 300 milliards de dollars. J’insiste là-dessus : un discours récurrent consiste à dire que les Américains sont dépendants de leurs créanciers. Les Américains ne se soucient pas de leurs créanciers ; en revanche leurs créanciers sont dépendants des Américains, car ce sont eux qui subissent les pertes quand ces avoirs diminuent. Concrètement, quand les Chinois ont décidé de créer un fonds souverain qui n’achetait plus de la dette publique américaine, celui-ci a acheté pour 100 milliards d’actions sur la bourse de New York. Ces actions valent maintenant 28 milliards de dollars. Les Chinois se sont donc fait avoir de 72 milliards de dollars. Je peux vous dire que ça n’altère pas la sérénité des Américains !
La seule menace pour les Américains, c’est qu’une monnaie se substitue au dollar.
Quelle monnaie pourrait se substituer au dollar ?
Ce pourrait être l’euro. Mais, pour l’instant, les Européens débattent : faut-il faire de l’euro une monnaie de réserve ou pas ?
Il n’y a pas, aujourd’hui, de monnaie de substitution. Au mois de juillet dernier, quand l’euro était à 1,60 dollar, la Banque centrale européenne pouvait parfaitement faire baisser l’euro, il suffisait qu’elle se porte sur le marché des changes. Sans être dans le secret des dieux, je crois savoir qu’il y a eu un débat assez violent à l’eurogroupe. M. Steinbrück aurait dit à Mme Lagarde : « Nous ne nous sommes peut-être pas compris au moment du Traité de Maastricht, il serait donc souhaitable de mettre les choses au point et de se poser la question de ce qu’on va faire désormais ». La formule des Américains, c’est : « Le dollar, c’est notre monnaie mais c’est votre problème », la formule de M. Steinbrück a été : « l’euro, c’est notre monnaie et ça n’a vocation à devenir le problème de personne ». Concrètement, si les Européens et la Banque centrale européenne avaient racheté des dollars sur le marché des changes, ils auraient savouré, comme la Banque centrale de Chine, le plaisir ineffable de voir ces dollars se dévaloriser à grande vitesse. Les bons du Trésor que détient la Banque centrale de Chine sont sur la base d’un taux d’intérêt moyen de 3%. Si la tension continue sur les marchés financiers américains, si l’hypothèse du Trésor américain, selon laquelle le taux d’intérêt à long terme aux États-Unis sera à 6% à la fin de l’année, s’avère, grosso modo, les 2000 milliards de dollars de la réserve de la Banque centrale de Chine vaudront deux fois moins à la fin de l’année. Donc, accumuler des dollars, ce n’est pas de l’épargne de précaution, c’est de la bêtise. La BCE ne veut pas s’y risquer. Moyennant quoi, les Américains sont dans une situation de privilège exorbitant et je maintiens qu’il n’y a pas de rival au dollar. Vous avez évoqué le DTS ; autrefois, il y avait l’or : tout cela a été évacué. Quand M. Rodrigo de Rato, au FMI, a suggéré une petite émission de DTS, on lui a conseillé de s’occuper de sa famille, ce qu’il fit. Quant à son successeur, il a compris qu’il valait mieux ne pas se concentrer sur le DTS.
Le discours selon lequel les Américains sont dépendants de leurs créanciers est absurde. Qui détient la planche à billets ne dépend d’aucun créancier. Les Américains ne sont dépendants que des limites techniques de l’imprimerie, de la vitesse d’impression des dollars.
Jean-Pierre Chevènement
Monsieur le professeur, avec tout le respect que je vous dois, les Britanniques savent, eux aussi, utiliser les techniques de l’imprimerie puisqu’ils sont en train de racheter, au niveau de la Banque centrale, des bons du Trésor britannique. Je sais bien que le Traité de Maastricht interdit absolument à la Banque centrale européenne de se livrer à des pratiques aussi malhonnêtes !
Faisons un peu de politique : peut-être un des enjeux pour l’Europe serait-il la reprise de cette discussion qui, à l’époque où nous discutions du Traité de Maastricht, n’est pas allée à son terme (malgré les arguments qu’avançaient à l’époque Madame Garaud et, plus modestement, moi-même).
Marie-France Garaud
Je suis un peu étonnée que cette discussion porte exclusivement sur des questions techniques, monétaires, financières, comme si le monde était un univers plat dans lequel il n’y a ni hommes ni politique.
Il me semble qu’un événement politique majeur a déterminé la situation actuelle, c’est la chute du Mur de Berlin et surtout la chute du système soviétique. Le libéralisme est né dans un monde homogène, l’Occident, ce qui a donné le libéralisme politique dans lequel on a pu concevoir que la liberté de chacun aboutissait au bien commun, tant en politique qu’en économie. Alors, la mondialisation première s’est étendue à l’Occident, plus son annexe moderne, les États-Unis. (Nous avons déjà vu la casse en Amérique latine !) Mais quand le système soviétique est tombé, brutalement, la mondialisation est devenue « mondiale ». Le mot qu’on applique aux pays qui arrivent dans cette mondialisation est très révélateur : on parle de pays « émergents ». Mais la Chine a « émergé » trois mille ans avant nous ! Les Chinois étaient civilisés quand on se grattait dans nos arbres ! L’Inde avait des prix Nobels dans les années Trente. Autrement dit, nous avons eu tendance à penser que nous allions faire faire en Chine les basses besognes et que nous garderions la technologie.
Merci à Jean-Luc Gréau.
Je voudrais faire observer devant deux économistes libéraux qui aboutissent à des préconisations sensiblement différentes que moi-même, avec quelques autres, j’avais inventé, une technique pour éviter les délocalisations, c’étaient … les nationalisations ! C’était, il est vrai, il y a fort longtemps !
Au-delà de cette boutade, je voudrais insister sur un élément qui rapproche vos thèses. M. Gréau, comme M. Sapir et M. El Karoui, ont insisté sur la pression déflationniste exercée par les pays à bas coût de main d’œuvre. Chacun comprend que cela pèse sur la demande et que c’est peut-être une des origines de la fuite en avant dans l’endettement. En même temps, comment la Chine aurait-elle pu développer ses exportations si l’économie américaine ne s’était pas grand ouverte à ses exportations, usant et abusant, jusqu’à la corde, du privilège du dollar ?
Donc je ne vois pas, au niveau de l’analyse des causes, de divergence fondamentale entre vous parce que cette pression déflationniste exercée par les pays à bas coût n’est possible que par la politique des changes flottants organisée autour du dollar, monnaie mondiale, dans un pays qui a abandonné le modèle fordiste pour un modèle rentier.
Les Etats-Unis n’ont conservé leurs industries qu’à cause de leur budget de défense qui arrose les nouvelles technologies de l’information, l’aéronautique, de l’espace. Ils ont laissé partir une grande partie du reste, se repliant sur le secteur financier, prodigieusement développé, cherchant à capter l’épargne mondiale - avec succès : 80% -, visant à mettre la main sur les ressources mondiales en hydrocarbures, grâce aussi à leur potentiel militaire, à leurs interventions extérieures et à leur appareil coercitif qui, naturellement, crée une situation très particulière.
M. Daniel nous le disait tout à l’heure : comment demander aux Américains de mettre fin à cet abus qu’est le privilège du dollar ? Ils vont rire !... jusqu’à un certain point parce qu’il ne faut quand même pas oublier les créanciers : la Chine, le Japon, un peu les Européens, certains pétromonarques. Bref, il y a quand même une pression qui s’exerce.
Le président de la Banque de Chine vient d’appeler à la création d’un nouveau panier de monnaies qui serait une nouvelle monnaie de réserve et se substituerait au dollar. Est-ce possible ? Certains ne le croient pas. C’était le principe du DTS, créé par les accords de la Jamaïque, en 1976 mais dont les États-Unis ont freiné l’émission par le FMI. Une chose est sûre : on n’est pas certain que le dollar soit assuré de l’éternité.
Je pense qu’il faut introduire un peu de géopolitique, si vous permettez à l’homme politique de s’exprimer. Nous sommes au point où un historien américain, Paul Kennedy, parlait de « la surextension impériale » (1), exprimant par là qu’un empire ne peut pas s’étendre au-delà d’un certain point où sa base n’est plus suffisamment large pour lui permettre de développer son extension, sa « surextension », bref, de multiplier ses engagements. Ce que Paul Kennedy avait décrit en 1987 se réalise aujourd’hui : les Etats-Unis ne peuvent plus dominer seuls le reste de la planète, il n’est même pas certain qu’avec leurs différents auxiliaires, au Japon ou en Europe, ils le puissent encore. Mais c’est une prospective pessimiste que je laisse à Jean-Luc Gréau qui en déduit une forme de protectionnisme pour l’Europe.
Je voudrais conclure en disant que, comme M. Daniel, je ne pense pas qu’on puisse convertir les Chinois à la thèse d’un protectionnisme modéré (concurrence équitable, raisonnable). Il faudra leur imposer ou on n’y arrivera pas. Mais ce n’est pas l’Europe qui l’imposera, ça ne peut venir que des Etats-Unis ; nous suivrons ensuite. Il faudrait aussi convaincre les Allemands de la nécessité de cette protection au niveau de l’Europe. Les Allemands étaient encore l’an dernier les premiers exportateurs mondiaux, suivis de très près par la Chine. Aujourd’hui, ils ont été dépassés par la Chine. Mais ils restent convaincus que l’hypercompétitivité sur les marchés extérieurs et européens est la « clé » de leur réussite.
Jean-Luc Gréau
Les réserves de change de la Chine ont dépassé de 1000 milliards de dollars celles de l’Allemagne. Les exportations de la Chine ont baissé fortement sur la période récente à cause de la crise mais elles ont baissé moins vite que les importations. L’excédent commercial chinois est donc en croissance et les réserves de change continuent à gonfler, inutilement. Je vais appeler à la rescousse ce pauvre Keynes qui a rangé l’épargne des ménages en trois rubriques : « encaisse de transaction », « encaisse de précaution » et « encaisse de spéculation ». On peut considérer les réserves de change d’un pays comme une encaisse de précaution, c’est-à-dire ce que ce pays doit avoir à sa disposition en cas de problème inopiné (crise de compétitivité, choc pétrolier etc.). Mais il n’y a aucune raison pour que les réserves de change augmentent continuellement à un rythme aussi effréné que celles de la Chine en ce moment.
Jean-Marc Daniel
Je voudrais réagir à ce que vous venez de dire sur le fait que les Américains sont dépendants de leurs créanciers. Les Américains ne sont dépendants de personne. S’ils ont besoin de dollars, ils les fabriquent. Les Chinois ont 2000 milliards de dollars, le déficit budgétaire américain va atteindre 1 500 milliards de dollars. Les Chinois ne peuvent donc pas payer le déficit budgétaire américain et pourtant ce déficit sera payé. Il sera payé par la Réserve fédérale des États-Unis qui vient d’acheter 300 milliards de dollars. J’insiste là-dessus : un discours récurrent consiste à dire que les Américains sont dépendants de leurs créanciers. Les Américains ne se soucient pas de leurs créanciers ; en revanche leurs créanciers sont dépendants des Américains, car ce sont eux qui subissent les pertes quand ces avoirs diminuent. Concrètement, quand les Chinois ont décidé de créer un fonds souverain qui n’achetait plus de la dette publique américaine, celui-ci a acheté pour 100 milliards d’actions sur la bourse de New York. Ces actions valent maintenant 28 milliards de dollars. Les Chinois se sont donc fait avoir de 72 milliards de dollars. Je peux vous dire que ça n’altère pas la sérénité des Américains !
La seule menace pour les Américains, c’est qu’une monnaie se substitue au dollar.
Quelle monnaie pourrait se substituer au dollar ?
Ce pourrait être l’euro. Mais, pour l’instant, les Européens débattent : faut-il faire de l’euro une monnaie de réserve ou pas ?
Il n’y a pas, aujourd’hui, de monnaie de substitution. Au mois de juillet dernier, quand l’euro était à 1,60 dollar, la Banque centrale européenne pouvait parfaitement faire baisser l’euro, il suffisait qu’elle se porte sur le marché des changes. Sans être dans le secret des dieux, je crois savoir qu’il y a eu un débat assez violent à l’eurogroupe. M. Steinbrück aurait dit à Mme Lagarde : « Nous ne nous sommes peut-être pas compris au moment du Traité de Maastricht, il serait donc souhaitable de mettre les choses au point et de se poser la question de ce qu’on va faire désormais ». La formule des Américains, c’est : « Le dollar, c’est notre monnaie mais c’est votre problème », la formule de M. Steinbrück a été : « l’euro, c’est notre monnaie et ça n’a vocation à devenir le problème de personne ». Concrètement, si les Européens et la Banque centrale européenne avaient racheté des dollars sur le marché des changes, ils auraient savouré, comme la Banque centrale de Chine, le plaisir ineffable de voir ces dollars se dévaloriser à grande vitesse. Les bons du Trésor que détient la Banque centrale de Chine sont sur la base d’un taux d’intérêt moyen de 3%. Si la tension continue sur les marchés financiers américains, si l’hypothèse du Trésor américain, selon laquelle le taux d’intérêt à long terme aux États-Unis sera à 6% à la fin de l’année, s’avère, grosso modo, les 2000 milliards de dollars de la réserve de la Banque centrale de Chine vaudront deux fois moins à la fin de l’année. Donc, accumuler des dollars, ce n’est pas de l’épargne de précaution, c’est de la bêtise. La BCE ne veut pas s’y risquer. Moyennant quoi, les Américains sont dans une situation de privilège exorbitant et je maintiens qu’il n’y a pas de rival au dollar. Vous avez évoqué le DTS ; autrefois, il y avait l’or : tout cela a été évacué. Quand M. Rodrigo de Rato, au FMI, a suggéré une petite émission de DTS, on lui a conseillé de s’occuper de sa famille, ce qu’il fit. Quant à son successeur, il a compris qu’il valait mieux ne pas se concentrer sur le DTS.
Le discours selon lequel les Américains sont dépendants de leurs créanciers est absurde. Qui détient la planche à billets ne dépend d’aucun créancier. Les Américains ne sont dépendants que des limites techniques de l’imprimerie, de la vitesse d’impression des dollars.
Jean-Pierre Chevènement
Monsieur le professeur, avec tout le respect que je vous dois, les Britanniques savent, eux aussi, utiliser les techniques de l’imprimerie puisqu’ils sont en train de racheter, au niveau de la Banque centrale, des bons du Trésor britannique. Je sais bien que le Traité de Maastricht interdit absolument à la Banque centrale européenne de se livrer à des pratiques aussi malhonnêtes !
Faisons un peu de politique : peut-être un des enjeux pour l’Europe serait-il la reprise de cette discussion qui, à l’époque où nous discutions du Traité de Maastricht, n’est pas allée à son terme (malgré les arguments qu’avançaient à l’époque Madame Garaud et, plus modestement, moi-même).
Marie-France Garaud
Je suis un peu étonnée que cette discussion porte exclusivement sur des questions techniques, monétaires, financières, comme si le monde était un univers plat dans lequel il n’y a ni hommes ni politique.
Il me semble qu’un événement politique majeur a déterminé la situation actuelle, c’est la chute du Mur de Berlin et surtout la chute du système soviétique. Le libéralisme est né dans un monde homogène, l’Occident, ce qui a donné le libéralisme politique dans lequel on a pu concevoir que la liberté de chacun aboutissait au bien commun, tant en politique qu’en économie. Alors, la mondialisation première s’est étendue à l’Occident, plus son annexe moderne, les États-Unis. (Nous avons déjà vu la casse en Amérique latine !) Mais quand le système soviétique est tombé, brutalement, la mondialisation est devenue « mondiale ». Le mot qu’on applique aux pays qui arrivent dans cette mondialisation est très révélateur : on parle de pays « émergents ». Mais la Chine a « émergé » trois mille ans avant nous ! Les Chinois étaient civilisés quand on se grattait dans nos arbres ! L’Inde avait des prix Nobels dans les années Trente. Autrement dit, nous avons eu tendance à penser que nous allions faire faire en Chine les basses besognes et que nous garderions la technologie.
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