Dubaï Port World a créé la sensation en s'emparant du port autonome de Dakar. Le port d'Alger lui est promis aussi. Une « force de conviction » qui engage tout le potentiel d'affaires des émirats.
Les émiratis ont beau être éclatés en émirats, ils jouent collectif en Afrique. Et ils gagnent. Souvent derrière un prestigieux capitaine. Dubai Port World (DPW), il est vrai 3e opérateur mondial pour les terminaux à conteneurs avec 42 concessions dans 22 pays, est passé devant Bolloré dans « son fief » du port autonome de Dakar. La tempête politique n'est pas tout à fait retombée. Le syndicat des travailleurs du groupe Bolloré-Sénégal (SATGBS), hostile, est toujours mobilisé, le groupe Bolloré a déposé deux recours, la diplomatie sarkozienne s'en est mêlée. Sans succès. « C'est l'offre de DPW qui a recueilli le plus de points » répond le directeur du port autonome de Dakar. Des points qui font mouche.
Une pluie de projets
Pour remporter l'appel d'offres pour l'exploitation du terminal à conteneurs du port de Dakar DPW a mis sur la table 45 millions d'euros d'honoraires d'entrée et une promesse d'investissement de 76 millions d'euros. Le vice-président de Dp Word chargé du développement, Matthew Leech, a annoncé que 41 millions d'euros seront consacrés au développement du terminal à conteneurs pour faire passer sa capacité de 250.000 à 550.000 tonnes d'ici 2010 et 300 millions pour le nouveau port dit du Futur qui devrait accueillir 1,5 million de conteneurs en 2011.
Le groupe Bolloré affirme que son offre globale était meilleure. C'est ici qu'intervient la cavalerie arabe. Dans un nuage de promesses de projet : le fonds d'Abu Dhabi financerait le complexe de l'OCI qui tient son prochain sommet à Dakar en mars 2008, un hôtel cinq étoiles, une route, une université à Diourbel... plus sûrement, Emirates va ouvrir une desserte Dubaï Dakar sur la route de l'Amérique du sud et DPW, encore lui, a signé une convention pour aménager une zone économique spéciale et son parc industriel, en fait un port franc.
Et si cela ne suffisait pas pour les partisans de Karim Wade, le fils du Président de la République accusé d'être le vrai bénéficiaire de ce virage vers les pétro-dollars du golfe, l'intérêt national du Sénégal est évoqué dans une nouvelle salve d'autres projets arrivant en parallèle ou dans le sillage « du débarquement émirati au port autonome de Dakar »; avec les Koweitiens pour des financements dans l'immobilier, avec les saoudiens du groupe Ben Laden pour l'aéroport de Dakar, la construction de deux tours, celle du Musée des civilisations noires et, surtout, celle du nouvel aéroport international Blaise Diagne. Le procédé est éprouvé. Ailleurs qu'au Sénégal.
Plus qu'une formalité
« Les émiratis négocient un contrat et font miroiter une ligne d'affaires collatérale » témoigne un cadre algérien du commerce de retour de la réunion de commission mixte Algéro-émirati à Abu Dhabi, ce mois de juin. L'enjeu ? le port d'Alger, et son terminal à conteneurs. Les émiratis s'impatientent des résistances du port d'Alger. Comme celui de Dakar, son terminal aurait du revenir à DPW ce mois de juin. Et servir de pavillon d'affaires dans l'ancienne capitale de la course en méditerranée. DPW a signé une convention d'exclusivité pour négocier avec le ministère des transports algérien de la prise en concession du terminal d'Alger et du port en eau profonde de Djendjen, un mort né à l'est du pays de l'ère de l'industrialisation galopante du pays.
C'est le président Boutéflika qui a privilégié le gré à gré. Au détriment de nombreux concurrents, intéressés par le terminal le plus prometteur de la rive sud méditerranéenne. Mais surprise, au premier round de négociation entre « émiratis » et algériens, le mardi 20 juin à Alger, la discussion est loin d'être une formalité. Le port d'Alger est riche et prétend pouvoir faire les mêmes investissements promis par DPW. Comme pour Dakar, DPW ne joue pas seule. Derrière Dubaï, Abu Dhabi se charge de rappeler les autres engagements émiratis en Algérie. Ils font le poids. Le plus gros investissement émirati, un complexe d'aluminium à Béni Saf sur la côte oranaise, pèse à lui seul ... cinq milliards de dollars. Et l'on est ni dans l'immobilier, ni dans les services financiers.
Chérif Elvalide Seye et Ihsane El Kadi
« Il est devenu intéressant pour les firmes occidentales de prendre la nationalité arabe »
Le point de vue d'Abderrahmane Hadj Nacer, expert financier international
« Depuis la guerre du golfe les émiratis ont entamé une politique classique de diversification des risques dans leurs investissements à l'étranger. Il faut bien voir ici que leur principale zone d'engagement hors OCDE est plus asiatique que Méditerranéenne ou Africaine. Avec la montée des prix du pétrole, les excédents sont devenus considérables et ils n'arrivent plus à les recycler en Occident. Les Emirats Arabes Unis ont su tourner l'accumulation de leur savoir faire dans le management de la globalisation en un avantage comparatif. Ils l'utilisent bien comme effet de levier.
Leurs jeunes, formés dans les meilleures universités anglaises ou américaines, reviennent tous. Et si l'on rencontre peu d'arabes dans les négociations avec les staffs des entreprises de Dubaï, ils ne sont jamais très loin au moment des décisions. Cela dit, il faut bien avoir en tête la forte influence anglo-saxonne sur la place de Dubaï. Les Anglais et les Américains ont décidé d'investir stratégiquement cette place car ils sentent bien que plus loin à l'est comme à Singapour ou, à fortiori, à Hong Kong, ils sont sur un territoire à domination chinoise. Lorsqu'une entreprise comme Halliburton décide d'installer son siège à Dubaï, ce n'est pas seulement pour échapper au fisc américain. Il est devenu intéressant pour des firmes occidentales de prendre la nationalité arabe. Cela peut régler beaucoup de problème. La corruption, par exemple, n'est plus beaucoup gérable à partir des pays de l'OCDE. II est, dans de nombreux africains, plus facile de gagner des marchés en se présentant, dans le contexte d'aujourd'hui sous une bannière arabe.
L'engagement émirati en Afrique recoupe les intérêts anglo-américains, sans se réduire tout à fait à eux. Il va aller en se renforçant. Surtout si l'on observe bien que l'Afrique subsaharienne est une région d'où partent de plus en plus de tuyaux de pétrole et de gaz. Comme avant, il s'agit de contrôler la route des caravanes. C'est la clé de la puissance ».
Propos recueillis par I. El Kadi
gouverneur de la banque d'Algérie de 1989 à 1993
Une pluie de projets
Pour remporter l'appel d'offres pour l'exploitation du terminal à conteneurs du port de Dakar DPW a mis sur la table 45 millions d'euros d'honoraires d'entrée et une promesse d'investissement de 76 millions d'euros. Le vice-président de Dp Word chargé du développement, Matthew Leech, a annoncé que 41 millions d'euros seront consacrés au développement du terminal à conteneurs pour faire passer sa capacité de 250.000 à 550.000 tonnes d'ici 2010 et 300 millions pour le nouveau port dit du Futur qui devrait accueillir 1,5 million de conteneurs en 2011.
Le groupe Bolloré affirme que son offre globale était meilleure. C'est ici qu'intervient la cavalerie arabe. Dans un nuage de promesses de projet : le fonds d'Abu Dhabi financerait le complexe de l'OCI qui tient son prochain sommet à Dakar en mars 2008, un hôtel cinq étoiles, une route, une université à Diourbel... plus sûrement, Emirates va ouvrir une desserte Dubaï Dakar sur la route de l'Amérique du sud et DPW, encore lui, a signé une convention pour aménager une zone économique spéciale et son parc industriel, en fait un port franc.
Et si cela ne suffisait pas pour les partisans de Karim Wade, le fils du Président de la République accusé d'être le vrai bénéficiaire de ce virage vers les pétro-dollars du golfe, l'intérêt national du Sénégal est évoqué dans une nouvelle salve d'autres projets arrivant en parallèle ou dans le sillage « du débarquement émirati au port autonome de Dakar »; avec les Koweitiens pour des financements dans l'immobilier, avec les saoudiens du groupe Ben Laden pour l'aéroport de Dakar, la construction de deux tours, celle du Musée des civilisations noires et, surtout, celle du nouvel aéroport international Blaise Diagne. Le procédé est éprouvé. Ailleurs qu'au Sénégal.
Plus qu'une formalité
« Les émiratis négocient un contrat et font miroiter une ligne d'affaires collatérale » témoigne un cadre algérien du commerce de retour de la réunion de commission mixte Algéro-émirati à Abu Dhabi, ce mois de juin. L'enjeu ? le port d'Alger, et son terminal à conteneurs. Les émiratis s'impatientent des résistances du port d'Alger. Comme celui de Dakar, son terminal aurait du revenir à DPW ce mois de juin. Et servir de pavillon d'affaires dans l'ancienne capitale de la course en méditerranée. DPW a signé une convention d'exclusivité pour négocier avec le ministère des transports algérien de la prise en concession du terminal d'Alger et du port en eau profonde de Djendjen, un mort né à l'est du pays de l'ère de l'industrialisation galopante du pays.
C'est le président Boutéflika qui a privilégié le gré à gré. Au détriment de nombreux concurrents, intéressés par le terminal le plus prometteur de la rive sud méditerranéenne. Mais surprise, au premier round de négociation entre « émiratis » et algériens, le mardi 20 juin à Alger, la discussion est loin d'être une formalité. Le port d'Alger est riche et prétend pouvoir faire les mêmes investissements promis par DPW. Comme pour Dakar, DPW ne joue pas seule. Derrière Dubaï, Abu Dhabi se charge de rappeler les autres engagements émiratis en Algérie. Ils font le poids. Le plus gros investissement émirati, un complexe d'aluminium à Béni Saf sur la côte oranaise, pèse à lui seul ... cinq milliards de dollars. Et l'on est ni dans l'immobilier, ni dans les services financiers.
Chérif Elvalide Seye et Ihsane El Kadi
« Il est devenu intéressant pour les firmes occidentales de prendre la nationalité arabe »
Le point de vue d'Abderrahmane Hadj Nacer, expert financier international
« Depuis la guerre du golfe les émiratis ont entamé une politique classique de diversification des risques dans leurs investissements à l'étranger. Il faut bien voir ici que leur principale zone d'engagement hors OCDE est plus asiatique que Méditerranéenne ou Africaine. Avec la montée des prix du pétrole, les excédents sont devenus considérables et ils n'arrivent plus à les recycler en Occident. Les Emirats Arabes Unis ont su tourner l'accumulation de leur savoir faire dans le management de la globalisation en un avantage comparatif. Ils l'utilisent bien comme effet de levier.
Leurs jeunes, formés dans les meilleures universités anglaises ou américaines, reviennent tous. Et si l'on rencontre peu d'arabes dans les négociations avec les staffs des entreprises de Dubaï, ils ne sont jamais très loin au moment des décisions. Cela dit, il faut bien avoir en tête la forte influence anglo-saxonne sur la place de Dubaï. Les Anglais et les Américains ont décidé d'investir stratégiquement cette place car ils sentent bien que plus loin à l'est comme à Singapour ou, à fortiori, à Hong Kong, ils sont sur un territoire à domination chinoise. Lorsqu'une entreprise comme Halliburton décide d'installer son siège à Dubaï, ce n'est pas seulement pour échapper au fisc américain. Il est devenu intéressant pour des firmes occidentales de prendre la nationalité arabe. Cela peut régler beaucoup de problème. La corruption, par exemple, n'est plus beaucoup gérable à partir des pays de l'OCDE. II est, dans de nombreux africains, plus facile de gagner des marchés en se présentant, dans le contexte d'aujourd'hui sous une bannière arabe.
L'engagement émirati en Afrique recoupe les intérêts anglo-américains, sans se réduire tout à fait à eux. Il va aller en se renforçant. Surtout si l'on observe bien que l'Afrique subsaharienne est une région d'où partent de plus en plus de tuyaux de pétrole et de gaz. Comme avant, il s'agit de contrôler la route des caravanes. C'est la clé de la puissance ».
Propos recueillis par I. El Kadi
gouverneur de la banque d'Algérie de 1989 à 1993
