LE MONDE ECONOMIE | 31.08.09
L président Nicolas Sarkozy a lancé, mercredi 26 août, les travaux de la commission coprésidée par les anciens premiers ministres Alain Juppé et Michel Rocard : elle doit définir dans les deux mois les "priorités stratégiques" du grand "emprunt national" à lancer en 2010 pour financer des investissements d'avenir.
LES FAITS
En Europe, les Etats et les entreprises vont être confrontés au "mur de la dette"
Mais cette dette s'ajoutera aux précédentes. Aux Etats-Unis, en Europe ou au Japon, les pertes de recettes liées à la récession et le coût des plans de sauvetage bancaires et de relance se chiffreront en milliers de milliards d'euros. Et cela dans un contexte de progression des dépenses liées au vieillissement des populations. Une fois la reprise venue, des baisses de dépenses publiques et des hausses d'impôts seront-elles supportables, notamment pour des ménages lestés par leurs emprunts immobiliers ?
Abandonnée dans les années 1980, une recette pourrait alors revenir au goût du jour : l'inflation. La hausse des prix accroît les revenus des entreprises et de l'Etat – et des ménages quand les salaires sont indexés –, alors que la charge de la dette reste constante.
Par l'inflation, les détenteurs de créances paieraient à leur tour leur écot à la crise, après les contribuables, les salariés ou les actionnaires.
"On ne pourra pas se débarrasser de stocks de dettes aussi élevés dans les pays industrialisés sans accepter davantage d'inflation. Le bon sens serait qu'on se prépare à un retour de l'inflation pour amoindrir ses effets négatifs. La hausse des prix serait aujourd'hui une bonne nouvelle compte tenu des risques de déflation. Ce serait la façon la moins douloureuse de soulager le fardeau de la dette. Or, les Etats-Unis sont davantage prêts à accepter ce discours que les Européens", explique Véronique Riches-Flores, chef économiste Europe de la Société générale.
En finançant directement la dette de l'Etat par la création monétaire, la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque d'Angleterre (BoE) semblent suivre cette voie. Entre le risque de dépression et de déflation – le retour aux années 1930 – et celui de subir, à terme, une croissance un peu inflationniste – sur le modèle des "trente glorieuses" d'après-guerre –, les Etats-Unis et le Royaume-Uni semblent avoir choisi le second.
Compte tenu de l'aversion américaine pour l'impôt, "le consensus politique va se faire en faveur de l'expropriation légale que représente l'inflation" afin d'alléger la dette, prévoit Jacques Delpla, membre du Conseil d'analyse économique (CAE). "Tout point d'inflation non anticipé est un gain pour les débiteurs, car il réduit la charge de la dette d'autant. De plus, celle-ci est en partie détenue par des étrangers, notamment chinois, alors que la baisse des dépenses et la hausse des impôts toucheraient à 100 % les Américains", ajoute-t-il.
Mais "l'inflation provoque des effets de redistribution puissants, entre emprunteurs et créanciers, et aussi, par exemple en France, entre ceux qui sont payés au smic – les seuls dont le salaire est indexé sur les prix – et la plus grande partie des salariés", rappelle Anton Brender, directeur des études économiques de Dexia Asset Management.
Lors des "trente glorieuses", ces effets étaient corrigés par des mesures de soutien de l'épargne populaire et par l'indexation de tous les salaires sur les prix.
LE RETOUR DE L'ETAT
Depuis les années 1980, les salaires ne suivent plus automatiquement les prix, pour éviter une spirale qui affaiblissait la compétitivité des économies industrialisées. La concurrence accrue des pays émergents a accentué cette pression sur les salaires.
Mais cette contrainte pourrait s'atténuer, dans un contexte où l'Etat fait son retour dans l'économie. "Dans le monde qui sortira de la crise, estime MmeRiches-Flores, la possibilité d'un retour de l'inflation n'est pas absurde. Les réponses apportées à la récession vont aboutir à un “détricotage” de la mondialisation, dans ses excès financiers et dans l'économie réelle."
Ainsi, ajoute-t-elle, "la croissance ne sera plus tirée par la consommation, dans les pays riches, de produits fabriqués dans les pays émergents, mais par l'investissement public – dépenses d'infrastructures, de développement durable – qui iront à l'encontre de la multiplication des échanges, de l'hyperconcurrence et de ses effets déflationnistes sur les salaires. Cette politique n'est pas protectionniste, mais a les mêmes effets, sans barrière douanière", assure-t-elle. La Chine s'intéresse ainsi davantage à son marché intérieur.
Le retour à un régime de croissance inflationniste serait donc envisageable à terme. "Au XXe siècle, les périodes de croissance forte qui ont permis de s'approcher du plein-emploi, ont été inflationnistes, non par nature, mais parce qu'elles renvoyaient à des mécanismes plus ou moins formalisés d'indexation des revenus, en particulier des salaires sur les prix, et parce qu'elles allégeaient la dette des ménages, de l'Etat et des firmes", explique Pierre Bezbakh, maître de conférences à l'université Paris-Dauphine et chroniqueur au "Monde Economie".
La contrepartie de cette croissance – les rendements de l'épargne investie en emprunts comme l'assurance-vie sont rognés – pourrait être moins bien ressentie par une population qui a vieilli et épargné pour sa retraite.
Mais, crainte ou souhaitée, cette hausse des prix se profile-t-elle vraiment ? Selon Mme Riches-Flores, il n'y aura sans doute pas de retour de l'inflation avant 2011 ou 2012. "Nous sommes dans une situation intermédiaire où des pressions inflationnistes et déflationnistes coexistent, ajoute M. Bezbakh. Il est difficile de prévoir lesquelles vont prendre le dessus. L'inflation ne se décrète pas pour alléger la dette, mais on peut ne pas prendre de mesures restrictives en espérant… qu'elle va l'alléger."
La Société générale a calculé qu'accepter 4 % d'inflation annuelle sur quinze ans ferait refluer, sur la période, les dettes publique et privée françaises de 75 points de produit intérieur brut (PIB) – de 120 points aux Etats-Unis et de 140 points au Japon ! Mais si la hausse des prix dérapait fortement – atteignant deux chiffres –, il en résulterait une forte tension sur les marchés obligataires, celui des taux d'intérêt à long terme. Les banques centrales devraient agir et remonter fortement leurs taux. Gérer l'inflation nécessiterait donc du doigté.
LE DOGMATISME DE LA BCE
Dans la zone euro, le traité de Maastricht donne comme principale mission à la Banque centrale européenne (BCE) de veiller à la stabilité des prix; et celle-ci n'aime pas prendre le moindre risque à ce sujet. "On ne peut pas modifier le traité sans l'unanimité. Et il y a un consensus politique anti-inflationniste en Allemagne. Si on veut de l'inflation, soit on quitte la zone euro, soit les Allemands la quittent", prévient M. Delpla.
La BCE a défini elle-même la stabilité des prix comme une hausse des prix de moins de 2 %, proche de 2 %. Pourrait-elle l'assouplir ? "Mieux vaut 3 % de croissance et 3 % d'inflation que la déflation", affirme Marc Touati, directeur des études économiques de la société de gestion Global Equities, pour qui, "par dogmatisme", la BCE n'a pas jusqu'ici suffisamment abaissé ses taux directeurs.
Passé la baisse de cet été, due aux effets différés du reflux des prix pétroliers, l'inflation devrait reprendre et s'établir à 2,3 % en zone euro en 2010, avec des pics techniques vers 3 % en rythme annuel. Si la BCE remontait trop vite et trop fort ses taux, la croissance des pays de la zone et leur capacité à supporter le fardeau de la dette seraient diminuées d'autant.
Adrien de Tricornot
L président Nicolas Sarkozy a lancé, mercredi 26 août, les travaux de la commission coprésidée par les anciens premiers ministres Alain Juppé et Michel Rocard : elle doit définir dans les deux mois les "priorités stratégiques" du grand "emprunt national" à lancer en 2010 pour financer des investissements d'avenir.
LES FAITS
En Europe, les Etats et les entreprises vont être confrontés au "mur de la dette"
Mais cette dette s'ajoutera aux précédentes. Aux Etats-Unis, en Europe ou au Japon, les pertes de recettes liées à la récession et le coût des plans de sauvetage bancaires et de relance se chiffreront en milliers de milliards d'euros. Et cela dans un contexte de progression des dépenses liées au vieillissement des populations. Une fois la reprise venue, des baisses de dépenses publiques et des hausses d'impôts seront-elles supportables, notamment pour des ménages lestés par leurs emprunts immobiliers ?
Abandonnée dans les années 1980, une recette pourrait alors revenir au goût du jour : l'inflation. La hausse des prix accroît les revenus des entreprises et de l'Etat – et des ménages quand les salaires sont indexés –, alors que la charge de la dette reste constante.
Par l'inflation, les détenteurs de créances paieraient à leur tour leur écot à la crise, après les contribuables, les salariés ou les actionnaires.
"On ne pourra pas se débarrasser de stocks de dettes aussi élevés dans les pays industrialisés sans accepter davantage d'inflation. Le bon sens serait qu'on se prépare à un retour de l'inflation pour amoindrir ses effets négatifs. La hausse des prix serait aujourd'hui une bonne nouvelle compte tenu des risques de déflation. Ce serait la façon la moins douloureuse de soulager le fardeau de la dette. Or, les Etats-Unis sont davantage prêts à accepter ce discours que les Européens", explique Véronique Riches-Flores, chef économiste Europe de la Société générale.
En finançant directement la dette de l'Etat par la création monétaire, la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque d'Angleterre (BoE) semblent suivre cette voie. Entre le risque de dépression et de déflation – le retour aux années 1930 – et celui de subir, à terme, une croissance un peu inflationniste – sur le modèle des "trente glorieuses" d'après-guerre –, les Etats-Unis et le Royaume-Uni semblent avoir choisi le second.
Compte tenu de l'aversion américaine pour l'impôt, "le consensus politique va se faire en faveur de l'expropriation légale que représente l'inflation" afin d'alléger la dette, prévoit Jacques Delpla, membre du Conseil d'analyse économique (CAE). "Tout point d'inflation non anticipé est un gain pour les débiteurs, car il réduit la charge de la dette d'autant. De plus, celle-ci est en partie détenue par des étrangers, notamment chinois, alors que la baisse des dépenses et la hausse des impôts toucheraient à 100 % les Américains", ajoute-t-il.
Mais "l'inflation provoque des effets de redistribution puissants, entre emprunteurs et créanciers, et aussi, par exemple en France, entre ceux qui sont payés au smic – les seuls dont le salaire est indexé sur les prix – et la plus grande partie des salariés", rappelle Anton Brender, directeur des études économiques de Dexia Asset Management.
Lors des "trente glorieuses", ces effets étaient corrigés par des mesures de soutien de l'épargne populaire et par l'indexation de tous les salaires sur les prix.
LE RETOUR DE L'ETAT
Depuis les années 1980, les salaires ne suivent plus automatiquement les prix, pour éviter une spirale qui affaiblissait la compétitivité des économies industrialisées. La concurrence accrue des pays émergents a accentué cette pression sur les salaires.
Mais cette contrainte pourrait s'atténuer, dans un contexte où l'Etat fait son retour dans l'économie. "Dans le monde qui sortira de la crise, estime MmeRiches-Flores, la possibilité d'un retour de l'inflation n'est pas absurde. Les réponses apportées à la récession vont aboutir à un “détricotage” de la mondialisation, dans ses excès financiers et dans l'économie réelle."
Ainsi, ajoute-t-elle, "la croissance ne sera plus tirée par la consommation, dans les pays riches, de produits fabriqués dans les pays émergents, mais par l'investissement public – dépenses d'infrastructures, de développement durable – qui iront à l'encontre de la multiplication des échanges, de l'hyperconcurrence et de ses effets déflationnistes sur les salaires. Cette politique n'est pas protectionniste, mais a les mêmes effets, sans barrière douanière", assure-t-elle. La Chine s'intéresse ainsi davantage à son marché intérieur.
Le retour à un régime de croissance inflationniste serait donc envisageable à terme. "Au XXe siècle, les périodes de croissance forte qui ont permis de s'approcher du plein-emploi, ont été inflationnistes, non par nature, mais parce qu'elles renvoyaient à des mécanismes plus ou moins formalisés d'indexation des revenus, en particulier des salaires sur les prix, et parce qu'elles allégeaient la dette des ménages, de l'Etat et des firmes", explique Pierre Bezbakh, maître de conférences à l'université Paris-Dauphine et chroniqueur au "Monde Economie".
La contrepartie de cette croissance – les rendements de l'épargne investie en emprunts comme l'assurance-vie sont rognés – pourrait être moins bien ressentie par une population qui a vieilli et épargné pour sa retraite.
Mais, crainte ou souhaitée, cette hausse des prix se profile-t-elle vraiment ? Selon Mme Riches-Flores, il n'y aura sans doute pas de retour de l'inflation avant 2011 ou 2012. "Nous sommes dans une situation intermédiaire où des pressions inflationnistes et déflationnistes coexistent, ajoute M. Bezbakh. Il est difficile de prévoir lesquelles vont prendre le dessus. L'inflation ne se décrète pas pour alléger la dette, mais on peut ne pas prendre de mesures restrictives en espérant… qu'elle va l'alléger."
La Société générale a calculé qu'accepter 4 % d'inflation annuelle sur quinze ans ferait refluer, sur la période, les dettes publique et privée françaises de 75 points de produit intérieur brut (PIB) – de 120 points aux Etats-Unis et de 140 points au Japon ! Mais si la hausse des prix dérapait fortement – atteignant deux chiffres –, il en résulterait une forte tension sur les marchés obligataires, celui des taux d'intérêt à long terme. Les banques centrales devraient agir et remonter fortement leurs taux. Gérer l'inflation nécessiterait donc du doigté.
LE DOGMATISME DE LA BCE
Dans la zone euro, le traité de Maastricht donne comme principale mission à la Banque centrale européenne (BCE) de veiller à la stabilité des prix; et celle-ci n'aime pas prendre le moindre risque à ce sujet. "On ne peut pas modifier le traité sans l'unanimité. Et il y a un consensus politique anti-inflationniste en Allemagne. Si on veut de l'inflation, soit on quitte la zone euro, soit les Allemands la quittent", prévient M. Delpla.
La BCE a défini elle-même la stabilité des prix comme une hausse des prix de moins de 2 %, proche de 2 %. Pourrait-elle l'assouplir ? "Mieux vaut 3 % de croissance et 3 % d'inflation que la déflation", affirme Marc Touati, directeur des études économiques de la société de gestion Global Equities, pour qui, "par dogmatisme", la BCE n'a pas jusqu'ici suffisamment abaissé ses taux directeurs.
Passé la baisse de cet été, due aux effets différés du reflux des prix pétroliers, l'inflation devrait reprendre et s'établir à 2,3 % en zone euro en 2010, avec des pics techniques vers 3 % en rythme annuel. Si la BCE remontait trop vite et trop fort ses taux, la croissance des pays de la zone et leur capacité à supporter le fardeau de la dette seraient diminuées d'autant.
Adrien de Tricornot