Une spéculation à court terme très instable sur les devises fut l’un des résultats du refus déjà vieux de dix ans des Américains de dévaluer le dollar aussi bien que de leur réticence à prendre des mesures sérieuses visant à contrôler le flux énorme du marché dérégulé des eurodollars. Comme le savaient la plupart des banquiers du monde, le roi Canut ne pouvait retenir les vagues que pour un temps limité.
En 1970, le résultat de la politique monétaire nationale expansioniste de Nixon, fut une inversion du flux des capitaux : le solde positif des années précédentes fut inversé et les États-Unis subirent une évasion nette de capitaux de 6,5 milliards de dollars. Mais la récession américaine persista tant qu’en 1971, alors que les taux d’intérêts continuaient de baisser et les approvisionnements en monnaie de croître, ces sorties de capitaux atteignirent des proportions énormes, totalisant 20 milliards de dollars.
Pis encore, en mai 1971, les États-Unis enregistrèrent leur premier déficit commercial mensuel, déclenchant littéralement une liquidation du dollar dans une ambiance de panique internationale. La situation devenait véritablement désespérée.
Vers 1971, les réserves officielles américaines d’or représentaient moins du quart des engagements officiels : théoriquement, si tous les détenteurs étrangers de dollars en avaient exigé l’équivalent en or, Washington aurait été incapable de les satisfaire sans prendre des mesures extrêmes. (1)
L’establishment de Wall Street persuada le président Nixon d’abandonner ses efforts inutiles pour soutenir le dollar face à l’avalanche d’ordres internationaux d’échange de dollars contre de l’or. Mais malheureusement, Wall Street refusa de procéder à la nécessaire dévaluation du dollar vis-à-vis de l’or, qui était pourtant ardemment souhaitée depuis une décennie.
Le 15 août 1971, Nixon prit l’avis d’un cercle restreint de conseillers autorisés. George Shultz, son conseiller en chef au budget et un groupe de politiques alors au département du Trésor dont Paul Volcker et Jack F. Bennett qui devint plus tard un directeur d’Exxon en faisaient partie. Pendant ce tranquille mois d’août ensoleillé, procédant à une manœuvre qui devait chambouler le monde, le président des États-Unis annonça la suspension formelle de la convertibilité du dollar en or, établissant de fait le dollar en tant que standard mondial dépouillé de toute référence à l’or, annulant ainsi unilatéralement la disposition centrale des accords de Bretton Woods qui datait de 1944. Les détenteurs étrangers de dollars ne pouvaient plus faire valoir leur papier monnaie contre l’or des réserves américaines.
L’action unilatérale de Nixon fut réaffirmée à Washington lors des pourparlers internationaux prolongés du mois de décembre lors desquels les gouvernements majeurs d’Europe, du Japon et de quelques autres nations élaborèrent un compromis bancal connu sous le nom d’accord de Smithson. Avec une emphase démesurée qui dépassait même celle de son prédécesseur Lyndon Johnson, Nixon annonça que cet accord monétaire de Smithson était “ le plus important dans l’histoire du monde ”.
Les États-Unis avaient formellement dévalué le dollar de quelque 8 % vis-à-vis de l’or, ce qui valorisait l’once d’or fin à 38 dollars au lieu des 35 dollars qui avaient prévalu pendant longtemps, bien loin de la dévaluation de 100 % qui avait été demandée par les alliés des Américains. L’accord permettait aussi une bande de fluctuation officielle de 2,25 % au lieu du un pour cent initial prévu par les règles de l’accord de Bretton Woods.
En déclarant aux détenteurs de dollars du monde que leur papier monnaie ne serait plus échangé contre de l’or, Nixon “ débrancha la prise ” de l’économie mondiale, créant une commotion à l’origine d’une série d’événements qui devaient ébranler le monde comme jamais auparavant. Quelques semaines seulement furent nécessaires pour que la confiance en l’accord de Smithson commençât de s’effondrer.
En avril 1968, la défiance de de Gaulle envers Washington quant à la question de l’or et à l’observance des règles de Bretton Woods n’avait pas été suffisante pour imposer la réorganisation du système monétaire international pourtant si nécessaire, mais elle avait suffisamment focalisé et empoisonné le débat sur les Droits de Tirage Spéciaux du FMI pourtant si mal conçus, que les problèmes du dollar s’en trouvèrent obscurcis. La suspension de la convertibilité du dollar en or et les “ taux de change flottants ” qui en résultèrent au début des années soixante-dix ne résolurent rien. Cela permit seulement de gagner du temps.
Une solution éminemment praticable pour les États-Unis eut consisté à fixer la valeur du dollar à un niveau plus réaliste. Depuis la France, Jacques Rueff, l’ex-conseiller économique de de Gaulle, continuait de plaider pour un prix de 70 dollars l’once d’or fin, au lieu des 35 dollars que les États-Unis défendaient sans succès. Cela, argumentait Rueff, calmerait la spéculation mondiale et permettrait aux États-Unis de s’affranchir du solde déstabilisant en eurodollars sans plonger l’économie domestique américaine dans un sévère chaos.
En procédant convenablement, cela eut pu donner un élan extraordinaire à l’industrie américaine en réduisant le prix des exportations en devises étrangères. Dans les milieux politiques américains, les intérêts industriels eussent à nouveau prédominé sur les voix financières. Mais la raison ne prévalut point. La rationalité de Wall Street consistait à faire de la puissance de la sphère financière une citadelle intouchable, aux dépens même de la production ou de la prospérité économiques nationales américaines.
L’or en lui-même a peu de valeur intrinsèque. Il a quelque utilité industrielle. Mais historiquement et à cause de sa rareté, il a servi d’étalon de la valeur par rapport auquel les différentes nations ont fixé les termes de l’échange et donc les niveaux de leurs devises. Quand Nixon décida de cesser d’honorer les obligations de la devise américaine vis-à-vis de l’or, il ouvrit les vannes d’une orgie spéculative mondiale d’une ampleur jamais vue dans l’histoire. Au lieu d’évaluer les affaires économiques sur le long terme selon des standards d’échange stables, après août 1971, le commerce mondial devint un casino de spéculation sur la direction que prendrait la fluctuation du niveau des diverses devises.
Les véritables architectes de la stratégie de Nixon appartenaient aux banques commerciales influentes de la City de Londres. Pour sir Siegmund Warburg, Edmond de Rothschild, Jocelyn Hambro et d’autres la dissolution de l’étalon or de Bretton Woods par Nixon à l’automne 1971 fut une opportunité à ne pas rater. Londres devenait une nouvelle fois l’un des centres majeurs de la finance mondiale et ce, à nouveau grâce à de l’“ argent emprunté ”, qui cette fois-ci était des eurodollars américains.
Après août 1971, le trait dominant de la politique américaine promue par Henry Kissinger, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, consistait, non pas à développer, mais à contrôler les économies nationales du monde entier. Les officiels politiques américains commencèrent fièrement à se dénommer “ néo-malthusiens ”. La réduction de la population du tiers-monde, plutôt que des stratégies de transfert de technologie et de croissance industrielle, devint la priorité des années soixante-dix, rafraîchissant ainsi la pensée coloniale britannique du XIXe siècle. Comment cette transformation se passa, c’est ce que nous allons voir bientôt.
En 1972, la mauvaise conception de l’accord de Smithson déclencha une nouvelle fuite massive de capitaux quittant le dollar vers le Japon et l’Europe, aggravant ainsi la situation. Mais le 12 février 1973, Nixon annonça une deuxième dévaluation du dollar de 10 % par rapport à l’or, fixant le prix de l’or à 42,22 dollars l’once qui est encore aujourd’hui le prix pratiqué par la Réserve Fédérale.
A ce moment, les principales devises mondiales s’engagèrent dans ce qui fut appelé le “ flottement concerté ”. Entre février et mars 1973, la valeur du dollar contre le mark allemand chuta de 40 %. L’instabilité permanente avait été introduite dans les affaires monétaires d’une façon inédite depuis les années trente, mais cette fois-ci, les stratèges de New York, Washington et de la City préparaient une surprise pour reprendre la main et se rétablir face à la perte dévastatrice de la référence à l’or qui était le pilier de leur système monétaire.
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En 1970, le résultat de la politique monétaire nationale expansioniste de Nixon, fut une inversion du flux des capitaux : le solde positif des années précédentes fut inversé et les États-Unis subirent une évasion nette de capitaux de 6,5 milliards de dollars. Mais la récession américaine persista tant qu’en 1971, alors que les taux d’intérêts continuaient de baisser et les approvisionnements en monnaie de croître, ces sorties de capitaux atteignirent des proportions énormes, totalisant 20 milliards de dollars.
Pis encore, en mai 1971, les États-Unis enregistrèrent leur premier déficit commercial mensuel, déclenchant littéralement une liquidation du dollar dans une ambiance de panique internationale. La situation devenait véritablement désespérée.
Vers 1971, les réserves officielles américaines d’or représentaient moins du quart des engagements officiels : théoriquement, si tous les détenteurs étrangers de dollars en avaient exigé l’équivalent en or, Washington aurait été incapable de les satisfaire sans prendre des mesures extrêmes. (1)
L’establishment de Wall Street persuada le président Nixon d’abandonner ses efforts inutiles pour soutenir le dollar face à l’avalanche d’ordres internationaux d’échange de dollars contre de l’or. Mais malheureusement, Wall Street refusa de procéder à la nécessaire dévaluation du dollar vis-à-vis de l’or, qui était pourtant ardemment souhaitée depuis une décennie.
Le 15 août 1971, Nixon prit l’avis d’un cercle restreint de conseillers autorisés. George Shultz, son conseiller en chef au budget et un groupe de politiques alors au département du Trésor dont Paul Volcker et Jack F. Bennett qui devint plus tard un directeur d’Exxon en faisaient partie. Pendant ce tranquille mois d’août ensoleillé, procédant à une manœuvre qui devait chambouler le monde, le président des États-Unis annonça la suspension formelle de la convertibilité du dollar en or, établissant de fait le dollar en tant que standard mondial dépouillé de toute référence à l’or, annulant ainsi unilatéralement la disposition centrale des accords de Bretton Woods qui datait de 1944. Les détenteurs étrangers de dollars ne pouvaient plus faire valoir leur papier monnaie contre l’or des réserves américaines.
L’action unilatérale de Nixon fut réaffirmée à Washington lors des pourparlers internationaux prolongés du mois de décembre lors desquels les gouvernements majeurs d’Europe, du Japon et de quelques autres nations élaborèrent un compromis bancal connu sous le nom d’accord de Smithson. Avec une emphase démesurée qui dépassait même celle de son prédécesseur Lyndon Johnson, Nixon annonça que cet accord monétaire de Smithson était “ le plus important dans l’histoire du monde ”.
Les États-Unis avaient formellement dévalué le dollar de quelque 8 % vis-à-vis de l’or, ce qui valorisait l’once d’or fin à 38 dollars au lieu des 35 dollars qui avaient prévalu pendant longtemps, bien loin de la dévaluation de 100 % qui avait été demandée par les alliés des Américains. L’accord permettait aussi une bande de fluctuation officielle de 2,25 % au lieu du un pour cent initial prévu par les règles de l’accord de Bretton Woods.
En déclarant aux détenteurs de dollars du monde que leur papier monnaie ne serait plus échangé contre de l’or, Nixon “ débrancha la prise ” de l’économie mondiale, créant une commotion à l’origine d’une série d’événements qui devaient ébranler le monde comme jamais auparavant. Quelques semaines seulement furent nécessaires pour que la confiance en l’accord de Smithson commençât de s’effondrer.
En avril 1968, la défiance de de Gaulle envers Washington quant à la question de l’or et à l’observance des règles de Bretton Woods n’avait pas été suffisante pour imposer la réorganisation du système monétaire international pourtant si nécessaire, mais elle avait suffisamment focalisé et empoisonné le débat sur les Droits de Tirage Spéciaux du FMI pourtant si mal conçus, que les problèmes du dollar s’en trouvèrent obscurcis. La suspension de la convertibilité du dollar en or et les “ taux de change flottants ” qui en résultèrent au début des années soixante-dix ne résolurent rien. Cela permit seulement de gagner du temps.
Une solution éminemment praticable pour les États-Unis eut consisté à fixer la valeur du dollar à un niveau plus réaliste. Depuis la France, Jacques Rueff, l’ex-conseiller économique de de Gaulle, continuait de plaider pour un prix de 70 dollars l’once d’or fin, au lieu des 35 dollars que les États-Unis défendaient sans succès. Cela, argumentait Rueff, calmerait la spéculation mondiale et permettrait aux États-Unis de s’affranchir du solde déstabilisant en eurodollars sans plonger l’économie domestique américaine dans un sévère chaos.
En procédant convenablement, cela eut pu donner un élan extraordinaire à l’industrie américaine en réduisant le prix des exportations en devises étrangères. Dans les milieux politiques américains, les intérêts industriels eussent à nouveau prédominé sur les voix financières. Mais la raison ne prévalut point. La rationalité de Wall Street consistait à faire de la puissance de la sphère financière une citadelle intouchable, aux dépens même de la production ou de la prospérité économiques nationales américaines.
L’or en lui-même a peu de valeur intrinsèque. Il a quelque utilité industrielle. Mais historiquement et à cause de sa rareté, il a servi d’étalon de la valeur par rapport auquel les différentes nations ont fixé les termes de l’échange et donc les niveaux de leurs devises. Quand Nixon décida de cesser d’honorer les obligations de la devise américaine vis-à-vis de l’or, il ouvrit les vannes d’une orgie spéculative mondiale d’une ampleur jamais vue dans l’histoire. Au lieu d’évaluer les affaires économiques sur le long terme selon des standards d’échange stables, après août 1971, le commerce mondial devint un casino de spéculation sur la direction que prendrait la fluctuation du niveau des diverses devises.
Les véritables architectes de la stratégie de Nixon appartenaient aux banques commerciales influentes de la City de Londres. Pour sir Siegmund Warburg, Edmond de Rothschild, Jocelyn Hambro et d’autres la dissolution de l’étalon or de Bretton Woods par Nixon à l’automne 1971 fut une opportunité à ne pas rater. Londres devenait une nouvelle fois l’un des centres majeurs de la finance mondiale et ce, à nouveau grâce à de l’“ argent emprunté ”, qui cette fois-ci était des eurodollars américains.
Après août 1971, le trait dominant de la politique américaine promue par Henry Kissinger, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, consistait, non pas à développer, mais à contrôler les économies nationales du monde entier. Les officiels politiques américains commencèrent fièrement à se dénommer “ néo-malthusiens ”. La réduction de la population du tiers-monde, plutôt que des stratégies de transfert de technologie et de croissance industrielle, devint la priorité des années soixante-dix, rafraîchissant ainsi la pensée coloniale britannique du XIXe siècle. Comment cette transformation se passa, c’est ce que nous allons voir bientôt.
En 1972, la mauvaise conception de l’accord de Smithson déclencha une nouvelle fuite massive de capitaux quittant le dollar vers le Japon et l’Europe, aggravant ainsi la situation. Mais le 12 février 1973, Nixon annonça une deuxième dévaluation du dollar de 10 % par rapport à l’or, fixant le prix de l’or à 42,22 dollars l’once qui est encore aujourd’hui le prix pratiqué par la Réserve Fédérale.
A ce moment, les principales devises mondiales s’engagèrent dans ce qui fut appelé le “ flottement concerté ”. Entre février et mars 1973, la valeur du dollar contre le mark allemand chuta de 40 %. L’instabilité permanente avait été introduite dans les affaires monétaires d’une façon inédite depuis les années trente, mais cette fois-ci, les stratèges de New York, Washington et de la City préparaient une surprise pour reprendre la main et se rétablir face à la perte dévastatrice de la référence à l’or qui était le pilier de leur système monétaire.
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