La planète, nouvel objet à but lucratif ? Demain, des ONG pourront acheter des quotas de baleines pour les protéger. Les parcs naturels pourront être évalués par des agences de notation. Les performances des forêts en matière de recyclage du carbone seront quantifiées. Des produits financiers dérivés vous assureront contre l’extinction d’une espèce. « Nous sommes en train d’étendre aux processus vitaux de la planète les mêmes logiques de financiarisation qui ont causé la crise financière », dénonce le chercheur Christophe Bonneuil, à l’occasion de la conférence Rio+20. Entretien.
Basta ! : Cela fait vingt ans, depuis le sommet de la Terre à Rio en 1992, que l’on se préoccupe davantage de la biodiversité. Quel bilan tirez-vous de ces deux décennies ?
Christophe Bonneuil [1] : Ce qui a été mis en place en 1992 n’a pas permis de ralentir la sixième extinction actuellement en cours [2]. Le taux de disparition des espèces est mille fois supérieur à la normale ! Cette érosion de la biodiversité est essentiellement due à la destruction des habitats naturels, à la déforestation, aux changements d’usage des sols. La Convention sur la diversité biologique (CDB) adoptée à Rio il y a vingt ans se souciait certes de la biodiversité, mais son premier article indique clairement que la meilleure façon de la conserver suppose le partage des ressources liées à son exploitation. Il s’agit donc de conserver la biodiversité par la mise en marché de ses éléments, à savoir les « ressources génétiques ».
La CDB entérine dès cette époque la notion de brevets sur le vivant. Les textes préfigurent déjà un modèle marchand qui pense que l’on ne conserve bien que ce qui est approprié, breveté et marchandisé. Tout en mettant en avant qu’une partie de ces profits seront redistribués par un mécanisme de partage des avantages vers les communautés locales. Mais il a fallu plus de quinze ans pour qu’il y ait un accord sur ce mécanisme, lors de la conférence des parties sur la biodiversité à Nagoya en 2010. Il semble que les firmes n’étaient pas pressées d’avoir un mécanisme qui contrôle le retour des royalties vers les populations locales.
Les États se sont-ils donnés les moyens de préserver la biodiversité ?
Il n’existe pas de fonds mondial que chaque État ou une taxe mondiale sur les biotechnologies auraient pu abonder. Les États ont misé exclusivement sur la bioprospection [3] des firmes pharmaceutiques. Un des contrats les plus médiatisés a été celui qui liait la multinationale allemande Merck à INBio, l’Institut national de la biodiversité au Costa Rica. Inbio devait fournir à Merck les substances chimiques extraites des plantes et les insectes prélevés au Costa Rica. En contrepartie, Merck versait 500 000 dollars par an, ce qui permettait à INBio d’avoir des ressources pour financer ses actions de conservation. Cet accord a fait énormément de bruit mais il n’a pas été suivi par beaucoup d’autres initiatives de ce type. Les grandes entreprises comptent davantage sur les énormes banques de molécules dont elles disposent, pour innover en laboratoire. Le paradigme de Rio 92, de conservation de la biodiversité par la bioprospection et la biotechnologie, créant un nouveau marché des ressources biologiques tout en rémunérant les communautés locales pauvres a fait la preuve de ses limites.
Concrètement, comment se déroule cette privatisation de la protection de l’environnement ?
Un accord financier a par exemple été signé en mars 2008 entre une société financière, Canopy Capital, et la réserve nationale d’Iwokrama au Guyana, dans la forêt amazonienne. En échange d’un versement annuel de 100 000 dollars finançant des actions de conservation de la réserve, Canopy Capital n’a pas acheté la terre en tant que telle, mais les droits sur les services écosystémiques de la réserve. Autrement dit, les droits sur le maintien de la pluviosité dans la région, sur le stockage de l’eau, sur la rétention du carbone, et éventuellement sur l’effet modérateur sur le climat. La réserve s’étend sur 371 000 hectares, sur lesquels vivent 7 000 habitants.
D’autres accords de ce type sont amenés à se multiplier, soumettant ainsi des parcs naturels aux logiques des « partenariats public-privé ». Avec cet investissement, Canopy Capital espère ensuite vendre des crédits carbone, des crédits biodiversité ou des crédits liés à d’autres services écosystémiques, soit dans le cadre de marchés volontaires (engagement d’une entreprise pour son image de marque), soit dans le cadre de marchés régulés tels les « mécanismes de développement propre » du protocole de Kyoto. Par exemple, si Coca-Cola souhaite compenser ses émissions polluantes, elle pourra financer une action de conservation au Guyana en payant un service à Canopy Capital.
D’autres marchés se développent-ils pour spéculer sur l’écologie ?
À côté des marchés institués par l’action publique (Mécanisme de développement propre de la convention climat, Emission Trading System européen sur le carbone, etc.), des marchés volontaires ont le vent en poupe. Ils témoignent de la privatisation des normes et des politiques environnementales aujourd’hui, alors que l’action publique internationale est enlisée au regard de l’échec de Copenhague, du manque d’ambition de Rio+20, ou de la crise financière des agences de l’ONU. Une foule de bureaux d’étude d’experts, de cabinets d’audit, de chercheurs et de sociétés bancaires se démènent pour codifier des standards, des unités de mesure et des règles d’échange pour ces marchés volontaires.
Ces marchés permettent à des entreprises dont les activités ont des impacts environnementaux désastreux de les compenser pour restaurer à bon compte leur image auprès des consommateurs, des actionnaires ou des bailleurs (montée de critères « verts » dans la notation financière), soit en conduisant elles-mêmes un projet autour de leurs sites industriels (minier par exemple, comme le fait le géant Rio Tinto) soit en finançant par du mécénat ou des achat de crédits une opération de conservation ailleurs dans le monde.
Basta ! : Cela fait vingt ans, depuis le sommet de la Terre à Rio en 1992, que l’on se préoccupe davantage de la biodiversité. Quel bilan tirez-vous de ces deux décennies ?
Christophe Bonneuil [1] : Ce qui a été mis en place en 1992 n’a pas permis de ralentir la sixième extinction actuellement en cours [2]. Le taux de disparition des espèces est mille fois supérieur à la normale ! Cette érosion de la biodiversité est essentiellement due à la destruction des habitats naturels, à la déforestation, aux changements d’usage des sols. La Convention sur la diversité biologique (CDB) adoptée à Rio il y a vingt ans se souciait certes de la biodiversité, mais son premier article indique clairement que la meilleure façon de la conserver suppose le partage des ressources liées à son exploitation. Il s’agit donc de conserver la biodiversité par la mise en marché de ses éléments, à savoir les « ressources génétiques ».
La CDB entérine dès cette époque la notion de brevets sur le vivant. Les textes préfigurent déjà un modèle marchand qui pense que l’on ne conserve bien que ce qui est approprié, breveté et marchandisé. Tout en mettant en avant qu’une partie de ces profits seront redistribués par un mécanisme de partage des avantages vers les communautés locales. Mais il a fallu plus de quinze ans pour qu’il y ait un accord sur ce mécanisme, lors de la conférence des parties sur la biodiversité à Nagoya en 2010. Il semble que les firmes n’étaient pas pressées d’avoir un mécanisme qui contrôle le retour des royalties vers les populations locales.
Les États se sont-ils donnés les moyens de préserver la biodiversité ?
Il n’existe pas de fonds mondial que chaque État ou une taxe mondiale sur les biotechnologies auraient pu abonder. Les États ont misé exclusivement sur la bioprospection [3] des firmes pharmaceutiques. Un des contrats les plus médiatisés a été celui qui liait la multinationale allemande Merck à INBio, l’Institut national de la biodiversité au Costa Rica. Inbio devait fournir à Merck les substances chimiques extraites des plantes et les insectes prélevés au Costa Rica. En contrepartie, Merck versait 500 000 dollars par an, ce qui permettait à INBio d’avoir des ressources pour financer ses actions de conservation. Cet accord a fait énormément de bruit mais il n’a pas été suivi par beaucoup d’autres initiatives de ce type. Les grandes entreprises comptent davantage sur les énormes banques de molécules dont elles disposent, pour innover en laboratoire. Le paradigme de Rio 92, de conservation de la biodiversité par la bioprospection et la biotechnologie, créant un nouveau marché des ressources biologiques tout en rémunérant les communautés locales pauvres a fait la preuve de ses limites.
Concrètement, comment se déroule cette privatisation de la protection de l’environnement ?
Un accord financier a par exemple été signé en mars 2008 entre une société financière, Canopy Capital, et la réserve nationale d’Iwokrama au Guyana, dans la forêt amazonienne. En échange d’un versement annuel de 100 000 dollars finançant des actions de conservation de la réserve, Canopy Capital n’a pas acheté la terre en tant que telle, mais les droits sur les services écosystémiques de la réserve. Autrement dit, les droits sur le maintien de la pluviosité dans la région, sur le stockage de l’eau, sur la rétention du carbone, et éventuellement sur l’effet modérateur sur le climat. La réserve s’étend sur 371 000 hectares, sur lesquels vivent 7 000 habitants.
D’autres accords de ce type sont amenés à se multiplier, soumettant ainsi des parcs naturels aux logiques des « partenariats public-privé ». Avec cet investissement, Canopy Capital espère ensuite vendre des crédits carbone, des crédits biodiversité ou des crédits liés à d’autres services écosystémiques, soit dans le cadre de marchés volontaires (engagement d’une entreprise pour son image de marque), soit dans le cadre de marchés régulés tels les « mécanismes de développement propre » du protocole de Kyoto. Par exemple, si Coca-Cola souhaite compenser ses émissions polluantes, elle pourra financer une action de conservation au Guyana en payant un service à Canopy Capital.
D’autres marchés se développent-ils pour spéculer sur l’écologie ?
À côté des marchés institués par l’action publique (Mécanisme de développement propre de la convention climat, Emission Trading System européen sur le carbone, etc.), des marchés volontaires ont le vent en poupe. Ils témoignent de la privatisation des normes et des politiques environnementales aujourd’hui, alors que l’action publique internationale est enlisée au regard de l’échec de Copenhague, du manque d’ambition de Rio+20, ou de la crise financière des agences de l’ONU. Une foule de bureaux d’étude d’experts, de cabinets d’audit, de chercheurs et de sociétés bancaires se démènent pour codifier des standards, des unités de mesure et des règles d’échange pour ces marchés volontaires.
Ces marchés permettent à des entreprises dont les activités ont des impacts environnementaux désastreux de les compenser pour restaurer à bon compte leur image auprès des consommateurs, des actionnaires ou des bailleurs (montée de critères « verts » dans la notation financière), soit en conduisant elles-mêmes un projet autour de leurs sites industriels (minier par exemple, comme le fait le géant Rio Tinto) soit en finançant par du mécénat ou des achat de crédits une opération de conservation ailleurs dans le monde.

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