Vous ne trouvez plus d’eau Guedila ? Le lait Candia se fait rare ? Les yaourts arrivent de manière irrégulière dans les rayons ? Impunité des grossistes qui imposent leur loi, manque de professionnalisme chez les distributeurs, complaisance des industriels qui préfèrent exporter vers les pays voisins : la pénurie de produits de large consommation s’explique.
Les grossistes font de la rétention de produits
Le procédé est classique : quand la demande sur un produit et/ou une marque se fait plus forte, les grossistes créent le manque pour augmenter leur marge bénéficiaire. C’est comme ça que la bouteille d’eau minérale, rare depuis cet été, est aussi plus chère : les grossistes auraient fait flamber le prix de la bouteille de 1,5 l de 5 DA. Autre magouille : certains emmagasinent de grandes quantités de marchandises pour alimenter le marché informel. Du coup, on ne les retrouve pas dans le circuit. Problème : personne ne les sanctionne. Traumatisé par les émeutes de janvier 2011, le gouvernement prend les plus grandes précautions pour ne pas se mettre à dos les grossistes. «Lorsque les autorités algériennes songeaient, il y a deux ans, à expurger les fraudeurs du fichier des registres du commerce, les grossistes étaient les premiers visés par cette décision.
Mais curieusement l’année dernière, le ministre du Commerce, Mustapha Benbada, a sciemment oublié de les inclure dans les mesures qui entrent en vigueur en 2012, parce que les autorités du pays ont peur d’eux et de leur pouvoir de nuisance», souligne Mahmoud*, un cadre supérieur dans une entreprise publique. Le gouvernement tente chaque année de mettre en place des mécanismes de contrôle, rapidement contournés par les opérateurs. «La puissance des grossistes est due à l’association de certains cercles du pouvoir avec le business. Ce lien est tellement fort que l’Etat est incapable d’imposer ses règles du jeu, analyse Mahmoud. Souvenez-vous de ce qui s’est passé après les émeutes de 2011 : le gouvernement avait décidé de renvoyer l’utilisation du chèque à une date ultérieure et le ministre du Commerce avait également demandé verbalement aux producteur, de surseoir à l’application de la loi interdisant de traiter avec des grossistes présentant un faux registre du commerce.
Quand l’Etat foule les lois qu’il a mises en place, c’est qu’il reconnaît son incapacité à agir.» Pour le président de NCA-Rouiba, Slim Othmani, les grossistes sont les boucs émissaires. Pour l’ancien candidat à la présidence du Forum des chefs d’entreprises, les hausses surprenantes des prix qu’ont connues certains produits sont essentiellement dues à la décision des grossistes d’appliquer la TVA (taxe sur la valeur ajoutée, 17%) et la TAP (taxe sur l’activité professionnelle, 2%), comme l’a exigé le gouvernement. D’autre part, dans la partie de cache-cache que se livrent services des fraudes et grossistes, ces derniers utilisent habilement les nombreux faux opérateurs présents dans le fichier national du registre du commerce. Ces opérateurs, qui ne possèdent aucune domiciliation, louent leur registre.
Cette pratique, qui s’est généralisée, permet à un grossiste de pouvoir acheter en très grandes quantités des produits, sous différents noms, sans être inquiété par les services des impôts. Ces marchandises alimentent par la suite le circuit de l’informel. «Le fichier du registre du commerce est pourri, reconnaît un cadre du ministère du Commerce sous le couvert de l’anonymat. Rien que pour l’année dernière, on a radié plus de 130 000 personnes du registre du commerce. Ces radiations ont très peu d’effet sur les circuits de la contrebande, parce que les grossistes et les importateurs trouvent rapidement des solutions de rechange.»
Le circuit de distribution est défaillant
Le distributeur – un métier dans lequel n’importe qui ou presque peut se lancer – participe aussi à la pénurie en exerçant une pression sur le détaillant. Ce dernier dépend de lui pour l’approvisionner en priorité – une grande bataille pour le choix et la quantité. Certains font ainsi payer aux petits commerçants une exclusivité. Le distributeur a aussi un lien particulier avec le grossiste : il l’informe sur les produits les plus recherchés par les supérettes.
Les industriels exportent tout ou une partie des produits chez les voisins
«Pour ne pas avoir à subir de pénurie sur les produits algériens, il est préférable de vivre en Tunisie», lâche avec un brin d’ironie un industriel qui a fait fortune dans l’exportation de produits laitiers vers la Libye d’El Gueddafi et la Tunisie de Ben Ali. Ces dernières années, plusieurs d’entre eux ont préféré exporter la totalité de leur production vers les pays voisins. C’est le cas pour ceux qui sont dans la filière agroalimentaire. «Les transferts de produits vers la Tunisie se sont intensifiés ces dernières années, reconnaît Youcef Lamari, directeur du commerce de la wilaya d’Alger. Elles touchent tous les secteurs d’activité, car la demande est très forte. Elles sont la partie visible de nos exportations. Reste la partie immergée.
Celle qui échappe à tout contrôle et que nos services combattent.» Autre phénomène : près de 2600 entreprises tunisiennes inscrites au registre du commerce algérien d’une part, et certains commerçants tunisiens qui ont mis en place leurs propres circuits de contrebande d’autre part. Cheptels, produits de large consommation, chauffages…, les Tunisiens achètent de tout et en grande quantité. «Ils sont malins, détaille Mahmoud l’industriel. Avant, ils étaient dépendants des grossistes. Ils passaient commande et allaient récupérer leur marchandise aux frontières. Maintenant, ils vont eux-mêmes faire leurs achats. Il n’est pas rare de les voir négocier avec les grossistes de la capitale. En plus, actuellement ils s’occupent d’alimenter le marché libyen…» L’année dernière, les autorités algériennes ont enregistré une hausse de près de 70% de la contrebande aux frontières est du pays.
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Drôle de constat ! Lundi midi, les poids lourds sillonnent les artères de Semmar, le plus grand quartier de grossistes de la capitale, alors que deux plaques de signalisation leur en interdisent l’accès de 7h à 20h. «Même si les importateurs distribuent leur marchandise à partir de 20h, les transporteurs et les porteurs seront obligés d’appliquer le tarif de nuit», se plaint un commerçant.
Pourtant l’APC de Gué de Constantine avait verrouillé les accès du quartier en installant deux plaques «interdit de circuler». L’une, placée juste en face du commissariat du quartier, censée interdire l’entrée des camions venant d’Alger. L’autre, située à l’entrée de la RN38, supposée empêcher les commerçants de Sétif, Tébessa, Souk Ahras, de venir s’approvisionner dans le quartier.
Depuis le début du conflit avec les autorités, Ammar, la trentaine, jean et polo Lacoste, passe beaucoup de temps assis seul derrière son bureau face à son ordinateur. Des centaines de sachets de produits jonchent son grand hangar, au fond d’une impasse. Depuis les années 1990, il travaille dans la vente en gros des produits alimentaires. La vingtaine d’employés qu’il fait travailler tournent en rond en attendant l’arrivée d’un hypothétique camion à charger.
Depuis la décision des autorités locales de Gué de Constantine de transférer les commerces de gros vers El Harrach, le sien tourne au ralenti. «Si la situation persiste, il y aura certainement une grande pénurie de produits de première nécessité, avertit-il. Je vous assure, il y a un complot qui vise à nous faire dégager d’ici pour que certaines personnes à El Harrach gagnent de l’argent sur notre dos.»
Tunisiens
Autre casse-tête auquel les grossistes doivent faire face : la décision de certains importateurs de vendre leurs produits sans intermédiaire, directement au port pour ne pas payer les frais de douane et de transport. «Il y en a même qui exportent leurs marchandises directement vers la Tunisie et la Libye, sans servir le marché algérien», révèle Ammar en se désolant devant les plaques limitant l’accès des camions. Dans un autre magasin, des clients se plaignent.
Les importateurs ne seraient pas les seuls à préférer les marchés voisins, réputés plus rentables. Les grossistes aussi écouleraient eau, légumes secs et laitages vers la Tunisie et la Libye. «Les Tunisiens et les Libyens ont l’habitude de venir avec des commerçants de Sétif et Tébessa qui prennent en charge les frais d’acheminement jusqu’aux frontières. Ils se ravitaillent et rebroussent chemin vers les frontières, nous explique-t-on.
Et là, on ne sait pas comment ils font pour passer la marchandise !» A l’extérieur, sur les ruelles non goudronnées couvertes d’une poussière aveuglante, l’ambiance est à l’anarchie. Les commerçants chargent et déchargent la marchandise, indifférents aux plaques de signalisation. Devant chaque boutique, un camion ou un semi-remorque attend d’être déchargé.
La police ? Absente sur les lieux ! Ce qui permet à quelques poids lourds de profiter de l’occasion pour sortir illégalement du marché vers la RN38. Mais pour éviter les infractions, la plupart d’entre eux stationnent dans l’enceinte du site avant 7h du matin. Un officier ayant préféré garder l’anonymat explique que la police n’a pas reçu d’instructions pour surveiller l’entrée du marché. «La police n’a rien à voir là-dedans. Il faut se rapprocher des autorités concernées», lâche-t-il en abrégeant la conversation.
(à suivre)
Les grossistes font de la rétention de produits
Le procédé est classique : quand la demande sur un produit et/ou une marque se fait plus forte, les grossistes créent le manque pour augmenter leur marge bénéficiaire. C’est comme ça que la bouteille d’eau minérale, rare depuis cet été, est aussi plus chère : les grossistes auraient fait flamber le prix de la bouteille de 1,5 l de 5 DA. Autre magouille : certains emmagasinent de grandes quantités de marchandises pour alimenter le marché informel. Du coup, on ne les retrouve pas dans le circuit. Problème : personne ne les sanctionne. Traumatisé par les émeutes de janvier 2011, le gouvernement prend les plus grandes précautions pour ne pas se mettre à dos les grossistes. «Lorsque les autorités algériennes songeaient, il y a deux ans, à expurger les fraudeurs du fichier des registres du commerce, les grossistes étaient les premiers visés par cette décision.
Mais curieusement l’année dernière, le ministre du Commerce, Mustapha Benbada, a sciemment oublié de les inclure dans les mesures qui entrent en vigueur en 2012, parce que les autorités du pays ont peur d’eux et de leur pouvoir de nuisance», souligne Mahmoud*, un cadre supérieur dans une entreprise publique. Le gouvernement tente chaque année de mettre en place des mécanismes de contrôle, rapidement contournés par les opérateurs. «La puissance des grossistes est due à l’association de certains cercles du pouvoir avec le business. Ce lien est tellement fort que l’Etat est incapable d’imposer ses règles du jeu, analyse Mahmoud. Souvenez-vous de ce qui s’est passé après les émeutes de 2011 : le gouvernement avait décidé de renvoyer l’utilisation du chèque à une date ultérieure et le ministre du Commerce avait également demandé verbalement aux producteur, de surseoir à l’application de la loi interdisant de traiter avec des grossistes présentant un faux registre du commerce.
Quand l’Etat foule les lois qu’il a mises en place, c’est qu’il reconnaît son incapacité à agir.» Pour le président de NCA-Rouiba, Slim Othmani, les grossistes sont les boucs émissaires. Pour l’ancien candidat à la présidence du Forum des chefs d’entreprises, les hausses surprenantes des prix qu’ont connues certains produits sont essentiellement dues à la décision des grossistes d’appliquer la TVA (taxe sur la valeur ajoutée, 17%) et la TAP (taxe sur l’activité professionnelle, 2%), comme l’a exigé le gouvernement. D’autre part, dans la partie de cache-cache que se livrent services des fraudes et grossistes, ces derniers utilisent habilement les nombreux faux opérateurs présents dans le fichier national du registre du commerce. Ces opérateurs, qui ne possèdent aucune domiciliation, louent leur registre.
Cette pratique, qui s’est généralisée, permet à un grossiste de pouvoir acheter en très grandes quantités des produits, sous différents noms, sans être inquiété par les services des impôts. Ces marchandises alimentent par la suite le circuit de l’informel. «Le fichier du registre du commerce est pourri, reconnaît un cadre du ministère du Commerce sous le couvert de l’anonymat. Rien que pour l’année dernière, on a radié plus de 130 000 personnes du registre du commerce. Ces radiations ont très peu d’effet sur les circuits de la contrebande, parce que les grossistes et les importateurs trouvent rapidement des solutions de rechange.»
Le circuit de distribution est défaillant
Le distributeur – un métier dans lequel n’importe qui ou presque peut se lancer – participe aussi à la pénurie en exerçant une pression sur le détaillant. Ce dernier dépend de lui pour l’approvisionner en priorité – une grande bataille pour le choix et la quantité. Certains font ainsi payer aux petits commerçants une exclusivité. Le distributeur a aussi un lien particulier avec le grossiste : il l’informe sur les produits les plus recherchés par les supérettes.
Les industriels exportent tout ou une partie des produits chez les voisins
«Pour ne pas avoir à subir de pénurie sur les produits algériens, il est préférable de vivre en Tunisie», lâche avec un brin d’ironie un industriel qui a fait fortune dans l’exportation de produits laitiers vers la Libye d’El Gueddafi et la Tunisie de Ben Ali. Ces dernières années, plusieurs d’entre eux ont préféré exporter la totalité de leur production vers les pays voisins. C’est le cas pour ceux qui sont dans la filière agroalimentaire. «Les transferts de produits vers la Tunisie se sont intensifiés ces dernières années, reconnaît Youcef Lamari, directeur du commerce de la wilaya d’Alger. Elles touchent tous les secteurs d’activité, car la demande est très forte. Elles sont la partie visible de nos exportations. Reste la partie immergée.
Celle qui échappe à tout contrôle et que nos services combattent.» Autre phénomène : près de 2600 entreprises tunisiennes inscrites au registre du commerce algérien d’une part, et certains commerçants tunisiens qui ont mis en place leurs propres circuits de contrebande d’autre part. Cheptels, produits de large consommation, chauffages…, les Tunisiens achètent de tout et en grande quantité. «Ils sont malins, détaille Mahmoud l’industriel. Avant, ils étaient dépendants des grossistes. Ils passaient commande et allaient récupérer leur marchandise aux frontières. Maintenant, ils vont eux-mêmes faire leurs achats. Il n’est pas rare de les voir négocier avec les grossistes de la capitale. En plus, actuellement ils s’occupent d’alimenter le marché libyen…» L’année dernière, les autorités algériennes ont enregistré une hausse de près de 70% de la contrebande aux frontières est du pays.
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Lait, eau, laitages : les raisons de la pénurie
Drôle de constat ! Lundi midi, les poids lourds sillonnent les artères de Semmar, le plus grand quartier de grossistes de la capitale, alors que deux plaques de signalisation leur en interdisent l’accès de 7h à 20h. «Même si les importateurs distribuent leur marchandise à partir de 20h, les transporteurs et les porteurs seront obligés d’appliquer le tarif de nuit», se plaint un commerçant.
Pourtant l’APC de Gué de Constantine avait verrouillé les accès du quartier en installant deux plaques «interdit de circuler». L’une, placée juste en face du commissariat du quartier, censée interdire l’entrée des camions venant d’Alger. L’autre, située à l’entrée de la RN38, supposée empêcher les commerçants de Sétif, Tébessa, Souk Ahras, de venir s’approvisionner dans le quartier.
Depuis le début du conflit avec les autorités, Ammar, la trentaine, jean et polo Lacoste, passe beaucoup de temps assis seul derrière son bureau face à son ordinateur. Des centaines de sachets de produits jonchent son grand hangar, au fond d’une impasse. Depuis les années 1990, il travaille dans la vente en gros des produits alimentaires. La vingtaine d’employés qu’il fait travailler tournent en rond en attendant l’arrivée d’un hypothétique camion à charger.
Depuis la décision des autorités locales de Gué de Constantine de transférer les commerces de gros vers El Harrach, le sien tourne au ralenti. «Si la situation persiste, il y aura certainement une grande pénurie de produits de première nécessité, avertit-il. Je vous assure, il y a un complot qui vise à nous faire dégager d’ici pour que certaines personnes à El Harrach gagnent de l’argent sur notre dos.»
Tunisiens
Autre casse-tête auquel les grossistes doivent faire face : la décision de certains importateurs de vendre leurs produits sans intermédiaire, directement au port pour ne pas payer les frais de douane et de transport. «Il y en a même qui exportent leurs marchandises directement vers la Tunisie et la Libye, sans servir le marché algérien», révèle Ammar en se désolant devant les plaques limitant l’accès des camions. Dans un autre magasin, des clients se plaignent.
Les importateurs ne seraient pas les seuls à préférer les marchés voisins, réputés plus rentables. Les grossistes aussi écouleraient eau, légumes secs et laitages vers la Tunisie et la Libye. «Les Tunisiens et les Libyens ont l’habitude de venir avec des commerçants de Sétif et Tébessa qui prennent en charge les frais d’acheminement jusqu’aux frontières. Ils se ravitaillent et rebroussent chemin vers les frontières, nous explique-t-on.
Et là, on ne sait pas comment ils font pour passer la marchandise !» A l’extérieur, sur les ruelles non goudronnées couvertes d’une poussière aveuglante, l’ambiance est à l’anarchie. Les commerçants chargent et déchargent la marchandise, indifférents aux plaques de signalisation. Devant chaque boutique, un camion ou un semi-remorque attend d’être déchargé.
La police ? Absente sur les lieux ! Ce qui permet à quelques poids lourds de profiter de l’occasion pour sortir illégalement du marché vers la RN38. Mais pour éviter les infractions, la plupart d’entre eux stationnent dans l’enceinte du site avant 7h du matin. Un officier ayant préféré garder l’anonymat explique que la police n’a pas reçu d’instructions pour surveiller l’entrée du marché. «La police n’a rien à voir là-dedans. Il faut se rapprocher des autorités concernées», lâche-t-il en abrégeant la conversation.
(à suivre)
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