Mourad Goumiri. professeur d’économie
«L’informel, la corruption et les détournements ont été les acteurs de cette ‘décennie de développement»
El Watan le 22.04.13 | 10h00
-On parle de plus de 500 milliards de dollars d’investissements publics consentis depuis plus de dix ans. Quand on voit le taux de croissance actuel de l’Algérie, n’aurait-on pas pu espérer mieux?
Il faut d’abord revenir sur ce que l’équipe d’économistes (essentiellement la triplette H. Temmar, A. Benachenhou et C. Khelil), ramenée de l’étrangers dans les bagages présidentiels en 1999, ont élaboré et appelé «le programme économique du président de la République» et qui a été adopté, sans débat, par la coalition gouvernementale (FLN, RND, MSP).Or, chacun des partis avait sa propre doctrine économique, et pour certaines orientations, elles étaient en contradiction flagrante avec le programme économique du Président, imposé, comme par exemple sur le dossier des privatisations.
Quant aux autres acteurs économiques et sociaux, à savoir principalement l’UGTA et les syndicats patronaux publics et privés, ils ont tous applaudi à tout rompre et se sont léché les babines, espérant secrètement accaparer une part maximale de la rente qui se profilait, à travers ce programme. Seul le Conseil national économique et social, sous la présidence de M.S. Mentouri, avait émis des réserves sur ce programme, ce qui s’est traduit par la démission «forcée» de son président, le musellement hermétique de sa production et le gel du fonctionnement de ses organes statutaires, depuis maintenant plus de dix ans !
Dès lors, il est nécessaire de procéder à l’examen sérieux, précis et serein de ce programme, afin d’en tirer quelques conclusions utiles à la compréhension de ce qui se déroule actuellement, plus de treize ans après sa mise en œuvre et d’apprécier les résultats enregistrés. Les 500 milliards de dollars US d’investissements que vous évoquez, en plus du fait que ce chiffre n’est validé par aucune source crédible d’évaluation, s’avèrent être un écran de fumée, car ce qui est mis en cause aujourd’hui, ce n’est pas tant le volume, mais bien son impact sur l’environnement économique et social de notre pays.
Le programme économique du président de la République n’est en fait qu’une agrégation de projets d’investissements sans aucune cohérence interne ni logique de développement avec des objectifs arrêtés à moyen et long termes. Cette tare originelle va développer sa propre logique, ce qui va se traduire par, d’une part, l’aggravation des déséquilibres internes sur les différents segments de marché et d’autre part, une vulnérabilité accrue de notre appareil de production aux variables extérieures et notamment celles du marché des hydrocarbures. Dès lors, notre pays va générer des points de croissance économique induits par une dépense publique phénoménale et jamais égalée dans son histoire… pour le compte de toutes les entreprises étrangères qui activent en Algérie !
Seules quelques miettes sont servies à la production nationale publique et privée, ce qui explique largement la croissance «molle» enregistrée par tous les observateurs économiques internationaux sérieux (BIRD et FMI). Mais plus grave encore, en plus d’organiser leur propre dépendance étrangère, les pouvoirs publics précipitent la destruction de l’appareil de production national par la concurrence sauvage et déloyale imposée à ce dernier, avec un impact direct sur l’emploi et le niveau général des prix relatifs, faisant aspirer notre économie par une spirale inflationniste d’une extrême dangerosité. La seule parade, à ce suicide économique, trouvée par l’appareil de production national pour subsister, c’est de se livrer «corps et âme» à la sphère marchande avec son lot de spéculation et de marché parallèle.
-Le taux de chômage, qui était de près de 30%, est annoncé autour de 9%. Est-ce un indicateur à mettre à l’actif des programmes présidentiels ou alors faut-il le relativiser ?
Les dernières déclarations du premier responsable du BIT, en visite en Algérie, sont assez éloquentes et nous révèlent que cette organisation internationale ne partage pas l’optimisme béat du ministre du Travail sur les perspectives d’emploi dans notre pays. Quant à la statistique affichée, elle est toute relative, car, en la matière, vous savez très bien que le problème est essentiellement sémantique et que les définitions, des uns et des autres, du concept de l’emploi, font toute la différence.
Pour ne pas tomber dans les travers de cette polémique stérile, posons-nous la seule question qui vaille à mon humble avis : le niveau actuel de l’emploi dans notre pays est-il satisfaisant qualitativement et quantitativement et répond-il à la demande nationale ? A partir du moment où vous organisez votre économie sous la forme rentière et que vous construisez votre croissance sur l’importation de biens et services, il est évident que la variable emploi va se paramétrer dans le cadre de cette politique. Les entreprises étrangères vont d’abord utiliser leur propre main-d’œuvre (en quantité et en qualité) et à la marge celle algérienne, au nom de l’efficacité et du rendement, sans que les pouvoirs publics puissent agir, dans la mesure où, leurs conditions sont strictement fixées par des délais contractuels exigeants.
Cette formidable demande en biens et services, qui aurait pu faire le bonheur des jeunes générations, dans tous les segments de métiers, en accédant à l’emploi et à la qualification, est orientée par les pouvoirs publics en direction des firmes étrangères, sous prétexte que l’appareil national de production est incapable de répondre à cette dernière quantitativement et qualitativement. Mais la question qu’il faut se poser est de savoir qui se soucie de la mise à niveau de cet appareil national de production, quelles sont les politiques mises en œuvre pour le booster, tous secteurs confondus et dans tous ses compartiments (ressources humaines, innovations, recherche développement, partenariat, coaching, réglementation, financement, accompagnement technique, sous-traitance…) ? Comment organiser et structurer la demande nationale afin de toujours impliquer l’appareil de production national, de manière à le rendre performant, vis-à-vis du marché national dans un premier temps et en prévision de l’exportation ensuite ?
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«L’informel, la corruption et les détournements ont été les acteurs de cette ‘décennie de développement»
El Watan le 22.04.13 | 10h00
-On parle de plus de 500 milliards de dollars d’investissements publics consentis depuis plus de dix ans. Quand on voit le taux de croissance actuel de l’Algérie, n’aurait-on pas pu espérer mieux?
Il faut d’abord revenir sur ce que l’équipe d’économistes (essentiellement la triplette H. Temmar, A. Benachenhou et C. Khelil), ramenée de l’étrangers dans les bagages présidentiels en 1999, ont élaboré et appelé «le programme économique du président de la République» et qui a été adopté, sans débat, par la coalition gouvernementale (FLN, RND, MSP).Or, chacun des partis avait sa propre doctrine économique, et pour certaines orientations, elles étaient en contradiction flagrante avec le programme économique du Président, imposé, comme par exemple sur le dossier des privatisations.
Quant aux autres acteurs économiques et sociaux, à savoir principalement l’UGTA et les syndicats patronaux publics et privés, ils ont tous applaudi à tout rompre et se sont léché les babines, espérant secrètement accaparer une part maximale de la rente qui se profilait, à travers ce programme. Seul le Conseil national économique et social, sous la présidence de M.S. Mentouri, avait émis des réserves sur ce programme, ce qui s’est traduit par la démission «forcée» de son président, le musellement hermétique de sa production et le gel du fonctionnement de ses organes statutaires, depuis maintenant plus de dix ans !
Dès lors, il est nécessaire de procéder à l’examen sérieux, précis et serein de ce programme, afin d’en tirer quelques conclusions utiles à la compréhension de ce qui se déroule actuellement, plus de treize ans après sa mise en œuvre et d’apprécier les résultats enregistrés. Les 500 milliards de dollars US d’investissements que vous évoquez, en plus du fait que ce chiffre n’est validé par aucune source crédible d’évaluation, s’avèrent être un écran de fumée, car ce qui est mis en cause aujourd’hui, ce n’est pas tant le volume, mais bien son impact sur l’environnement économique et social de notre pays.
Le programme économique du président de la République n’est en fait qu’une agrégation de projets d’investissements sans aucune cohérence interne ni logique de développement avec des objectifs arrêtés à moyen et long termes. Cette tare originelle va développer sa propre logique, ce qui va se traduire par, d’une part, l’aggravation des déséquilibres internes sur les différents segments de marché et d’autre part, une vulnérabilité accrue de notre appareil de production aux variables extérieures et notamment celles du marché des hydrocarbures. Dès lors, notre pays va générer des points de croissance économique induits par une dépense publique phénoménale et jamais égalée dans son histoire… pour le compte de toutes les entreprises étrangères qui activent en Algérie !
Seules quelques miettes sont servies à la production nationale publique et privée, ce qui explique largement la croissance «molle» enregistrée par tous les observateurs économiques internationaux sérieux (BIRD et FMI). Mais plus grave encore, en plus d’organiser leur propre dépendance étrangère, les pouvoirs publics précipitent la destruction de l’appareil de production national par la concurrence sauvage et déloyale imposée à ce dernier, avec un impact direct sur l’emploi et le niveau général des prix relatifs, faisant aspirer notre économie par une spirale inflationniste d’une extrême dangerosité. La seule parade, à ce suicide économique, trouvée par l’appareil de production national pour subsister, c’est de se livrer «corps et âme» à la sphère marchande avec son lot de spéculation et de marché parallèle.
-Le taux de chômage, qui était de près de 30%, est annoncé autour de 9%. Est-ce un indicateur à mettre à l’actif des programmes présidentiels ou alors faut-il le relativiser ?
Les dernières déclarations du premier responsable du BIT, en visite en Algérie, sont assez éloquentes et nous révèlent que cette organisation internationale ne partage pas l’optimisme béat du ministre du Travail sur les perspectives d’emploi dans notre pays. Quant à la statistique affichée, elle est toute relative, car, en la matière, vous savez très bien que le problème est essentiellement sémantique et que les définitions, des uns et des autres, du concept de l’emploi, font toute la différence.
Pour ne pas tomber dans les travers de cette polémique stérile, posons-nous la seule question qui vaille à mon humble avis : le niveau actuel de l’emploi dans notre pays est-il satisfaisant qualitativement et quantitativement et répond-il à la demande nationale ? A partir du moment où vous organisez votre économie sous la forme rentière et que vous construisez votre croissance sur l’importation de biens et services, il est évident que la variable emploi va se paramétrer dans le cadre de cette politique. Les entreprises étrangères vont d’abord utiliser leur propre main-d’œuvre (en quantité et en qualité) et à la marge celle algérienne, au nom de l’efficacité et du rendement, sans que les pouvoirs publics puissent agir, dans la mesure où, leurs conditions sont strictement fixées par des délais contractuels exigeants.
Cette formidable demande en biens et services, qui aurait pu faire le bonheur des jeunes générations, dans tous les segments de métiers, en accédant à l’emploi et à la qualification, est orientée par les pouvoirs publics en direction des firmes étrangères, sous prétexte que l’appareil national de production est incapable de répondre à cette dernière quantitativement et qualitativement. Mais la question qu’il faut se poser est de savoir qui se soucie de la mise à niveau de cet appareil national de production, quelles sont les politiques mises en œuvre pour le booster, tous secteurs confondus et dans tous ses compartiments (ressources humaines, innovations, recherche développement, partenariat, coaching, réglementation, financement, accompagnement technique, sous-traitance…) ? Comment organiser et structurer la demande nationale afin de toujours impliquer l’appareil de production national, de manière à le rendre performant, vis-à-vis du marché national dans un premier temps et en prévision de l’exportation ensuite ?
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