- Akram Belkaïd
- mardi 24 septembre 2013 00:10
Un mois oui, l’autre non… Semaine après semaine, la production pétrolière libyenne alterne entre un semblant de retour à la normale et un désordre général que les autorités de Tripoli s’avèrent bien incapables de juguler.
Certes, depuis quelques jours, les pompages ont de nouveau atteint le niveau de 620.000 barils par jour (ce qui a poussé les prix du baril à la baisse) alors qu’ils étaient tombés début septembre à 150.000 barils dont à peine 80.000 destinés à l’exportation. Mais est-ce une simple accalmie ou une normalisation durable ? Pour la majorité des experts, c’est la première hypothèse qui prime. « La situation est confuse, confesse un trader londonien. Le gouvernement central a beau promettre le contraire, on sent bien que les interruptions de production et d’exportations peuvent intervenir à n’importe quel moment.
L’Etat libyen n’a pas les moyens d’imposer sa loi ». Dans la foulée, le négociant cite aussi l’exemple des deux procès de dirigeants de l’ancien régime, dont Saïf al-Islam Kadhafi et Abdallah al-Senoussi, qui ont été tous deux reportés ce qui donne la mesure de l’incapacité du gouvernement central à surmonter les tiraillements politiques entre les diverses factions et tribus qui contrôlent chacune un pan du pays.
Perte de face !
Les difficultés auxquelles Tripoli doit faire face sont connues. Ici, ce sont des travailleurs du secteur des hydrocarbures qui se mettent en grève pour obtenir des augmentations mais aussi une amélioration de leurs conditions de travail en termes de sécurité. Là, et c’est de plus en plus fréquent, des milices censées défendre et protéger les installations ne font ni plus ni moins que de s’en emparer, revendiquant une meilleure distribution de la rente pétrolière. C’est ce qui s’est passé début septembre et cette escalade a non seulement pesé sur les cours mais inquiété les capitales occidentales qui n’ont pas hésité à émettre un communiqué commun pour appeler à un retour au calme. Ainsi, à la mi-septembre, les terminaux et installations d’Es Sider, Ras Lanouf, Hariga, Zawiya et Zeitine, étaient à l’arrêt ou fortement perturbés. Ce qui, au passage, a obligé Tripoli à importer du gazole et du mazout pour faire fonctionner ses centrales électriques. Une perte de face pour un producteur d’hydrocarbures membre de l’Opep !
Et le bras de fer entre les deux parties semblait d’ailleurs pour le moins irréel pour quiconque suit les affaires pétrolières et qui est habitué à ce que les Etats producteurs exercent un strict contrôle sur la rente. D’un côté, les milices exigeaient du gouvernement central la mise en place de moyens pour contrôler l’exactitude des quantités exportées. De l’autre, le gouvernement central de Tripoli accusait ces milices de détourner à leur profit des quantités de pétrole en les vendant directement à des opérateurs n’ayant signé aucun accord avec l’Etat libyen. « Il y a effectivement quelques cargaisons ‘fantômes’ qui ont été chargées dans les terminaux de l’Est du pays », confirme le trader londonien qui fait l’analogie avec ce qui se passait il y a une dizaine d’années au large des côtes nigérianes.
La Cyrénaïque face à Tripoli
De son côté, un diplomate arabe, fin connaisseur de la Libye, estime que la question pétrolière n’est que la conséquence de problèmes politiques qui restent en suspens. « Le Premier ministre Ali Zeidan prétend le contraire en affirmant que le problème n’est pas politique, mais on voit bien que ce qui se joue, c’est le rapport entre la Cyrénaïque et Tripoli ». Berceau de la révolte contre Kadhafi, la partie orientale du pays souhaiterait plus d’autonomie et la capacité de gérer directement ses réserves pétrolières quitte à reverser une partie au budget national. Une éventualité que n’accepte pas le gouvernement central qui craint une « kurdisation » de la Cyrénaïque par analogie à ce qui se passe au Kurdistan irakien où de nombreux contrats pétroliers sont signés sans que Baghdad n’ait voix au chapitre.
En tout état de cause, ces déboires ont d’ores et déjà coûté plus de 3 milliards de dollars de manque à gagner à la Libye qui, de plus, va avoir du mal à équilibrer son budget sachant que ce dernier a été établi sur la base d’une production de 1,6 millions de barils par jour, c'est-à-dire le pic atteint en 2010 avant la chute du régime de Kadhafi. Mais il reste à comprendre pourquoi la situation libyenne a tant d’impacts sur le marché pétrolier. En effet, ce pays ne contribue qu’à 2% de la production mondiale ce qui est négligeable. De fait, l’offre actuelle de brut est suffisamment importante – elle excède la demande – pour que le retrait, même total, du brut libyen soit compensé sans grands efforts. Arabie Saoudite, Iran, Emirats arabes unis mais aussi Angola et Equateur ont augmenté leur production depuis plusieurs mois. Alors pourquoi le « facteur libyen » pèse-t-il tant ?
Pourquoi la Libye inquiète les marchés
Au-delà de l’aspect « psychologique » (le marché n’aime guère apprendre qu’un producteur est hors-jeu), l’une des explications le plus souvent avancées repose sur les anticipations à moyen et long termes en matière de production pétrolière. En effet, tous les experts s’accordent à dire que le brut facilement exploitable est en voie de disparition. Or, la Libye possède un pétrole à la fois de très haute qualité et dont les coûts d’extraction sont inférieurs à 2 dollars le baril. De plus, avec ses 48 milliards de barils de réserves prouvées (estimation de l’Agence internationale de l’Energie en 2012), c’est l’un des derniers eldorados pétroliers et cela alors que son sous-sol n’a pas encore été totalement exploité. Que ce pays s’enfonce dans le chaos et cela voudra dire que ce trésor fossile sera difficilement exploitable. Voilà pourquoi la Libye inquiète les marchés et les capitales occidentales. Ainsi, pour dire crûment les choses, l’après-Kadhafi n’a pas encore livré ses promesses d’émergence de la Libye comme le premier acteur pétrolier d’Afrique.