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Nasreddine Lezzar. Expert en arbitrage économique «Une affaire juteuse pour Lakshmi Mittal»

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  • Nasreddine Lezzar. Expert en arbitrage économique «Une affaire juteuse pour Lakshmi Mittal»

    -Ce qu’on appelle l’affaire ArcelorMittal connaît un nouveau rebondissement. Quelle est votre analyse ?

    Il semble nécessaire de revenir au début du feuilleton ArcelorMittal Algérie. Il y a un peu plus d’une année ArcelorMittal Algérie se trouvait au bord du gouffre. On avait évoqué un dépôt de bilan et essayé par un subterfuge de communication de distinguer de la cessation de payement. La nuance n’était pas convaincante. Sa banque française attitrée – Société Générale – refusa de le financer au motif que l’opération était risquée avec en sus une dette de 120 millions de dollars non remboursée. Sollicitée, la BEA conditionna son concours par une garantie du groupe ArcelorMittal.

    La condition fut acceptée et le groupe cautionna la filiale algérienne. Coup de théâtre, le groupe se trouva lui-même en grandes difficultés, notamment en France où le gouvernement évoquait une nationalisation. Le groupe n’était plus bancable. Ce revers mettait à nu la mauvaise gouvernance de la banque algérienne qui n’avait rien vu venir alors que le refus de financement de la banque attitrée – Société Générale – était un indicateur suffisant. La situation déficitaire d’ArcelorMittal Annaba était un signe indiscutable que le groupe n’avait pas honoré ses engagements prévus dans le business plan, condition légale requise pour toutes les opérations de privatisation et qui aurait justifié une reprise en main du complexe par l’Algérie. Pourquoi la banque algérienne avait elle accepté de financer une entité aussi peu performante et moins fiable ? La décision ne pouvait être commerciale car contraire aux normes prudentielles. Nous sommes maintenant devant un nouvel acte de la gabegie.

    -Cet accord a donné lieu à des débats houleux, suscité beaucoup d’interrogations, des espoirs selon les uns, des inquiétudes selon les autres. Quelle est votre appréciation ?

    L’Etat algérien décide, contre toute logique économique, une acquisition d’une partie de parts sociales du groupe pour que Sider, l’actionnaire algérien, passe en situation majoritaire avec 51%. Cette décision brandie comme un fait de guerre est troublante à plus d’un titre. Sur le plan de l’opportunité, des questions se posent et des constats troublants s’affichent. Pourquoi devenir majoritaire dans une entité en déconfiture ? Pourquoi, aussi, ne pas l’avoir fait lorsqu’ArcelorMittal Annaba était en mauvaise posture et en conséquence Sider ou d’autres actionnaires algériens privés l’auraient acquis à un meilleur prix ? Pourquoi encore, l’Etat algérien a préféré acheter ce qu’il aurait pu obtenir gratuitement avec des dédommagements en sus en faisant jouer les mécanismes juridiques prévus en cas de non-respect des engagements contractuels ? Les autorités algériennes semblent avoir attendu que la BEA ait injecté des capitaux pour donner de la valeur à ArcelorMittal Annaba et l’acheter à un prix qui inclurait le crédit bancaire consenti. Pourquoi et au bénéfice de qui ? Tout semble être orchestré pour qu’ArcelorMittal bénéficie de placements bancaires algériens. L’Etat aura, finalement, payé à ArcelorMittal l’argent que lui a prêté la banque algérienne.

    On nous chante, telle une sérénade, que la cession des actions «est gratuite». Nous devrions même nous incliner de gratitude devant ce capitaliste qui nous cède gracieusement ses actions dans une société qu’il a mise aux abois et vis-à-vis de laquelle il n’a tenu aucun engagement, notamment ceux prévus dans le business plan. Mais enfin, à y voir de plus près, céder une partie de ses actions dont la valeur est laminée par la déconfiture du groupe au plan international et se retrouver dans une société recapitalisée est plutôt une bonne affaire pour ArcelorMittal. Que pouvait espérer Lakshmi Mittal de plus ? Une affaire juteuse qu’il présente comme une œuvre de mécène, comme si la recapitalisation et l’augmentation de capital consentie grâce à l’argent public ne constitue aucun apport.

    -Quelle lecture faites-vous de cet accord qu’on appelle pacte d’actionnaires et pourriez-vous clarifier la notion de «pacte d’actionnaires» ?

    Cet accord appelle quelques remarques de forme et de fond. Au plan de la forme, il est signé sous l’égide du ministre de l’Industrie en présence de l’UGTA. Ce protocole lui donne un aspect politique. Il a pris la forme d’un pacte d’actionnaires et non d’une insertion dans les statuts. La nuance est de taille et vous avez raison de demander une clarification de la notion.

    Cette technique juridique est inconnue du droit algérien dans la mesure où elle n’est définie dans aucun texte, mais s’est insérée dans la pratique partenariale dans notre pays par le biais d’investisseurs et opérateurs étrangers. Un pacte d’actionnaires est un accord entre actionnaires ou associés, mais qui ne figure pas dans les statuts. Il est inséré, cependant, dans un document à part. A la différence des statuts qui doivent être publiés, le pacte d’actionnaires peut rester secret. Dieu seul sait ce qui a été réellement convenu dans ce document. Il n’est pas opposable aux tiers et en ce sens, il n’implique que ses signataires les uns vis-à-vis des autres. Autrement dit, ce pacte n’engage ArcelorMittal que vis-à-vis de Sider, mais ne l’engage aucunement vis-à-vis des autorités algériennes.

    Ce point est cardinal quand on sait qu’il y a une convention d’investissement qui lie l’investisseur à l’Etat algérien, notamment pour bénéficier des avantages ANDI. Autrement dit ArcelorMittal va bénéficier des avantages accordés par les autorités algériennes sans avoir aucun engagement vis-à-vis de ces dernières. Le choix du pacte d’actionnaires ne me semble pas anodin mais découle d’une stratégie perverse. Quant au fond, il est quand même paradoxal de donner une autre chance à un groupe en faillite, un peu partout dans le monde, comme s’il s’agissait du seul sidérurgiste sur la planète.

    -Ne pensez-vous pas que cette démarche encourage la production de l’acier dont l’Algérie importe la quasi-totalité de ses besoins, soit 90% ?

    Le partenariat est toujours bénéfique, notamment en matière de transfert de technologie, car nous avons de moins en moins besoin de capitaux. Il est toutefois troublant de privilégier les associations avec les canards boiteux. Pourquoi accorder tant de largesses à un partenaire qui a prouvé son incapacité à redresser le complexe depuis douze ans.

    -Parmi les clauses de ce contrat, l’Algérie s’est prémunie en prévoyant qu’ArcelorMittal s’engageait à rester dans le capital de sa filiale algérienne pour une durée minimum de 7 ans. En cas de désengagement, la cession des actifs (49%) se ferait sur la base d’un prix prédéfini dans l’accord. Ce prix est conditionné à la réalisation de bénéfices durant les 3 années qui précèdent la sortie. Peut-on dire que c’est une garantie suffisante pour éviter les cas similaires aux dossiers Djezzy et Lafarge ?

    Aucune garantie n’est suffisante. Un accord ne vaut que par ceux qui l’appliquent, l’exécutent et veillent à son application. Lafarge et Djezzy ont allégrement violé les accords conclus et continuent à se comporter en pays conquis. En outre, je ne sais pas à qui, de l’Etat algérien ou ArcelorMittal, profite cette règle ? Pourquoi ArcelorMittal quitterait un pays où sa mauvaise gestion et ses dérives managériales sont couvertes par le Trésor public.

    -La nouvelle configuration managériale de l’entreprise, dont un national est président du CA et le management pour le partenaire étranger, n’est-elle pas équitable ?

    J’avoue ne rien comprendre à cela. Sider serait le président symbolique, le président du conseil d’administration donne l’image d’un roi fainéant qui délègue tout à son vizir. Mittal gérerait «effectivement» une entreprise publique algérienne puisque aux termes de la loi «est considérée comme entreprise publique une entreprise ou l’Etat et/ou ses démembrements détiennent la majorité du capital social». Il faut une sacrée dose de candeur ou d’autre chose pour accepter et glorifier cela. Notre ministre de l’Industrie, parrain de cet accord de dupes, verse dans la langue de bois en alignant des chiffres qui ne sont que la lecture au niveau 1 d’un sinistre complot juridico-économique.

    -Vos propos semblent assez durs et votre évaluation est sévère. Si l’on adhère à vos propos Maître Lezzar, comment pourrait-on expliquer l’adhésion des responsables algériens à une démarche ruineuse ?

    La lecture glorieuse de cet accord par les autorités algériennes prend l’allure d’une candeur qui fait presque pitié. La première lecture est une incapacité et une incompétence en matière d’ingénierie juridique et financière ainsi qu’une absence totale de gouvernance. La deuxième lecture oriente vers une recherche délibérée d’intérêts antinationaux.

    Gaidi Mohamed Faouzi-elwatan
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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