Nicolas Bourgoin
Qu'y a-t-il de commun entre le Chili de Pinochet, la Russie d'Eltsine, les USA de George Bush, l'Afrique du Sud de Mandela, l'Irak post-Saddam Hussein, la Chine de Deng Xiaoping, la Pologne de Lech Walesa, l'Indonésie de Suharto, l'Argentine de Videla ? Tous ont été victimes de la « stratégie du choc », une politique ultralibérale dévastatrice menée après une situation de crise économique, politique ou environnementale ; ou aussi après une guerre, comme l'évoque le nom donné à la campagne de bombardements intensifs américains sur l'Irak en avril 2003 : Shock and Awe (choc et effroi). Il s'agit ni plus ni moins que d'appliquer à grande échelle les techniques de torture mentale et de privation sensorielle employées par la CIA afin de contrôler la volonté, les facultés de compréhension et les perceptions de l'adversaire et le priver de toute capacité à agir et réagir. Sans points de repères, littéralement en état de choc, les populations victimes de ce traitement se sont vues spoliées de leurs biens publics (éducation, santé, retraites) et de leurs libertés par l'oligarchie et ses élites sans même pouvoir et vouloir se défendre. L'Europe de l'Ouest a été relativement épargnée par ce scénario cauchemardesque... jusqu'à la crise des subprimes de 2007-2008.
Le contraste est frappant. D'un côté, des attaques inédites contre le droit du travail et les salaires, de l'autre une passivité totale et une résignation à toute épreuve. Bienvenue en Grèce, laboratoire européen du « capitalisme du désastre » : un taux de chômage (officiel) à 28 %, un tiers de la population vivant sous le seuil de pauvreté, plus d'un tiers sans couverture maladie, des services publics en déliquescence laminés par des cures d'austérité draconiennes, un patrimoine public (sites archéologiques, îles, forêts, aéroports, compagnie de gaz ou d'électricité, ...) bradé pour une bouchée de pain à des sociétés privées... et une population atone. La raison de cette paralysie ? le traumatisme provoqué par la crise voulue et programmée par l'oligarchie qui sape toute velléité de résistance à la destruction systématique de la sphère publique : « Attendre une crise de grande envergure, puis, pendant que les citoyens sont encore sous le choc, vendre l'État morceau par morceau, à des intérêts privés avant de s'arranger pour pérenniser les « réformes » à la hâte[1] » est un bon résumé de ce qu'ont subi les Grecs. Ce véritable coup d'État financier a nécessité plusieurs phases de préparation. Récit d'une tragédie (grecque) en 5 actes.
1er acte : créer les conditions d'une crise du crédit (2000-2007)
Au début de la décennie 2000, les USA se lancent dans la folie du crédit sans limites. Les emprunteurs, même non solvables, contractent des formules de prêts immobiliers de plus en plus risquées, et le plus souvent à taux variable. Dans les premières années, les taux sont bas et les emprunteurs peuvent rembourser facilement mais au fur et à mesure qu'ils augmentent un nombre croissant de personnes ne peuvent plus rembourser leur emprunt immobilier et sont contraintes de vendre leur bien, faisant ainsi chuter les prix du marché, première étape de la crise. Ces emprunts "toxiques" (car ayant des risques élevés d'être non-remboursés) sont compilés avec d'autres produits financiers bénéficiant artificiellement de la meilleure note (AAA) des agences de notation pour être ensuite échangés sur les places boursières du monde. La banque d'affaires américaine Goldman Sachs est l'une des pionnières dans la création de ces "subprimes". Coup d'arrêt au printemps 2008 : les ménages emprunteurs ne peuvent plus rembourser leurs prêts à cause de la montée des taux d'intérêts, la bulle de l'endettement privée éclate et le système se grippe. Le système financier est contaminé par ces titres pourris et la contagion est rapide : leur valeur s'effondre, la confiance des investisseurs chute et le système du prêt interbancaire est vite gelé.
Le bénéfice est triple pour l'oligarchie bancaire : après avoir tiré profit du crédit facile dans la première phase, elle fabrique les conditions d'une crise artificielle qui obligera les États (donc l'argent public) à les renflouer dans la seconde phase et elle décuplera ses gains en plaçant des pays entiers sous sa dépendance grâce au creusement des dettes souveraines et au gonflement des taux d'intérêt de leur financement, dans la troisième.
2ème acte : la crise de la dette (automne 2008)
Le déclencheur de la crise dite des « subprimes » est connu. L'administration Bush nationalise AIG et Bank of America, rachète Merril Lynch ... mais refuse de sauver la banque d'investissement Lehman Brothers qui se déclare en faillite le 15 septembre, faisant alors chuter toutes les places boursières mondiales. Par cette décision, le secrétaire au Trésor Henry Paulson fait d'une pierre trois coups : il sacrifie un concurrent direct de Goldman Sachs - banque qu'il a présidé entre 1998 et 2006 et dont il continue en sous-main de défendre les intérêts - , et il fabrique les conditions d'une crise providentielle pour la finance tout en raflant l'argent public aux seuls bénéfices des banques privées grâce au "plan Paulson".
3ème : la crise bancaire en Europe (2008-2009)
Conjointement présenté par la Réserve fédérale et le Trésor, le "plan Paulson" de rachat des actifs toxiques américains, d'un montant de 700 milliards de dollars, est voté au Congrès américain mais sans toutefois convaincre les investisseurs. Le CAC40 et le Dow Jones connaissent une chute historique le "lundi noir" (6 octobre 2008). Il faudra, pour calmer les marchés, que 7 banques centrales mondiales (États-Unis, Europe, Royaume-Uni, Canada, Suède, Suisse et Chine) s'accordent pour baisser leurs taux directeurs d'un demi-point.
4ème acte : crise économique (à partir de 2009)
La crise financière devient rapidement une crise économique. De nombreux pays rentrent en récession, la consommation des ménages chute, les entreprises accusent des pertes énormes et sont obligées de réduire leurs effectifs salariés ou font faillite, le chômage explose : de l'automne 2008 à fin 2009, le taux passe en France de 7,9% à 10%, aux USA il double de 5 % à près de 10 % et il triple en Grèce de 8 % à plus de 24 %.
Le secteur automobile est particulièrement touché. Le géant américain General Motors se déclare en faillite en juin 2009, seulement trois mois après Chrysler. En France, Sarkozy débloque un prêt de 7,8 milliards d'euros pour Renault et PSA Peugeot-Citroën, en contrepartie d'un engagement sur l'emploi et sur la pérennité des sites d'assemblage sur le territoire.
5ème acte : Goldman Sachs place ses pions en Europe...
La Grèce a joué le rôle du cheval de Troie d'une gouvernance bancaire européenne. Première étape, la faire entrer dans la zone euro. C'est ce à quoi s'est employée la banque Goldman Sachs en maquillant ses comptes pour sous-estimer ses dettes et ses déficits, notamment par la levée de fonds hors bilan.
Qu'y a-t-il de commun entre le Chili de Pinochet, la Russie d'Eltsine, les USA de George Bush, l'Afrique du Sud de Mandela, l'Irak post-Saddam Hussein, la Chine de Deng Xiaoping, la Pologne de Lech Walesa, l'Indonésie de Suharto, l'Argentine de Videla ? Tous ont été victimes de la « stratégie du choc », une politique ultralibérale dévastatrice menée après une situation de crise économique, politique ou environnementale ; ou aussi après une guerre, comme l'évoque le nom donné à la campagne de bombardements intensifs américains sur l'Irak en avril 2003 : Shock and Awe (choc et effroi). Il s'agit ni plus ni moins que d'appliquer à grande échelle les techniques de torture mentale et de privation sensorielle employées par la CIA afin de contrôler la volonté, les facultés de compréhension et les perceptions de l'adversaire et le priver de toute capacité à agir et réagir. Sans points de repères, littéralement en état de choc, les populations victimes de ce traitement se sont vues spoliées de leurs biens publics (éducation, santé, retraites) et de leurs libertés par l'oligarchie et ses élites sans même pouvoir et vouloir se défendre. L'Europe de l'Ouest a été relativement épargnée par ce scénario cauchemardesque... jusqu'à la crise des subprimes de 2007-2008.
Le contraste est frappant. D'un côté, des attaques inédites contre le droit du travail et les salaires, de l'autre une passivité totale et une résignation à toute épreuve. Bienvenue en Grèce, laboratoire européen du « capitalisme du désastre » : un taux de chômage (officiel) à 28 %, un tiers de la population vivant sous le seuil de pauvreté, plus d'un tiers sans couverture maladie, des services publics en déliquescence laminés par des cures d'austérité draconiennes, un patrimoine public (sites archéologiques, îles, forêts, aéroports, compagnie de gaz ou d'électricité, ...) bradé pour une bouchée de pain à des sociétés privées... et une population atone. La raison de cette paralysie ? le traumatisme provoqué par la crise voulue et programmée par l'oligarchie qui sape toute velléité de résistance à la destruction systématique de la sphère publique : « Attendre une crise de grande envergure, puis, pendant que les citoyens sont encore sous le choc, vendre l'État morceau par morceau, à des intérêts privés avant de s'arranger pour pérenniser les « réformes » à la hâte[1] » est un bon résumé de ce qu'ont subi les Grecs. Ce véritable coup d'État financier a nécessité plusieurs phases de préparation. Récit d'une tragédie (grecque) en 5 actes.
1er acte : créer les conditions d'une crise du crédit (2000-2007)
Au début de la décennie 2000, les USA se lancent dans la folie du crédit sans limites. Les emprunteurs, même non solvables, contractent des formules de prêts immobiliers de plus en plus risquées, et le plus souvent à taux variable. Dans les premières années, les taux sont bas et les emprunteurs peuvent rembourser facilement mais au fur et à mesure qu'ils augmentent un nombre croissant de personnes ne peuvent plus rembourser leur emprunt immobilier et sont contraintes de vendre leur bien, faisant ainsi chuter les prix du marché, première étape de la crise. Ces emprunts "toxiques" (car ayant des risques élevés d'être non-remboursés) sont compilés avec d'autres produits financiers bénéficiant artificiellement de la meilleure note (AAA) des agences de notation pour être ensuite échangés sur les places boursières du monde. La banque d'affaires américaine Goldman Sachs est l'une des pionnières dans la création de ces "subprimes". Coup d'arrêt au printemps 2008 : les ménages emprunteurs ne peuvent plus rembourser leurs prêts à cause de la montée des taux d'intérêts, la bulle de l'endettement privée éclate et le système se grippe. Le système financier est contaminé par ces titres pourris et la contagion est rapide : leur valeur s'effondre, la confiance des investisseurs chute et le système du prêt interbancaire est vite gelé.
Le bénéfice est triple pour l'oligarchie bancaire : après avoir tiré profit du crédit facile dans la première phase, elle fabrique les conditions d'une crise artificielle qui obligera les États (donc l'argent public) à les renflouer dans la seconde phase et elle décuplera ses gains en plaçant des pays entiers sous sa dépendance grâce au creusement des dettes souveraines et au gonflement des taux d'intérêt de leur financement, dans la troisième.
2ème acte : la crise de la dette (automne 2008)
Le déclencheur de la crise dite des « subprimes » est connu. L'administration Bush nationalise AIG et Bank of America, rachète Merril Lynch ... mais refuse de sauver la banque d'investissement Lehman Brothers qui se déclare en faillite le 15 septembre, faisant alors chuter toutes les places boursières mondiales. Par cette décision, le secrétaire au Trésor Henry Paulson fait d'une pierre trois coups : il sacrifie un concurrent direct de Goldman Sachs - banque qu'il a présidé entre 1998 et 2006 et dont il continue en sous-main de défendre les intérêts - , et il fabrique les conditions d'une crise providentielle pour la finance tout en raflant l'argent public aux seuls bénéfices des banques privées grâce au "plan Paulson".
3ème : la crise bancaire en Europe (2008-2009)
Conjointement présenté par la Réserve fédérale et le Trésor, le "plan Paulson" de rachat des actifs toxiques américains, d'un montant de 700 milliards de dollars, est voté au Congrès américain mais sans toutefois convaincre les investisseurs. Le CAC40 et le Dow Jones connaissent une chute historique le "lundi noir" (6 octobre 2008). Il faudra, pour calmer les marchés, que 7 banques centrales mondiales (États-Unis, Europe, Royaume-Uni, Canada, Suède, Suisse et Chine) s'accordent pour baisser leurs taux directeurs d'un demi-point.
4ème acte : crise économique (à partir de 2009)
La crise financière devient rapidement une crise économique. De nombreux pays rentrent en récession, la consommation des ménages chute, les entreprises accusent des pertes énormes et sont obligées de réduire leurs effectifs salariés ou font faillite, le chômage explose : de l'automne 2008 à fin 2009, le taux passe en France de 7,9% à 10%, aux USA il double de 5 % à près de 10 % et il triple en Grèce de 8 % à plus de 24 %.
Le secteur automobile est particulièrement touché. Le géant américain General Motors se déclare en faillite en juin 2009, seulement trois mois après Chrysler. En France, Sarkozy débloque un prêt de 7,8 milliards d'euros pour Renault et PSA Peugeot-Citroën, en contrepartie d'un engagement sur l'emploi et sur la pérennité des sites d'assemblage sur le territoire.
5ème acte : Goldman Sachs place ses pions en Europe...
La Grèce a joué le rôle du cheval de Troie d'une gouvernance bancaire européenne. Première étape, la faire entrer dans la zone euro. C'est ce à quoi s'est employée la banque Goldman Sachs en maquillant ses comptes pour sous-estimer ses dettes et ses déficits, notamment par la levée de fonds hors bilan.
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