Le capitalisme est-il condamné? La dénonciation de l’accumulation du capital et de la richesse par une minorité, par une oligarchie, fait un retour en force en Europe comme aux Etats-Unis. L’histoire se répète.
François Hollande a gagné l’élection présidentielle de 2012 en dénonçant Nicolas Sarkozy comme le «président des riches», en promettant de taxer à 75% les revenus de plus d’un million d’euros et en clamant que la finance était son «véritable adversaire». Barack Obama, aux Etats-Unis, a fait de la lutte contre les inégalités et de la défense de la classe moyenne des arguments décisifs de sa campagne en 2008 puis de celle de 2012. Son discours sur l’Etat de l’Union de janvier 2013, juste après sa réélection, portait même avant tout sur la réduction des inégalités.
Mais l'un et l'autre président ont échoué à transformer des slogans accrocheurs en politiques efficaces. En dépit de la crise financière, les inégalités de revenus ont continué à se creuser rapidement aux Etats-Unis. Les 1% d'Américains les plus riches ont vu leurs revenus augmenter de 31% entre 2009 et 2012 tandis que ceux des 99% restants stagnaient.
En France, le gouvernement n'a pas réduit les inégalités en augmentant la pression fiscale: les 1% les plus riches n’ont quasiment pas été affectés. En revanche, le pouvoir socialiste s’est aliéné les classes moyennes et a effrayé les entrepreneurs et les investisseurs. Il a aujourd’hui toutes les peines du monde à regagner leur confiance et promet maintenant de baisser les impôts.
Piketty et Occupy Wall Street
La question des inégalités est au cœur des débats politiques et économiques en Europe, aux Etats-Unis et même dans les économies émergentes. L’accueil enthousiaste réservé outre-Atlantique à la traduction anglaise de la somme de l’économiste français Thomas Piketty (Le capital au XXIème siècle) en est une parfaite illustration.
Le mouvement Occupy Wall Street, qui dénonçait en 2011 la prise du pouvoir aux Etats-Unis par une oligarchie, a marqué les esprits avec son slogan «We are the 99%» («Nous sommes les 99%»). Même le très libéral hebdomadaire anglais The Economist juge l’ouvrage de Thomas Piketty si important qu’il en commente chaque semaine un chapitre!
Il faut dire que les chiffres sont particulièrement dérangeants. La fortune des millionnaires du classement du magazine Forbes a augmenté dix fois plus vite entre 1987 et 2013 que la croissance économique mondiale.
L’accroissement accéléré des inégalités est considéré par des économistes, de gauche comme de droite, comme une menace pour le capitalisme. Car cette question englobe tout: la mondialisation, les bouleversements technologiques, l’affaiblissement des classes moyennes. On peut même y associer les stratégies de politique monétaire, favorables aux rentiers ou aux emprunteurs, et le rejet grandissant des élites politiques accusées d’être inféodées au pouvoir économique.
«Rich and Famous»
Thomas Piketty dénonce la renaissance d’un «capitalisme patrimonial». La concentration accélérée de la richesse entre les mains d’un petit nombre, une oligarchie, met en péril la mobilité sociale et la méritocratie qui fondent la démocratie. On voit réapparaitre au XXIème siècle un monde dans lequel la naissance serait plus importante que le talent et la capacité à l’effort.
Et contrairement au passé, les différences de mode de vie ne sont pas dissimulées mais bien visibles… trop visibles. L’exigence de transparence, l’omniprésence des médias, notamment sociaux, et la recherche effrénée de modèles parmi les «Rich and Famous» (riches et célèbres) font que les inégalités s’étalent. Tout un chacun peut ainsi constater que l’économie de marché et la justice sociale sont de nature différente.
Un moteur indispensable
Pour autant et c’est tout le problème, les inégalités ne sont pas forcément un mal. Elles sont même un moteur indispensable à la croissance. Sans la récompense de l’enrichissement, il n’y a pas de prise de risques, pas d’innovation et pas de stimulant à l’effort –François Hollande vient d’en faire l’expérience. On peut même ajouter que ce n’est pas parce que les riches deviennent plus riches que les pauvres deviennent plus pauvres.
Il y a un monde entre les sociétés rigides et figées du XIXème siècle et celle mondialisée et métissée du début du XXIème. Dans la France de Balzac, les 10% les plus fortunés possédaient à peu près la totalité de la richesse du pays. Aujourd’hui, les 10% les plus riches possèdent environ 60% du patrimoine en Europe et 70% aux Etats-Unis… d’un gâteau devenu bien plus gros.
Jusqu’à aujourd’hui, les comparaisons avaient peu de sens. La publication du Capital au XXIème siècle a tout changé en donnant une base scientifique à l’étude de la répartition des revenus dans le temps et entre les pays.
La thèse de Thomas Piketty est construite à partir d’une histoire statistique incontestable et unique des revenus dans les principaux pays capitalistes depuis plus d’un siècle, et bien au-delà pour la France et la Grande-Bretagne. Sa principale conclusion est que, dans la plupart des nations et la plupart du temps, les intérêts du capital –les revenus des investissements et de la propriété– s’accumulent à un taux bien plus élevé que celui de la croissance de l’économie dans son ensemble. Et cela à l’exception d’une grande parenthèse qui s’étale entre 1914 et le milieu des années 1970 et occupe donc l’essentiel du XXème siècle.
Créanciers contre emprunteurs
Les deux guerres mondiales ont détruit la plupart des grandes fortunes européennes et la grande dépression des années 1930 a touché de plein fouet leurs équivalents américains. Le New Deal aux Etats-Unis et la naissance en Europe occidentale, après 1945, d’une classe moyenne fruit d’un compromis historique, de la social-démocratie et des Trente Glorieuses ont changé la donne. D’autant plus facilement que la croissance était forte, alimentée alors par la reconstruction, le progrès technique, la naissance de la société de consommation et la généralisation du fordisme.
Mais depuis quarante ans, la parenthèse s’est refermée. Le capital a recommencé à s’accumuler et se concentrer bien plus rapidement que la croissance économique.
Le point de départ de ce retour au capitalisme «pur et dur», celui du XIXème siècle, n’est ni la mondialisation, ni la technologie ni la prise de contrôle du système politique par l’élite économique, mais la disparition de l’inflation. Les intérêts des créanciers ont pris le pas sur ceux des emprunteurs.
La lutte contre la hausse des prix est devenue, au milieu des années 1970 et après les chocs pétroliers, la priorité des gouvernements et des banques centrales. Elle a eu pour conséquence de peser sur les bas salaires et sur la part du travail dans les revenus. La moindre progression des salaires s’est traduite par une augmentation de la rentabilité des entreprises et donc de la valeur du capital.
Dans le même temps, la croissance s’est ralentie, les impôts sur la fortune ont disparu (sauf en France), les paradis fiscaux se sont multipliés et des pans entiers de la social-démocratie ont été peu à peu abandonnés, notamment en Suède, son berceau, au Royaume-Uni, en Allemagne, au Canada, en Australie…
«Super classe mondiale»
La mondialisation a élargi à la planète entière le champ de l’économie de marché. En toute logique, la concentration du pouvoir économique a changé aussi de dimension… et de vitesse.
L’extrême-droite et l’extrême-gauche se plaisent à dénoncer une «super classe mondiale». Si elle existe réellement, et n’est pas une pure construction idéologique, elle vit et prospère des échanges, de l’innovation technologique, de la mobilité sociale, de la naissance de classes moyennes en Chine, au Brésil, en Inde… Une société figée et fermée n’est donc pas son intérêt.
Toutes les analyses brillantes qui, depuis le XIXème siècle, ont prédit la mort du capitalisme face à ces «contradictions insurmontables» dont le creusement des inégalités, ont commis la même erreur: sous-estimer sa capacité d’adaptation, de mutation et d’invention notamment sous la pression politique et sociale. Avec une espérance de vie qui va continuer à augmenter, le rapprochement entre l’homme et la machine, la prolifération des robots, le réchauffement climatique... le capitalisme du XXIème siècle est encore à inventer.
State
François Hollande a gagné l’élection présidentielle de 2012 en dénonçant Nicolas Sarkozy comme le «président des riches», en promettant de taxer à 75% les revenus de plus d’un million d’euros et en clamant que la finance était son «véritable adversaire». Barack Obama, aux Etats-Unis, a fait de la lutte contre les inégalités et de la défense de la classe moyenne des arguments décisifs de sa campagne en 2008 puis de celle de 2012. Son discours sur l’Etat de l’Union de janvier 2013, juste après sa réélection, portait même avant tout sur la réduction des inégalités.
Mais l'un et l'autre président ont échoué à transformer des slogans accrocheurs en politiques efficaces. En dépit de la crise financière, les inégalités de revenus ont continué à se creuser rapidement aux Etats-Unis. Les 1% d'Américains les plus riches ont vu leurs revenus augmenter de 31% entre 2009 et 2012 tandis que ceux des 99% restants stagnaient.
En France, le gouvernement n'a pas réduit les inégalités en augmentant la pression fiscale: les 1% les plus riches n’ont quasiment pas été affectés. En revanche, le pouvoir socialiste s’est aliéné les classes moyennes et a effrayé les entrepreneurs et les investisseurs. Il a aujourd’hui toutes les peines du monde à regagner leur confiance et promet maintenant de baisser les impôts.
Piketty et Occupy Wall Street
La question des inégalités est au cœur des débats politiques et économiques en Europe, aux Etats-Unis et même dans les économies émergentes. L’accueil enthousiaste réservé outre-Atlantique à la traduction anglaise de la somme de l’économiste français Thomas Piketty (Le capital au XXIème siècle) en est une parfaite illustration.
Le mouvement Occupy Wall Street, qui dénonçait en 2011 la prise du pouvoir aux Etats-Unis par une oligarchie, a marqué les esprits avec son slogan «We are the 99%» («Nous sommes les 99%»). Même le très libéral hebdomadaire anglais The Economist juge l’ouvrage de Thomas Piketty si important qu’il en commente chaque semaine un chapitre!
Il faut dire que les chiffres sont particulièrement dérangeants. La fortune des millionnaires du classement du magazine Forbes a augmenté dix fois plus vite entre 1987 et 2013 que la croissance économique mondiale.
L’accroissement accéléré des inégalités est considéré par des économistes, de gauche comme de droite, comme une menace pour le capitalisme. Car cette question englobe tout: la mondialisation, les bouleversements technologiques, l’affaiblissement des classes moyennes. On peut même y associer les stratégies de politique monétaire, favorables aux rentiers ou aux emprunteurs, et le rejet grandissant des élites politiques accusées d’être inféodées au pouvoir économique.
«Rich and Famous»
Thomas Piketty dénonce la renaissance d’un «capitalisme patrimonial». La concentration accélérée de la richesse entre les mains d’un petit nombre, une oligarchie, met en péril la mobilité sociale et la méritocratie qui fondent la démocratie. On voit réapparaitre au XXIème siècle un monde dans lequel la naissance serait plus importante que le talent et la capacité à l’effort.
Et contrairement au passé, les différences de mode de vie ne sont pas dissimulées mais bien visibles… trop visibles. L’exigence de transparence, l’omniprésence des médias, notamment sociaux, et la recherche effrénée de modèles parmi les «Rich and Famous» (riches et célèbres) font que les inégalités s’étalent. Tout un chacun peut ainsi constater que l’économie de marché et la justice sociale sont de nature différente.
Un moteur indispensable
Pour autant et c’est tout le problème, les inégalités ne sont pas forcément un mal. Elles sont même un moteur indispensable à la croissance. Sans la récompense de l’enrichissement, il n’y a pas de prise de risques, pas d’innovation et pas de stimulant à l’effort –François Hollande vient d’en faire l’expérience. On peut même ajouter que ce n’est pas parce que les riches deviennent plus riches que les pauvres deviennent plus pauvres.
Il y a un monde entre les sociétés rigides et figées du XIXème siècle et celle mondialisée et métissée du début du XXIème. Dans la France de Balzac, les 10% les plus fortunés possédaient à peu près la totalité de la richesse du pays. Aujourd’hui, les 10% les plus riches possèdent environ 60% du patrimoine en Europe et 70% aux Etats-Unis… d’un gâteau devenu bien plus gros.
Jusqu’à aujourd’hui, les comparaisons avaient peu de sens. La publication du Capital au XXIème siècle a tout changé en donnant une base scientifique à l’étude de la répartition des revenus dans le temps et entre les pays.
La thèse de Thomas Piketty est construite à partir d’une histoire statistique incontestable et unique des revenus dans les principaux pays capitalistes depuis plus d’un siècle, et bien au-delà pour la France et la Grande-Bretagne. Sa principale conclusion est que, dans la plupart des nations et la plupart du temps, les intérêts du capital –les revenus des investissements et de la propriété– s’accumulent à un taux bien plus élevé que celui de la croissance de l’économie dans son ensemble. Et cela à l’exception d’une grande parenthèse qui s’étale entre 1914 et le milieu des années 1970 et occupe donc l’essentiel du XXème siècle.
Créanciers contre emprunteurs
Les deux guerres mondiales ont détruit la plupart des grandes fortunes européennes et la grande dépression des années 1930 a touché de plein fouet leurs équivalents américains. Le New Deal aux Etats-Unis et la naissance en Europe occidentale, après 1945, d’une classe moyenne fruit d’un compromis historique, de la social-démocratie et des Trente Glorieuses ont changé la donne. D’autant plus facilement que la croissance était forte, alimentée alors par la reconstruction, le progrès technique, la naissance de la société de consommation et la généralisation du fordisme.
Mais depuis quarante ans, la parenthèse s’est refermée. Le capital a recommencé à s’accumuler et se concentrer bien plus rapidement que la croissance économique.
Le point de départ de ce retour au capitalisme «pur et dur», celui du XIXème siècle, n’est ni la mondialisation, ni la technologie ni la prise de contrôle du système politique par l’élite économique, mais la disparition de l’inflation. Les intérêts des créanciers ont pris le pas sur ceux des emprunteurs.
La lutte contre la hausse des prix est devenue, au milieu des années 1970 et après les chocs pétroliers, la priorité des gouvernements et des banques centrales. Elle a eu pour conséquence de peser sur les bas salaires et sur la part du travail dans les revenus. La moindre progression des salaires s’est traduite par une augmentation de la rentabilité des entreprises et donc de la valeur du capital.
Dans le même temps, la croissance s’est ralentie, les impôts sur la fortune ont disparu (sauf en France), les paradis fiscaux se sont multipliés et des pans entiers de la social-démocratie ont été peu à peu abandonnés, notamment en Suède, son berceau, au Royaume-Uni, en Allemagne, au Canada, en Australie…
«Super classe mondiale»
La mondialisation a élargi à la planète entière le champ de l’économie de marché. En toute logique, la concentration du pouvoir économique a changé aussi de dimension… et de vitesse.
L’extrême-droite et l’extrême-gauche se plaisent à dénoncer une «super classe mondiale». Si elle existe réellement, et n’est pas une pure construction idéologique, elle vit et prospère des échanges, de l’innovation technologique, de la mobilité sociale, de la naissance de classes moyennes en Chine, au Brésil, en Inde… Une société figée et fermée n’est donc pas son intérêt.
Toutes les analyses brillantes qui, depuis le XIXème siècle, ont prédit la mort du capitalisme face à ces «contradictions insurmontables» dont le creusement des inégalités, ont commis la même erreur: sous-estimer sa capacité d’adaptation, de mutation et d’invention notamment sous la pression politique et sociale. Avec une espérance de vie qui va continuer à augmenter, le rapprochement entre l’homme et la machine, la prolifération des robots, le réchauffement climatique... le capitalisme du XXIème siècle est encore à inventer.
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