Le Maroc souffre depuis plusieurs années déjà du statut de dernier de la classe en matière d’éducation. Le rapport mondial de suivi de l’éducation publié par l’UNESCO au début de l’année 2014 établit un classement qui situe le Maroc à la 143e place sur 164 pays. Une honte pour un pays qui, depuis l’ère Hassan II, enchaîne les réformes dans ce domaine et y consacre aujourd’hui encore près de 5,4% de son PNB[1], soit beaucoup plus que l’Algérie ou la Tunisie qui affichent pourtant des taux d’alphabétisation supérieurs à celui du Maroc.
Encaissant échec sur échec, le secteur de l’éducation ne parvient visiblement pas à se réformer et l’Etat se perd dans des dépenses vaines et inefficaces en l’absence d’une planification rigoureuse qui devrait être aiguillée par des experts. L’éducation est un moteur incontournable du développement, c’est le critère par lequel on juge de la grandeur d’une nation et le miroir de la société à une époque donnée. Comme l’aurait dit le visionnaire et disparu El Mehdi BenBerka : « l’Education n’est pas une priorité, c’est La priorité ». Mais de quoi souffre le système éducatif marocain ? Quels moyens peut-on mettre en œuvre pour l’améliorer ? Cet article d’opinion a la modeste ambition de soulever ces questions, en intégrant un bref retour historique.
Un fossé entre arabophones et francophones
En 1930, l’administration coloniale française au Maroc annonce l’établissement d’un dahir[2] dont l’objectif est de reconsidérer la place des Berbères dans le Royaume en leur dispensant un enseignement exclusivement en langue française et en supprimant l’éducation islamique au profit d’une politique d’évangélisation : c’est le Dahir berbère. La méthode par laquelle le colonisateur entreprend de « séparer » les Arabes de leurs frères berbères alarme alors maints intellectuels qui deviendront plus tard les bâtisseurs du Mouvement national.
La violente réaction face à ce projet colonial mène une partie significative de la population à se renfermer sur elle-même et à développer rapidement une forme d’anticorps : l’arabisation. Le système éducatif marocain se voit alors partagé entre les « écoles de notables »[3] et les écoles arabisantes et conservatrices, qui deviennent de plus en plus islamiques, dont l’école Annahda (le réveil « arabe ») à Salé fondée en 1947 par le nationaliste et résistant feu Boubker Kadiri. Jusqu’au lendemain de l’indépendance en 1956, ces écoles arabisantes s’avèrent relativement efficaces et fournissent à l’Etat un certain nombre de cadres.
Mais aujourd’hui, le système éducatif marocain semble allergique et parfois hostile à tout apport de l’extérieur. L’éducation conserve jusqu’à présent ce protectionnisme datant de l’époque coloniale mais dont il faudrait vite se défaire. L’ « anticorps » qui était autrefois efficace ne l’est plus car la « maladie » a changé, l’éducation doit faire face à de nouveaux défis dont celui de l’adaptation à la mondialisation et à la modernité. Une part considérable des Marocains citadins est francophone et constitue l’élite du pays. Il faut se confronter à cette réalité afin d’éviter de sombrer dans la schizophrénie.
En effet, l’enseignement supérieur est principalement dispensé en langue française et crée ainsi un décalage pour les étudiants qui ont jusque-là presque exclusivement étudié en langue arabe. Certains voient en l’arabisation une sorte de bouclier protecteur de l’identité. On peut toutefois être conscient et respectueux de son histoire et de son patrimoine culturel tout en adoptant, en parallèle de la langue vernaculaire, une autre langue plus interactive. La langue française fait indéniablement partie de l’histoire moderne du Maroc et forme par conséquent une part de son identité.
D’autres pays arabes, comme le Liban, ont également connu la colonisation (mandat français) mais sont parvenus à assimiler sans peine et même à s’octroyer ce legs colonial, à s’ouvrir sur d’autres langues (anglais), tout en conservant la langue arabe. Les Algériens et les Tunisiens se sont également appropriés la langue française, et, en dépit des difficultés linguistiques qui persistent, ils n’en ont plus honte et en ont fait un pont entre eux et l’Occident. Le Maroc a également réussi à bâtir ce pont, mais un pont que seule une minorité privilégiée peut emprunter. Ainsi, le français devrait être enseigné au même titre que l’arabe et l’amazigh dans les écoles publiques notamment, et rurales particulièrement.
Outre le relèvement du niveau et l’accès généralisé à une éducation de base et de qualité pour tous, le bilinguisme doit être une priorité de l’Education nationale. Les manuels d’histoire par exemple pourraient être bilingues et alterner documents arabes et français à l’instar de l’enseignement OIB[4] adopté dans plusieurs lycées français au Maroc. Sur le marché du travail, les francophones bénéficient d’opportunités plus nombreuses que leurs confrères arabisants, et le bilinguisme est devenu un critère de sélection incontournable dans le monde de l’entreprise. L’égalité réelle et des chances passent notamment par l’intégration à part entière de la langue française au sein du système éducatif marocain, seul paramètre disponible à court-terme pour huiler une machine bien trop rouillée.
Clivage entre secteur public et secteur privé dans le domaine de l’éducation
De plus en plus de Marocains, qui disposent des ressources nécessaires, scolarisent leurs enfants dans des écoles françaises, espagnoles ou encore américaines. Les parents y cherchent davantage d’opportunités pour leurs enfants et un avenir plus sûr. Ceci démontre encore une fois les défaillances d’un système que l’on préfère fuir si l’on en a les moyens. Les écoles privées, qui dispensent des cours bilingues d’une grande qualité (et même trilingues avec l’anglais dès l’école primaire), se multiplient et exigent des frais de scolarité de moins en moins accessibles pour la majorité de la population. De plus, l’enseignement privé est plus attrayant pour les enseignants qui y sont mieux rémunérés. Quant aux moins chanceux au sein du corps enseignant, ils arrondissent leurs fins de mois grâce aux cours particuliers.
Bien entendu, certains établissements publics, quoique très minoritaires, échappent à la règle et continuent à briller grâce à leur réputation de cocons de « matheux » comme le lycée Moulay Youssef de Rabat par exemple. L’idéal, qui relève pour l’heure de l’utopie, serait bien entendu d’instaurer, sur l’ensemble du territoire marocain, des écoles publiques obligatoires et gratuites et de supprimer, ou du moins freiner, la multiplication des établissements privés. Ce processus de réforme d’un système éducatif « à deux vitesses » doit passer par une harmonisation des programmes scolaires et une politique qui permettent aux écoles publiques de bénéficier d’une qualité d’enseignement équivalente au privé en disposant des mêmes manuels et d’une formation pédagogique des enseignants similaire.
Hormis la côte atlantique qui constitue l’essentiel du monde citadin, plus des trois-quarts du pays se caractérisent par un milieu très rural, relativement marginalisé et peu attrayant pour les enseignants en raison du manque d’infrastructures et d’organisation[5]. En effet, certains établissements sont loin d’offrir des conditions de travail acceptables, tant pour les enseignants que pour les élèves, et ces derniers ne bénéficient souvent ni d’espaces verts, ni d’équipements sanitaires et encore moins de bibliothèques.
A l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, l’outil informatique doit également être privilégié. Si dans le milieu rural, les enfants n’ont pas les moyens de s’acheter des manuels et fournitures, les supports technologiques[6] de l’école peuvent se révéler très pédagogiques. Le savoir ne passe pas seulement par le papier mais également par l’image, et ne serait-ce qu’une seule séance dédiée à la projection d’un film documentaire pourrait constituer un grand pas dans la voie du progrès de l’enseignement public marocain.
La suite...
Encaissant échec sur échec, le secteur de l’éducation ne parvient visiblement pas à se réformer et l’Etat se perd dans des dépenses vaines et inefficaces en l’absence d’une planification rigoureuse qui devrait être aiguillée par des experts. L’éducation est un moteur incontournable du développement, c’est le critère par lequel on juge de la grandeur d’une nation et le miroir de la société à une époque donnée. Comme l’aurait dit le visionnaire et disparu El Mehdi BenBerka : « l’Education n’est pas une priorité, c’est La priorité ». Mais de quoi souffre le système éducatif marocain ? Quels moyens peut-on mettre en œuvre pour l’améliorer ? Cet article d’opinion a la modeste ambition de soulever ces questions, en intégrant un bref retour historique.
Un fossé entre arabophones et francophones
En 1930, l’administration coloniale française au Maroc annonce l’établissement d’un dahir[2] dont l’objectif est de reconsidérer la place des Berbères dans le Royaume en leur dispensant un enseignement exclusivement en langue française et en supprimant l’éducation islamique au profit d’une politique d’évangélisation : c’est le Dahir berbère. La méthode par laquelle le colonisateur entreprend de « séparer » les Arabes de leurs frères berbères alarme alors maints intellectuels qui deviendront plus tard les bâtisseurs du Mouvement national.
La violente réaction face à ce projet colonial mène une partie significative de la population à se renfermer sur elle-même et à développer rapidement une forme d’anticorps : l’arabisation. Le système éducatif marocain se voit alors partagé entre les « écoles de notables »[3] et les écoles arabisantes et conservatrices, qui deviennent de plus en plus islamiques, dont l’école Annahda (le réveil « arabe ») à Salé fondée en 1947 par le nationaliste et résistant feu Boubker Kadiri. Jusqu’au lendemain de l’indépendance en 1956, ces écoles arabisantes s’avèrent relativement efficaces et fournissent à l’Etat un certain nombre de cadres.
Mais aujourd’hui, le système éducatif marocain semble allergique et parfois hostile à tout apport de l’extérieur. L’éducation conserve jusqu’à présent ce protectionnisme datant de l’époque coloniale mais dont il faudrait vite se défaire. L’ « anticorps » qui était autrefois efficace ne l’est plus car la « maladie » a changé, l’éducation doit faire face à de nouveaux défis dont celui de l’adaptation à la mondialisation et à la modernité. Une part considérable des Marocains citadins est francophone et constitue l’élite du pays. Il faut se confronter à cette réalité afin d’éviter de sombrer dans la schizophrénie.
En effet, l’enseignement supérieur est principalement dispensé en langue française et crée ainsi un décalage pour les étudiants qui ont jusque-là presque exclusivement étudié en langue arabe. Certains voient en l’arabisation une sorte de bouclier protecteur de l’identité. On peut toutefois être conscient et respectueux de son histoire et de son patrimoine culturel tout en adoptant, en parallèle de la langue vernaculaire, une autre langue plus interactive. La langue française fait indéniablement partie de l’histoire moderne du Maroc et forme par conséquent une part de son identité.
D’autres pays arabes, comme le Liban, ont également connu la colonisation (mandat français) mais sont parvenus à assimiler sans peine et même à s’octroyer ce legs colonial, à s’ouvrir sur d’autres langues (anglais), tout en conservant la langue arabe. Les Algériens et les Tunisiens se sont également appropriés la langue française, et, en dépit des difficultés linguistiques qui persistent, ils n’en ont plus honte et en ont fait un pont entre eux et l’Occident. Le Maroc a également réussi à bâtir ce pont, mais un pont que seule une minorité privilégiée peut emprunter. Ainsi, le français devrait être enseigné au même titre que l’arabe et l’amazigh dans les écoles publiques notamment, et rurales particulièrement.
Outre le relèvement du niveau et l’accès généralisé à une éducation de base et de qualité pour tous, le bilinguisme doit être une priorité de l’Education nationale. Les manuels d’histoire par exemple pourraient être bilingues et alterner documents arabes et français à l’instar de l’enseignement OIB[4] adopté dans plusieurs lycées français au Maroc. Sur le marché du travail, les francophones bénéficient d’opportunités plus nombreuses que leurs confrères arabisants, et le bilinguisme est devenu un critère de sélection incontournable dans le monde de l’entreprise. L’égalité réelle et des chances passent notamment par l’intégration à part entière de la langue française au sein du système éducatif marocain, seul paramètre disponible à court-terme pour huiler une machine bien trop rouillée.
Clivage entre secteur public et secteur privé dans le domaine de l’éducation
De plus en plus de Marocains, qui disposent des ressources nécessaires, scolarisent leurs enfants dans des écoles françaises, espagnoles ou encore américaines. Les parents y cherchent davantage d’opportunités pour leurs enfants et un avenir plus sûr. Ceci démontre encore une fois les défaillances d’un système que l’on préfère fuir si l’on en a les moyens. Les écoles privées, qui dispensent des cours bilingues d’une grande qualité (et même trilingues avec l’anglais dès l’école primaire), se multiplient et exigent des frais de scolarité de moins en moins accessibles pour la majorité de la population. De plus, l’enseignement privé est plus attrayant pour les enseignants qui y sont mieux rémunérés. Quant aux moins chanceux au sein du corps enseignant, ils arrondissent leurs fins de mois grâce aux cours particuliers.
Bien entendu, certains établissements publics, quoique très minoritaires, échappent à la règle et continuent à briller grâce à leur réputation de cocons de « matheux » comme le lycée Moulay Youssef de Rabat par exemple. L’idéal, qui relève pour l’heure de l’utopie, serait bien entendu d’instaurer, sur l’ensemble du territoire marocain, des écoles publiques obligatoires et gratuites et de supprimer, ou du moins freiner, la multiplication des établissements privés. Ce processus de réforme d’un système éducatif « à deux vitesses » doit passer par une harmonisation des programmes scolaires et une politique qui permettent aux écoles publiques de bénéficier d’une qualité d’enseignement équivalente au privé en disposant des mêmes manuels et d’une formation pédagogique des enseignants similaire.
Hormis la côte atlantique qui constitue l’essentiel du monde citadin, plus des trois-quarts du pays se caractérisent par un milieu très rural, relativement marginalisé et peu attrayant pour les enseignants en raison du manque d’infrastructures et d’organisation[5]. En effet, certains établissements sont loin d’offrir des conditions de travail acceptables, tant pour les enseignants que pour les élèves, et ces derniers ne bénéficient souvent ni d’espaces verts, ni d’équipements sanitaires et encore moins de bibliothèques.
A l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, l’outil informatique doit également être privilégié. Si dans le milieu rural, les enfants n’ont pas les moyens de s’acheter des manuels et fournitures, les supports technologiques[6] de l’école peuvent se révéler très pédagogiques. Le savoir ne passe pas seulement par le papier mais également par l’image, et ne serait-ce qu’une seule séance dédiée à la projection d’un film documentaire pourrait constituer un grand pas dans la voie du progrès de l’enseignement public marocain.
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