Challenges
Claire Bouleau
INTERVIEW Ce mercredi, le principe des actions de groupe entre en vigueur. Cédric Musso, de l'UFC-Que Choisir, détaille ce que ça change pour les entreprises et leurs clients.

Ce mercredi 1er octobre, l’action de groupe entre en vigueur. Seules les associations de consommateurs agréées, telles que UFC-Que Choisir, sont habilitées à lancer les procédures d'action de groupe. Cette mesure s’applique exclusivement aux litiges qui portent atteinte au droit de la consommation et au droit de la concurrence et engendrant un préjudice matériel. Il s’agit donc souvent de litiges dont le montant est trop faible pour qu’une action individuelle soit entreprise devant la justice. Les domaines de la santé et de l’environnement ne sont pour l'instant pas concernés. Cédric Musso, directeur de l’action politique de UFC-Que Choisir, explique ce qui va changer pour les consommateurs, et pour les entreprises.

Concrètement, en quoi consiste ce décret?

A partir du 1er octobre, les litiges de masse qui touchent des milliers voire des millions de consommateurs vont enfin pouvoir faire l’objet d’une procédure collective permettant à l’ensemble des victimes d’être indemnisées très simplement en une seule procédure. L’association de consommateurs agit en partant de cas exemplaires: toutes les victimes n'auront pas la nécessité de se signaler au départ de la procédure pour en bénéficier. Il suffira de le faire une fois le jugement sur la responsabilité rendu, dans un délai compris entre deux et six mois.

Quels sont les changements par rapport à la loi antérieure?

Jusqu’à présent, il fallait que chaque consommateur engage une action individuelle, qui s’avérait souvent lente et coûteuse. Or, les victimes n'entamaient pas de procédure car il s’agissait souvent de faibles montants et le bilan coûts/avantages d’une procédure individuelle était rapidement fait: vous n’allez pas enclencher une action en justice pour 30 ou 40 euros. Mais mis bout à bout, le montant de chacun des préjudices individuels peuvent aboutir à des sommes colossales. Si l’on prend l’exemple de l’entente entre les opérateurs de téléphonie mobile condamnée par le Conseil de la Concurrence, il y avait 20 millions d’abonnés concernés, un préjudice de 60 euros en moyenne, donc 1,2 milliard de bénéfice frauduleux! C’était une forme de prime à la violation de la loi: l'entreprise savait que si elle violait la loi, ce bénéfice frauduleux ne serait pas restitué à la collectivité des victimes. D’où l’importance cruciale de l’action de groupe pour indemniser l’ensemble des victimes concernées, mais surtout pour avoir un pouvoir dissuasif. L’action de groupe redonne au droit son pouvoir de régulation.

Quelles sont les limites de cette loi?

Avec cette loi, toutes les victimes peuvent potentiellement être indemnisées. Tout est dans le "potentiellement". La première limite tient aux délais de la procédure, plus particulièrement ceux relatifs à l’information des consommateurs. En effet, l’information des victimes sur l’indemnisation ne pourra se faire qu’une fois le jugement de responsabilités purgé de recours, ce qui peut être extrêmement long. Or, cela peut poser problème si les victimes n’ont plus les justificatifs qui sont nécessaires pour apporter la preuve du litige.

Le deuxième frein, c’est que cette loi transfère une charge sur les associations de consommateurs s’agissant de la liquidation des préjudices. En effet, le juge peut soit condamner le professionnel à indemniser directement le consommateur, soit confier cette charge à l’association de consommateurs, ce qui suppose de recenser les victimes, vérifier qu’elles ont les pièces justificatives, éventuellement calculer le préjudice individuel, et ensuite les indemniser. Les associations vont donc devoir à la fois lancer la procédure, et se charger de la liquidation des créances. Pourquoi ne pas avoir confié la liquidation des préjudices à un spécialiste tel qu’un mandataire? D’un point de vue pratique, c’est un vrai fardeau pour les associations de consommateurs. La gestion d’une action de groupe pourra en effet s’avérer extrêmement complexe.

Enfin, si les conditions de la procédure sont connues, il reste une inconnue: la pratique des magistrats. Selon la pratique judiciaire, l'action de groupe sera plus ou moins efficace. C’est le juge qui décide des modalités d’information des consommateurs. Si un juge entend limiter au maximum les canaux d’information des consommateurs, il y a moins de chance que ces derniers réclament leur indemnité. De même, le juge déterminera le délai maximum pour que les consommateurs se signalent afin d'être indemnisés (délai compris entre deux et six mois). S’il fixe un délai de deux mois, le nombre de consommateurs indemnisés sera plus faible.

Quel est le premier dossier que l'UFC-Que Choisir va traiter?

Toute la question a été de sélectionner le "bon" dossier. L’action de groupe a été une véritable arlésienne. Nous avons voulu partir sur un dossier ayant raisonnablement le plus de chances d’aboutir. Nous ne voulons pas communiquer à la va-vite avec des chances inexistantes d’obtenir gain de cause. Deuxième critère de sélection: que le préjudice soit aisément identifiable et calculable. Et de préférence que les consommateurs soient aussi facilement identifiables. Il faut éviter tout incident qui permette de donner du grain à moudre aux éternels opposants à l’action de groupe. On a fait la preuve de la nécessité de l’action de groupe. Aujourd'hui, il faut faire la preuve, par l’exemple, de l’utilité de l’action de groupe et de son innocuité. L’action de groupe, sa seule vocation, c’est indemniser les victimes de leur préjudice, rien que le préjudice mais tout le préjudice. Il n’y a pas de dommages et intérêts punitifs qui viennent se rajouter comme dans le système américain.

Portant sur un poste de dépense contrainte, le logement, secteur où les litiges sont nombreux, et soulignant le décalage entre la «modestie» du préjudice individuel des victimes et l’ampleur du bénéfice frauduleux retiré d’une pratique illicite, la première action de groupe lancée par l’UFC-Que Choisir est contre FONCIA pour son "service d’avis d’échéance".

En effet, en parfaite violation de la Loi du 6 juillet 1989 sur les rapports locatifs, le groupe FONCIA a facturé à ses locataires un "service d’avis d’échéance" à 2,30€/mois. Cette pratique illicite occasionnant un préjudice annuel de 27,6 euros par locataire s’est étalée sur de nombreuses années, soit un préjudice individuel total pouvant atteindre plusieurs centaines d’euros et un bénéfice frauduleux pour le GROUPE FONCIA de plus de 40 millions d’euros sur les 5 dernières années. Après avoir fait condamner en décembre 2013 le groupe FONCIA par le TGI de Paris pour différents frais de location indus dont ce service d’avis d’échéance, l’UFC-Que Choisir lance donc aujourd’hui la première action de groupe pour obtenir l’indemnisation des centaines de milliers de locataires victimes de cette violation manifeste de la loi de 1989 sur le logement.

Quelles sont les différences entre la nouvelle loi française et le système à l’américaine?

Il y a trois différences majeures.
Premièrement, le démarchage des avocats. Aux Etats-Unis les avocats font de la publicité pour les actions de groupe. Il y a des spots télévisés, etc… et ils sont intéressés aux résultats de l’action. Dans la loi française, les associations de consommateur agréées ont un monopole et ne sont aucunement rémunérées pour cette mission. C’est une action désintéressée qui évite ainsi les dérives.
Deuxièmement, aux Etats-Unis , ce sont des jurys populaires qui connaissent de l’action de groupe alors qu'en France, ce sont des professionnels, donc ils sont moins enclins à l’empathie.
Troisièmement, il existe des dommages et intérêts punitifs alors qu’en France la loi cherche seulement à indemniser les victimes.

Mais il faut arrêter de faire toujours converger les regards vers les Etats-Unis car il y a pléthore d’exemples d’actions de groupe en Europe. Au Portugal notamment, une action de groupe très ambitieuse existe depuis des décennies. Elle a fait preuve de son efficacité et n’a pas mis en péril les entreprises. En France, une note du Trésor datant de janvier 2006 soulignait d’ailleurs que l’impact des actions de groupe serait globalement positif sur l’économie, car elles rassurent les consommateurs. Tous les sondages européens et français révèlent qu’il y a une forte attente des consommateurs en matière de recours: si bon nombre de consommateur ne souscrivent pas à certaines offres, c’est qu’ils craignent qu’en cas de problème il n’y ait pas de recours.

Pourquoi la santé et l’environnement sont exclus du décret d'application?

L’UFC-Que choisir a toujours promu une action de groupe large, mais l’adoption de cette procédure a été tellement longue et compliquée que nous avons fait des concessions pour une adoption rapide. Dans le cadre de la santé et de l'environnement, le préjudice est plus difficilement calculable et estimable que dans des cas de litige de consommation et de concurrence. Et plus particulièrement dans le cas de la santé, vous êtes touchés dans votre personne, donc vous avez davantage un intérêt à agir individuellement. Cependant, l’action de groupe, étant une procédure, un outil, elle doit pouvoir bénéficier à toutes les branches du droit. Dans le domaine de la santé, Marisol Touraine, a annoncé une action de groupe dans le projet de loi santé publique.