L’Algérie est fortement affectée par la baisse forte et rapide du prix du pétrole. Comme les pays pétroliers sont souvent des pays gaziers (le prix du gaz étant corrélé au prix du pétrole), on voit l’importance de ce nouveau contexte à la fois énergétique et géoéconomique.
El Mouhoub Mouhoud : professeur d’économie à l’Université de Paris Dauphine
Dépréciation de la monnaie locale
Le pouvoir d'achat des Algériens est déjà fortement impacté par la dépréciation de la monnaie locale, responsable d'une augmentation importante des prix des produits importés. L'Algérie importe des biens d'équipement, des produits de consommation ainsi que des médicaments.
En un an, le cours moyen du dinar s'est officiellement déprécié de 15 % par rapport à l'euro, passant de 104 à 117 dinars pour un euro. Mais le cours réel des devises étrangères est fixé par le marché parallèle où l'euro a atteint 180 dinars en décembre.
Érosion des finances publiques
Ce qui n'a pas empêché le gouverneur de la Banque d'Algérie Mohamed Laksaci de s'alarmer de la forte détérioration des finances publiques. Selon lui, les réserves de changes ont fondu de 32 milliards de dollars entre septembre 2014 et juillet 2015, passant de 185 milliards de dollars à 152 milliards.
La fonte de ces réserves en devises va s'accélérer, prédit Mohamed Lalmas. "À la fin 2016, elles ne dépasseront pas les 100 milliards de dollars. Nous nous dirigeons vers une catastrophe avec un déficit budgétaire de 40 milliards de dollars qui sera impossible à résorber en raison de l'érosion continue des ressources du fonds de régulation des recettes" (FFR), prévient cet expert.
Les conséquences de la baisse du prix du pétrole
Premier effet, la baisse prive les économies de ces pays d’une diversification, car elle fait croire à ces sociétés que le pétrole est la ressource qui permet le développement, la richesse, le bien-être. La rente conduit ainsi ces pays à avoir 98 % de leurs revenus extérieurs fondés sur le pétrole, ce qui est, en matière d’emploi, catastrophique : la plupart de ces pays n’ont pas d’économie diversifiée et le secteur pétrolier représente 1 % de l’activité professionnelle, le reste n’est que de la redistribution indirecte des revenus pétroliers sous la forme de biens et de services subventionnés.
Le second effet de la rente est qu’elle produit de la violence dans le sens où ceux qui en sont les principaux détenteurs, gestionnaires et utilisateurs ont des moyens considérables à leur disposition pour pouvoir édifier des appareils de sécurité extrêmement importants, complexes et performants qui limitent toute forme de contestation, voire de démocratisation. La rente devient un bien précieux à ne pas partager. Dans cette version, la rente peut être une illusion dans la guerre tant on est persuadé que l’on peut mener des combats plus facilement puisqu’il est possible d’acquérir des armes et de les remplacer. On peut gagner ou perdre, ce n’est pas le problème. La rente est là pour éponger les politiques militaires extérieures, telle la Libye au Tchad, l’Irak au Koweït, l’Algérie face au Maroc. On est ici dans des scénarios qui soulignent que la rente est une violence pour les populations.
Le troisième effet se trouve au niveau sociétal. La rente pétrolière détruit toutes les formes de valeurs liées au travail, à l’investissement, au capital humain, tout simplement parce qu’elle est une richesse extérieure qui ne se construit pas patiemment sur le labeur des uns et des autres, mais davantage sur la conjoncture internationale. Ainsi, quand le baril est à 150 dollars, on se croit tout permis, et quand son prix passe à 10 dollars, on assiste à des émeutes de la faim.
Les premières victimes de la rente sont donc très clairement les populations, mais il y a un deuxième acteur qui est « victime de la rente », sans être visible, c’est l’État. Tout d’abord, la rente détruit tous les outils de gouvernance étatique. Elle est l’inverse de la ressource nécessaire à un État qui, en règle générale, doit veiller aux dépenses et aux recettes, aux équilibres budgétaires, aux investissements afin qu’ils soient les plus stratégiques possible et permettre à l’État de disposer des moyens d’un fonctionnement efficace. Or la rente, c’est l’inverse. Elle aveugle, détruit et ampute tous les outils de l’État parce qu’elle donne l’impression que sans aucune politique budgétaire stricte et rationnelle, il y a des excédents.
Deuxièmement, les banques n’éprouvent pas le besoin de solliciter les citoyens pour obtenir de l’épargne puisque l’argent coule à flots. Les banques disposant de capitaux, le financement de toutes sortes de projets est assuré sans qu’ils soient forcément les plus pertinents, car il faut dépenser l’argent. Tous les projets fondés sur la relation politique, clientéliste, sont soutenus, si bien qu’on en arrive à financer l’agriculture en Libye, ce qui n’a pas de sens, tout comme les « industries industrialisantes » (1) en Algérie, ou des projets de nucléaire en Irak qui inquiètent l’ensemble de la communauté internationale. La rente devient pour l’État une sorte de casque qui isole, aveugle et empêche le gouvernement chargé de la gestion des ressources de l’État de pouvoir mener une politique rationnelle et juste.
À côté des sociétés, d’une part, et de l’État, de l’autre, la troisième victime de la rente, c’est l’environnement. Cet aspect plus connu dans le delta du Niger, dans le golfe du Mexique ou dans l’ancien espace de l’URSS (mer d’Aral ou autour de Bakou), peu étudié dans les pays du monde arabe, pourrait être qualifié de violence écologique ou environnementale. Voilà les principales raisons pour lesquelles la rente pétrolière représente une violence.
L’idée de base de cette analyse est de montrer que ce qui est au départ a priori une chance – après tout, le sous-sol procure une ressource demandée, chère, d’ailleurs longtemps convoitée par des pays qui n’en avaient pas sur leur territoire – peut finalement représenter pour les États dépourvus des outils, c’est-à-dire des institutions nécessaires pour exercer un contrôle à la fois démocratique et national sur cette ressource, une violence inouïe contre ses propriétaires, détenteurs et usagers. (Frank Tétart)
Sources : Presse web
El Mouhoub Mouhoud : professeur d’économie à l’Université de Paris Dauphine
Dépréciation de la monnaie locale
Le pouvoir d'achat des Algériens est déjà fortement impacté par la dépréciation de la monnaie locale, responsable d'une augmentation importante des prix des produits importés. L'Algérie importe des biens d'équipement, des produits de consommation ainsi que des médicaments.
En un an, le cours moyen du dinar s'est officiellement déprécié de 15 % par rapport à l'euro, passant de 104 à 117 dinars pour un euro. Mais le cours réel des devises étrangères est fixé par le marché parallèle où l'euro a atteint 180 dinars en décembre.
Érosion des finances publiques
Ce qui n'a pas empêché le gouverneur de la Banque d'Algérie Mohamed Laksaci de s'alarmer de la forte détérioration des finances publiques. Selon lui, les réserves de changes ont fondu de 32 milliards de dollars entre septembre 2014 et juillet 2015, passant de 185 milliards de dollars à 152 milliards.
La fonte de ces réserves en devises va s'accélérer, prédit Mohamed Lalmas. "À la fin 2016, elles ne dépasseront pas les 100 milliards de dollars. Nous nous dirigeons vers une catastrophe avec un déficit budgétaire de 40 milliards de dollars qui sera impossible à résorber en raison de l'érosion continue des ressources du fonds de régulation des recettes" (FFR), prévient cet expert.
Les conséquences de la baisse du prix du pétrole
Premier effet, la baisse prive les économies de ces pays d’une diversification, car elle fait croire à ces sociétés que le pétrole est la ressource qui permet le développement, la richesse, le bien-être. La rente conduit ainsi ces pays à avoir 98 % de leurs revenus extérieurs fondés sur le pétrole, ce qui est, en matière d’emploi, catastrophique : la plupart de ces pays n’ont pas d’économie diversifiée et le secteur pétrolier représente 1 % de l’activité professionnelle, le reste n’est que de la redistribution indirecte des revenus pétroliers sous la forme de biens et de services subventionnés.
Le second effet de la rente est qu’elle produit de la violence dans le sens où ceux qui en sont les principaux détenteurs, gestionnaires et utilisateurs ont des moyens considérables à leur disposition pour pouvoir édifier des appareils de sécurité extrêmement importants, complexes et performants qui limitent toute forme de contestation, voire de démocratisation. La rente devient un bien précieux à ne pas partager. Dans cette version, la rente peut être une illusion dans la guerre tant on est persuadé que l’on peut mener des combats plus facilement puisqu’il est possible d’acquérir des armes et de les remplacer. On peut gagner ou perdre, ce n’est pas le problème. La rente est là pour éponger les politiques militaires extérieures, telle la Libye au Tchad, l’Irak au Koweït, l’Algérie face au Maroc. On est ici dans des scénarios qui soulignent que la rente est une violence pour les populations.
Le troisième effet se trouve au niveau sociétal. La rente pétrolière détruit toutes les formes de valeurs liées au travail, à l’investissement, au capital humain, tout simplement parce qu’elle est une richesse extérieure qui ne se construit pas patiemment sur le labeur des uns et des autres, mais davantage sur la conjoncture internationale. Ainsi, quand le baril est à 150 dollars, on se croit tout permis, et quand son prix passe à 10 dollars, on assiste à des émeutes de la faim.
Les premières victimes de la rente sont donc très clairement les populations, mais il y a un deuxième acteur qui est « victime de la rente », sans être visible, c’est l’État. Tout d’abord, la rente détruit tous les outils de gouvernance étatique. Elle est l’inverse de la ressource nécessaire à un État qui, en règle générale, doit veiller aux dépenses et aux recettes, aux équilibres budgétaires, aux investissements afin qu’ils soient les plus stratégiques possible et permettre à l’État de disposer des moyens d’un fonctionnement efficace. Or la rente, c’est l’inverse. Elle aveugle, détruit et ampute tous les outils de l’État parce qu’elle donne l’impression que sans aucune politique budgétaire stricte et rationnelle, il y a des excédents.
Deuxièmement, les banques n’éprouvent pas le besoin de solliciter les citoyens pour obtenir de l’épargne puisque l’argent coule à flots. Les banques disposant de capitaux, le financement de toutes sortes de projets est assuré sans qu’ils soient forcément les plus pertinents, car il faut dépenser l’argent. Tous les projets fondés sur la relation politique, clientéliste, sont soutenus, si bien qu’on en arrive à financer l’agriculture en Libye, ce qui n’a pas de sens, tout comme les « industries industrialisantes » (1) en Algérie, ou des projets de nucléaire en Irak qui inquiètent l’ensemble de la communauté internationale. La rente devient pour l’État une sorte de casque qui isole, aveugle et empêche le gouvernement chargé de la gestion des ressources de l’État de pouvoir mener une politique rationnelle et juste.
À côté des sociétés, d’une part, et de l’État, de l’autre, la troisième victime de la rente, c’est l’environnement. Cet aspect plus connu dans le delta du Niger, dans le golfe du Mexique ou dans l’ancien espace de l’URSS (mer d’Aral ou autour de Bakou), peu étudié dans les pays du monde arabe, pourrait être qualifié de violence écologique ou environnementale. Voilà les principales raisons pour lesquelles la rente pétrolière représente une violence.
L’idée de base de cette analyse est de montrer que ce qui est au départ a priori une chance – après tout, le sous-sol procure une ressource demandée, chère, d’ailleurs longtemps convoitée par des pays qui n’en avaient pas sur leur territoire – peut finalement représenter pour les États dépourvus des outils, c’est-à-dire des institutions nécessaires pour exercer un contrôle à la fois démocratique et national sur cette ressource, une violence inouïe contre ses propriétaires, détenteurs et usagers. (Frank Tétart)
Sources : Presse web
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