Dany Khayat: "Le Maroc doit prendre au sérieux une requête devant le CIRDI mais ne doit pas la craindre"*
Propos recueillis par*Abdelali El Hourri
Lundi*20*juin*2016*à*15h10

Dany Khayat, expert en arbitrage international et en arbitrage CIRDI.*
Al Amoudi fait circuler une information selon laquelle Corral a introduit une procédure d'arbitrage vis-à-vis du Maroc, dans le cadre du CIRDI. Médias 24 a interrogé Dany Khayat, spécialiste international de l'arbitrage en général et du CIRDI en particulier. Eclairage.
*
Dany Khayat est associé du département Arbitrage International au sein du cabinet Mayer Brown à Paris. Il dispose d’une grande expérience en matière d’arbitrages CIRDI et d’arbitrages internationaux en matière commerciale.
Il intervient actuellement comme conseil dans sept arbitrages CIRDI ou investisseurs/Etats en cours. Il représente ainsi la République Arabe d’Égypte contre une société européenne (Affaire CIRDI No. ARB/12/15), la République de Gambie contre une société minière australienne (Affaire CIRDI No. ARB/09/19), un investisseur koweïtien contre la Jordanie (Affaire CIRDI No. ARB/13/38), un investisseur d’Amérique du Nord contre un État d’Amérique latine, une société du Moyen-Orient contre un autre État du Moyen-Orient, une société européenne contre un État du Moyen-Orient et une société européenne contre un autre État européen.
Il a à son actif de nombreuses publications sur les litiges investisseurs/États, notamment un ouvrage de plus de 700 pages sur les sentences du CIRDI et a régulièrement publié des commentaires de toutes les sentences, décisions et ordonnances du CIRDI dans “Law and Practice of International Courts and Tribunals“.
Il intervient régulièrement en la matière dans des conférences de par le monde et a donné des cours sur le sujet dans plusieurs universités.
Il a également été nommé arbitre dans le cadre d’arbitrages internationaux, y compris impliquant des États.
Ci-dessous, il apporte un éclairage aux lecteurs de Médias 24 au sujet des procédures d’arbitrage devant le CIRDI, à la lumière du cas Samir et Corral.
*
Médias 24: Comment M. Al Amoudi peut-il porter son litige devant un tribunal arbitral*et écarter les tribunaux marocains?
Dany Khayat: Il semble que M. Al Amoudi se fonde, via la société Corral, sur les dispositions d’un traité de protection des investissements signé en 1990 par le Maroc et la Suède.
Ce traité comporte certaines dispositions de protection des investissements marocains en Suède et suédois au Maroc.
M. Al Amoudi interprète ce traité comme permettant à sa société suédoise [Corral, ndlr] d’initier un arbitrage contre le Maroc pour violation des protections résultant du traité.
Mais il y a de nombreuses conditions à remplir et cela ne veut d’ailleurs pas nécessairement dire que les tribunaux marocains soient dessaisis de toutes les questions liées au litige, bien au contraire.
-Est-ce légitime*de la part de M. Al Amoudi?
-De très nombreux traités de protection des investissements permettent à des investisseurs d’initier des procédures arbitrales contre les Etats hôtes de l’investissement.
Il n’y a rien de choquant en soi et il faut préciser que les dizaines de traités de ce type signés par le Maroc peuvent aussi être utilisés, si les conditions sont remplies, par des investisseurs marocains développant leurs activités à l’étranger.
Il n’est toutefois pas évident que M. Al Amoudi et Corral disposent réellement de la possibilité de recourir au traité en question dans ce cas précis ou encore que le traité leur soit aussi favorable qu’ils le disent et ce pour des raisons juridiques que le Maroc se devra d’étudier.
D’ailleurs, c’est souvent le parcours du combattant*que de parvenir à remporter un arbitrage du type de celui que Corral affirme avoir engagé!
Dans le cas précis de l’affaire Samir, le demandeur devra établir le consentement du Maroc à l’arbitrage international, remplir les nombreuses conditions posées par le traité pour y avoir accès, démontrer que ses demandes sont admissibles et que le tribunal arbitral aurait compétence, prouver que le Maroc a enfreint ses obligations et que le demandeur n’a pas lui-même enfreint le droit marocain et/ou contribué à ses propres difficultés pour enfin éventuellement établir précisément ses pertes.
Autant dire qu’il y a encore de très nombreux obstacles devant M. Al Amoudi et que le Royaume a tout intérêt à se défendre vite et bien.
-Dans sa lettre de notification du différend datée du 15 novembre 2015, la société de M. Al Amoudi se fonde sur plusieurs dispositions du traité entre la Suède et le Maroc. Qu’en pensez-vous?
-Effectivement, la lettre du 15 novembre 2015 mentionne le traitement juste et équitable résultant de l’article 2 du traité, ainsi que la clause de la nation la plus favorisée de l’article 3 et les dispositions relatives à l’expropriation de l’article 4.
Il faut laisser les arguments de fond pour les arbitres le moment venu mais on peut souligner que les investisseurs étrangers ont une propension à croire que ces notions leur sont bien plus favorables qu’elles ne le sont réellement.
Il faut également toujours mettre en perspective les mesures qu’un Etat peut prendre avec celles que la société étrangère a elle-même pu prendre peut-être en violation de ses propres engagements ou du droit marocain ou encore du droit international.
Dans l’arbitrage qui se profile, le comportement de la société étrangère et de ses investissements au Maroc seront scrutés de très près.
-Le Maroc doit-il craindre l’arbitrage que semble avoir initié M. Al Amoudi via la société Corral Holding?
-Pas nécessairement! La charge de la preuve des violations alléguées du traité bilatéral repose sur l’adversaire du Royaume.
Ce sera donc à Corral de présenter ses arguments en premier et de les étayer par des preuves solides. Le droit international a évolué et il en faut aujourd’hui beaucoup pour convaincre un tribunal arbitral comme celui que Corral aurait saisi.
La stratégie de défense du Maroc dans l’arbitrage, doit se développer sur plusieurs fronts et avancer les arguments en défense au moment opportun, sans donner de l’avance à l’adversaire.
-Quelles sont les prochaines étapes?
-S’il est exact que Corral a bien saisi le CIRDI comme le rapporte la presse, cette institution dépendant de la Banque mondiale devrait enregistrer la demande d’arbitrage, si elle remplit les conditions d’accès.
Dans les trois mois qui suivent, les parties devront nommer leurs arbitres et le Président du tribunal arbitral.
Une première réunion entre les parties et le tribunal arbitral a ensuite lieu dans les deux mois qui suivent, pour traiter des questions d’ordre procédural,*en général.
Puis les parties échangent leurs écritures et preuves et une audience est généralement prévue. La sentence est ensuite rendue.
L’ensemble de la procédure peut prendre jusqu’à deux ans, parfois plus, mais la stratégie de défense du Maroc doit se définir immédiatement.
Propos recueillis par*Abdelali El Hourri
Lundi*20*juin*2016*à*15h10

Dany Khayat, expert en arbitrage international et en arbitrage CIRDI.*
Al Amoudi fait circuler une information selon laquelle Corral a introduit une procédure d'arbitrage vis-à-vis du Maroc, dans le cadre du CIRDI. Médias 24 a interrogé Dany Khayat, spécialiste international de l'arbitrage en général et du CIRDI en particulier. Eclairage.
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Dany Khayat est associé du département Arbitrage International au sein du cabinet Mayer Brown à Paris. Il dispose d’une grande expérience en matière d’arbitrages CIRDI et d’arbitrages internationaux en matière commerciale.
Il intervient actuellement comme conseil dans sept arbitrages CIRDI ou investisseurs/Etats en cours. Il représente ainsi la République Arabe d’Égypte contre une société européenne (Affaire CIRDI No. ARB/12/15), la République de Gambie contre une société minière australienne (Affaire CIRDI No. ARB/09/19), un investisseur koweïtien contre la Jordanie (Affaire CIRDI No. ARB/13/38), un investisseur d’Amérique du Nord contre un État d’Amérique latine, une société du Moyen-Orient contre un autre État du Moyen-Orient, une société européenne contre un État du Moyen-Orient et une société européenne contre un autre État européen.
Il a à son actif de nombreuses publications sur les litiges investisseurs/États, notamment un ouvrage de plus de 700 pages sur les sentences du CIRDI et a régulièrement publié des commentaires de toutes les sentences, décisions et ordonnances du CIRDI dans “Law and Practice of International Courts and Tribunals“.
Il intervient régulièrement en la matière dans des conférences de par le monde et a donné des cours sur le sujet dans plusieurs universités.
Il a également été nommé arbitre dans le cadre d’arbitrages internationaux, y compris impliquant des États.
Ci-dessous, il apporte un éclairage aux lecteurs de Médias 24 au sujet des procédures d’arbitrage devant le CIRDI, à la lumière du cas Samir et Corral.
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Médias 24: Comment M. Al Amoudi peut-il porter son litige devant un tribunal arbitral*et écarter les tribunaux marocains?
Dany Khayat: Il semble que M. Al Amoudi se fonde, via la société Corral, sur les dispositions d’un traité de protection des investissements signé en 1990 par le Maroc et la Suède.
Ce traité comporte certaines dispositions de protection des investissements marocains en Suède et suédois au Maroc.
M. Al Amoudi interprète ce traité comme permettant à sa société suédoise [Corral, ndlr] d’initier un arbitrage contre le Maroc pour violation des protections résultant du traité.
Mais il y a de nombreuses conditions à remplir et cela ne veut d’ailleurs pas nécessairement dire que les tribunaux marocains soient dessaisis de toutes les questions liées au litige, bien au contraire.
-Est-ce légitime*de la part de M. Al Amoudi?
-De très nombreux traités de protection des investissements permettent à des investisseurs d’initier des procédures arbitrales contre les Etats hôtes de l’investissement.
Il n’y a rien de choquant en soi et il faut préciser que les dizaines de traités de ce type signés par le Maroc peuvent aussi être utilisés, si les conditions sont remplies, par des investisseurs marocains développant leurs activités à l’étranger.
Il n’est toutefois pas évident que M. Al Amoudi et Corral disposent réellement de la possibilité de recourir au traité en question dans ce cas précis ou encore que le traité leur soit aussi favorable qu’ils le disent et ce pour des raisons juridiques que le Maroc se devra d’étudier.
D’ailleurs, c’est souvent le parcours du combattant*que de parvenir à remporter un arbitrage du type de celui que Corral affirme avoir engagé!
Dans le cas précis de l’affaire Samir, le demandeur devra établir le consentement du Maroc à l’arbitrage international, remplir les nombreuses conditions posées par le traité pour y avoir accès, démontrer que ses demandes sont admissibles et que le tribunal arbitral aurait compétence, prouver que le Maroc a enfreint ses obligations et que le demandeur n’a pas lui-même enfreint le droit marocain et/ou contribué à ses propres difficultés pour enfin éventuellement établir précisément ses pertes.
Autant dire qu’il y a encore de très nombreux obstacles devant M. Al Amoudi et que le Royaume a tout intérêt à se défendre vite et bien.
-Dans sa lettre de notification du différend datée du 15 novembre 2015, la société de M. Al Amoudi se fonde sur plusieurs dispositions du traité entre la Suède et le Maroc. Qu’en pensez-vous?
-Effectivement, la lettre du 15 novembre 2015 mentionne le traitement juste et équitable résultant de l’article 2 du traité, ainsi que la clause de la nation la plus favorisée de l’article 3 et les dispositions relatives à l’expropriation de l’article 4.
Il faut laisser les arguments de fond pour les arbitres le moment venu mais on peut souligner que les investisseurs étrangers ont une propension à croire que ces notions leur sont bien plus favorables qu’elles ne le sont réellement.
Il faut également toujours mettre en perspective les mesures qu’un Etat peut prendre avec celles que la société étrangère a elle-même pu prendre peut-être en violation de ses propres engagements ou du droit marocain ou encore du droit international.
Dans l’arbitrage qui se profile, le comportement de la société étrangère et de ses investissements au Maroc seront scrutés de très près.
-Le Maroc doit-il craindre l’arbitrage que semble avoir initié M. Al Amoudi via la société Corral Holding?
-Pas nécessairement! La charge de la preuve des violations alléguées du traité bilatéral repose sur l’adversaire du Royaume.
Ce sera donc à Corral de présenter ses arguments en premier et de les étayer par des preuves solides. Le droit international a évolué et il en faut aujourd’hui beaucoup pour convaincre un tribunal arbitral comme celui que Corral aurait saisi.
La stratégie de défense du Maroc dans l’arbitrage, doit se développer sur plusieurs fronts et avancer les arguments en défense au moment opportun, sans donner de l’avance à l’adversaire.
-Quelles sont les prochaines étapes?
-S’il est exact que Corral a bien saisi le CIRDI comme le rapporte la presse, cette institution dépendant de la Banque mondiale devrait enregistrer la demande d’arbitrage, si elle remplit les conditions d’accès.
Dans les trois mois qui suivent, les parties devront nommer leurs arbitres et le Président du tribunal arbitral.
Une première réunion entre les parties et le tribunal arbitral a ensuite lieu dans les deux mois qui suivent, pour traiter des questions d’ordre procédural,*en général.
Puis les parties échangent leurs écritures et preuves et une audience est généralement prévue. La sentence est ensuite rendue.
L’ensemble de la procédure peut prendre jusqu’à deux ans, parfois plus, mais la stratégie de défense du Maroc doit se définir immédiatement.
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