samedi 16 février 2019
L'Opep veut s'allier avec ses alliés pour mieux contrôler le marché
(BFM Bourse) - Pour lutter contre la volatilité qui agite le marché de l'or noir depuis des mois, les pays membres de l'Opep et leurs alliés, dont la Russie, réfléchissent à une refonte de l'organisation dans le but de mieux contrôler le marché et, par ricochets, les prix. Sauf que les États-Unis, devenus premier producteurs mondiaux, ne voient pas cette alliance d'un bon œil...
L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) se retrouve une nouvelle fois sous le feu des projecteurs après que plusieurs sources ont fait état d'une possible alliance à venir entre pays membres et pays partenaires. "Quand on sait à quel point le marché de l'or noir est devenu volatil depuis 2014, il paraît évident qu'un scénario susceptible d'offrir plus de stabilité sur les prix puissent occuper l'esprit des investisseurs", constate Pierre Veyret, analyste technique de marché chez le courtier ActivTrades. Dans les faits, précise l'analyste, "la possibilité d'une alliance entre les 14 pays membres et les 10 partenaires (Opep+) avait déjà été évoquée lors d'une réunion en décembre 2018 et l'idée a également été appuyée récemment par un rapport de l'organisation et de ses alliées, le 11 février dernier".
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Pétrole Brent : Dopé par les efforts de l'Opep, le baril de pétrole repasse le seuil des 60 dollars
John Plassard, directeur adjoint de Mirabaud Securities et spécialiste du marché pétrolier, confirme que l'idée n'est pas nouvelle : "Cette refonte était prévue depuis un moment mais c’est véritablement l'annonce du départ du Qatar -pourtant seulement 17e producteur de brut au niveau mondial- en 2019 qui a mis le feu aux poudres et accéléré le processus". "Si officiellement le Qatar se retire pour mieux se focaliser sur le gaz naturel, on comprend bien que c’est le manque de poids des "petits producteurs" dans les discussions de l'Opep qui est la trame du problème" poursuit l'expert, qui note d'ailleurs que le Qatar n’est pas seul dans ce cas et que "de plus en plus de voix s'élèvent pour dire que l’Arabie Saoudite est la seule à déterminer la stratégie de l’organisation".
John Plassard remarque également que dernièrement, "la volonté de l’Opep de faire évoluer le prix du baril de pétrole à travers une modification de la production n’avait pas eu les effets escomptés" et que c'est dans ce contexte que l'organisation songe maintenant à sa refonte en passant des alliances stratégiques avec les pays non-membres tels que la Russie, troisième plus gros producteur mondial. "Cette "nouvelle" Opep espère donc pouvoir contrecarrer le développement, trop rapide à leur goût, du pétrole de schiste américain" explique l'expert.
Une refonte, oui, mais sous quelle forme ?
L'alliance est toutefois "loin d'être entérinée" annonce d'emblée Pierre Veyret. De fait, des divergences persistent au sein de l'Opep, "le point litigieux résidant dans le fait que la nouvelle alliance serait construite selon une pondération des États dans le processus décisionnaire (jusque-là, l'Opep fonctionne sur un système "onusien" qui donne le même poids à chaque membre, NDLR)" qui offrirait un rôle accru aux gros producteurs comme l'Arabie Saoudite. Une mesure proposée par Riyad et mal accueillie par les petits producteurs membres de l’organisation comme l'Angola, le Nigéria, l'Irak ou l'Algérie.
"Deux autres idées ont été écartées", indique Benjamin Louvet, gérant matières premières chez Ofi AM. La première était "une extension de l'Opep qui inclurait la Russie", à laquelle un certain nombre de pays membre se sont opposés car "intégrer un partenaire qui produit 11 millions de barils par jour (à peu près autant que l'Arabie Saoudite) dans une organisation qui en produit 40 millions par jour n'a pas vraiment de sens" puisque la moitié de la production serait contrôlée par seulement deux États. La deuxième solution étudiée par l'Arabie Saoudite était de "casser complètement l'Opep et travailler seul".
Autre obstacle de taille, "la Russie ne veut pas intégrer l’Opep car cela constituerait un point de rupture avec les États-Unis et la Russie ne peut et ne veut pas franchir un point de non-retour", analyse Benjamin Louvet. "La Russie a fait savoir à plusieurs reprises qu’elle n’était pas en faveur de cette réorganisation et le Kremlin l'a confirmé mardi dernier en affirmant qu'aucune discussion significative n'était en cours sur ce sujet" abonde en ce sens Pierre Veyret. Ce qui n'est "pas une surprise quand on sait que le gouvernement russe n'est pas spécialement favorable aux actions récentes de l'Opep visant à réduire la production", l'analyste évoquant également les "craintes de sanctions américaines" qui refroidirait la Russie.
"Il semblerait que la piste privilégiée soit désormais celle d'une coopération temporaire avec la conclusion d'un accord de 3 ans" selon Benjamin Louvet
Les États-Unis brandissent le "Nopec"
Un tel rapprochement "ne fait malheureusement pas le jeu des États-Unis qui voient la formation d’un tel groupe d’un mauvais œil" pour Pierre Veyret. "En effet, Washington craint qu’un groupement d’une telle influence puisse faire varier les cours à sa guise et sans prendre en compte les intérêts d’autres nations importatrices. Entre objectif de stabilité et manipulation malhonnête de marché, la frontière semble en effet bien mince parfois" pointe l'analyste.
Face à cet éventuel monopole qu'il juge dangereux, le pays de l'oncle Sam ne compte pas rester les bras croisés. Comme nous vous en parlions en octobre dernier, l'administration américaine planche sur le "Nopec" (pour "No oil producing and exporting cartels act") également qualifiée de "loi anti-Opep". Ce projet de législation qui vise à condamner le comportement de cartel de l'organisation "a fait de gros progrès dernièrement et n'est plus très loin de prendre corps" selon Benjamin Louvet. Concrètement, il permettrait à Washington de poursuivre les nations membres de l’Opep accusées de tentative de limitation de l’offre mondiale et de manipulation de marché", raison pour laquelle l'organisation ne fait jamais mention de prix mais parle seulement d'équilibre et de quantités, sans quoi elle pourrait être considérée comme un cartel.
Ce n’est pas la première fois que les États-Unis émettent des craintes envers une telle refonte de l’organisation. Les administrations successives ont évoqué la loi "Nopec" à plusieurs reprises depuis 2007, comme ultime menace à l’organisation déjà en place. C'est d'ailleurs ce projet de loi qui a poussé le Qatar a annoncé, début décembre, sa volonté de sortir de l'Opep puisque "s'il venait à passer, il pourrait y avoir des confiscations de biens aux États-Unis et le Qatar y possède l'une des plus grosses raffineries du pays" ajoute le gérant matières premières.
Un sujet éminemment politique
L'accord temporaire de 3 ans qui serait envisagé "entérinerait l'entente durable entre l'Arabie Saoudite et la Russie dont les intérêts convergent sur une remontée des cours du pétrole" juge Benjamin Louvet. Si "historiquement, les deux pays ont déjà travaillé ensemble et s'étaient déjà mis d'accord sur des réductions de production, la Russie ne les avaient jamais respectées" pointe le gérant qui estime que "cette fois-ci, elle pourrait le faire, cela tient de la place géopolitique qui s’offre à la Russie au Moyen-Orient". Car l'objectif de la Russie, c'est de "prendre une place géopolitique incontournable au Moyen-Orient, dans une région du globe où les États-Unis sont en échec sur le plan diplomatique, ce sont désormais les Russes qui ont la main et mènent la danse, avec les Saoudiens, sur le marché pétrolier".
Dans ce contexte, l'expert considère que le rapprochement entre l'Arabie Saoudite et la Russie constitue une épée de Damoclès pour les États-Unis qui ne peuvent pas complètement se retirer du Moyen-Orient. "C'est une vraie partie d'échecs avec des répercussions géopolitiques très importantes", la Russie ne pouvant pas se permettre d'aller trop loin non plus.
Quelles conséquences pour le marché ?
S'il est "encore un peu tôt pour prédire ce qui va se passer sur le marché de l'or noir" dans les prochains mois, Benjamin Louvet estime que "l'association entre l'Arabie Saoudite et la Russie devrait se poursuivre parce que c'est dans l’intérêt des deux parties et que l'impact positif des réductions décidées en janvier devrait se faire ressentir dans les stocks américains entre mi-mars et fin mars", avec une augmentation des prix à l’export vers les États-Unis de la part de l'Arabie Saoudite.
John Plassard rappelle qu'"avec une production de 11,7 millions de barils par jour, les États-Unis viennent de dépasser la Russie et l’Arabie Saoudite" et que "pour la première fois depuis plus de 40 ans, les US ont exporté plus de brut et de produits pétroliers qu’ils n’en ont importés". Une situation qui s’explique à la fois par "le boom du pétrole de schiste développé depuis les années 2000 et la performance des raffineries américaines qui ont profité de milliards de dollars d’investissements". Pour l'expert de Mirabaud, cet afflux de brut américain qui va encore augmenter les mois prochains risque de compliquer les manœuvres des grands exportateurs membres de l’Opep et de leurs alliés" en vue d'une régulation de l'offre.
Quentin Soubranne - ©2019 BFM Bourse
L'Opep veut s'allier avec ses alliés pour mieux contrôler le marché
(BFM Bourse) - Pour lutter contre la volatilité qui agite le marché de l'or noir depuis des mois, les pays membres de l'Opep et leurs alliés, dont la Russie, réfléchissent à une refonte de l'organisation dans le but de mieux contrôler le marché et, par ricochets, les prix. Sauf que les États-Unis, devenus premier producteurs mondiaux, ne voient pas cette alliance d'un bon œil...
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John Plassard remarque également que dernièrement, "la volonté de l’Opep de faire évoluer le prix du baril de pétrole à travers une modification de la production n’avait pas eu les effets escomptés" et que c'est dans ce contexte que l'organisation songe maintenant à sa refonte en passant des alliances stratégiques avec les pays non-membres tels que la Russie, troisième plus gros producteur mondial. "Cette "nouvelle" Opep espère donc pouvoir contrecarrer le développement, trop rapide à leur goût, du pétrole de schiste américain" explique l'expert.
Une refonte, oui, mais sous quelle forme ?
L'alliance est toutefois "loin d'être entérinée" annonce d'emblée Pierre Veyret. De fait, des divergences persistent au sein de l'Opep, "le point litigieux résidant dans le fait que la nouvelle alliance serait construite selon une pondération des États dans le processus décisionnaire (jusque-là, l'Opep fonctionne sur un système "onusien" qui donne le même poids à chaque membre, NDLR)" qui offrirait un rôle accru aux gros producteurs comme l'Arabie Saoudite. Une mesure proposée par Riyad et mal accueillie par les petits producteurs membres de l’organisation comme l'Angola, le Nigéria, l'Irak ou l'Algérie.
"Deux autres idées ont été écartées", indique Benjamin Louvet, gérant matières premières chez Ofi AM. La première était "une extension de l'Opep qui inclurait la Russie", à laquelle un certain nombre de pays membre se sont opposés car "intégrer un partenaire qui produit 11 millions de barils par jour (à peu près autant que l'Arabie Saoudite) dans une organisation qui en produit 40 millions par jour n'a pas vraiment de sens" puisque la moitié de la production serait contrôlée par seulement deux États. La deuxième solution étudiée par l'Arabie Saoudite était de "casser complètement l'Opep et travailler seul".
Autre obstacle de taille, "la Russie ne veut pas intégrer l’Opep car cela constituerait un point de rupture avec les États-Unis et la Russie ne peut et ne veut pas franchir un point de non-retour", analyse Benjamin Louvet. "La Russie a fait savoir à plusieurs reprises qu’elle n’était pas en faveur de cette réorganisation et le Kremlin l'a confirmé mardi dernier en affirmant qu'aucune discussion significative n'était en cours sur ce sujet" abonde en ce sens Pierre Veyret. Ce qui n'est "pas une surprise quand on sait que le gouvernement russe n'est pas spécialement favorable aux actions récentes de l'Opep visant à réduire la production", l'analyste évoquant également les "craintes de sanctions américaines" qui refroidirait la Russie.
"Il semblerait que la piste privilégiée soit désormais celle d'une coopération temporaire avec la conclusion d'un accord de 3 ans" selon Benjamin Louvet
Les États-Unis brandissent le "Nopec"
Un tel rapprochement "ne fait malheureusement pas le jeu des États-Unis qui voient la formation d’un tel groupe d’un mauvais œil" pour Pierre Veyret. "En effet, Washington craint qu’un groupement d’une telle influence puisse faire varier les cours à sa guise et sans prendre en compte les intérêts d’autres nations importatrices. Entre objectif de stabilité et manipulation malhonnête de marché, la frontière semble en effet bien mince parfois" pointe l'analyste.
Face à cet éventuel monopole qu'il juge dangereux, le pays de l'oncle Sam ne compte pas rester les bras croisés. Comme nous vous en parlions en octobre dernier, l'administration américaine planche sur le "Nopec" (pour "No oil producing and exporting cartels act") également qualifiée de "loi anti-Opep". Ce projet de législation qui vise à condamner le comportement de cartel de l'organisation "a fait de gros progrès dernièrement et n'est plus très loin de prendre corps" selon Benjamin Louvet. Concrètement, il permettrait à Washington de poursuivre les nations membres de l’Opep accusées de tentative de limitation de l’offre mondiale et de manipulation de marché", raison pour laquelle l'organisation ne fait jamais mention de prix mais parle seulement d'équilibre et de quantités, sans quoi elle pourrait être considérée comme un cartel.
Ce n’est pas la première fois que les États-Unis émettent des craintes envers une telle refonte de l’organisation. Les administrations successives ont évoqué la loi "Nopec" à plusieurs reprises depuis 2007, comme ultime menace à l’organisation déjà en place. C'est d'ailleurs ce projet de loi qui a poussé le Qatar a annoncé, début décembre, sa volonté de sortir de l'Opep puisque "s'il venait à passer, il pourrait y avoir des confiscations de biens aux États-Unis et le Qatar y possède l'une des plus grosses raffineries du pays" ajoute le gérant matières premières.
Un sujet éminemment politique
L'accord temporaire de 3 ans qui serait envisagé "entérinerait l'entente durable entre l'Arabie Saoudite et la Russie dont les intérêts convergent sur une remontée des cours du pétrole" juge Benjamin Louvet. Si "historiquement, les deux pays ont déjà travaillé ensemble et s'étaient déjà mis d'accord sur des réductions de production, la Russie ne les avaient jamais respectées" pointe le gérant qui estime que "cette fois-ci, elle pourrait le faire, cela tient de la place géopolitique qui s’offre à la Russie au Moyen-Orient". Car l'objectif de la Russie, c'est de "prendre une place géopolitique incontournable au Moyen-Orient, dans une région du globe où les États-Unis sont en échec sur le plan diplomatique, ce sont désormais les Russes qui ont la main et mènent la danse, avec les Saoudiens, sur le marché pétrolier".
Dans ce contexte, l'expert considère que le rapprochement entre l'Arabie Saoudite et la Russie constitue une épée de Damoclès pour les États-Unis qui ne peuvent pas complètement se retirer du Moyen-Orient. "C'est une vraie partie d'échecs avec des répercussions géopolitiques très importantes", la Russie ne pouvant pas se permettre d'aller trop loin non plus.
Quelles conséquences pour le marché ?
S'il est "encore un peu tôt pour prédire ce qui va se passer sur le marché de l'or noir" dans les prochains mois, Benjamin Louvet estime que "l'association entre l'Arabie Saoudite et la Russie devrait se poursuivre parce que c'est dans l’intérêt des deux parties et que l'impact positif des réductions décidées en janvier devrait se faire ressentir dans les stocks américains entre mi-mars et fin mars", avec une augmentation des prix à l’export vers les États-Unis de la part de l'Arabie Saoudite.
John Plassard rappelle qu'"avec une production de 11,7 millions de barils par jour, les États-Unis viennent de dépasser la Russie et l’Arabie Saoudite" et que "pour la première fois depuis plus de 40 ans, les US ont exporté plus de brut et de produits pétroliers qu’ils n’en ont importés". Une situation qui s’explique à la fois par "le boom du pétrole de schiste développé depuis les années 2000 et la performance des raffineries américaines qui ont profité de milliards de dollars d’investissements". Pour l'expert de Mirabaud, cet afflux de brut américain qui va encore augmenter les mois prochains risque de compliquer les manœuvres des grands exportateurs membres de l’Opep et de leurs alliés" en vue d'une régulation de l'offre.
Quentin Soubranne - ©2019 BFM Bourse
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