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Chine : prendre du temps au temps

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  • Chine : prendre du temps au temps

    Chongqinq (prononcer Tchon-Tchin), territoire de 31 millions d’habitants, a accueilli, la semaine dernière, la quatrième Table ronde des Maires français et chinois. Cette métropole continentale du sud-ouest est située à 1500 kilomètres de Pékin comme de Shanghai. Elle est installée au confluent d’une rivière, la Jailing et d’un fleuve, le Yangzi, que l’on appelait Yang Tse Kiang quand j’étais au lycée. En aval, se dresse le barrage des Trois gorges. Pendant la guerre de libération contre le Japon, Chongqing la brumeuse fut la capitale du gouvernement nationaliste de Tchang Kaï-chek, auprès duquel Zhou Enlai fut l’envoyé du Parti communiste chinois, durant cette période d’alliance provisoire contre l’ennemi commun.

    Aujourd’hui, les immeubles de grande hauteur jaillissent de partout, aussi bien dans la péninsule qui sépare les deux cours d’eau, que sur les rives opposées. Comme partout en Chine, il y a des chantiers hérissés de grues, qui fonctionnent jour et nuit, dimanches et fêtes. Du haut d’un de ces gratte-ciels, on peut voir les couches successives d’urbanisation. Autour de quelques immeubles anciens peu élevés se dressent des HLM d’une douzaine d’étages construits à la va vite durant les années 1980, qui ont déjà l’air ruiné et moussu de temples mayas. Et partout, montent des tours d’une trentaine d’étages pour loger les jeunes cadres de l’économie exubérante et offrir des bureaux à leur activité.

    C’est Monaco à grande échelle, avec des rues qui tortillent le long des courbes de niveau, où se faufilent de nombreux autobus plutôt vétustes, des taxis en uniforme plutôt incisifs, pas de cyclistes car la pente est trop raide et assez peu de voitures en dehors de celles qui ont un chauffeur appointé, car il est pratiquement impossible de stationner. Cette ville, comme Londres et New York, a compris que le secret de la limitation du trafic automobile est d’interdire le stationnement sur les lieux de travail.

    Pour relativiser l’impression de prospérité que dégage cette ruche active, on voit cheminer des porte-faix qui remontent du port des colis énormes aux deux bouts de leur palanche en bambou.

    Il y a, apparemment, peu de vieillards et peu d’enfants dans cette métropole bruissante, mais il suffit d’un concours de chanteurs de rock dans le parc municipal, un dimanche soir, pour faire affluer des jeunes dont le vêtement et l’enthousiasme sont universels.

    Le maire de Chongqing a reçu une dizaine de maires ou adjoints aux maires français (Paris, Boulogne-Billancourt, Grenoble, Montceau-les-Mines, Montpellier, Mulhouse, Nantes, Nice, Toulouse, Tours) et une dizaine d’homologues venant des quatre coins de la Chine. Au cours de cette quatrième Table ronde (après celles de Lyon, Chengdu et Strasbourg), fort bien organisée par le Comité France Chine, nous avons devisé de problèmes communs qui tournent autour du développement durable. Comment concilier croissance et environnement ? Comment améliorer les services publics ? Comment organiser les transports urbains ? Comment coordonner le développement urbain et le développement rural ? Chacun a présenté sa ville et exposé les réussites dont il est fier.

    Sur l’écologie, nos amis chinois sont plutôt à l’écoute et il suffit de voir l’ampleur des « brumes matinales » qui durent toute la journée au-dessus des villes chinoises pour se rendre compte qu’ils auront fort à faire pour limiter la pollution, cette maladie infantile de la croissance débridée. Notons cependant que la ville de Xi’an (célèbre par ses armées de soldats en terre cuite, récemment exhumées) a interdit les motos en centre ville pour leur préférer les vélos électriques qui baladent fièrement leurs carcasses de mantes religieuses. Cela ne semble en rien nuire au tonus de la ville.

    Sur les services publics, on parle surtout de partenariats public-privé dans les domaines de l’eau, de l’assainissement, du traitement des déchets. L’accession à la propriété semblant la nouvelle priorité, les maires chinois s’interrogent sur le logement social à offrir à ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter. Un débat intéressant se noue sur les nouvelles résistances des riverains à l’installation d’équipements peu gratifiants dans leur voisinage. À leurs homologues chinois perplexes devant cette nouvelle contestation, les maires français répondent « conseil de quartier » et « démocratie locale » !!

    Ce sont évidemment les transports urbains qui focalisent le plus les débats. Le maire de Chongqinq nous fait visiter sa première ligne de monorail qui chemine sous terre et dans le ciel, faute d’espace au niveau du sol. La technologie est japonaise, mais notre hôte nous rassure tout de suite ! Les ingénieurs chinois ont compris comment faire et se débrouilleront tout seuls pour les neuf lignes en préparation, dont deux sont déjà en chantier. Les problèmes de financement ne semblent pas l’effrayer : l’an dernier, l‘économie de sa ville a crû de 15% et ses recettes fiscales de 45%. Et, apparemment, les financements nationaux ne manquent pas, comme en témoigne aussi l’aéroport flambant neuf. Le nombre de ponts au-dessus des deux rivières devrait passer en peu de temps de huit à vingt-sept. Quatorze tunnels devraient être creusés. Quand les élus franciliens militent pour qu’une ligne de métro-express fasse le tour de la proche banlieue, en joignant les terminus des lignes qui convergent vers le centre de Paris, il leur est doctement répondu que ce ne serait pas envisageable avant 2020 ou 2025. Et ce n’est qu’un seul projet pour deux décennies, tandis que les villes chinoises réalisent dix projets semblables en deux fois moins de temps. Nous ne vivons pas au même rythme !

    Sur le quatrième sujet, le débat est très curieux. Côté chinois, le maire de Chongqing nous parle des 500 000 paysans venant chaque année travailler dans sa métropole qui compte déjà 7,5 millions d’habitants. Comment organiser cet afflux de candidats au travail sur les multiples chantiers de construction ou dans les usines de motos et autres activités manufacturières de main-d’œuvre, qui paient mieux que le labeur à la campagne (tout est relatif) ? Comment former les jeunes ruraux pour qu’ils accèdent à des métiers urbains plus qualifiés ?

    Côté français, le souci est inverse, celui du reflux de citadins souhaitant accéder à la propriété pavillonnaire peu coûteuse dans des campagnes éloignées de tout transport en commun. Comment dissuader un tel mode de vie, impliquant une ou deux voitures et mitant l’espace rural, à l’exact opposé du développement durable qui suppose un habitat dense et doté d’équipements publics de qualité ?

    De retour en France, dans un aéroport de Roissy plutôt sombre et désert à 18 heures 30, le long de routes encombrées, dans une ville abandonnée par ses bobos partis « faire le pont », nous ne pouvons que nous interroger sur la coexistence future de deux continents vivant à des rythmes si différents. Quand la croissance chinoise (10%) est cinq fois plus rapide que la nôtre (2%), le temps chinois coule cinq fois plus vite. Mitterrand disait qu’il fallait laisser du temps au temps pour que les problèmes trouvent une solution. Depuis la révolution tranquille de Deng Xiaoping de 1978, la Chine prend du temps au temps, non seulement pour rattraper le temps perdu durant la période coloniale et les divagations maoïstes, mais pour prendre un temps d’avance y compris, un jour plus proche qu’on ne le croit, pour le développement durable. C’est le moment pour notre cher pays de substituer la volonté de croissance à la volupté de la rente, dont les mesures fiscales de l’été et les grèves corporatistes de l’automne sont d’excellents exemples.

    Deux phrases pour conclure. La première m’est inspirée par l’incroyable journal de la télévision officielle chinoise, qui alterne les réceptions compassées du président turc ou du petit vieillard maniaque de Corée du Nord et les monologues poussifs d’officiels ennuyeux. Internet est, heureusement, une fenêtre sur le monde pour les jeunes cadres chinois de la nouvelle économie.

    La deuxième est la rencontre d’une jeune femme diplômée de Langues O au sein d’une immense usine désaffectée en banlieue de Pékin, transformée en un bouillonnant espace culturel. Avec son mari, elle a créé en un an une galerie de photographies d’artistes chinois, qui marche si bien qu’ils envisagent d’ouvrir une filiale à Paris ! Bon vent aux jeunes Français entreprenants. Le pays a besoin de vous.

    christian sauter
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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