L'Algérie bénéficie après des années d'austérité et le traumatisme d'une décennie de violence, d'une prospérité nouvelle grâce à la flambée des cours du brut. Palpable, ce changement se traduit par un véritable boom de la consommation. Même si le pouvoir d'achat de la majorité de la population reste modeste.
L'enseigne s'affiche en grosses lettres : Chevrolet. Dans ce show-room d'Alger, les Spark, Aveo ou Optra s'offrent, rutilantes, au regard des curieux. Il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. Au premier trimestre 2007, la marque au noeud papillon stylisé a figuré au cinquième rang des meilleures ventes de voitures neuves, derrière Toyota, Hyundai, Renault et Peugeot.
Le marché est porteur. L'Algérie possède le plus important parc automobile du Maghreb, avec quelque 3 millions de véhicules. Plus de la moitié d'entre eux accusent au moins vingt ans d'âge et 80 % plus de dix ans... Les besoins de renouvellement sont évidents. En 2005, les autorités ont interdit l'importation des occasions de moins de trois ans. De quoi donner un beau coup de fouet au marché du neuf, qui se situe entre 120.000 et 150.000 immatriculations par an.
Dans un pays meurtri par une décennie de guerre civile, la voiture est un symbole : avec elle, on acquiert un statut social, et pour les jeunes, privés de transport public une fois la nuit tombée, c'est un passeport pour la liberté. " Il y a une vraie fierté à acheter sa première voiture. Comme la plupart du temps les gens viennent à pied, nous devons multiplier les magasins d'exposition en ville ", commente Khadimallah Hammoudi, le responsable commercial de Diamal, représentant exclusif de Chevrolet, mais aussi d'Opel, de Suzuki et d'Isuzu.
Affluence dans les show-rooms
La concurrence entre marques s'est aiguisée. Du coup, constructeurs et distributeurs automobiles sont venus, en un clin d'oeil, talonner, au sein du classement des plus gros annonceurs publicitaires, les opérateurs Djezzy, Mobilis ou Nedjma, heureux du boom de la téléphonie mobile. Né en 2000 de l'association entre le français CFAO, filiale de PPR, et le groupe algérien Hasnaoui, Diamal s'est imposé comme le premier importateur-distributeur multimarque. Avec Chevrolet, dont la moitié des acheteurs ont moins de quarante ans, " nous cadrons les besoins du marché : notre gamme de prix se situe entre ceux des voitures européennes et ceux des véhicules chinois très bon marché, le gros de la demande étant compris dans une zone de 800.000 à 900.000 dinars (NDLR, de 8.000 à 9.000 euros) ", précise Hervé Lucet, directeur général adjoint de Diamal.
Près de la gare routière du Caroubier, à Hussein Dey, le show-room du coréen Kia Motors ne désemplit pas non plus. Après avoir rêvé sur les Picanto, Pregio, Optima et autres Sorento, plusieurs couples attendent derrière des comptoirs Société Générale, Al Baraka Bank, BNP Paribas El Djazaïr et Cetelem. A la clef : l'espoir de décrocher un crédit à la consommation. Sans lui, la majorité des Algériens serait incapable de s'offrir le moindre quatre-roues. " En entrée de gamme, trois véhicules sur quatre sont commercialisés grâce à un crédit à la consommation ", précise Djaffar Boukazouha, le responsable commercial de Kia Motors. Diamal, lui aussi, vend de 60 % à 70 % de ses Chevrolet à crédit.
Les trois quarts des voitures neuves immatriculées aujourd'hui appartiennent au bas et au milieu de gamme. " Globalement, vous savez, les couples achètent rarement une voiture. Il s'agit plutôt de familles où l'on compte trois ou quatre utilisateurs potentiels. Ces gens thésaurisent énormément pour s'équiper ", relate encore Djaffar Boukazouha. Pourtant, les grosses berlines, les 4 × 4 et les imposants Hummer, dont certains peuvent dépasser les 10 millions de dinars, se font, chaque année, plus visibles à travers les rues de la capitale.
Dans l'Algérie du début du XXIe siècle, est-on donc condamné à être ou riche ou pauvre ? Les anciennes classes moyennes, médecins, enseignants, fonctionnaires, cadres des entreprises publiques, doivent se serrer quotidiennement la ceinture. " C'est indécent de continuer avec des salaires de professeur de 300 euros par mois seulement. C'est de la clochardisation ", se désole Mohammed Hachemaoui, professeur à l'université d'Alger et chargé de cours à l'ENA algérienne. Cette " bourgeoisie " autrefois aisée a été totalement décimée par la politique d'ajustement structurel menée dans les années 1990. Le contre-choc pétrolier avait alors conduit l'Etat à la quasi-faillite et imposé une douloureuse cure d'austérité. La facture a été lourde : suppression d'emplois par dizaines de milliers dans un secteur public alors trop dodu et gel des salaires. Le nombre de chômeurs a explosé et la pauvreté galopé. Les dix ans de violences ont amplifié ce terrible travail de sape au plan social.
Engouement pour le " business "
" Pour les salariés des structures étatiques, la descente aux enfers continue ", admet Réda Hamiani, le président du Forum des chefs d'entreprise. L'essentiel des salaires est englouti par les dépenses alimentaires et de logement. Les indices de prix affichent pourtant de sages progressions, autour de 3 %. Cela ne trompe personne. Les loyers flambent, mais ne figurent pas dans ces statistiques. Tous orientés à la hausse, les prix de l'eau, de l'électricité ou du gaz laminent encore un peu plus le pouvoir d'achat. La décision, l'an dernier, de revaloriser les salaires dans la fonction publique n'y change rien. Comme pis-aller, beaucoup d'Algériens ont des petits boulots en dehors de leur métier officiel.
Mais les temps changent, malgré la persistance de l'archaïsme étatique. " On voit de la richesse se créer. Notamment chez ceux qui osent entreprendre ", souligne Réda Hamiani. La fortune ne sourit plus seulement aux généraux et aux responsables politiques. La libéralisation du commerce a permis à de nombreux Algériens, parmi lesquels des islamistes désormais " repentis ", de faire de l'argent, beaucoup d'argent même. Souvent dépourvus de diplômes, sans perspective d'emploi, les jeunes se lancent à corps perdu dans le " business ". Cybercafés, revente de matériel informatique, fast-foods, pizzerias, etc. : les rez-de-chaussée des immeubles ne sont plus qu'une succession de boutiques en tout genre.
D'autres phénomènes alimentent progressivement une hausse des revenus certes encore modeste et difficile à mesurer. Ainsi du boom des nouvelles technologies qui entraîne l'émergence de services et la création d'emplois à des salaires souvent davantage gratifiants que dans le reste de l'industrie. Toujours plus nombreuses, les entreprises et les banques étrangères versent de plus généreux émoluments que leurs homologues algériennes. Enfin, l'Etat, les caisses remplies de pétrodollars, s'est lancé dans de grands travaux d'infrastructures. Et si les ouvriers chinois sont jugés trop omniprésents sur ces chantiers, il n'empêche, la fièvre bâtisseuse de l'Algérie a créé des emplois.
Résultat, les autorités s'enorgueillissent d'avoir fait reculer le chômage. Il aurait été divisé par deux en cinq ans, passant de 30 % de la population active à 15 % en 2005. Les chiffres officiels laissent cependant sceptique. Mais le fait est là : l'argent circule davantage qu'auparavant. Et l'on dépense plus : la consommation aurait grimpé de près de 100 % entre 1995 et 2005. Toutefois, 10 % des ménages les plus aisés totalisent, à eux seuls, le tiers des dépenses de consommation. La proportion atteint même 60 % si on prend les 30 % d'Algériens les plus nantis.
Le marché automobile, la téléphonie mobile, l'agroalimentaire profitent de cette embellie. Ils ne sont pas seuls. Les ventes de micro-ordinateurs aussi. Là encore, le crédit est roi. " Depuis le lancement des opérations de crédit à la consommation, on a assisté à un raz-de-marée de la demande chez les particuliers. Avant, nous réalisions 95 % de notre activité avec des entreprises. Depuis que nous avons signé avec Cetelem, nos ventes aux particuliers ont doublé ", résume Thiba Miliani, directeur général de Samomi Informatique. Le potentiel demeure intact. Le taux de pénétration des PC dans les foyers reste inférieur à 5 %, dix fois moins que celui des téléphones mobiles et bien au-dessous des scores des pays voisins.
A Alger, le changement est palpable, à défaut d'être spectaculaire. Les vitrines austères, figées depuis Mathusalem, des rues du centre-ville et de certains quartiers huppés, comme Sidi Yahia, se relookent. Quelle que soit l'heure, les magasins attirent ces nouveaux consommateurs, soucieux de dénicher " le meilleur rapport qualité-prix ", résume un jeune étudiant. Même les récents attentats n'ont pas tempéré une telle " soif de consommer ".
Les marques et enseignes étrangères tentent donc de se frayer un chemin dans le coeur des Algériens, particulièrement des jeunes : la moitié de la population a moins de vingt ans. A deux pas de l'hôtel Sofitel, le groupe Flo a ouvert, en 2005, un Hippopotamus. Dans la restauration rapide, Quick a débarqué il y a peu, devançant McDonald's et Burger King. L'enseigne belge prévoit même d'ouvrir une vingtaine de fast-foods à travers les principales villes du pays. Ses menus sont adaptés : viande hallal et plats légèrement plus épicés.
...
L'enseigne s'affiche en grosses lettres : Chevrolet. Dans ce show-room d'Alger, les Spark, Aveo ou Optra s'offrent, rutilantes, au regard des curieux. Il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. Au premier trimestre 2007, la marque au noeud papillon stylisé a figuré au cinquième rang des meilleures ventes de voitures neuves, derrière Toyota, Hyundai, Renault et Peugeot.
Le marché est porteur. L'Algérie possède le plus important parc automobile du Maghreb, avec quelque 3 millions de véhicules. Plus de la moitié d'entre eux accusent au moins vingt ans d'âge et 80 % plus de dix ans... Les besoins de renouvellement sont évidents. En 2005, les autorités ont interdit l'importation des occasions de moins de trois ans. De quoi donner un beau coup de fouet au marché du neuf, qui se situe entre 120.000 et 150.000 immatriculations par an.
Dans un pays meurtri par une décennie de guerre civile, la voiture est un symbole : avec elle, on acquiert un statut social, et pour les jeunes, privés de transport public une fois la nuit tombée, c'est un passeport pour la liberté. " Il y a une vraie fierté à acheter sa première voiture. Comme la plupart du temps les gens viennent à pied, nous devons multiplier les magasins d'exposition en ville ", commente Khadimallah Hammoudi, le responsable commercial de Diamal, représentant exclusif de Chevrolet, mais aussi d'Opel, de Suzuki et d'Isuzu.
Affluence dans les show-rooms
La concurrence entre marques s'est aiguisée. Du coup, constructeurs et distributeurs automobiles sont venus, en un clin d'oeil, talonner, au sein du classement des plus gros annonceurs publicitaires, les opérateurs Djezzy, Mobilis ou Nedjma, heureux du boom de la téléphonie mobile. Né en 2000 de l'association entre le français CFAO, filiale de PPR, et le groupe algérien Hasnaoui, Diamal s'est imposé comme le premier importateur-distributeur multimarque. Avec Chevrolet, dont la moitié des acheteurs ont moins de quarante ans, " nous cadrons les besoins du marché : notre gamme de prix se situe entre ceux des voitures européennes et ceux des véhicules chinois très bon marché, le gros de la demande étant compris dans une zone de 800.000 à 900.000 dinars (NDLR, de 8.000 à 9.000 euros) ", précise Hervé Lucet, directeur général adjoint de Diamal.
Près de la gare routière du Caroubier, à Hussein Dey, le show-room du coréen Kia Motors ne désemplit pas non plus. Après avoir rêvé sur les Picanto, Pregio, Optima et autres Sorento, plusieurs couples attendent derrière des comptoirs Société Générale, Al Baraka Bank, BNP Paribas El Djazaïr et Cetelem. A la clef : l'espoir de décrocher un crédit à la consommation. Sans lui, la majorité des Algériens serait incapable de s'offrir le moindre quatre-roues. " En entrée de gamme, trois véhicules sur quatre sont commercialisés grâce à un crédit à la consommation ", précise Djaffar Boukazouha, le responsable commercial de Kia Motors. Diamal, lui aussi, vend de 60 % à 70 % de ses Chevrolet à crédit.
Les trois quarts des voitures neuves immatriculées aujourd'hui appartiennent au bas et au milieu de gamme. " Globalement, vous savez, les couples achètent rarement une voiture. Il s'agit plutôt de familles où l'on compte trois ou quatre utilisateurs potentiels. Ces gens thésaurisent énormément pour s'équiper ", relate encore Djaffar Boukazouha. Pourtant, les grosses berlines, les 4 × 4 et les imposants Hummer, dont certains peuvent dépasser les 10 millions de dinars, se font, chaque année, plus visibles à travers les rues de la capitale.
Dans l'Algérie du début du XXIe siècle, est-on donc condamné à être ou riche ou pauvre ? Les anciennes classes moyennes, médecins, enseignants, fonctionnaires, cadres des entreprises publiques, doivent se serrer quotidiennement la ceinture. " C'est indécent de continuer avec des salaires de professeur de 300 euros par mois seulement. C'est de la clochardisation ", se désole Mohammed Hachemaoui, professeur à l'université d'Alger et chargé de cours à l'ENA algérienne. Cette " bourgeoisie " autrefois aisée a été totalement décimée par la politique d'ajustement structurel menée dans les années 1990. Le contre-choc pétrolier avait alors conduit l'Etat à la quasi-faillite et imposé une douloureuse cure d'austérité. La facture a été lourde : suppression d'emplois par dizaines de milliers dans un secteur public alors trop dodu et gel des salaires. Le nombre de chômeurs a explosé et la pauvreté galopé. Les dix ans de violences ont amplifié ce terrible travail de sape au plan social.
Engouement pour le " business "
" Pour les salariés des structures étatiques, la descente aux enfers continue ", admet Réda Hamiani, le président du Forum des chefs d'entreprise. L'essentiel des salaires est englouti par les dépenses alimentaires et de logement. Les indices de prix affichent pourtant de sages progressions, autour de 3 %. Cela ne trompe personne. Les loyers flambent, mais ne figurent pas dans ces statistiques. Tous orientés à la hausse, les prix de l'eau, de l'électricité ou du gaz laminent encore un peu plus le pouvoir d'achat. La décision, l'an dernier, de revaloriser les salaires dans la fonction publique n'y change rien. Comme pis-aller, beaucoup d'Algériens ont des petits boulots en dehors de leur métier officiel.
Mais les temps changent, malgré la persistance de l'archaïsme étatique. " On voit de la richesse se créer. Notamment chez ceux qui osent entreprendre ", souligne Réda Hamiani. La fortune ne sourit plus seulement aux généraux et aux responsables politiques. La libéralisation du commerce a permis à de nombreux Algériens, parmi lesquels des islamistes désormais " repentis ", de faire de l'argent, beaucoup d'argent même. Souvent dépourvus de diplômes, sans perspective d'emploi, les jeunes se lancent à corps perdu dans le " business ". Cybercafés, revente de matériel informatique, fast-foods, pizzerias, etc. : les rez-de-chaussée des immeubles ne sont plus qu'une succession de boutiques en tout genre.
D'autres phénomènes alimentent progressivement une hausse des revenus certes encore modeste et difficile à mesurer. Ainsi du boom des nouvelles technologies qui entraîne l'émergence de services et la création d'emplois à des salaires souvent davantage gratifiants que dans le reste de l'industrie. Toujours plus nombreuses, les entreprises et les banques étrangères versent de plus généreux émoluments que leurs homologues algériennes. Enfin, l'Etat, les caisses remplies de pétrodollars, s'est lancé dans de grands travaux d'infrastructures. Et si les ouvriers chinois sont jugés trop omniprésents sur ces chantiers, il n'empêche, la fièvre bâtisseuse de l'Algérie a créé des emplois.
Résultat, les autorités s'enorgueillissent d'avoir fait reculer le chômage. Il aurait été divisé par deux en cinq ans, passant de 30 % de la population active à 15 % en 2005. Les chiffres officiels laissent cependant sceptique. Mais le fait est là : l'argent circule davantage qu'auparavant. Et l'on dépense plus : la consommation aurait grimpé de près de 100 % entre 1995 et 2005. Toutefois, 10 % des ménages les plus aisés totalisent, à eux seuls, le tiers des dépenses de consommation. La proportion atteint même 60 % si on prend les 30 % d'Algériens les plus nantis.
Le marché automobile, la téléphonie mobile, l'agroalimentaire profitent de cette embellie. Ils ne sont pas seuls. Les ventes de micro-ordinateurs aussi. Là encore, le crédit est roi. " Depuis le lancement des opérations de crédit à la consommation, on a assisté à un raz-de-marée de la demande chez les particuliers. Avant, nous réalisions 95 % de notre activité avec des entreprises. Depuis que nous avons signé avec Cetelem, nos ventes aux particuliers ont doublé ", résume Thiba Miliani, directeur général de Samomi Informatique. Le potentiel demeure intact. Le taux de pénétration des PC dans les foyers reste inférieur à 5 %, dix fois moins que celui des téléphones mobiles et bien au-dessous des scores des pays voisins.
A Alger, le changement est palpable, à défaut d'être spectaculaire. Les vitrines austères, figées depuis Mathusalem, des rues du centre-ville et de certains quartiers huppés, comme Sidi Yahia, se relookent. Quelle que soit l'heure, les magasins attirent ces nouveaux consommateurs, soucieux de dénicher " le meilleur rapport qualité-prix ", résume un jeune étudiant. Même les récents attentats n'ont pas tempéré une telle " soif de consommer ".
Les marques et enseignes étrangères tentent donc de se frayer un chemin dans le coeur des Algériens, particulièrement des jeunes : la moitié de la population a moins de vingt ans. A deux pas de l'hôtel Sofitel, le groupe Flo a ouvert, en 2005, un Hippopotamus. Dans la restauration rapide, Quick a débarqué il y a peu, devançant McDonald's et Burger King. L'enseigne belge prévoit même d'ouvrir une vingtaine de fast-foods à travers les principales villes du pays. Ses menus sont adaptés : viande hallal et plats légèrement plus épicés.
...
Commentaire