Annonce

Réduire
Aucune annonce.

La finance au stade de l'écoeurement

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • La finance au stade de l'écoeurement

    Le spectacle actuel de l'appareil financier s'effondrant par pans entiers nous force à reconnaître qu'il n'est en réalité pas autorégulé et à tirer les conclusions qui s'imposent, juge Paul Jorion, chercheur à l'Ucla (Los Angeles).
    On entend répéter que la finance est un système autorégulé et la chose est considérée comme allant de soi durant ces périodes fastes où tout fonctionne pour le mieux et où chacun - ou presque - s'enrichit. C'est pourquoi le moment est bien choisi pour reposer la question. Je ne préjugerai pas de la réponse. Il est vrai que l'on voit aujourd'hui se fermer d'eux-mêmes, sans intervention extérieure, les secteurs qui ont cessé d'être rentables. Et je ne doute pas qu'ils rouvriront aussitôt leur rentabilité rétablie.

    Mais le spectacle actuel de l'appareil financier s'effondrant par pans entiers constitue-t-il bien ce que l'on entendait couvrir du terme d'"autorégulation"? Ou bien faut-il admettre que la promptitude à l'emballement de ses diverses parties, associée à la manifestation répétée de l'"effet domino" dans son ensemble, nous forcent de reconnaître qu'il n'est en réalité pas autorégulé et de tirer les conclusions qui s'imposent.

    Bien sûr, de nouvelles réglementations sont instituées chaque fois qu'une crise éclate, mais ces mêmes règles sont levées aussitôt que le souvenir des événements fâcheux qui les avait nécessitées s'estompe dans les mémoires. C'est cette particularité qui m'avait conduit à réclamer pour l'économie l'équivalent d'une constitution. Les articles d'une constitution sont eux aussi révisables, mais le texte, du fait de sa cohérence globale, est moins sujet à l'amnésie et la révision d'un article réclame a minima l'exercice salutaire consistant à consulter les attendus du débat qui conduisit initialement à sa rédaction ou ultérieurement à ses révisions successives.

    La question de savoir si la finance est auto-adaptative est plus facilement résolue: elle ne l'est manifestement pas. A chaque fois que le système renaît de ses cendres, l'occasion lui est offerte de répéter les erreurs qui furent les siennes dans ses avatars précédents. Pourquoi s'intéresse-t-on tant aujourd'hui aux causes de la crise de 1929 ?

    Parce que le contexte social de disparité croissante dans la répartition du patrimoine, la bulle de l'immobilier qui la précéda et l'invention toujours plus ingénieuse de procédés de démultiplication de l'effet de levier, résonnent d'un ton familier à nos oreilles. A quoi s'ajoute la complexification qu'autorisent les développements technologiques intervenant entre deux crises, contribuant à accroître la fragilité du système à chacune de ses résurrections. Contrairement à ce que l'on pourrait espérer du fait de l'intrication croissante de ses différents secteurs et des effets de contagion que celle-ci autorise, la finance gagne à chaque fois, non pas en robustesse mais en fragilité.

    Alors que faire? Le noeud du problème réside dans l'impossibilité pratique de mesures préventives: le système récompense en effet si généreusement ceux qui y participent dans ses époques fastes, qu'il s'avère impossible d'entraver aujourd'hui, et quelle qu'en soit l'inéluctabilité, les effets désastreux qui apparaîtront demain. Il faut ainsi attendre à chaque reprise que l'écoeurement intervienne pour que les mesures qui s'imposaient soient enfin envisagées post festum.

    Les ressorts de la tendance à l'emballement et de l'"effet domino" sont connus: les prix "spéculatifs" qui décollent de la valeur de leurs fondamentaux, l'effet de levier qu'autorise l'emprunt, et les produits dérivés qui encouragent les paris directionnels sur l'évolution des marchés financiers. Est-ce à dire qu'il faille fixer les prix? La mesure serait certainement excessive. Mais cela signifie-t-il pour autant qu'il ne faille en fixer aucun?

    Prohiber l'emprunt serait excessif. Mais interdire certains usages des sommes empruntées ne le serait peut-être pas, en particulier si l'usage envisagé était de spéculer sur les prix. Prohiber les produits dérivés serait excessif et même malvenu puisqu'ils favorisent les stratégies de couverture qui réduisent les risques accompagnant les variations de prix. Mais faut-il pour autant autoriser les positions "nues" sur les dérivés qui créent artificiellement du risque là où il n'y en avait pas?

    La crise de 1929 aura pu apparaître comme un "incident isolé", sa répétition devrait au contraire exclure la thèse de l'accident. Il faudra s'asseoir à la table et rédiger ensemble une constitution qui règle les rapports entre la finance, en figure d'accusée, et l'économie, sa victime.

    La tâche sera ardue car le saut à accomplir aura la même signification et la même importance cruciale que celui qui nous a fait passer dans le domaine politique, des régimes arbitraires et autoritaires à la démocratie. Il est regrettable qu'il faille attendre pour cela que le stade de l'écoeurement soit tout d'abord atteint: l'écoeurement est le symptôme du long cortège des misères qui finit par l'engendrer.

    Paul Jorion, chercheur à l'Ucla (Los Angeles), auteur de "Vers la fin du capitalisme américain ?", Editions La Découverte, 2007

    Lien permanent vers cet article : http://www.latribune.fr/info/IDB4C55...2574110034155C
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
Chargement...
X