Projet de Loi des finances 2022. L’analyse de NOUREDINE BOUDERBA
Publié le 16/11/2021 à 11:28
Par Saoudi Abdelaziz
Le spécialiste des questions sociales est interrogé par le quotidien algérien Reporters.
Propos recueillis par Amirouche Yazid, 16 novembre 2021
Reporters : Le Parlement devrait approuver demain mercredi le Projet de loi de finances 2022. Qu’est ce qui a retenu votre attention dans ce texte ?
Nouredine Bouderba : La première chose qui a retenu mon attention est cette volonté de maintenir le cap sur la privatisation à travers les dispositions qui amendent l’ordonnance relative à la monnaie et au crédit en faisant sauter le verrou qui empêchait la privatisation des banques. Le gouvernement ne semble pas tenir compte du bilan catastrophique des privatisations menées durant les années 1990, puis celles des années 2000 qui ont profité à une oligarchie prédatrice et au capital étranger au détriment du développement économique et social national. Il n’a pas tiré les leçons de la pandémie en cours qui a mis en évidence que seuls les Etats détendeurs de patrimoine et de richesse publics disposent d’une capacité de réguler l’économie, de redistribuer les revenus et de freiner la croissance des revenus et aussi de faire face à l’impact de crises majeures telle la pandémie qui touche actuellement le monde.
D’ailleurs et c’est la deuxième remarque qui ressort du projet de loi de finances 2022, il y a lieu de souligner l’insuffisance criante de mesures de relance économique et de compensation de pertes de revenu en faveur des petites entreprises, des travailleurs indépendants et tacherons et des salariés du secteur économique, notamment privé, qui ont été gravement impactés. Il faut aussi regretter que d’un côté les mesures fiscales prévues sont nettement insuffisantes pour compenser la perte accélérée du pouvoir d’achat des travailleurs sous les effets conjugués de la dévaluation du dinar et des conséquences du confinement et d’un autre côté visent tous les opérateurs économiques sans aucune discrimination, alors que des critères objectifs auraient pu être retenus pour bénéficier d’une aide (perte de 50 % du chiffre d’affaires, non licenciement des travailleurs, etc.).
La troisième remarque concerne la décision annoncée d’augmenter le point indiciaire sans préciser le niveau et surtout sans prévoir son financement. S’agissant d’une augmentation de salaire qu’il y a lieu de saluer sur le plan du principe, il est important de savoir qu’elle ne touchera que les travailleurs de la fonction publique à l’exclusion des travailleurs du secteur économique public et privé (3 millions), des retraités (3.5 millions) et des chômeurs (3 millions selon ma propre estimation). Il est de la responsabilité de l’Etat d’élargir cette mesure afin d’éviter une plus grande précarité pour cette population d’un côté et d’éviter un approfondissement des inégalités de l’autre.
La quatrième remarque concerne le projet d’institution d’une allocation chômage au profit des chômeurs primo-demandeurs d’emploi. L’absence de son financement dans le projet de loi et contradictions apparues entre le texte et les déclarations gouvernementales sur les critères d’éligibilité à cette allocation montrent que ce projet n’a pas été maturé. Il y a le risque que cette action, louable sur le plan du principe, crée plus de problèmes qu’il n’en résout. Je cite à titre illustratif les points suivants :
1. Comment faire accepter l’idée qu’un jeune, âgé de 19 ans, primo demandeur de l’emploi, puisse bénéficier de cette allocation chômage projetée alors qu’en sera exclus un autre jeune chômeur, lui aussi âgé de 19 ans, qui a eu la (mal)chance de travailler durant 6 mois avec un CDD ou plus grave encore un travailleur licencié (avec CDD au moment de son licenciement) après avoir travaillé pendant 20 ans, voire 30 ans ? 2. Comment faire accepter que le montant d’une allocation chômage soit fixé à 10 000 DA, voire 14 000 DA au moment où le salaire d’un travailleur des dispositifs de la politique active de l’emploi est égal à 8 000 Da voire 6 000 DA ?
La cinquième remarque est cette volonté du gouvernement de démanteler le dispositif des transferts sociaux qui protégeaient des millions d’Algériens contre le basculement dans la pauvreté et la précarité au vu de leurs très bas revenus qui ne leur permettent pas de faire face aux prix internationaux que certains appellent abusivement « la vérité des prix».
Cette décision est dangereuse pour la cohésion nationale qu’elle intervient à un moment où une grande partie des Algériens est violemment agressée dans son pouvoir d’achat.
Elle est d’autant plus injuste et inacceptables qu’aucun des arguments du gouvernement, pour les justifier, qui sont en réalité ceux du FMI et de la Banque mondiale, ne tient la route. Le gouvernement semble avoir oublié que l’Algérie a déjà connu cette expérience du ciblage dans les années 1990 qui s’est soldée par des conséquences dramatiques pour la population. En libéralisant les prix contre des compensations dérisoires et partielles, en appliquant les recommandations du FMI, l’Algérie avait perdu 1000 entreprises économiques, 650 000 emplois au moment où le taux de chômage a grimpé de 15 %, entre 1990, à 30 % en 1999 et le pouvoir d’achat a reculé de 40 %.
Les aides sociales de compensation projetées seront dérisoires par définition et ne bénéficieront pas à une très grande partie de la population (la classe moyenne) qui sera exclue par définition sans parler des inévitables erreurs d’exclusion de millions de personnes théoriquement éligibles à l’aide et d’inclusion de millions de bénéficiaires indus théoriquement non éligibles à l’aide. En effet, il ne faut pas se faire d’illusion, aucun pays au monde n’a réussi une politique de ciblage qui aurait limité la pauvreté ou les inégalités. L’Algérie, avec son secteur informel qui représente 50 % de l’économie nationale et son administration sociale et fiscale archaïque, ne fera pas exception à la règle.
Enfin, la sixième remarque est que le dinar va continuer sa chute afin d’assurer des ressources supplémentaires au budget de l’Etat par le biais des taxes. Ce qui veut dire plus d’inflation et moins de pouvoir d’achat pour 2022 et pour les années qui suivront.
Quel impact aura ce texte dans le cas de sa validation dans son contenu actuel pour les travailleurs au moment où les organisations syndicales mettent plus que jamais en avant l’urgence de préserver le pouvoir d’achat ?
Comme je viens de l’expliquer, la mesure de réduction de l’IRG, insuffisante et partielle, l’augmentation de la valeur du point indiciaire, même en supposant qu’elle sera importante et que son financement sera intégré au dernier moment, qui ne touchera pas les travailleurs du secteur économique et les retraités, conjugués à la dévaluation continue du dinar et à la levée des subventions se traduiront par une aggravation drastique du pouvoir d’achat des démunis et de la classe moyenne, déjà mis à très mal.
Il faut savoir que la réduction de l’IRG proposée générera zéro dinar de gain pour la majorité des retraités et des salariés, puisque les revenus inférieurs à 30 000 DA, qui constituent la majorité, sont déjà exemptés actuellement.
Pour vous donner une image des gains escomptés par cette mesure, un bas revenu (salarié ou retraité Smicard) aura un gain nul (0 dinar), un revenu moyen (42 500 DA par mois aura un gain de 2475 DA (5.8 % de son salaire) et un revenu supérieur (5 fois le SNMG) aura un gain de 3600 DA (3.6 % du salaire). Des gains sans aucune mesure avec la perte du pouvoir d’achat que les Algériens vivent et qui sera appelée à s’accentuer dangereusement.
Cette situation sera d’autant plus inacceptable pour l’Algérien lambda, qu’il faut aussi noter que même suite à cette réduction les recettes fiscales continueront à peser principalement sur les salariés puisqu’en 2022 l’IRG sur les salaires représentera 18.2 % des ressources ordinaires contre 11.9 % pour l’impôt sur le Bénéfice des sociétés et 2.6 % pour l’IRG des autres fonctions notamment libérales.
Nous sommes le seul pays au monde, je dis bien le seul, ou un cadre moyen salarié ou en retraite paie plus d’impôt qu’un médecin spécialiste, un avocat ou un entrepreneur.
La deuxième mesure prévue dans le sens de limiter la baisse du pouvoir d’achat concerne l’augmentation de la valeur du point indiciaire. Seulement non seulement le niveau de l’augmentation n’est pas précisé mais aussi si cette mesure est à saluer et à considérer comme allant dans le bon sens ne bénéficiera qu’aux travailleurs de la fonction publique, mais ne concernera pas les travailleurs du secteur économique et les retraités.
Il faut reconnaitre que l’impact de ces mesures ne pourra en aucun cas contrebalancer la perte du pouvoir d’achat déjà enregistrée et qui sera amplifiée par la poursuite de la dévaluation du dinar et la levée des subventions.
Vous avez évoqué précédemment le risque de voir s’approfondir les inégalités, voire même un risque sur la cohésion sociale de l’Algérie. Pouvez-vous être plus explicite à ce propos ?
Comme je viens de le montrer, la précarité ne touche plus les pauvres et les bas revenus. Elle risque de faire basculer dans la pauvreté des millions d’Algériens de la classe moyenne qui vivent déjà dans ce qu’on appelle la quasi pauvreté. Il n’y a pas longtemps un médecin du secteur public, un professeur universitaire, un enseignant, un ingénieur, etc. étaient considérés comme faisant partie de la classe moyenne.
Aujourd’hui, la plupart d’entre eux bouclent difficilement la fin du mois. Or, si vous prenez les expériences très récentes, les pays où la classe moyenne a été violentée socialement parlant ont fait face à une fracture sociale et même politique.
C’est le cas de la Syrie, de la Tunisie, de l’Egypte, de la Jordanie, etc. Il ne faut pas oublier que le facteur déclenchant de ce que certains ont appelé la révolution soudanaise a été la suppression des subventions.
Pour revenir à l’Algérie, le gouvernement doit se rappeler que les conseilleurs ne sont pas les bons payeurs. Je parle du FMI et de nos experts libéraux. Il faut savoir que les montants et les chiffres avancés ne correspondent pas à la réalité. Selon le projet de la loi de finances 2022 le montant des transferts sociaux explicites s’élève à 1 942 Mds DA, soit l’équivalent de 12,95 Mds de dollars US (et non 17 Mds de USD comme avancé) représentant 8,4 % du PIB. En 2021 ce montant est de 2 073 MDs DA soit l’équivalent de 14,58 Mds Mds USD (9,5 % du PIB). Soit une diminution en valeur réelle, en 2022, de 12,5 %. Comparés au montant de l’année 2011 (28,35 Mds $ et 14,2 % du PIB) les transferts sociaux, en 2022, auront perdu plus que la moitié de leur valeur réelle (-54,3 %).
C’est dire qu’on est loin de la thèse officielle et des experts libéraux selon laquelle le montant des transferts sociaux augmente de façon exponentielle.
Publié le 16/11/2021 à 11:28
Par Saoudi Abdelaziz
Le spécialiste des questions sociales est interrogé par le quotidien algérien Reporters.
Propos recueillis par Amirouche Yazid, 16 novembre 2021
Reporters : Le Parlement devrait approuver demain mercredi le Projet de loi de finances 2022. Qu’est ce qui a retenu votre attention dans ce texte ?
Nouredine Bouderba : La première chose qui a retenu mon attention est cette volonté de maintenir le cap sur la privatisation à travers les dispositions qui amendent l’ordonnance relative à la monnaie et au crédit en faisant sauter le verrou qui empêchait la privatisation des banques. Le gouvernement ne semble pas tenir compte du bilan catastrophique des privatisations menées durant les années 1990, puis celles des années 2000 qui ont profité à une oligarchie prédatrice et au capital étranger au détriment du développement économique et social national. Il n’a pas tiré les leçons de la pandémie en cours qui a mis en évidence que seuls les Etats détendeurs de patrimoine et de richesse publics disposent d’une capacité de réguler l’économie, de redistribuer les revenus et de freiner la croissance des revenus et aussi de faire face à l’impact de crises majeures telle la pandémie qui touche actuellement le monde.
D’ailleurs et c’est la deuxième remarque qui ressort du projet de loi de finances 2022, il y a lieu de souligner l’insuffisance criante de mesures de relance économique et de compensation de pertes de revenu en faveur des petites entreprises, des travailleurs indépendants et tacherons et des salariés du secteur économique, notamment privé, qui ont été gravement impactés. Il faut aussi regretter que d’un côté les mesures fiscales prévues sont nettement insuffisantes pour compenser la perte accélérée du pouvoir d’achat des travailleurs sous les effets conjugués de la dévaluation du dinar et des conséquences du confinement et d’un autre côté visent tous les opérateurs économiques sans aucune discrimination, alors que des critères objectifs auraient pu être retenus pour bénéficier d’une aide (perte de 50 % du chiffre d’affaires, non licenciement des travailleurs, etc.).
La troisième remarque concerne la décision annoncée d’augmenter le point indiciaire sans préciser le niveau et surtout sans prévoir son financement. S’agissant d’une augmentation de salaire qu’il y a lieu de saluer sur le plan du principe, il est important de savoir qu’elle ne touchera que les travailleurs de la fonction publique à l’exclusion des travailleurs du secteur économique public et privé (3 millions), des retraités (3.5 millions) et des chômeurs (3 millions selon ma propre estimation). Il est de la responsabilité de l’Etat d’élargir cette mesure afin d’éviter une plus grande précarité pour cette population d’un côté et d’éviter un approfondissement des inégalités de l’autre.
La quatrième remarque concerne le projet d’institution d’une allocation chômage au profit des chômeurs primo-demandeurs d’emploi. L’absence de son financement dans le projet de loi et contradictions apparues entre le texte et les déclarations gouvernementales sur les critères d’éligibilité à cette allocation montrent que ce projet n’a pas été maturé. Il y a le risque que cette action, louable sur le plan du principe, crée plus de problèmes qu’il n’en résout. Je cite à titre illustratif les points suivants :
1. Comment faire accepter l’idée qu’un jeune, âgé de 19 ans, primo demandeur de l’emploi, puisse bénéficier de cette allocation chômage projetée alors qu’en sera exclus un autre jeune chômeur, lui aussi âgé de 19 ans, qui a eu la (mal)chance de travailler durant 6 mois avec un CDD ou plus grave encore un travailleur licencié (avec CDD au moment de son licenciement) après avoir travaillé pendant 20 ans, voire 30 ans ? 2. Comment faire accepter que le montant d’une allocation chômage soit fixé à 10 000 DA, voire 14 000 DA au moment où le salaire d’un travailleur des dispositifs de la politique active de l’emploi est égal à 8 000 Da voire 6 000 DA ?
La cinquième remarque est cette volonté du gouvernement de démanteler le dispositif des transferts sociaux qui protégeaient des millions d’Algériens contre le basculement dans la pauvreté et la précarité au vu de leurs très bas revenus qui ne leur permettent pas de faire face aux prix internationaux que certains appellent abusivement « la vérité des prix».
Cette décision est dangereuse pour la cohésion nationale qu’elle intervient à un moment où une grande partie des Algériens est violemment agressée dans son pouvoir d’achat.
Elle est d’autant plus injuste et inacceptables qu’aucun des arguments du gouvernement, pour les justifier, qui sont en réalité ceux du FMI et de la Banque mondiale, ne tient la route. Le gouvernement semble avoir oublié que l’Algérie a déjà connu cette expérience du ciblage dans les années 1990 qui s’est soldée par des conséquences dramatiques pour la population. En libéralisant les prix contre des compensations dérisoires et partielles, en appliquant les recommandations du FMI, l’Algérie avait perdu 1000 entreprises économiques, 650 000 emplois au moment où le taux de chômage a grimpé de 15 %, entre 1990, à 30 % en 1999 et le pouvoir d’achat a reculé de 40 %.
Les aides sociales de compensation projetées seront dérisoires par définition et ne bénéficieront pas à une très grande partie de la population (la classe moyenne) qui sera exclue par définition sans parler des inévitables erreurs d’exclusion de millions de personnes théoriquement éligibles à l’aide et d’inclusion de millions de bénéficiaires indus théoriquement non éligibles à l’aide. En effet, il ne faut pas se faire d’illusion, aucun pays au monde n’a réussi une politique de ciblage qui aurait limité la pauvreté ou les inégalités. L’Algérie, avec son secteur informel qui représente 50 % de l’économie nationale et son administration sociale et fiscale archaïque, ne fera pas exception à la règle.
Enfin, la sixième remarque est que le dinar va continuer sa chute afin d’assurer des ressources supplémentaires au budget de l’Etat par le biais des taxes. Ce qui veut dire plus d’inflation et moins de pouvoir d’achat pour 2022 et pour les années qui suivront.
Quel impact aura ce texte dans le cas de sa validation dans son contenu actuel pour les travailleurs au moment où les organisations syndicales mettent plus que jamais en avant l’urgence de préserver le pouvoir d’achat ?
Comme je viens de l’expliquer, la mesure de réduction de l’IRG, insuffisante et partielle, l’augmentation de la valeur du point indiciaire, même en supposant qu’elle sera importante et que son financement sera intégré au dernier moment, qui ne touchera pas les travailleurs du secteur économique et les retraités, conjugués à la dévaluation continue du dinar et à la levée des subventions se traduiront par une aggravation drastique du pouvoir d’achat des démunis et de la classe moyenne, déjà mis à très mal.
Il faut savoir que la réduction de l’IRG proposée générera zéro dinar de gain pour la majorité des retraités et des salariés, puisque les revenus inférieurs à 30 000 DA, qui constituent la majorité, sont déjà exemptés actuellement.
Pour vous donner une image des gains escomptés par cette mesure, un bas revenu (salarié ou retraité Smicard) aura un gain nul (0 dinar), un revenu moyen (42 500 DA par mois aura un gain de 2475 DA (5.8 % de son salaire) et un revenu supérieur (5 fois le SNMG) aura un gain de 3600 DA (3.6 % du salaire). Des gains sans aucune mesure avec la perte du pouvoir d’achat que les Algériens vivent et qui sera appelée à s’accentuer dangereusement.
Cette situation sera d’autant plus inacceptable pour l’Algérien lambda, qu’il faut aussi noter que même suite à cette réduction les recettes fiscales continueront à peser principalement sur les salariés puisqu’en 2022 l’IRG sur les salaires représentera 18.2 % des ressources ordinaires contre 11.9 % pour l’impôt sur le Bénéfice des sociétés et 2.6 % pour l’IRG des autres fonctions notamment libérales.
Nous sommes le seul pays au monde, je dis bien le seul, ou un cadre moyen salarié ou en retraite paie plus d’impôt qu’un médecin spécialiste, un avocat ou un entrepreneur.
La deuxième mesure prévue dans le sens de limiter la baisse du pouvoir d’achat concerne l’augmentation de la valeur du point indiciaire. Seulement non seulement le niveau de l’augmentation n’est pas précisé mais aussi si cette mesure est à saluer et à considérer comme allant dans le bon sens ne bénéficiera qu’aux travailleurs de la fonction publique, mais ne concernera pas les travailleurs du secteur économique et les retraités.
Il faut reconnaitre que l’impact de ces mesures ne pourra en aucun cas contrebalancer la perte du pouvoir d’achat déjà enregistrée et qui sera amplifiée par la poursuite de la dévaluation du dinar et la levée des subventions.
Vous avez évoqué précédemment le risque de voir s’approfondir les inégalités, voire même un risque sur la cohésion sociale de l’Algérie. Pouvez-vous être plus explicite à ce propos ?
Comme je viens de le montrer, la précarité ne touche plus les pauvres et les bas revenus. Elle risque de faire basculer dans la pauvreté des millions d’Algériens de la classe moyenne qui vivent déjà dans ce qu’on appelle la quasi pauvreté. Il n’y a pas longtemps un médecin du secteur public, un professeur universitaire, un enseignant, un ingénieur, etc. étaient considérés comme faisant partie de la classe moyenne.
Aujourd’hui, la plupart d’entre eux bouclent difficilement la fin du mois. Or, si vous prenez les expériences très récentes, les pays où la classe moyenne a été violentée socialement parlant ont fait face à une fracture sociale et même politique.
C’est le cas de la Syrie, de la Tunisie, de l’Egypte, de la Jordanie, etc. Il ne faut pas oublier que le facteur déclenchant de ce que certains ont appelé la révolution soudanaise a été la suppression des subventions.
Pour revenir à l’Algérie, le gouvernement doit se rappeler que les conseilleurs ne sont pas les bons payeurs. Je parle du FMI et de nos experts libéraux. Il faut savoir que les montants et les chiffres avancés ne correspondent pas à la réalité. Selon le projet de la loi de finances 2022 le montant des transferts sociaux explicites s’élève à 1 942 Mds DA, soit l’équivalent de 12,95 Mds de dollars US (et non 17 Mds de USD comme avancé) représentant 8,4 % du PIB. En 2021 ce montant est de 2 073 MDs DA soit l’équivalent de 14,58 Mds Mds USD (9,5 % du PIB). Soit une diminution en valeur réelle, en 2022, de 12,5 %. Comparés au montant de l’année 2011 (28,35 Mds $ et 14,2 % du PIB) les transferts sociaux, en 2022, auront perdu plus que la moitié de leur valeur réelle (-54,3 %).
C’est dire qu’on est loin de la thèse officielle et des experts libéraux selon laquelle le montant des transferts sociaux augmente de façon exponentielle.
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