Par Roman Bernard
17/01/2022
Pour tenir leurs engagements en matière de climat, la France et l'Europe ont décidé d'investir massivement dans l'hydrogène. Une idée qui pourrait paraître séduisante, mais qui s’avère tout aussi coûteuse qu’énergivore et périlleuse, bien loin de l’image de remède contre le réchauffement climatique que certains voudraient lui donner.
En visite à Béziers dans l'entreprise Genvia le 16 novembre dernier, Emmanuel Macron a annoncé que 1,9 milliard d'euros seraient investis dans le cadre du plan France 2030, afin de décarboner le « mix » énergétique français.
L'idée a de quoi séduire : lorsqu'il brûle, le dihydrogène (H2) réagit avec le dioxygène (O2) présent dans l'air que nous respirons pour libérer de l'énergie et former des molécules d'eau (H2O). L'hydrogène ne rejette donc, contrairement aux hydrocarbures (CxHy) issus du raffinage du pétrole, aucun dioxyde de carbone (CO2) responsable du réchauffement climatique.
Il est donc facile à ses promoteurs de présenter l'hydrogène comme une source d'énergie « propre », en contraste avec les autres, polluantes.
Le problème, c'est que l'hydrogène n'existe pas à l'état naturel. Il se trouve certes présent dans l'eau, mais il y est « prisonnier » de l'oxygène auquel il est associé. Il est également présent dans les hydrocarbures, dans lesquels il est arrimé au carbone.
Il faut donc, pour obtenir de l'hydrogène, le séparer de l'oxygène ou du carbone. Or, ces procédés s’avèrent très coûteux en énergie.
Le coût de l'électrolyse
La méthode la plus connue est l'électrolyse, c'est-à-dire la séparation de l'hydrogène et de l'oxygène de l'eau en soumettant celle-ci à un courant électrique.
Le souci, c'est que, pour obtenir assez d'hydrogène afin, par exemple, de remplacer les moteurs thermiques des voitures et camions (lire à ce sujet notre article : « Fin des voitures thermiques : le mirage du sans pétrole ») par des moteurs ou des piles électriques à hydrogène, il faudrait une production électrique faramineuse, bien supérieure à la production française actuelle.
Les besoins énergétiques seraient tels que la production d'électricité renouvelable (solaire, éolien, hydroélectricité, qui ont tous trois un impact négatif sur l'environnement) n'y suffirait pas.

Stockage de l'hydrogène vert - Petrmalinak - @Shutterstock
L'« hydrogène vert » (fabriqué à partir d’énergies renouvelables), semble donc être un doux rêve inaccessible. En effet, une équipe de chercheurs de l'Atelier d'écologie politique interrogée par Reporterre a calculé que « si on cherchait à remplacer la totalité du parc de poids lourds en faisant rouler trois millions de camions à l’hydrogène, il faudrait alors l’équivalent de 156 réacteurs nucléaires ou environ 10 000 km2 de panneaux solaires, soit environ la taille de l’Île-de-France ».
Il faudrait donc recourir massivement à l'énergie nucléaire pour réaliser autant d'électrolyse (on parle alors d'« hydrogène jaune »). Or, on sait que 46 des 56 réacteurs français existants arriveront en fin de vie à l’issue de la décennie, avec l’impossibilité de remplacer certains composants essentiels comme la cuve du réacteur. D’où l’annonce d’Emmanuel Macron sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France, ainsi que la demande de l’État à EDF de chiffrer le coût de construction de six EPR.
Abstraction faite des risques que représentent les cœurs des réacteurs en fission et les déchets issus de cette dernière, cela poserait plusieurs défis :
- D'abord, le minerai d'uranium nécessaire à la fission nucléaire est une ressource limitée et coûteuse, qui ne se trouve pas en France ;
- Ensuite, cette production d’hydrogène demanderait des quantités massives d’électricité, mais aussi d’eau, à la fois pour le fonctionnement des électrolyseurs et pour les systèmes de refroidissement. On estime ce besoin en eau à plusieurs centaines de millions de m3 par an. Or, cette ressource n’est pas infinie : elle provient des cours d’eau dont le débit dépend des précipitations. Une captation d’eau aussi importante ne serait donc pas sans conséquence sur l’environnement.
Les rejets du « vaporeformage »
L'autre méthode d'obtention de l'hydrogène est le vaporeformage de l'hydrocarbure le plus simple, le méthane (CH4), issu du raffinage du pétrole. Le procédé consiste à séparer l'hydrogène du carbone en soumettant le méthane à de la vapeur d'eau très chaude (notamment celle qui provient des chambres de refroidissement des réacteurs nucléaires).
Seul problème, de taille : le carbone dissocié réagit avec l'oxygène pour former du CO2, facteur de réchauffement climatique. On parle alors d'« hydrogène gris » lorsque ce CO2 est directement rejeté dans l'atmosphère, ou d'« hydrogène bleu » lorsqu'il est stocké dans des « puits à carbone », un procédé à la fois coûteux et dangereux car son stockage à haute pression peut provoquer des séismes.
Les défis du stockage et de l'acheminement
Une fois obtenu par électrolyse ou par vaporeformage, l’hydrogène compressé présente une densité énergétique 7 fois inférieure à celle des carburants issus du pétrole ; c’est-à-dire que pour une même quantité d’énergie, l’hydrogène prend 7 fois plus de volume.
Si Emmanuel Macron a précisé vouloir produire ce gaz « sur notre sol », il faut savoir que pour les pays souhaitant importer de l’hydrogène, les industriels suggèrent de transformer l’hydrogène en ammoniac (NH3) et de le transporter… par bateau… malgré les risques environnementaux que représenteraient les naufrages de ces cargos.
D’autre part, la forme gazeuse de l’hydrogène (dihydrogène, H2) rend indispensable son stockage, d’autant plus qu’il est extrêmement inflammable au contact de l'oxygène de l'air.
Ce problème est loin d’être nouveau : lorsque le dihydrogène était utilisé pour gonfler les ballons dirigeables, dont l'âge d'or fut l'entre-deux-guerres, des accidents spectaculaires se produisirent. Ainsi, en 1937, le « Hindenburg » allemand explosa au-dessus de son point d'envol, conduisant à l'interdiction de l'utilisation du dihydrogène dans les ballons dirigeables et plus largement à l'abandon du Zeppelin comme mode de transport.
Le cimetière de l'Histoire est plein de ces innovations « miraculeuses » et pourtant vite oubliées. Trop miraculeuses pour être vraies.
17/01/2022
Pour tenir leurs engagements en matière de climat, la France et l'Europe ont décidé d'investir massivement dans l'hydrogène. Une idée qui pourrait paraître séduisante, mais qui s’avère tout aussi coûteuse qu’énergivore et périlleuse, bien loin de l’image de remède contre le réchauffement climatique que certains voudraient lui donner.
En visite à Béziers dans l'entreprise Genvia le 16 novembre dernier, Emmanuel Macron a annoncé que 1,9 milliard d'euros seraient investis dans le cadre du plan France 2030, afin de décarboner le « mix » énergétique français.
L'idée a de quoi séduire : lorsqu'il brûle, le dihydrogène (H2) réagit avec le dioxygène (O2) présent dans l'air que nous respirons pour libérer de l'énergie et former des molécules d'eau (H2O). L'hydrogène ne rejette donc, contrairement aux hydrocarbures (CxHy) issus du raffinage du pétrole, aucun dioxyde de carbone (CO2) responsable du réchauffement climatique.
Il est donc facile à ses promoteurs de présenter l'hydrogène comme une source d'énergie « propre », en contraste avec les autres, polluantes.
Le problème, c'est que l'hydrogène n'existe pas à l'état naturel. Il se trouve certes présent dans l'eau, mais il y est « prisonnier » de l'oxygène auquel il est associé. Il est également présent dans les hydrocarbures, dans lesquels il est arrimé au carbone.
Il faut donc, pour obtenir de l'hydrogène, le séparer de l'oxygène ou du carbone. Or, ces procédés s’avèrent très coûteux en énergie.
Le coût de l'électrolyse
La méthode la plus connue est l'électrolyse, c'est-à-dire la séparation de l'hydrogène et de l'oxygène de l'eau en soumettant celle-ci à un courant électrique.
Le souci, c'est que, pour obtenir assez d'hydrogène afin, par exemple, de remplacer les moteurs thermiques des voitures et camions (lire à ce sujet notre article : « Fin des voitures thermiques : le mirage du sans pétrole ») par des moteurs ou des piles électriques à hydrogène, il faudrait une production électrique faramineuse, bien supérieure à la production française actuelle.
Les besoins énergétiques seraient tels que la production d'électricité renouvelable (solaire, éolien, hydroélectricité, qui ont tous trois un impact négatif sur l'environnement) n'y suffirait pas.

Stockage de l'hydrogène vert - Petrmalinak - @Shutterstock
L'« hydrogène vert » (fabriqué à partir d’énergies renouvelables), semble donc être un doux rêve inaccessible. En effet, une équipe de chercheurs de l'Atelier d'écologie politique interrogée par Reporterre a calculé que « si on cherchait à remplacer la totalité du parc de poids lourds en faisant rouler trois millions de camions à l’hydrogène, il faudrait alors l’équivalent de 156 réacteurs nucléaires ou environ 10 000 km2 de panneaux solaires, soit environ la taille de l’Île-de-France ».
Il faudrait donc recourir massivement à l'énergie nucléaire pour réaliser autant d'électrolyse (on parle alors d'« hydrogène jaune »). Or, on sait que 46 des 56 réacteurs français existants arriveront en fin de vie à l’issue de la décennie, avec l’impossibilité de remplacer certains composants essentiels comme la cuve du réacteur. D’où l’annonce d’Emmanuel Macron sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France, ainsi que la demande de l’État à EDF de chiffrer le coût de construction de six EPR.
Abstraction faite des risques que représentent les cœurs des réacteurs en fission et les déchets issus de cette dernière, cela poserait plusieurs défis :
- D'abord, le minerai d'uranium nécessaire à la fission nucléaire est une ressource limitée et coûteuse, qui ne se trouve pas en France ;
- Ensuite, cette production d’hydrogène demanderait des quantités massives d’électricité, mais aussi d’eau, à la fois pour le fonctionnement des électrolyseurs et pour les systèmes de refroidissement. On estime ce besoin en eau à plusieurs centaines de millions de m3 par an. Or, cette ressource n’est pas infinie : elle provient des cours d’eau dont le débit dépend des précipitations. Une captation d’eau aussi importante ne serait donc pas sans conséquence sur l’environnement.
Les rejets du « vaporeformage »
L'autre méthode d'obtention de l'hydrogène est le vaporeformage de l'hydrocarbure le plus simple, le méthane (CH4), issu du raffinage du pétrole. Le procédé consiste à séparer l'hydrogène du carbone en soumettant le méthane à de la vapeur d'eau très chaude (notamment celle qui provient des chambres de refroidissement des réacteurs nucléaires).
Seul problème, de taille : le carbone dissocié réagit avec l'oxygène pour former du CO2, facteur de réchauffement climatique. On parle alors d'« hydrogène gris » lorsque ce CO2 est directement rejeté dans l'atmosphère, ou d'« hydrogène bleu » lorsqu'il est stocké dans des « puits à carbone », un procédé à la fois coûteux et dangereux car son stockage à haute pression peut provoquer des séismes.
Les défis du stockage et de l'acheminement
Une fois obtenu par électrolyse ou par vaporeformage, l’hydrogène compressé présente une densité énergétique 7 fois inférieure à celle des carburants issus du pétrole ; c’est-à-dire que pour une même quantité d’énergie, l’hydrogène prend 7 fois plus de volume.
Si Emmanuel Macron a précisé vouloir produire ce gaz « sur notre sol », il faut savoir que pour les pays souhaitant importer de l’hydrogène, les industriels suggèrent de transformer l’hydrogène en ammoniac (NH3) et de le transporter… par bateau… malgré les risques environnementaux que représenteraient les naufrages de ces cargos.
D’autre part, la forme gazeuse de l’hydrogène (dihydrogène, H2) rend indispensable son stockage, d’autant plus qu’il est extrêmement inflammable au contact de l'oxygène de l'air.
Ce problème est loin d’être nouveau : lorsque le dihydrogène était utilisé pour gonfler les ballons dirigeables, dont l'âge d'or fut l'entre-deux-guerres, des accidents spectaculaires se produisirent. Ainsi, en 1937, le « Hindenburg » allemand explosa au-dessus de son point d'envol, conduisant à l'interdiction de l'utilisation du dihydrogène dans les ballons dirigeables et plus largement à l'abandon du Zeppelin comme mode de transport.
Le cimetière de l'Histoire est plein de ces innovations « miraculeuses » et pourtant vite oubliées. Trop miraculeuses pour être vraies.
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