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" La mondialisation néolibérale va probablement disparaître" - David CAYLA -

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  • " La mondialisation néolibérale va probablement disparaître" - David CAYLA -


    La fin du néolibéralisme, et donc de la mondialisation et peut-être même de l’Union européenne, a de fortes chances de se produire. David Cayla, économiste à l’université d’Angers, auteur de L’économie du réel, de Populisme et néolibéralisme et de Déclin et chute du néolibéralisme (De Boeck supérieur), et co-auteur, avec la regrettée Coralie Delaume, de La fin de l’Union européenne et de 10+1 Questions sur l’Union européenne (Michalon), évalue les risques auxquels le système bancaire et financier est actuellement exposé. Il détaille aussi les autres raisons qui le conduisent à parier sur une chute prochaine du néolibéralisme.

    Laurent Ottavi (Élucid) : Dans une récente tribune, vous expliquiez que l’effondrement de la Silicon Valley Bank constituait la plus grosse faillite bancaire aux États-Unis depuis 2008 sans être pour autant une grande surprise. Pouvez-vous expliquer ce qu’il s’est passé ?

    David Cayla : La Silicon Valley Bank (SVB) était une banque régionale, mais aussi l’une des plus grandes de Californie en termes de capitalisation. Elle était spécialisée dans le financement des activités de la Silicon Valley, en particulier les levées de fonds des entreprises technologiques. Elle détenait, pour cette raison, beaucoup de liquidités, car le modèle économique des start-ups implique de dépenser beaucoup d’argent avant d’en gagner, ce qui signifie que ces entreprises doivent accumuler un « trésor de guerre » pour devenir leader sur leur marché et détruire leurs concurrentes.

    La SVB était parvenue par ailleurs – étant donnée sa relative petite taille et après une intense activité de lobbying – à échapper au seuil de réglementation bancaire. Autrement dit, elle s’est fait prendre à son propre jeu en raison d’un bilan trop important par rapport à sa capacité à se couvrir d’éventuelles pertes. Pourvue d’importantes liquidités venant de ses déposants, elle avait choisi de les placer dans des bons du trésor américain (des obligations publiques), qui ne sont pas des actifs spéculatifs, mais qui, en l’occurrence, étaient soumis à un risque de baisse en valeur liée à la hausse des taux d’intérêt.

    Quand les taux d’intérêt ont augmenté, les stocks de bons du Trésor détenus par la SVB qui avaient été émis au moment où les taux étaient faibles ont perdu en valeur, ce qui a entrainé une perte en capital. Ces pertes n’ont toutefois pas été réalisées tant que la SVB n’avait pas vendu ces bons du Trésor. Or, la confiance des déposants s’est effondrée en début d’année, ce qui a entrainé des retraits massifs et contraint la banque à revendre ses obligations à des prix bradés. Elle a donc réalisé à ce moment-là des pertes importantes, trop importantes pour être compensées par ses capitaux propres. Elle a par conséquent fait faillite.

    Élucid : Quelles sont les causes plus profondes de cet effondrement bancaire ?

    David Cayla : Elle s’explique en partie par les difficultés que rencontre le modèle économique de la Silicon Valley depuis deux ans. Durant la crise du Covid, les entreprises du numérique ont dégagé beaucoup de profits et attiré beaucoup d’investisseurs. Le retour à l’économie réelle, à partir de 2021-2022, a renversé la situation. On s’est rendu compte que les réseaux sociaux du type Twitter et Facebook avaient mal placé leurs investissements (cf. l’échec du Metaverse cher à Mark Zuckerberg) et que la croissance des entreprises du numérique était limitée. Cette suspicion s’est ensuite déplacée vers la banque à l’origine des financements de ces entreprises.

    L’autre raison de cette défiance tient à la politique de hausse des taux d’intérêt de la banque centrale américaine, et d’ailleurs de toutes les banques centrales. Elle s’est imposée si rapidement que les acteurs financiers, et notamment les banques, ont du mal à changer de logique du fait de l’inertie des stocks d’actifs détenus. Les acteurs financiers ont, en quelque sorte, été rattrapés par la hausse des taux et doivent désormais subir des pertes liées à leurs stratégies mises en œuvre il y a deux ou trois ans, lorsque les taux d’intérêt étaient très faibles.

    Vous avez évoqué le Covid. Des économistes qui annonçaient un krach pour 2020 ont jugé que la pandémie l’avait reporté à une date ultérieure. Quels éléments laissent penser que nous sommes très exposés prochainement à ce risque ?

    D’autres banques que la SVB sont concernées par les pertes. Celles tournées vers le Bitcoin, comme la banque américaine Signature Bank, par exemple, mais aussi des banques pas du tout liées au numérique. C’est le cas du Credit Suisse et de la First National Bank, également californienne, et enfin de la Deutsche Bank. Les modèles économiques de ces banques sont très différents. Le fait qu’elles connaissent des difficultés révèle qu’une certaine défiance s’est installée au sein du système bancaire depuis quelques mois.

    Là encore, cette défiance peut s’expliquer. La première, on vient d’en parler, est liée au changement brutal des politiques monétaires, qui rend le coût de l’argent plus élevé et donc dévalorise les crédits accordés à l’époque où le crédit était faible. Certes, des taux d’intérêt plus élevés sont censés améliorer les revenus des banques. Mais cela entraine aussi une dégradation des bilans dont les effets peuvent être transitoirement plus importants que le fait d’accorder de nouveaux prêts mieux rémunérés.

    Deuxième source d’inquiétude, la réapparition de nombreuses faillites dans la plupart des pays développés, et notamment en France. Pendant la pandémie, le nombre de faillites avait baissé de façon inédite, de près de 40 % en France en moyenne. Or, les mesures d’aide avaient conduit les entreprises à repousser leur faillite, même si leur activité n’était plus rentable. Désormais, les créanciers, et notamment les banques, doivent affronter le contrecoup puisque le nombre de faillites retrouve progressivement son niveau de 2019… et il pourrait même augmenter au-delà .

    De plus, les chiffres de la Banque de France montrent que ces faillites touchent davantage les petites et moyennes entreprises que les micro-entreprises par rapport à 2019. De ce fait, les pertes pour les banques pourraient être plus élevées. Certes, les pertes liées aux prêts garantis par l’État sont faibles, car, justement, garanties par l’État. Mais tous les prêts ne sont pas de cette nature ; il faut donc s’attendre à ce que les banques subissent des pertes importantes liées aux défaillances d’entreprises en 2023.

    Enfin, le dernier facteur de risque est la baisse de l’activité économique en général. La forte hausse des taux d’intérêt fait que les entreprises ont moins envie d’emprunter. Cela dégrade globalement l’activité économique et finit par toucher les banques et le secteur financier qui constituent le dernier maillon de la chaîne économique.

    Pour autant, diriez-vous qu’un nouveau krach est pour bientôt ?

    Le secteur bancaire est près de la zone rouge, mais, de mon point de vue, il n’est pas menacé d’une faillite imminente. Tout dépendra des banques centrales. Si les taux d’intérêt continuent de monter et si la situation économique continue de se dégrader, une crise bancaire et financière est possible. Mais on peut tout de même espérer que les banques centrales ne fassent pas n’importe quoi !

    Plus fondamentalement, pour qu’une crise financière apparaisse, il faut en général deux éléments. Le premier est une forte hausse de l’endettement global, notamment de la part du secteur privé. Une crise bancaire est presque toujours la conséquence d’une suraccumulation de crédits de la part des agents économiques. En 2007, par exemple, la crise financière avait fait suite à une très forte hausse de l’endettement lié au crédit immobilier américain. A contrario, ces dernières années, le crédit aux ménages et aux entreprises a globalement baissé et n’a été que partiellement compensé par une hausse de l’endettement public. Ainsi, la somme totale de l’endettement des États-Unis et de la plupart des économies développées reste plus faible aujourd’hui qu’en 2007 en proportion du PIB.



    Le deuxième élément qui pourrait conduire à une crise bancaire et financière serait un choc économique de grande ampleur qui provoquerait une récession et un effondrement des revenus, réduisant d’autant les capacités de remboursement des débiteurs. Or, ce n’est manifestement pas le cas. Les désordres économiques liés au conflit en Ukraine n’ont finalement pas entrainé la récession qu’on craignait.

    On pourrait néanmoins se demander si la forte hausse des taux d’intérêt ne risque pas de rendre plus difficile le remboursement des prêts accumulés par le passé. Il faut néanmoins comparer les taux d’intérêt au taux d’inflation, puisque l’inflation augmente les revenus nominaux, c’est ce qu’on appelle le taux d’intérêt réel. Il est égal au taux nominal moins le taux d’inflation. Si on le calcule, on s’aperçoit que les taux réels restent très faibles, y compris aux États-Unis.

    Certes, on raisonne ici à l’échelle globale. Or, il ne faut pas oublier que l’inflation engendre de puissants effets de redistribution qui peuvent déstabiliser certains débiteurs. On ne peut donc écarter l’idée que la hausse nominale des taux d’intérêt puisse avoir des effets pénalisants pour ceux qui ont emprunté à taux variable et dont les revenus n’augmentent pas.

    Comme le répète l’économiste François Geerolf, les taux nominaux comptent aussi. Par exemple, on constate que les revenus des entreprises augmentent plus vite que l’inflation, alors que c’est l’inverse pour les ménages (d’où la hausse très forte des profits des entreprises en 2022). Il pourrait donc y avoir une dégradation de la capacité de remboursement des ménages. Ce n’est toutefois pas un danger pour le moment, car il n’y a pas eu de forte hausse des crédits aux ménages dans les pays développés ces dernières années, contrairement à ce qu’il s’était passé aux États-Unis entre 2000 et 2006.

    Enfin, le danger pourrait venir d’une baisse de l’inflation alors que les taux d’intérêt resteraient au même niveau ; mais dans ce cas, les banques centrales auraient la possibilité de baisser leurs taux pour éviter une crise financière.

    Dans votre dernier ouvrage, Déclin et chute du néolibéralisme, vous rappelez que la finance est le secteur par lequel le néolibéralisme a commencé à s’imposer, et vous écrivez qu’il est aussi le secteur par lequel il pourrait péricliter. Pouvez-vous rappeler ce que vous entendez par « néolibéralisme », un terme qui prête souvent à confusion ?

    Le néolibéralisme est effectivement souvent utilisé un peu dans tous les sens, ce qui fait qu’on s’y perd. D’abord, il est une doctrine politique qui a été théorisée et écrite à partir des années 1930 par de nombreux économistes et intellectuels tels que Milton Friedman, Friedrich Hayek ou Wilhelm Röpke. C’est sur les textes de ces auteurs que s’appuie ma définition.

    Ensuite, comme toute doctrine, le néolibéralisme entend aider les gouvernements à faire des choix qui soient cohérents dans le temps. Au fond, la prescription principale du néolibéralisme est d’organiser l’économie autour du principe du prix de marché. En effet, pour les néolibéraux, le marché permettrait d’agréger dans le prix l’ensemble des informations disponibles à un moment donné. Ces prix sont censés engendrer des incitations à la fois à l’achat et à la vente.
    Dernière modification par HADJRESS, 08 juin 2023, 09h33.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2

    De là sont tirées plusieurs implications. Si l’on veut que ce soit le marché qui crée des prix et non pas des entreprises en situation de monopole, il faut de la concurrence. L’État doit donc défendre l’ordre concurrentiel à travers différents organismes tels que l’Autorité de la Concurrence. De plus, pour qu’un marché soit efficace dans sa fonction de création des prix, il doit être le plus large possible, ce qui exige le libre-échange. Troisièmement, l’inflation doit être combattue, car les prix ne créent des incitations que s’ils sont stables dans le temps.

    Enfin, un dernier élément que l’on trouve chez tous les auteurs néolibéraux est qu’il faut défendre une politique sociale minimale pour que le marché soit accepté socialement. Les RSA, les chèques énergie, les subventions aux ménages, et éventuellement aux entreprises, s’inscrivent dans ce cadre de pensée.

    Représentation schématique de la pensée néolibérale. Source : Populisme et Néolibéralisme.

    Quelle rupture le néolibéralisme marque-t-il avec le libéralisme et quand s’impose-t-il ?

    La doctrine néolibérale fut conçue dans les années 1930 au moment où le libéralisme du laissez-faire connaissait une grave crise. L’idée, désormais, était de mettre l’État au service du marché, car on ne faisait plus confiance à son pouvoir d’auto-régulation. Toutefois, en pleine crise des années 1930, les principes néolibéraux ne purent s’imposer. Avec le New Deal, Roosevelt cherchait surtout à encadrer et à réguler les prix. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata, le contrôle des prix fut encore renforcé, tant et si bien qu’à la fin de la guerre, 90 % des prix étaient contrôlés par l’administration américaine.

    Au sortir de la guerre, la logique visant à encadrer un certain nombre de prix persista, et la plupart des pays capitalistes développés vécurent une parenthèse d’économie très fortement administrée dans laquelle les facteurs de production (énergies, matières premières, travail) étaient en grande partie sous le contrôle des États.

    Cette parenthèse prit fin dans les années 1970, en raison de la crise pétrolière et de l’effondrement du système de Bretton Woods. Le système de Bretton Woods impliquait un contrôle des taux de change et des mouvements de capitaux. Il reposait sur la convertibilité du dollar en or. Lorsque ce système explosa, il entraîna une résurgence de l’inflation, également poussée par la hausse des prix de l’énergie. En effet, c’est aussi au début des années 1970 que les pays développés perdirent le contrôle des prix des matières premières et du pétrole.

    En somme, la fin de Bretton Woods et la nationalisation du secteur pétrolier par les pays de l’OPEP chamboulèrent les fondements de l’économie semi-administrée de la période d’après-guerre. Par exemple, le régime des taux de change flottants poussa chaque pays à défendre sa monnaie pour éviter l’inflation. Pour cela, il fallait attirer des investissements et donc mener des politiques de déréglementation financière. De la même façon, pour contourner les cartels sur les matières premières, les pays du Nord n’hésitèrent pas à commercer avec le bloc de l’Est et à jouer de la concurrence et du marché pour payer moins cher l’accès à ces ressources.

    La finance et les matières premières furent donc les premiers marchés à être libéralisés. À partir de là, le pli était pris. Le principe néolibéral des prix de concurrence devint une norme. On libéralisa le marché du travail, les services publics, le marché de l’électricité, etc., et on mit en œuvre des politiques libre-échangistes pour élargir le marché autant que possible. Une grande accélération s’opéra dans les années 1980 et 1990 si bien qu’en 2000, on peut dire que la plupart des principes néolibéraux avaient remplacé le système d’économie dirigée des « Trente glorieuses ».

    Est-ce l’observation de la finance qui vous a conduit à penser que ce néolibéralisme allait prochainement disparaître ?

    Elle est l’un points clés qui m’ont amené à faire ce pari. La crise de 2008 a marqué la fin du néolibéralisme financier qu’on avait connu auparavant. En effet, du fait de la crise, les banques centrales sont devenues des acteurs majeurs de la régulation du système bancaire et financier. Elles sont allées bien au-delà de leur mandat centré théoriquement sur la régulation de l’inflation.
    En mettant en œuvre des politiques de « quantitative easing » (les politiques de rachat d’actifs financiers par les banques centrales), elles ont cherché à diminuer les taux d’intérêt longs auxquels les États empruntent afin de permettre des politiques de relance, mais aussi pour sortir de la crise de la zone euro. Or, ces politiques, finalement, ne sont rien d’autre que des stratégies de manipulation des prix de marché. Elles sont donc radicalement contraires aux principes néolibéraux.

    Le retour de l’inflation va-t-il mettre fin à ces politiques ? Sur le moment peut-être. Mais je crois que l’idée de laisser aux seuls marchés le contrôle des taux d’intérêt est définitivement enterrée. À tout moment, les banques centrales peuvent ré-intervenir, et elles ne manqueront pas de le faire. D’ailleurs, le Japon qui a inventé le quantitative easing il y a plus de vingt ans, n’en est jamais sorti ! Nous vivons donc aujourd’hui dans un monde où le prix du capital n’est plus un prix de marché, mais est soumis à la régulation des banques centrales. C’est donc, en pratique, la fin du néolibéralisme financier.

    Ce changement peut-il selon vous avoir des répercussions dans d’autres domaines de l’économie ?

    À partir du moment où le prix du capital est contrôlé par les banques centrales, pourquoi ne pas recontrôler les prix agricoles, comme c’était le cas avant le néolibéralisme ? Pourquoi ne pas faire de même avec l’énergie, ce vers quoi tend l’Union européenne qui essaie de réguler les prix du gaz et du pétrole russe ? Ajoutons qu’en matière de libre-échange, Trump a remis le protectionnisme au cœur de la politique commerciale américaine et que Biden s’est inscrit dans la continuité avec son Inflation Reduction Act.

    Macron, de son côté, n’assume pas le mot, mais il parle de modifier – pour mieux exclure la Chine – les subventions accordées aux voitures électriques et aux batteries pour tenir compte du coût du carbone. Même l’Europe, qui reste pourtant sur un schéma très néolibéral, en revient à des politiques de régulation en créant un consortium pour la production de batteries et en voulant relocaliser une partie de son industrie électronique !

    Notons que nous sommes encore loin d’un basculement définitif. Les traités de libre-échange ou la libéralisation du marché du travail sont toujours d’actualité. Mais ces changements de pratique sont notables, même si l’idéologie n’a pas encore été fondamentalement remise en cause.

    Vous mentionnez les changements de pratique de certains acteurs et vous avez souligné auparavant le rôle de régulation qu’ont pris les banques centrales. Le facteur déterminant qui peut pousser à annoncer la fin du néolibéralisme, cependant, n’est-il pas plutôt l’enjeu écologique ?

    Il est vrai que les tentatives de re-régulation en France et en Europe dont j’ai parlé ne sont pas extraordinairement importantes. Le choix du protectionnisme aux États-Unis, en revanche, est un phénomène majeur. Mais, effectivement, c’est sans doute la transition écologique qui pourrait accélérer la fin du néolibéralisme. La raréfaction de nos ressources naturelles, les besoins en terres rares, en métaux et en énergie vont poser bien des problèmes. L’Europe sera particulièrement exposée, car elle a très peu de pétrole.

    Bâtir une souveraineté énergétique à base d’énergie nucléaire et d’énergies renouvelables demandera sans doute un contrôle des prix et une réorganisation de l’économie autour de principes différents de celui des incitations par les prix de marché. L’État devra sans doute reprendre un rôle plus important que ce que lui attribue le néolibéralisme et devenir un acteur majeur, non pas simplement pour être l’arbitre du marché, mais aussi en tant qu’acteur et producteur.

    La fin du néolibéralisme signifie-t-elle selon vous la fin de la mondialisation ? Et vu que l’Union européenne est une forme régionale de mondialisation, faites-vous aussi le pari de sa disparition ?

    Je pense que la mondialisation va effectivement s’achever. Refaire de la régulation économique implique le retour des frontières, sans quoi les règles sont contournées via les échanges extérieurs. Le protectionnisme est nécessaire, tout comme la réorganisation du système de production, soit dans le cadre d’une économie nationale lorsque c’est possible, soit à partir d’un ensemble de pays. Il existera cependant toujours des chaînes de production intégrées en Europe ou dans le monde pour des raisons d’efficacité et de logique géographique. Airbus, par exemple, produira toujours ses avions en France à partir des moteurs et des ailes fabriqués au Royaume-Uni. La fin de la mondialisation ne signifie pas l’autarcie !

    Concernant l’Union européenne, sa mort est probable, mais n’est pas certaine. La construction européenne a traversé l’époque de l’économie dirigée et elle a même été réticente, un temps, à la déréglementation financière. Les éléments néolibéraux contenus dans le Traité de Rome de 1957 ont finalement attendu les années 1980 pour s’appliquer.

    Ce qui est sûr, c’est que l’Union européenne ne survivra qu’à la condition de se transformer en profondeur. Les pays préféreront se dégager des règles de l’UE si la survie de leur économie est menacée, et cela pourrait engendrer un délitement de l’UE en tant qu’autorité politique. Par contre, si l’on déverrouille les règles, si l’on revient à des marchés nationaux de l’électricité par exemple, si l’on met fin à l’indépendance de la BCE, quitte à créer des monnaies différentes selon les régions (euro du Nord, euro du Sud), si l’UE parvient à réhabiliter les politiques industrielles et allège ses propres règles en matière de concurrence ou de libre-échange, alors elle pourrait continuer à exister. Mais ce ne serait plus du tout l’Union européenne d’aujourd’hui.

    En fait, les scénarios sont très nombreux. L’Union européenne peut se restreindre, elle peut aussi se démanteler en tant qu’autorité politique, mais continuer à exister formellement, comme l’ancien Empire romain germanique. Elle peut même continuer à vivre à travers l’euro. Étant donnés les coûts qu’imposerait le changement de monnaie, l’euro pourrait paradoxalement survivre à la disparition de l’UE. Par le passé, le denier de Charlemagne a continué à exister pendant des siècles en tant qu’unité de compte après la disparition de son empire. L’histoire est riche de ce type de survivances étranges.

    La fin du néolibéralisme implique un changement du rôle de l’État. Un néolibéralisme agonisant ne risque-t-il pas de faire émerger des États autoritaristes ?

    La fin du néolibéralisme serait l’occasion de retrouver le sens de la démocratie. Il existe en effet une opposition fondamentale entre le premier et la seconde. Le marché est fondé sur le principe « un euro, une voix » alors que la démocratie est fondée sur l’équation « un homme égal une voix ». Toutefois, la fin du néolibéralisme n’est pas forcément synonyme de démocratie. Elle pourrait amener à des régimes autoritaires de type illibéraux. Je songe à la Chine, à la Russie ou dans une moindre mesure à la Turquie ou à l’Inde ; des États forts où l’économie est fortement contrôlée par le pouvoir politique. En Turquie par exemple, le gouverneur de la banque centrale a été limogé à trois reprises ces dernières années, car il ne suivait pas les politiques monétaires voulues par Erdoğan !

    La fin du néolibéralisme pourrait déboucher sur ce type de modèle politique et s’accompagner d’une disparition de l’État de droit. L’État de droit est une composante importante du néolibéralisme, car il permet de limiter le rôle du politique dans l’économie. Il a en outre l’avantage d’empêcher qu’un autocrate décide de tout. Ainsi, la disparition du néolibéralisme comme idéologie totalisante pourrait signifier non pas le retour à des économies dirigées démocratiquement, mais à des régimes autoritaires compatibles avec une forme de capitalisme de connivence. Je rappelle dans mon livre que de telles forces sont déjà à l’œuvre dans un pays tel que la France et qu’on pourrait donc parfaitement basculer dans un capitalisme néoféodal assez rapidement.

    Propos recueillis par Laurent Ottavi.
    Dernière modification par HADJRESS, 08 juin 2023, 09h34.
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