Toujours pour note ami haddou

En quête d’une échappatoire face au compte à rebours climatique, les gouvernements multiplient les annonces présentant l’hydrogène comme la solution énergétique « propre » de l’avenir. Si le plus léger des gaz présente certains avantages, son usage à grande échelle soulève d’immenses problèmes techniques et financiers, mais aussi de pollution, de sécurité et d’efficacité énergétique.
par Philippe Descamps
↑

© Corinne Rozotte / Divergence
Les deux principaux types de moteur à hydrogène présentent l’intérêt de ne pas polluer l’atmosphère ambiante et de ne rejeter que de l’eau. Alors pourquoi n’ont-ils guère été utilisés depuis leur invention… en 1806 pour le moteur à combustion interne de François Isaac de Rivaz, et en 1842 pour la première pile à combustible réalisée par William Robert Grove (couplée au moteur électrique inventé en 1834) ? Peut-être présentent-ils aussi quelques inconvénients… qui préfigurent des difficultés à venir pour la construction d’une nouvelle filière énergétique quasi unanimement présentée comme prometteuse.
Le 18 mai 2022, la Commission européenne a présenté son plan énergétique REPowerEU, qui vise à réduire rapidement la dépendance des pays de l’Union « à l’égard des combustibles fossiles russes en accélérant la transition vers une énergie propre et en unissant [leurs] forces pour mettre en place un système énergétique plus résilient ». Dans ce document d’une vingtaine de pages, on retrouve cinquante-quatre occurrences du terme « hydrogène », un gaz « essentiel pour remplacer le gaz naturel, le charbon et le pétrole dans les industries et les transports difficiles à décarboner ». Ce plan fixe un objectif « de dix millions de tonnes de production nationale d’hydrogène renouvelable et de dix millions de tonnes d’importations d’hydrogène renouvelable d’ici à 2030 ». La Commission, qui estime les besoins d’infrastructure de 28 à 38 milliards d’euros pour les gazoducs et de 6 à 11 milliards pour le stockage, présente le recours à ce combustible comme une réponse au caractère intermittent de la production d’énergie renouvelable.
Une production particulièrement polluante
Étonnamment, les documents parlent d’hydrogène « renouvelable » alors que le premier problème de ce gaz n’est pas sa rareté, mais les conditions de sa production. L’hydrogène (plus précisément la molécule de dihydrogène : H₂) abonde sur Terre combiné à l’oxygène (O₂) sous la forme très stable de l’eau (H₂O) ou associé à divers matériaux ou gaz. Sa séparation ou son extraction sous sa forme pure — celle qui est inflammable ou combinable afin de produire de l’énergie — contribue grandement à l’effet de serre. Ainsi, en 2021, l’Europe a consommé huit millions de tonnes d’hydrogène quasi exclusivement « sale » (1), car produit par vaporeformage du méthane à partir d’hydrocarbures, ce qui génère beaucoup de gaz carbonique. Un tel procédé domine pour l’hydrogène « artificiel », car il coûte encore beaucoup moins cher que l’électrolyse réalisée à partir d’eau et d’électricité.
L’objectif européen apparaît en définitive très flou sur les modes de production dans un futur pourtant très proche. S’agira-t-il d’un hydrogène « bleu », « jaune », « blanc » ou vraiment « vert » (lire « Dix tonnes de CO2 pour une tonne de H2 produite ») ? Le 14 septembre dernier, le Parlement européen a voté un projet de révision de la directive sur les énergies renouvelables qui permet d’inclure dans cette catégorie l’hydrogène produit à partir de l’électricité disponible, quelle qu’elle soit, y compris dans une centrale à gaz ou à charbon…
À l’ouverture du salon « Hyvolution », qui s’est tenu en février dernier à Paris, trois ministres français triomphaient déjà à propos de la part actuelle d’électrolyse (5 %) dans la production française : « La réussite éclatante de la filière hydrogène française, qui est aujourd’hui positionnée dans le trio de tête mondial, montre que le choix et le déploiement d’une stratégie dédiée depuis 2018 par le gouvernement portent leurs fruits (2). » La stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné prévoit un soutien public de 9 milliards d’euros d’ici à 2030, avec trois priorités : « décarbonation de l’industrie en faisant émerger une filière française de l’électrolyse » ; « développement de mobilités propres, en particulier pour les véhicules lourds » ; « soutien à la recherche et à l’innovation dans le domaine ».
Remplacer le coke dans les hauts-fourneaux
La plus forte demande provient de l’industrie et requiert des dépenses colossales. À Kiruna, dans le nord de la Suède (90 % de la production européenne de fer), les compagnies sidérurgiques comptent investir près de 40 milliards d’euros d’ici à 2045 pour produire un acier « propre » et diviser par trois les émissions de gaz à effet de serre du royaume. Les hauts-fourneaux seront progressivement remplacés par des fours électriques et la fonte du minerai avec du coke par un procédé de « réduction directe », permettant de désoxyder le fer avec de l’hydrogène produit par électrolyse. Le groupe Arcelor-Mittal, qui émet environ un quart des émissions industrielles françaises, envisage de faire de même sur son site de Dunkerque, avec une première phase visant à produire d’ici à 2026 jusqu’à quatre millions de tonnes par an d’acier décarboné, soit près de la moitié de sa production française. Le site sera alimenté par une nouvelle ligne à haute tension acheminant une électricité dite « bas carbone », terme qui n’exclut pas… une origine atomique.
« Plusieurs pays sont en train de mettre en œuvre ou d’étudier des méthodes de production d’hydrogène à l’aide de centrales nucléaires afin de réduire leurs émissions de carbone », explique l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) (3). De nouvelles centrales combinant production d’électricité et d’hydrogène à haute température pourraient voir le jour dans les prochaines années, notamment à Davis-Besse dans l’Ohio (États-Unis), en Russie, en Chine, au Japon ou au Royaume-Uni. Tout comme les barrages hydrauliques, sous la forme de station de transfert d’énergie par pompage (STEP), constituent une sorte de « batterie liquide géante », l’hydrogène produit par électrolyse pourrait jouer à l’avenir le rôle de « batteries gazeuses ». Celles-ci seraient chargées lors des baisses de la demande sur le réseau, en période de disponibilité du vent ou du soleil pour l’électricité renouvelable par exemple, puis utilisées lors des pics de consommation ou pour d’autres usages.

© Corinne Rozotte / Divergence
Une autre limite de l’hydrogène tient au transport dans un véhicule. Compte tenu de sa faible densité, il doit être conservé sous haute pression — 700 bars, par exemple, pour une Hyundai Nexo, dont le constructeur promet 666 kilomètres d’autonomie (prix de vente : 80 000 euros). Dans une voiture ou un avion à hydrogène, le principal problème ne serait pas la pile à combustible — on en trouve de très compactes, montées y compris sur des vélos —, ni le moteur électrique — aujourd’hui bien maîtrisé et adapté à de nombreuses situations —, mais le réservoir : une bombe potentielle en cas d’accident ! Les images du dirigeable LZ 129 Hindenburg en feu le 6 mai 1937 dans le New Jersey marquent encore les mémoires. Après l’explosion de ce qui fut le plus gros aéronef civil jamais construit, l’hydrogène fut banni, mais son remplacement par de l’hélium pour gonfler le ballon n’eut pas le même succès.
Beaucoup de spécialistes de l’aéronautique se montrèrent des plus sceptiques quand le ministre de l’économie Bruno Le Maire annonça le 9 juin 2020 la construction d’un avion « vert » à hydrogène à l’horizon 2035. Si l’industrie spatiale maîtrise le recours à ce gaz dans ses fusées, les technologies et les impératifs de sécurité pour un avion de ligne n’ont rien de commun. Compte tenu de la nature même de ce gaz, la liquéfaction devient également coûteuse et inefficace avec l’hydrogène pour un usage de transport ordinaire.
Du moteur à explosion à la voiture explosive
L’une des principales limites de l’hydrogène tient enfin à une considération peu médiatisée : son faible rendement. L’utilisation dans un véhicule suppose une cascade de transformations : électrolyse, compression ou liquéfaction, transport, stockage, conversion en électricité. Chacune de ces étapes entraîne une perte d’efficacité. Si bien que « le rendement de la source électrique à l’usage » est « de l’ordre de 25 %, voire 30 % avec les meilleurs équipements actuels », selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) (4). Le stockage électrochimique de l’électricité par accumulateur ou batteries a un rendement d’au moins 70 %, toujours selon l’Ademe, qui précise : « Dans un souci d’efficacité énergétique, ces chaînes sont à privilégier. » Cela signifie que pour la même distance à parcourir, une Toyota Mirai utilisant une pile à combustible (70 000 euros pour la version de base et 650 kilomètres d’autonomie) aura besoin d’environ deux fois et demie plus d’électricité qu’une Volkswagen ID.4 utilisant des batteries (environ 40 000 euros et 500 kilomètres d’autonomie). On comprend dès lors que le géant allemand de l’automobile n’ait pas suivi ses concurrents asiatiques et n’investisse que dans les voitures sur batteries, dont l’impact sur l’environnement est par ailleurs loin d’être négligeable.

© Corinne Rozotte / Divergence
L’Ademe explique que c’est « au niveau du système global » que s’apprécie l’éventuel recours à la chaîne hydrogène. Pour des véhicules lourds ayant des contraintes de disponibilité compliquant les recharges longues des batteries, comme les bus ou les bateaux de desserte locale, une solution par pile à combustible ou une solution mixte se justifierait peut-être. Solution de rechange très coûteuse pour les industries les plus polluantes, l’hydrogène pourrait n’être qu’une source d’énergie d’appoint dans d’autres domaines, car forcément limitée par la demande d’électricité que sa production requiert.
Philippe Descamps
(1) « Global Hydrogen Review 2022 », Agence internationale de l’énergie.
(2) Bruno Le Maire, Agnès Pannier-Runacher et Roland Lescure, « Accélérer le déploiement de l’hydrogène, clé de voûte de la décarbonation de l’industrie », dossier de presse de France Nation verte, février 2023 (PDF).
(3) Bulletin de l’AIEA
(4) « Rendement de la chaîne hydrogène », fiche technique de l’Ademe, janvier 2020.
Commentaire