Victime de la dégradation de l'économie mondiale, l'ancienne gloire des startups lutte pour sa survie, d'après un document que l'entreprise a transmis à la SEC, le gendarme boursier américain. Son action en Bourse a dégringolé de 24% après cette annonce, et de plus de 80% depuis le début de l'année, faisant chuter sa valorisation à seulement 442 millions de dollars, contre 47 milliards (!) en 2019. Une douloureuse restructuration est inévitable, mais l'ampleur des dettes est telle que WeWork pourrait, cette fois, ne pas se remettre de cette énième crise.
WeWork a -encore- besoin d'être sauvé. Après être passé tout près de la banqueroute en 2019 suite aux frasques de son fondateur Adam Neumann, le champion new-yorkais des bureaux partagés, qui a atteint la valorisation exorbitante de 47 milliards de dollars en septembre 2019, est à nouveau au bord du gouffre. Et ce sont les dirigeants eux-mêmes qui le disent dans un courrier envoyé à la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme boursier américain. « Il existe un doute substantiel quant à la capacité de l'entreprise à poursuivre ses activités », explique pudiquement l'entreprise.
Crise profonde à tous les niveaux
Le principal responsable pointé du doigt par WeWork est la dégradation de l'économie mondiale depuis le début de l'année, qui empêche WeWork à la fois de recruter de nouveaux locataires dans ses bureaux partagés à travers le monde, mais aussi de conserver une partie des locataires actuels. Séduisant essentiellement des travailleurs freelance et des entreprises, WeWork pâtit en outre de l'essor du télétravail, qui, couplé à l'inflation et aux tensions économiques, encourage une partie de ses membres à réduire leurs coûts d'hébergement.
WeWork perd donc énormément d'argent. L'entreprise a annoncé mardi 8 août une perte nette de 397 millions de dollars (361,5 millions d'euros) pour le deuxième trimestre 2023, pour un chiffre d'affaires de 877 millions de dollars (798,5 millions d'euros. Si les revenus augmentent de 4% sur un an, le PDG par intérim de l'entreprise, David Tolley, admet une « légère baisse des adhésions » :« L'offre excédentaire dans l'immobilier commercial, la concurrence croissante dans le coworking flexible, et la volatilité macroéconomique, ont entraîné une rotation des membres plus élevée et une demande plus faible que prévu », note-t-il
Pour ne rien arranger, WeWork s'enfonce également dans une crise de liquidités. En mars dernier, l'entreprise semblait avoir évité le pire en réussissant la renégociation de sa dette avec ses investisseurs, de 3,5 milliards à 2 milliards de dollars, ainsi qu'une nouvelle ligne de financement d'un milliard de dollars. Son investisseur historique, SoftBank, acceptait également de réinjecter 1 milliard de dollars dans l'entreprise, qui s'ajoute donc aux près de 20 milliards de dollars investis par SoftBank seul depuis sa création, dont 9 milliards pour éviter la faillite à la fin 2019.
Enfin, à cette crise financière s'ajoute une crise gouvernance. Après l'éviction du fondateur controversé Adam Neumann en 2019, superbement racontée dans la série WeCrashed sur AppleTV+, SoftBank avait confié la direction de WeWork à Sandeep Mathrani, vétéran de l'industrie immobilière. Mais celui-ci a quitté l'entreprise en début d'année, entraînant la nomination de David Tolley en tant que CEO par intérim.
Une restructuration inévitable, le marché n'y croit plus
L'entreprise WeWork pourra-t-elle survivre à cette énième crise ? Pour s'en sortir, David Tolley promet du sang et des larmes. D'après le document transmis à la SEC, le sort de WeWork dépend de « l'exécution réussie du plan de la direction visant à améliorer les liquidités et la rentabilité de l'entreprise ».
Traduction : une restructuration profonde passant par des licenciements et des fermetures des bureaux les plus déficitaires, la négociation de conditions plus favorables pour les baux, voire l'émission de titres de dette ou la vente d'actifs. Le tout en tablant sur l'augmentation du nombre de locataires, ce qui est tout sauf garanti.
D'ailleurs, le marché n'y croit plus : suite à la publication de la lettre, l'action WeWork s'est fracassée de 24%, soit une chute de plus de 80% depuis le début de l'année, l'action cotant à peine 20 cents pour une valorisation de 442 millions d'euros... Soit même pas le statut de licorne (1 milliards de dollars), alors que WeWork a été, au plus fort de sa bulle, la startup la mieux valorisée au monde à 47 milliards (!) de dollars en septembre 2019.
Le document ne dit pas si une restructuration financière sera également indispensable, ou si elle est prévue. Mais l'ampleur des pertes laisse supposer que sans un redressement rapide, il faudra à nouveau passer par la case investisseurs. Mais y aura-t-il cette fois quelqu'un pour reprendre le flambeau ?
WeWork a-t-elle encore un avenir ?
Car les nouvelles difficultés du champion déchu du coworking illustrent l'échec de la tentative de redressement de l'entreprise depuis octobre 2019. A l'époque, l'éviction mouvementée d'Adam Neumann, le créateur exubérant banni par ses investisseurs pour sa mauvaise gestion et ses lubies, était perçue comme un mal nécessaire pour permettre à l'entreprise d'enfin réaliser son potentiel sur des bases plus saines. Refinancée en catastrophe par SoftBank, restructurée du sol au plafond dans les mois suivants avec une nouvelle direction et une nouvelle stratégie, elle remontait à 9 milliards de dollars de valorisation en octobre 2021, lorsque l'entreprise réussissait enfin à entrer en Bourse au New York Stock Exchange, via un SPAC.
Mais la crise des valorisations tech depuis début 2022, l'instabilité mondiale qui a suivi, et les bouleversements des usages professionnels post-Covid, lui portent possiblement le coup de grâce : en mars 2023, WeWork est sortie du club des licornes, et ne vaut aujourd'hui que 442 millions. Le gâchis est tout simplement inédit : WeWork a bénéficié de plus de 22 milliards de dollars de financements depuis sa création il y a treize ans... et n'a toujours pas prouvé à ce jour la validité de son modèle économique.
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